II. FORMATION INITIALE ET INSTALLATION : LE POIDS DE LA TRADITION

A. ENSEIGNEMENT AGRICOLE ET INSERTION PROFESSIONNELLE : DES STÉRÉOTYPES TENACES

À première vue, l'enseignement agricole se caractérise par la mixité de ses effectifs, puisque l'on y compte environ 50 % de jeunes filles , hors apprentissage, y compris dans l'enseignement supérieur.

Pour autant, on constate que la féminisation de l'enseignement agricole diffère sensiblement selon les filières .

1. La féminisation de l'enseignement agricole : une mixité nuancée
a) Un enseignement qui présente plusieurs spécificités

L'enseignement agricole concentre la moitié du personnel et près de la moitié du budget du ministère de l'Agriculture. En outre, sur les 30 000 fonctionnaires que compte le ministère, 18 000 évoluent aujourd'hui dans ce domaine.

Il est constitué de trois branches : l'enseignement scolaire, l'apprentissage et la formation professionnelle continue , tous trois dispensés dans les Établissements publics locaux d'enseignement et de formation professionnelle agricole (EPLEFPA). Cela induit la présence, dans une même structure, d'élèves relevant de voies de formation et de filières différentes. L'existence d'internats dans de nombreux établissements est une autre spécificité de cet enseignement.

En outre, l'enseignement agricole a deux missions principales - la formation et l'animation des territoires - et deux dimensions spécifiques importantes : l'expérimentation et l'international.

De surcroît, la répartition des élèves entre le public et le privé au sein de l'enseignement agricole est très différente de celle qui prévaut dans l'Éducation nationale : 38 % pour le public pour 62 % dans le privé, contre respectivement 80 % et 20 % dans l'Éducation nationale.

Cela s'explique par le fait que le Conseil national de l'enseignement agricole privé (CNEAP) et les Maisons familiales rurales (MFR), qui accueillent la majorité des élèves et étudiants, sont des organismes privés.

Enfin, l'enseignement agricole est en quelque sorte de moins en moins agricole, puisqu'il compte aujourd'hui 10 % d'enfants d'agriculteurs, contre 40 % à la fin des années 1980 . Par ailleurs, seuls 28 % des effectifs étudient dans la filière de la production agricole, soit schématiquement un quart.

Effectifs totaux de l'enseignement agricole par secteurs et proportion de jeunes filles

Rentrée 2015

Effectifs

Poids des secteurs

% de filles

Secteur public

97 461

45 %

41 %

Secteur privé

119 292

55 %

52 %

Total

216 753

100 %

47 %

Source : DGER

Effectifs d'élèves de l'enseignement agricole par secteurs et proportion de jeunes filles

Rentrée 2015

Effectifs

Poids des secteurs

% de filles

Secteur public

49 895

34 %

45 %

Secteur privé

96 290

66 %

55 %

Total

146 185

100 %

51 %

Source : DGER

Effectifs d'étudiants 68 ( * ) de l'enseignement agricole par secteurs et proportion de jeunes filles

Rentrée 2015

Effectifs

Poids des secteurs

% de filles

Secteur public

23 221

62 %

53 %

Secteur privé

14 045

38 %

46 %

Total

37 266

100 %

51 %

Source : DGER

Effectifs d'apprentis de l'enseignement agricole par secteurs et proportion de jeunes filles

Rentrée 2015

Effectifs

Poids des secteurs

% de filles

Secteur public

24 345

73 %

20 %

Secteur privé

8 957

27 %

33 %

Total

33 302

100 %

23 %

Source : DGER

Répartition des élèves, des étudiants et des apprentis de l'enseignement agricole par niveaux de formation et proportion de jeunes filles

Part de chaque niveau
de formation

Proportion de filles

Niveaux I et II

7 %

61 %

Niveau III

14 %

38 %

Niveau IV

41 %

50 %

Niveau V

25 %

48 %

Niveau VI

14 %

36 %

Total

100 %

47 %

Source : DGER

b) Une spécialisation des filières encore très sexuée
(1) La dichotomie entre filières de services et filières de production

Si l'on compte environ 50 % de femmes dans l'enseignement technique agricole et dans l'enseignement supérieur , le détail des chiffres par filière est plus nuancé et complexe. La féminisation varie en effet beaucoup selon les secteurs et les niveaux de formation.

Comme l'a d'ailleurs indiqué Christine Audeguin, responsable d'établissement au lycée agricole Terre nouvelle de Marjevols et représentante du Conseil national de l'enseignement agricole privé (CNEAP), en préambule de son intervention au cours de la table ronde du 30 mars 2017, il convient d'apporter « un bémol aux chiffres de l'enseignement agricole. Il y a deux types de formations : celle qui mène à l'agriculture proprement dite et celle qui conduit aux métiers des services à la personne. Or la seconde est beaucoup plus féminisée que la première ».

Par ailleurs, la féminisation des effectifs de l'enseignement agricole a été progressive , puisque la part des filles est passée de 39 % en 1990 à 52 % en 2010.

Historiquement, d'après l'ouvrage précité de Marie-Thérèse Lacombe, « Les premières écoles féminines d'agriculture en France sont les écoles pratiques laitières. La première est fondée en 1826 à Coëtlogon en Ille-et-Vilaine, région de vaches laitières » 69 ( * ) .

Au cours de la table ronde du 30 mars 2017, Philippe Vinçon, directeur général de l'enseignement et de la recherche au ministère de l'Agriculture, de l'Agroalimentaire et de la Forêt, a présenté les principales statistiques et tendances des différentes filières :

« Le premier secteur de l'enseignement agricole est constitué des services aux personnes , héritiers des écoles ménagères. Ce secteur représente 36 % des effectifs totaux et on y trouve 82 % de jeunes filles . Cela dit, cette proportion diminue puisque de plus en plus de jeunes gens s'y engagent.

Le deuxième secteur est celui de la production agricole et il compte 37 % de jeunes filles , proportion en progression.

Le troisième secteur est celui de l'enseignement général et technologique et on y observe une quasi-parité .

En outre, dans le secteur de l'environnement , qui représente 15 % des effectifs et qui se développe, on ne trouve que 16 % de jeunes filles et cette part évolue peu.

Enfin, il y a 58 % de jeunes femmes dans le secteur de la transformation agroalimentaire » .

