D. DISJOINDRE LA PRISE EN CHARGE DES VICTIMES D'INFRACTIONS SEXUELLES DU PROCÈS PÉNAL

Les victimes d'infractions sexuelles apparaissent légitimement en quête de reconnaissance . Or la justice pénale n'est pas le seul outil permettant cette reconnaissance de la société.

Trop longtemps, la reconstruction de la victime a été associée à la seule réponse pénale jusqu'à en devenir une injonction. Or une victime peut se reconstruire même quand il ne peut pas y avoir de procès.

Votre rapporteur propose de disjoindre la question du temps pénal, qui est nécessairement axé sur la recherche de la preuve, du temps de la prise en charge de la victime.

1. Désacraliser le recours au procès pénal

Nombre de victimes ont témoigné de leur souffrance de ne pas pouvoir agir en justice contre leur agresseur, notamment en raison de la prescription vécue comme « une double peine » qui nierait le crime subi.

Néanmoins, la place du procès pénal ne doit pas être surestimée. Selon l'expression de M. Denis Salas 119 ( * ) , le droit pénal fait aujourd'hui l'objet d' « attentes cognitives et réparatrices sans commune mesure avec ses capacités ».

Si certaines audiences peuvent avoir un effet cathartique pour les victimes, le procès est avant tout l'organisation judiciaire d'une réponse de la société pour sanctionner l'auteur d'une infraction, et non une réponse psychologique au traumatisme de la victime.

Le procès pénal ne doit pas être présenté aux victimes comme la solution incontournable permettant une reconstruction. Surtout, d'autres situations que la prescription (absence d'identification de l'auteur, décès de l'auteur, absence de preuve) empêchent objectivement une majorité de victimes d'obtenir un procès.

Il apparaît dès lors indispensable de proposer aux victimes d'autres prises en charge que celles ancrées dans une procédure judiciaire. Pour ce faire, il convient en premier lieu de désacraliser le recours au procès pénal dans les discours de politique publique et de présenter de manière transparente aux victimes les finalités et les modalités d'une procédure judiciaire : si la justice pénale ne peut s'extraire des attentes sociales, elle ne peut néanmoins plus être l'unique recours des victimes.

Votre rapporteur considère également que les victimes peuvent être entendues et reconnues par la « Justice » même sans procès. D'après les témoignages recueillis, les victimes attendent davantage une reconnaissance du monde judiciaire au sens large qu'une réponse pénale, qui passe nécessairement par l'établissement d'une culpabilité parfois trop difficile à obtenir.

Considérant que le temps pénal peut être disjoint du temps de la prise en charge de la victime, votre rapporteur propose que les victimes soient toujours entendues et reçues par les services enquêteurs même en cas de prescription de l'action publique.

La prescription de l'action publique vise à prévenir toutes poursuites « excessives » à l'encontre d'une personne des années après les faits. Elle ne s'oppose néanmoins pas à ce qu'une enquête soit menée sur lesdits faits, voire sur l'auteur.

A Paris, selon les consignes du procureur de la République, même en cas de faits largement et évidemment prescrits, les victimes de viol commis pendant leur enfance peuvent venir témoigner à la brigade de protection des mineurs de Paris, dans le même cadre d'écoute, d'attention et d'enquête que les victimes de faits plus récents.

Cette pratique répond à deux objectifs : un objectif thérapeutique pour ces victimes qui sont souvent orientées par des psychologues vers la brigade mais également un objectif opérationnel permettant d'identifier et d'enquêter sur un auteur potentiellement toujours « actif ».

Les personnes mises en cause sont également invitées à venir répondre aux questions des enquêteurs dans le cadre d'une audition libre, voire à l'organisation de confrontations lorsque les victimes en expriment le besoin.

Selon le procureur de la République de Paris et le chef de la brigade de protection des mineurs, ce protocole ne présente que des avantages tant pour les enquêteurs, qui recueillent des informations pertinentes pouvant servir à d'autres enquêtes, que pour les victimes qui ont besoin de « poser une parole » dans un cadre « judiciaire » même sans condamnation in fine. De plus, les hypothèses d'aveux et d'excuses ne sont pas rares d'autant plus que les faits sont prescrits.

Ce protocole parisien, très apprécié des victimes, devrait être généralisé dans tous les services spécialisés de police judiciaire.

À plus court terme, devrait être garanti le droit imprescriptible des victimes à être entendues par les services enquêteurs . Chaque fait dénoncé par les victimes doit faire l'objet d'une plainte, même si les faits apparaissent prescrits, et donc faire l'objet d'une enquête. En effet, l'enquête préalable est nécessaire pour constater ou non la prescription, peut permettre d'identifier des infractions connexes qui ne seraient pas prescrites et peut, le cas échéant, permettre une réparation civile du préjudice de la victime.

Proposition n° 27. - Désacraliser le recours au procès pénal tout en reconnaissant le droit imprescriptible des victimes à être entendues par les services enquêteurs, indépendamment des règles relatives à la prescription de l'action publique.

2. Accompagner le processus de reconstruction des victimes d'infractions sexuelles

La reconstruction des victimes peut nécessiter que l'auteur reconnaisse la réalité