Laurence Dautraix, secrétaire nationale du Syndicat national de l'enseignement technique agricole public (SNETAP-FSU) a insisté lors de cette table ronde sur le déséquilibre entre les filières, au sein de l'enseignement agricole public, au niveau scolaire : alors que l'on compte 90 % de filles en voie scolaire dans la filière Services aux personnes et aux territoires, elles ne sont que 34 % dans la filière conduite et gestion de l'entreprise agricole-élevage, et 1 % dans la filière Agroéquipements.

Selon Philippe Vinçon, on constate néanmoins des évolutions positives sur le moyen et le long terme . Par exemple, si l'on compare les chiffres actuels à ceux de la période 2009-2010, la part des filles est passée de 88 % à 82 % dans le secteur des services, alors qu'elle a augmenté dans le secteur de l'aménagement, passant de 11 % à 16 %.

Pour sa part, Christine Audeguin, représentante du CNEAP (enseignement privé), a fourni des données spécifiques à son secteur : « dans l'enseignement agricole privé en général, on compte 55,5 % de filles. Cette part n'est pourtant que de 39 % au niveau du collège, notamment en quatrième et en troisième, proportion inférieure à la moyenne de l'Éducation nationale (...). Outre la filière Équine, la filière Canin-félin est très attractive pour les filles : elles y représentent 74 % des élèves dans les établissements agricoles privés. Les BTS Agroéquipement, en revanche, sont à 100 % masculins ! On compte seulement 9,5 % de filles dans les filières Gestion de l'eau et aquaculture, environ 20 % dans les filières Gestion et protection de la nature, et 2,9 % dans les filières Forêt ».

On observe donc l'existence d'une dichotomie entre l'enseignement agricole public, qui compte plus de garçons, et l'enseignement agricole privé, qui accueille davantage de filles . Cela s'explique par le fait que l'enseignement privé est plutôt concentré sur les services à la personne, alors que le « coeur de métier » de l'enseignement public est la production.

(2) Un déséquilibre particulièrement marqué dans l'apprentissage

Ainsi que l'a fait observer lors de la table ronde du 30 mars 2017 Laurence Dautraix, secrétaire nationale du Syndicat national de l'enseignement technique agricole public (SNETAP-FSU), le déséquilibre des effectifs entre femmes et hommes est particulièrement marqué au niveau de l'apprentissage. En effet, la part des filles y est de 23 % contre 51 % pour la voie scolaire .

De façon plus générale, selon les chiffres du SNETAP-FSU, un jeune de l'enseignement agricole sur cinq est apprenti-e, avec une majorité très nette de garçons. L'apprentissage compte à peine une fille pour quatre garçons. Les filières sont très « sexuées » : 5 % de filles en Aménagement paysager, 24 % en Production et 70 % en Service.

L'apprentissage reste donc très sélectif pour les jeunes filles qui peuvent être soumises à de véritables « parcours de combattantes » pour trouver un maître d'apprentissage. Il est donc important d'ouvrir davantage l'apprentissage aux jeunes filles.

(3) Une relative mixité au niveau du corps enseignant et de l'administration du ministère, malgré l'existence de « bastions » masculins et féminins

La spécialisation des élèves par filière semble se retrouver au niveau du corps enseignant . Comme l'a indiqué Emmanuel Delmotte, directeur de l'École nationale supérieure de formation de l'enseignement agricole (ENSFEA) aux co-rapporteures qui se sont rendues à Toulouse le 30 mai 2017 70 ( * ) , il existe des « bastions masculins » pour certains concours de recrutement d'enseignants, comme celui qui mène à l'agroéquipement.

Au-delà des effectifs de l'enseignement agricole stricto sensu , la place des femmes est plus marquée dans certains secteurs , comme l'a indiqué Roland Grimault, responsable du pôle développement de l'Union nationale des maisons familiales rurales d'éducation et d'orientation (UNMFREO) au cours de la table ronde du 30 mars 2017 : « l'enseignement agricole est très divers et les femmes sont plus présentes dans certains secteurs. Par exemple, leur nombre est important dans les postes de direction ou dans les conseils d'administration. Elles sont également bien représentées dans l'enseignement ».

Comme Philippe Vinçon l'a souligné lors de la table ronde du 30 mars 2017, le ministère de l'Agriculture ne rencontre pas de problème de parité . On commence ainsi à observer une place importante des femmes dans la chaîne hiérarchique, tant au niveau du cabinet que parmi les hauts fonctionnaires de l'administration.

c) Une proportion importante de filles dans les niveaux supérieurs de l'enseignement agricole

On observe en revanche une proportion importante de filles dans les niveaux supérieurs de l'enseignement agricole : elles sont 55 % dans les écoles d'ingénieurs privées, 66 % dans les écoles d'ingénieurs publiques et jusqu'à 74 % dans les écoles vétérinaires, où le déséquilibre entre hommes et femmes y est en quelque sorte inversé.

Les interlocuteurs rencontrés par la délégation expliquent notamment ce phénomène par la volonté de poursuivre des études et d'atteindre un certain niveau , ambition plus souvent exprimée par les filles que par les garçons, mais aussi par le besoin de reconnaissance de leurs compétences .

Les filles seraient également plus incitées par leur famille, notamment les familles d'agriculteurs, à poursuivre leurs études, ainsi que l'a noté lors de la table ronde du 30 mars 2017 Christine Audeguin, représentante du CNEAP (enseignement privé) : « Le bac professionnel est suffisant pour pouvoir s'installer en tant que jeune agriculteur et, souvent, les garçons qui atteignent ce niveau n'ont pas envie de continuer leurs études. Pour ces jeunes intéressés par une formation pratique, l'obtention d'un BTS, avec un certain nombre de matières générales, représente un trop gros effort. C'est pourquoi les filles, qui visent probablement moins la dimension concrète de l'enseignement, ont souvent un meilleur niveau d'études, d'autant plus qu'elles sont plus poussées en ce sens que les garçons par les familles, notamment les familles d'agriculteurs . Ainsi, dans la filière production animale au lycée Terre Nouvelle, l'effectif féminin passe de 11 % en bac professionnel à 61 % en BTS ».

Pour le ministère, ce constat est prometteur puisqu'il laisse présager que le monde de l'encadrement agricole et du conseil se féminisera, ce qui pourra avoir des effets positifs sur la représentation des métiers de l'agriculture.

Pour autant, certains estiment que la féminisation des effectifs du supérieur, y compris en apprentissage, ne s'explique pas tant par la mixité des formations que par le développement de filières dédiées aux services et à l'administration , traditionnellement attractives pour les femmes . Cette féminisation ne serait donc, en quelque sorte, que le reflet de stéréotypes...

2. Des difficultés d'insertion professionnelle et des conditions d'emploi moins favorables pour les étudiantes de l'enseignement agricole
a) Des taux d'insertion professionnelle moins élevés pour les jeunes diplômées de l'enseignement agricole

Les différences de spécialisation par filière entre jeunes filles et jeunes garçons se traduisent également par des conditions d'insertion professionnelle différentes, en défaveur des femmes , avec des écarts significatifs.

La brochure de présentation de l'enseignement agricole réalisée par le ministère de l'Agriculture 71 ( * ) indique que « les garçons s'insèrent mieux sur le marché du travail que les filles, ce qui peut s'expliquer, en partie, par des choix de spécialisation différents ». En effet, tous les secteurs d'emploi ne recrutent pas autant.

La spécialisation sexuée des filières de l'enseignement agricole a donc des conséquences défavorables aux femmes , trop souvent cantonnées dans des secteurs qui embauchent moins ou qui offrent des niveaux de salaire moindres. Il est donc nécessaire d'agir pour les encourager à investir toutes les filières de l'enseignement agricole ( cf. infra ).

De surcroît, le SNETAP-FSU (enseignement public) a fourni des données éclairantes qui démontrent que les problèmes d'insertion, les disparités salariales et la précarité touchent davantage les filles que les garçons.

Ainsi, trois ans après l'obtention du diplôme, le taux net d'emploi des filles (78 %) est significativement plus faible que celui des garçons (85 %).

De même, le taux net d'emploi en 2015 (enquête à 7 mois sortant-e-s 2014) est de 60,9 % pour les filles et de 66,3 % pour les garçons.

Le taux net d'emploi selon les diplômes en 2015 est de 32,2 % pour les filles (en CAPA 72 ( * ) ) et de 44,7 % pour les garçons (en CAPA). Cet écart de six points se retrouve en Bac Techno 73 ( * ) , BTSA 74 ( * ) , mais la différence est de seulement deux points en Bac professionnel.

Au cours de la table ronde du 30 mars 2017, Laurence Dautraix, secrétaire nationale du SNETAP-FSU (enseignement public), a souligné que les écarts sont moins marqués au niveau des formations supérieures, mais qu'ils sont très importants au niveau CAP . D'après elle, « les jeunes filles n'ayant que le CAP ont accès à l'emploi majoritairement par le biais de contrats saisonniers, soit des activités incomplètes qui, le plus souvent, correspondent à des temps partiels inférieurs à 50 % ».

Diplômés du CAP agricole au BTSA Taux net d'emploi trois ans après l'obtention du diplôme*

Filles

Garçons

Ensemble

CAP agricole

62 %

72 %

68 %

Bac professionnel agricole

78 %

85 %

82 %

BTSA

85 %

91 %

89 %

* Taux net d'emploi : part des individus en activité professionnelle parmi ceux entrés sur le marché du travail. Hors diplômés ayant obtenu un diplôme de niveau supérieur au cours des trois ans.

Champ : diplômés par la voie scolaire et par apprentissage

Source : DGER

Diplômés de l'enseignement supérieur agronomique, vétérinaire et de paysage Taux net d'emploi des diplômés un an après leur sortie de l'école*

Femmes

Hommes

Ensemble

Ingénieurs

89 %

90 %

90 %

Vétérinaires

96 %

98 %

96 %

Paysagistes

76 %

80 %

78 %

* Part des individus en activité professionnelle parmi ceux entrés sur le marché du travail

Champ : diplômés en 2015 des établissements de l'enseignement supérieur agronomique, vétérinaire et de paysage

Source : DGER

On remarque que, même dans les filières où les femmes sont majoritaires, leur taux d'emploi un an après leur sortie de l'école est légèrement inférieur à celui des hommes.

b) Des conditions d'emplois souvent moins favorables

Les jeunes femmes diplômées de l'enseignement agricole ont aussi des conditions d'emploi généralement moins favorables que celles de leurs homologues masculins.

S'agissant de la nature des emplois , les femmes sont majoritairement recrutées en contrat aidé (8,4 % de filles contre 3,3 % de garçons), en CDD de moins de six mois (28 % de filles, 18,4 % de garçons), en CDD de six mois ou plus (28,9 % de filles, 18,9 % de garçons).

En termes de classifications professionnelles , les femmes sont plus souvent employées dans le commerce lié à l'agriculture ou à l'agroalimentaire, dans les services liés à l'agriculture et dans les emplois saisonniers.

Du point de vue du temps de travail , 83,5 % des hommes travaillent à temps plein, contre 53,2 % de femmes. Beaucoup d'entre elles sont à temps partiel supérieur ou égal à un mi-temps (36,5 % de filles contre 13 % de garçons), et un nombre important d'entre elles travaillent à temps partiel inférieur à un mi-temps.

De manière plus étonnante, on retrouve également des différences dans la profession vétérinaire pourtant très féminisée . Catherine Belloc, professeur à l'École nationale vétérinaire , agroalimentaire et de l'alimentation Nantes-Atlantique (ONIRIS) a ainsi indiqué lors de la table ronde du 30 mars 2017 que les femmes sont davantage concernées que les hommes par le salariat et qu'elles s'investissent moins dans des fonctions de représentation . On observe également que des femmes vétérinaires peuvent interrompre leur carrière entre 30 et 40 ans, vraisemblablement en lien avec la maternité. Tous ces facteurs ont pour conséquence que « de manière générale, on note, chez les femmes, par rapport aux hommes, une prévalence du salariat, un nombre moins élevé d'installations, et donc une différence de revenus ».

La délégation ne peut que regretter que, dans le secteur agricole comme dans d'autres secteurs, les conditions de travail des femmes soient moins favorables que celles des hommes, qu'il s'agisse du temps de travail ou du niveau de rémunération.

Pour évaluer l'évolution de la situation, il importe de pouvoir disposer de données statistiques précises, fiables et régulièrement actualisées au niveau des différentes filières , tant en ce qui concerne l'insertion professionnelle que les conditions de travail des jeunes filles et femmes qui choisissent l'enseignement agricole.

À cet égard, la délégation note avec intérêt qu'un récent rapport du Parlement européen 75 ( * ) , précédemment cité, a relayé cette préoccupation : « [...] une plus grande attention doit donc être accordée à l'élaboration de statistiques actualisées sur la situation de l'emploi des femmes dans les zones rurales ainsi que sur leurs conditions de vie et de travail ».

La délégation soutient la production systématique de statistiques sexuées régulièrement actualisées pour mieux évaluer l'insertion professionnelle des diplômé-e-s de l'enseignement agricole , à tous les niveaux et dans les différentes filières et pour mieux identifier les difficultés spécifiques aux jeunes filles.

3. Un impératif : lutter contre des stéréotypes persistants
a) Des stéréotypes encore ancrés dans les mentalités

Le milieu agricole reste marqué par des stéréotypes tenaces qui contribuent à expliquer la spécialisation des filières de l'enseignement agricole par sexe et son insuffisante mixité .

Par exemple, comme l'a relevé Laurence Dautraix, secrétaire nationale du SNETAP-FSU (enseignement public) au cours de la table ronde du 30 mars 2017, dans le milieu viticole, on parle de « travaux de femmes » pour désigner les travaux en vert qui renvoient, s'agissant de la vigne, à des tâches comme l'ébourgeonnage, le relevage, le palissage.

En outre, selon Philippe Vinçon, directeur général de l'enseignement et de la recherche au ministère de l'Agriculture, de l'Agroalimentaire et de la Forêt, « un gros travail reste (...) à faire pour débarrasser l'enseignement technique agricole des stéréotypes négatifs qui le frappent (...). Le secteur agricole est réputé offrir des métiers d'hommes, ce qui risque de décourager bien des jeunes filles de s'engager dans cette voie » 76 ( * ) .

La délégation a eu plusieurs occasions d'analyser les mécanismes qui sont à l'oeuvre pour décourager les jeunes filles de choisir une voie réputée masculine ou pour les assigner à certaines tâches pénibles ou peu valorisantes 77 ( * ) .

Les représentations anciennes sur les filières agricoles font en effet que les jeunes filles sont bien souvent encouragées par leur famille à s'orienter vers un cursus perçu comme plus « compatible » avec des qualités féminines supposées . On peut citer à cet égard trois exemples éloquents évoqués lors de la table ronde du 30 mars 2017 :

- dans la filière viti-vinicole, les filles sont de plus en plus présentes dans le chai. En effet, leur exposition aux cosmétiques développerait des qualités olfactives que n'ont pas les hommes... ;

- les filières Services, et plus particulièrement Petite enfance, sont naturellement proposées aux filles ;

- dans les filières Production et Aménagement, les filles sont considérées comme incapables de réaliser certains travaux requérant de la force et de ce fait considérés comme masculins.

Par ailleurs, les stéréotypes peuvent être véhiculés par les enseignant-e-s ou les professionnel-le-s de l'éducation et de l'orientation en raison d'un manque de connaissance de la diversité des filières proposées dans l'enseignement agricole et des évolutions, notamment technologiques, qui peuvent faciliter le travail des femmes dans certains métiers qui y sont associés.

C'est notamment l'analyse développée lors de la table ronde du 30 mars 2017 par Roland Grimault, responsable du pôle développement de l'Union nationale des Maisons familiales rurales d'éducation et d'orientation (UNMFREO) : « les freins sont surtout sociétaux, tant au sein des familles qu'au niveau de l'orientation. Il est en effet difficile d'imaginer que les conseillers d'orientation puissent connaître tous les débouchés de l'enseignement agricole, tant les métiers auxquels il préparent sont variés » 78 ( * ) .

b) Une évolution souhaitable : mieux communiquer, former et sensibiliser les différents acteurs à la diversité des milieux agricoles et au travail des femmes en agriculture

La Direction générale de l'enseignement et de la recherche (DGER) du ministère de l'Agriculture, consciente de la situation, a mis en place plusieurs actions pour attirer davantage de jeunes filles dans les filières de production . Elle a notamment réalisé un guide de bonnes pratiques dans le cadre du réseau Insertion-égalité des chances 79 ( * ) de l'enseignement agricole destiné à réaliser des plaquettes de communication des établissements et des services régionaux de formation et de développement des directions régionales de l'agriculture, de l'alimentation et de la forêt (DRAAF) qui « parlent » aux jeunes filles. Ce guide porte en particulier sur le choix des mots, des noms de métiers et des photos .

En outre, le projet stratégique national pour l'enseignement agricole rappelle la priorité de lutter contre les stéréotypes et contre les violences sexistes .

Le ministère estime aussi que la présence des professionnels dans les différentes instances des Établissements publics locaux d'enseignement et de formation professionnelle agricole (EPLEFPA) et les contacts privilégiés des enseignants coordonnateurs avec les professionnels doivent contribuer à lutter contre les discriminations sexuées.

Enfin, la Direction générale de l'enseignement et de la recherche (DGER) sensibilise les autorités académiques, les chefs d'établissements et les équipes pédagogiques et éducatives à cette problématique :

- rappel aux chefs d'établissements de la nécessité d'aborder ces questions avec les maîtres de stage lors des rencontres mises en place avant les périodes de formation en milieu professionnel et d'exercer une vigilance particulière sur cette question lors des visites en entreprise effectuées par les enseignants référents ;

- intégration de cette problématique dans le master « MEEF 80 ( * ) » ;

- formation menée auprès des personnels encadrants du ministère de l'Agriculture, y compris les directeurs d'EPLEFPA, sur la lutte contre les discriminations .

À certains égards, le projet Filagri présentait un intérêt particulier et a constitué un exemple de démarche soucieuse d'une meilleure intégration des jeunes filles dans l'enseignement agricole.

Le projet Filagri , une démarche inspirante

Ce projet a été mené entre 2010 et 2013 dans le cadre d'un appel à projet du Haut commissariat à la jeunesse et dont le but était d'accompagner les jeunes filles depuis leur arrivée dans la filière d'enseignement jusqu'à leur insertion professionnelle . Il reposait sur un travail élaboré en collaboration avec les acteurs de l'insertion professionnelle, parents d'élèves, maîtres de stage, d'apprentissage et futurs employeurs, et s'est déroulé dans huit régions 81 ( * ) . Trois niveaux de classes ont été retenus : le CAPA (Certificat d'aptitude professionnelle agricole, niveau V), le baccalauréat professionnel agricole (niveau IV) ainsi que le BTSA (Brevet de technicien supérieur agricole, niveau III). Les résultats de ce projet ont permis d'envisager des pistes pour faire évoluer le recrutement, les conditions de vie dans l'établissement, dans la classe, améliorer la réussite scolaire et l'insertion, lutter contre l'autocensure des jeunes filles et l'abandon de leur projet et apporter un meilleur équilibre au sein de l'établissement .

Source : DGER

Pour autant, le SNETAP-FSU (enseignement public) estime que si les actions particulières pour attirer les jeunes filles existent, elles sont encore trop peu visibles . Par exemple, le réseau Insertion-égalité du ministère, qui existe depuis le début des années 2000, mène des actions dans les établissements au niveau local. Malheureusement, il est très peu connu par l'ensemble de la communauté éducative. L'absence de communication élargie et de valorisation en limite l'efficacité .

De même, la convention interministérielle pour l'égalité signée en février 2013 et prolongée jusqu'en 2018 82 ( * ) n'est pas suffisamment mise en valeur. Ses objectifs visent à renforcer l'éducation et le respect mutuel entre les filles et les garçons, à s'engager pour la mixité dans les filières, à mettre en place une culture commune de l'égalité entre les sexes.

Le syndicat SNETAP-FSU (enseignement public) estime que ces objectifs doivent être portés par le ministère de l'Agriculture à travers des moyens dédiés à la formation et par sa prise en compte dans les projets d'établissements, les projets régionaux de l'enseignement agricole et les orientations stratégiques nationales.

Par ailleurs, des actions sont aussi menées dans l'enseignement agricole privé pour lutter contre les stéréotypes . Lors de la table ronde du 30 mars 2017, Roland Grimault, responsable du pôle développement de l'Union nationale des maisons familiales rurales d'éducation et d'orientation, a ainsi estimé que pour attirer les jeunes filles vers de nouveaux métiers, il est utile de les sensibiliser dès le collège . Dans les classes de quatrième et de troisième, un tiers des élèves sont des filles. Elles ont la possibilité, grâce à l'alternance, de découvrir diverses entreprises et de consolider leur projet professionnel.

Il a également cité les bonnes pratiques développées dans le cadre de son réseau : « Quand les élèves rentrent de stage, il y a toujours un temps d'échange sur ce qu'ils ont vécu. Et lorsqu'une fille explique à ses camarades masculins ce qu'elle a fait durant son stage dans un secteur d'activité plutôt investi par les garçons, elle force leur respect ! ».

« En outre », a-t-il poursuivi, « dans des établissements qui comptaient les filières Services et Production, des jeunes filles ont participé à la démarche lancée par le ministère de l'Agriculture « Produire autrement », visant à promouvoir la production locale, tandis que les garçons de la filière Production agricole ont joué les animateurs de ferme pédagogique en accueillant des classes de maternelle - activité traditionnellement animée par des jeunes filles de la filière Services aux personnes. L'objectif était de leur faire découvrir les métiers des uns et des autres ».

De même, le directeur de l'ENSFEA a indiqué à la délégation que la formation des enseignants comprend des modules de sensibilisation aux questions d'égalité entre les femmes et les hommes , à travers, notamment, un enseignement sur les questions de genre et la sociologie rurale, dispensé par une professeure d'université. Par ailleurs, des travaux de recherche sur les questions de représentation menés au niveau de l'ENSFEA étudient par exemple les mécanismes psychologiques qui freinent les jeunes filles et les conduisent à s'interdire l'accès à certains métiers ou études réputés masculins .

La délégation salue toutes les actions menées par les différents acteurs de l'enseignement agricole afin de lutter contre les stéréotypes masculins et féminins et souhaite qu'elles soient poursuivies, renforcées et valorisées.

Pour susciter des vocations d'agricultrices chez les jeunes filles , la délégation recommande de :

- sensibiliser dès le collège les jeunes filles à la diversité des métiers auxquels forme l'enseignement agricole, plus particulièrement dans le domaine de la production ;

- développer les bonnes pratiques visant à faire découvrir dès le collège les métiers de la production agricole aux filles (et les métiers de services aux garçons) ;

- travailler sur les supports de communication présentant les métiers de l'enseignement agricole, en veillant à ce qu'ils s'adressent aux jeunes filles comme aux jeunes garçons, dans le vocabulaire comme dans les images.

La délégation estime par ailleurs nécessaire de poursuivre la formation et la sensibilisation de la communauté éducative de l'enseignement agricole et des professionnels de l'agriculture , ainsi que l' information des familles , pour lutter contre les stéréotypes qui peuvent décourager certaines jeunes filles de suivre une filière agricole.

Elle soutient les initiatives comme le réseau Insertion-Égalité, qui a pour objectif de favoriser l'égalité entre les filles et les garçons, et encourage l'instauration d'une formation continue de toutes les personnes concernées sur l'égalité.

Enfin, la délégation recommande que des professionnelles, agricultrices et anciennes élèves, soient associées à la formation des enseignants pour qu'elles puissent témoigner de leur expérience.

4. Une nécessité : améliorer les conditions matérielles pour garantir un accueil favorable aux jeunes filles
a) Une question importante : l'équipement des internats dans les filières les plus masculines

Au cours de la table ronde du 30 mars 2017 a été évoquée la question conditions d'accueil des jeunes filles dans les internats des établissements de l'enseignement agricole .

Selon le ministère de l'Agriculture, les internats sont dans l'ensemble adaptés aux jeunes filles.

Sur ce point, le rapport de l'Observatoire européen des violences à l'école relatif au climat scolaire, l'expérience scolaire et les victimisations dans les établissements de l'enseignement agricole (enquête menée auprès d'« apprenants » et de personnels pendant l'année scolaire 2015-2016) mentionne un sentiment de bien-être de 86,3 % pour les filles et de 85,1 % pour les garçons . La situation est donc globalement satisfaisante .

Cette enquête montre également que les filles sont dans leur grande majorité internes (90,4 %) , principalement pour des raisons d'éloignement géographique ou en raison de leur choix de filière . La majorité d'entre elles se sentent bien à l'internat et considèrent que l'ambiance entre internes est bonne.

Pour autant, le rapport met aussi en évidence que les filles y sont plus souvent victimes de comportements sexistes, par exemple d'insultes, que les garçons , même si ce phénomène n'est pas très fréquent.

De fait, la taille des établissements et le taux d'encadrement sont des éléments importants du bien-être des jeunes dans l'enseignement agricole , et notamment des filles. Ce constat peut expliquer des « ressentis » différents en fonction des internats.

Selon le SNETAP-FSU (enseignement public), les internats rénovés semblent bien adaptés dans la plupart des cas, mais des difficultés existent pour accueillir décemment des jeunes filles dans les petits établissements où dominent les filières Production, plus masculines .

Il semblerait que les vestiaires ne soient pas toujours équipés pour recevoir une population féminine dans les filières très masculines . Au cours de la table ronde du 30 mars 2017, Laurence Dautraix, secrétaire nationale du SNETAP-FSU (enseignement public) a cité l'exemple d'un établissement de la filière Forêt dont les vestiaires ont été rénovés très récemment, mais sans prévoir de locaux dédiés aux jeunes filles. Or, la question des aménagements dans les établissements ou exploitations est fondamentale .

Enfin, les syndicats présents 83 ( * ) à la table ronde du 30 mars 2017 ont regretté le manque d'infirmiers ou d'infirmières et l'absence d'assistance sociale dans ces établissements.

b) Des stages plus difficiles à trouver et au contenu moins valorisant

Les jeunes filles de l'enseignement agricole sont de surcroît confrontées à des difficultés pour trouver un stage répondant à leurs attentes .

Non seulement elles ont souvent plus de mal que les garçons à trouver un stage, mais leur contenu est généralement moins intéressant .

Sur ce point, la Direction générale de l'enseignement et de la recherche (DGER) a cité un rapport de 2014 (« Plein sens ») établi à sa demande, sur la « réussite comparée des filles et des garçons dans l'enseignement agricole ». Dans ce cadre, plusieurs élèves ont décrit une répartition des tâches différenciée selon les sexes . Les activités considérées comme « plus faciles » seraient ainsi régulièrement attribuées aux filles, qui le vivent comme une injustice . Selon ce rapport, qu'il s'agisse de l'accès aux stages ou à l'emploi, les mêmes mécanismes de différenciation entre hommes et femmes sont à l'oeuvre.

D'après le SNETAP-FSU (enseignement public), les témoignages attestant que les offres de stage sont moins riches et moins variées pour les filles que celles proposées aux garçons sont nombreux . Le syndicat évoque ainsi le cas d'une jeune fille qui désirait faire un apprentissage en Production et a dû émettre pour ce faire plus de cinquante appels téléphoniques. Dans le cadre d'un déplacement à Toulouse, les co-rapporteures ont également entendu plusieurs jeunes femmes évoquer la persévérance et la patience dont elles ont dû faire preuve avant d'obtenir un stage ou un apprentissage .

Plus préoccupant encore, il ressort du rapport « Plein sens » cité ci-dessus que de nombreux employeurs refuseraient purement et simplement de prendre en stage ou d'embaucher des filles , sans même dissimuler les raisons de leur refus, ou en invoquant le manque de force physique qui les empêche de transporter certaines charges. L'absence de vestiaires pour les femmes dans les entreprises semble également régulièrement alléguée pour refuser des candidates.

La délégation ne peut se satisfaire de cette situation porteuse d'inégalités .

La délégation estime nécessaire que les structures destinées à héberger des jeunes filles , que ce soit dans les internats de l'enseignement agricole ou lors de stages ou de formations en alternance, soient conçues de la manière la plus adaptée possible (vestiaires et sanitaires séparés...).

Dans cette perspective, elle encourage une politique concertée d'aménagement des lieux d'accueil (écoles et entreprises) et, le cas échéant, l'attribution d'aides spécifiques pour contribuer à l'installation de ces équipements.

Elle préconise aussi de prendre en compte la présence des jeunes filles dans la mise en place de structures d'accompagnement social au sein des internats de l'enseignement agricole (infirmerie et assistance sociale).

c) Une préoccupation : l'ergonomie des équipements professionnels

Enfin, le manque d'attrait du milieu agricole pour les jeunes femmes tient sans doute aussi à des aspects matériels qui ont toute leur importance : les outils, engins agricoles et équipements professionnels de sécurité ne sont pas toujours adaptés à la morphologie des femmes, mais plutôt conçus pour des hommes.

De fait, « Le matériel agricole a été inventé par les hommes pour les hommes » 84 ( * ) : par son gabarit, sa puissance, son poids, un tracteur n'évoque pas des caractéristiques supposées féminines. Le maniement des machines et équipements agricoles pose ainsi parfois deux problèmes aux femmes : les compétences à mobiliser pour effectuer les petites réparations , très fréquentes dans une exploitation, et l'inadaptation de certains matériels à la morphologie féminine .

Un intérêt limité des agricultrices pour le Salon international du matériel agricole (SIMA) ?

La délégation relève que le SIMA (Salon international du matériel agricole) ne semble pas attirer un grand nombre d'agricultrices : selon l'une de ses organisatrices, « les femmes représentent 25 à 30 % des chefs d'exploitation mais ne sont que 15 % à venir sur le salon » 85 ( * ) . Ce relatif manque d'intérêt des agricultrices doit être relativisé car les images du SIMA, où ne sont mis en situation que des hommes (agriculteurs, ingénieurs, concessionnaires, etc.), renvoient à un univers presqu'exclusivement masculin où l'on trouve avec difficultés quelques silhouettes de femmes 86 ( * ) . Il importe donc que la communication sur ces événements ne soit pas orientée vers un public supposé « naturellement » masculin. À titre d'exemple, on peut regretter que sur les huit « portraits d'agriculteurs innovants » disponibles sur le site du SIMA, ne figurent que deux femmes 87 ( * ) : une agricultrice brésilienne (coton, soja, fèverole, sorgho et maïs) et un couple d'exploitants vendéens (grandes cultures : colza, blé tendre, blé dur).

L'inadaptation de certains matériels à la morphologie féminine peut sembler paradoxale puisque, dans le même temps, comme l'a noté au cours de la table ronde du 30 mars 2017 Christine Audeguin, responsable d'établissement au lycée agricole Terre nouvelle de Marjevols, la mécanisation de l'agriculture a contribué à sa féminisation : « avec l'évolution des techniques et la mécanisation, certains travaux affectés jadis aux hommes en raison de leur force physique peuvent désormais être assurés par des femmes ». Les agricultrices rencontrées dans les territoires ont fait état de progrès dans la conception des tracteurs, tels que la généralisation des commandes manuelles ou la direction assistée, qui facilitent les manoeuvres . Ainsi que le relève le témoignage d'une agricultrice interviewée par le journal L'Union (Champagne-Ardenne) en février 2017 : « Entre les tracteurs d'il y a 30 ans et ceux fabriqués actuellement, ça n'a rien à voir » 88 ( * ) .

Dans le même reportage, une autre agricultrice relève que « Auparavant, les sacs de semences faisaient 50 kg, aujourd'hui ils sont à 25 kg et on a des machines pour les transporter », notant que « deux femmes peuvent gérer une exploitation sans problème » 89 ( * ) .

Il n'en demeure pas moins que le document transmis à la délégation par les chambres d'agriculture souligne combien les agricultrices ont « besoin de solutions leur permettant d'alléger la force physique à déployer », en raison de l'inadaptation de certains matériels à des utilisatrices, qui renforce la pénibilité de certaines tâches pour celles-ci.

Ce point a été évoqué lors du déplacement des co-rapporteur-e-s en Vendée. À titre d'exemple, ont été mentionnés les équipements permettant d'« atteler-désatteler » 90 ( * ) les tracteurs, situés en hauteur et de ce fait malaisément accessibles. Des témoignages recueillis par le reportage récité du journal L'Union confirment ce constat : atteler les machines, entretenir les engins, restent des corvées pénibles car « les outils sont lourds et certains boutons sont placés trop haut ».

Ces remarques rejoignent le constat établi par le Centre d'études et de prospective de mars 2012 91 ( * ) , qui cite les données de la MSA : « Si les hommes sont plus touchés par les accidents du travail (76/1 000 chez les hommes et 33/1 000 chez les femmes pour les non-salariés, 47 et 19 pour les salariés), les femmes déclarent plus souvent des maladies professionnelles (2,43/1 000 contre 1,77/1 000) ». Il importe donc de sensibiliser les agricultrices et futures agricultrices à la prévention des troubles musculo-squelettiques (TMS), auxquelles elles sont plus particulièrement exposées lors du port de charges lourdes .

La délégation encourage la généralisation de l'adaptation ergonomique des outils, matériels et équipements agricoles à la morphologie féminine , de sorte que la force physique ne soit plus un critère discriminant, notamment au niveau de l'apprentissage ou des stages.

Elle estime nécessaire que les agriculteurs et agricultrices soient formés aux bonnes pratiques permettant d'éviter les troubles musculo-squelettiques ou TMS (stages « gestes et postures - prévention des risques liés à l'activité physique ») et sensibilisés à l'importance d'éviter le conditionnement des diverses fournitures (semences, etc.) en volumes excessifs (sacs de 50 kg, par exemple).

En ce qui concerne l'aptitude des agricultrices à effectuer les réparations du quotidien , une compétence indispensable dans une exploitation agricole, a fortiori avec le développement des robots, très présents dans l'élevage, il faut noter qu'une certaine proportion des agricultrices rencontrées a fait état de difficultés dans ce domaine.

À titre d'exemple, Christine Riba, secrétaire nationale de la Confédération paysanne , a relevé lors de son audition, le 7 juin 2017, l'apport de son conjoint au fonctionnement de son exploitation : « [...] j'ai vite compris que je ne pouvais mener un tel projet seule. Il me fallait trouver des complémentarités en termes de compétences. [...] Mon mari n'est pas agriculteur ; il travaille à l'extérieur. Mais étant très bricoleur, il peut m'aider avec les réparations de matériel ». Ce témoignage montre que l'inappétence de certaines agricultrices pour la mécanique et l'entretien courant sur l'exploitation peut être renforcée par une organisation des tâches dans laquelle ces fonctions sont confiées aux hommes. Cette dépendance est soulignée par une agricultrice interviewée dans l'article précité du journal L'Union : « Manipuler une moissonneuse-batteuse reste compliqué. Il y a souvent des problèmes mécaniques. Sur ce point, je suis dépendante des hommes » 92 ( * ) .

Pourtant, des formations existent : Véronique Léon, ancienne secrétaire nationale de la Confédération paysanne , entendue par la délégation le 7 juin 2017, a fait valoir que « certains organismes, comme le CIVAM 93 ( * ) , proposent des formations spécifiques pour les femmes, en particulier dans des secteurs traditionnellement masculins, comme la menuiserie , la mécanique ou la soudure . Elles permettent de moins avoir de complexes . Cela rompt l'isolement des femmes. » « La répartition « naturelle » des tâches entre les hommes et les femmes peut donc évoluer », a-t-elle conclu, « mais il faut les formations adaptées ».

À cet égard, les témoignages recueillis dans le reportage précité du journal L'Union font état d'une exigence décisive : que ces formations en mécanique soient conçues « uniquement [pour les] femmes ! » : « l'agricultrice craint les railleries de la gent masculine », fait observer la journaliste 94 ( * ) .

La délégation, attachée à l'autonomie des femmes , estime souhaitable que les agricultrices s'emparent des compétences en matière de mécanique , indispensables à la gestion d'une exploitation , et que leur formation , tant initiale que continue , prenne en compte cet impératif d'autonomie pour leur faciliter l'exercice du métier d'agricultrice.

La délégation estime donc que la formation , tant initiale que continue, devrait favoriser l'autonomie des futurs agriculteurs et agricultrices , a fortiori pour celles et ceux qui, ne venant pas du milieu agricole, n'ont pas pu acquérir, dans l'exploitation familiale, de compétences en matière de techniques d'utilisation des outils et matériels agricoles.

Elle considère que des stages et ateliers d'initiation à la conduite et à la maintenance des matériels agricoles devraient être proposés, tant dans le cadre de l' enseignement agricole que dans celui de la formation continue , à l'attention d'agriculteurs et agricultrices déjà installés ou en amont de leur installation.

Elle suggère que ces modules soient organisés dans des groupes de niveaux homogènes pour que les débutant-e-s s'y sentent à l'aise et non stigmatisé-e-s.

d) Un élément loin d'être anecdotique : des tenues de travail adaptées

La délégation a entendu, au cours de son déplacement en Vendée, des remarques d'agricultrices concernant leurs vêtements de travail : difficultés à trouver des chaussures de petite pointure, combinaisons conçues, tant par leur coupe (trop large, non cintrée) que par les couleurs, pour des utilisateurs masculins. Les agricultrices vendéennes ont également regretté que les femmes ne puissent trouver des ensembles de travail composés de deux pièces, pantalon et veste séparés.

La délégation a donc relevé avec intérêt qu'à l'occasion du Salon international du machinisme agricole de 2017, une nouvelle collection de vêtements de travail pour agricultrices a été présentée. Cette ligne a été conçue à l'initiative d'agricultrices picardes lasses de « galérer » pour faire tenir le pantalon, trop long, dans les bottes : « On [avait] l'impression de mettre la tenue de notre mari ». De l'avis des trois agricultrices qui sont à l'origine de ce projet, le résultat est « une combinaison jolie, confortable et pratique » 95 ( * ) .

Élaborées par une styliste de Lille, ces nouvelles combinaisons , à la coupe cintrée , sont adaptées à la morphologie féminine et aux souhaits des clientes (poches zippées pour y glisser des lunettes et le téléphone portable ; couleurs adaptées à leur goût - framboise, noir, bleu pétrole, jaune...). Les photos « avant-après » publiées en ligne 96 ( * ) sont éloquentes et semblent promettre ce type d'initiative à un certain succès.

Une démarche similaire semble entreprise dans le cadre du projet Femme et homme en agriculture mis en place par la Chambre d'agriculture des Ardennes en partenariat avec la MSA, et plus particulièrement par les participantes à l'atelier « Bien dans sa peau, bien dans ses bottes » évoqué lors du colloque du 22 février 2017. Les témoignages recueillis dans cette région par l'article précité du journal L'Union mentionnent ainsi l'envie de « cotes plus cintrées et plus colorées » : « sur les modèles actuels », précise l'une d'elles, « on est obligée de faire des ourlets. On ressemble à des sacs . D'ailleurs une fois, on m'a dit ?de dos, je pensais que c'était ton père? » 97 ( * ) .

La délégation considère donc comme un progrès à encourager le fait que les agricultrices puissent disposer de vêtements de travail spécialement conçus pour elles. Elle estime que cette évolution, loin d'être anecdotique, peut avoir des effets positifs en termes d'image, de bien-être au travail et de confiance en soi et permettre de confirmer que l'agriculture est incontestablement aussi un milieu ouvert aux femmes.


* 68 Cette catégorie comprend les étudiants en BTSA, en classes préparatoires et ceux des établissements de l'enseignement supérieur agronomique, vétérinaire et de paysage.

* 69 Marie-Thérèse Lacombe, Pionnières ! Les femmes dans la modernisation des campagnes de l'Aveyron de 1945 à nos jours , éditions Rouergue, 2009, p. 161.

* 70 La délégation était composée d'Annick Billon, Brigitte Gonthier-Maurin, Françoise Laborde et Marie-Pierre Monier.

* 71 Portrait de l'enseignement agricole , ministère de l'Agriculture, de l'Agroalimentaire et de la Forêt, Direction de l'information légale et administrative, 2017, p. 36.

* 72 Certificat d'aptitude professionnel agricole (diplôme de niveau V).

* 73 Bac technologique STAV (Sciences et technologies de l'agronomie et du vivant).

* 74 Brevet de technicien supérieur agricole (diplôme de niveau III, soit bac+2).

* 75 Rapport sur les femmes et leurs rôles dans les zones rurales (2016/2204(INI)), Parlement européen, 2014-2019, A8-0058/2017.

* 76 Compte rendu de la table ronde du 30 mars 2017 sur l'enseignement agricole et la formation des agricultrices.

* 77 Voir par exemple Les femmes et l'automobile : un enjeu de lutte contre la précarité, d'orientation professionnelle et de déconstruction des stéréotypes , rapport de Chantal Jouanno et Christiane Hummel fait au nom de la délégation aux droits des femmes, n° 835, 2015-2016.

* 78 Compte rendu de la table ronde du 30 mars 2017 sur l'enseignement agricole et la formation des agricultrices.

* 79 Ce réseau émanant de la DGER a pour objectif de favoriser l'insertion scolaire, sociale et professionnelle des élèves et étudiants de l'enseignement agricole et l'égalité des chances entre les filles et les garçons.

* 80 Le master « MEEF » mène aux métiers de l'enseignement.

* 81 Basse-Normandie, Haute-Normandie, Champagne-Ardenne, Aquitaine, Corse, Bretagne, Poitou-Charentes et Guadeloupe.

* 82 Voir le texte de la convention en annexe.

* 83 SNETAP-FSU, représenté par Laurence Dautraix, secrétaire nationale, et SEA-UNSA Éducation, représenté par Guy Sigala, secrétaire général.

* 84 Gros tracteurs et féminité , Life & Farms , n° 1, p. 32.

* 85 Cité par Gros tracteurs et féminité , Life & Farms , n° 1, p. 32.

* 86 https://www.youtube.com/watch?v=6ZBE4t4vrwg

* 87 https://www.simaonline.com/Agriculteurs-Innovants/Portraits-d-agriculteurs-innovants

* 88 Reportage d'Alice Beckel, publié le 2 février 2017: http://www.lunion.fr/13823/article/2017-02-01/femmes-dans-l-agriculture-les-mentalites-ont-change

* 89 http://www.lunion.fr/13823/article/2017-02-01/femmes-dans-l-agriculture-les-mentalites-ont-change , op. cit .

* 90 Des dispositifs d'attelage automatique ont été présentés lors du SIMA 2017 comme un gain de temps, de sécurité et de confort.

* 91 Les femmes dans le monde agricole , Centre d'études et de prospective, n° 38, mars 2012.

* 92 http://www.lunion.fr/13823/article/2017-02-01/femmes-dans-l-agriculture-les-mentalites-ont-change , op. cit .

* 93 Centre d'initiatives pour valoriser l'agriculture et le milieu rural.

* 94 http://www.lunion.fr/13823/article/2017-02-01/femmes-dans-l-agriculture-les-mentalites-ont-change , op. cit .

* 95 http://www.leparisien.fr/picardie/enfin-des-tenues-plus-feminines-pour-les-agricultrices-23-02-2017-6703689.php

* 96 https://www.francebleu.fr/infos/agriculture-peche/des-agricultrices-picardes-aident-la-fabrication-d-une-combinaison-pour-femmes-1488125966

* 97 http://www.lunion.fr/13823/article/2017-02-01/femmes-dans-l-agriculture-les-mentalites-ont-change , op. cit.

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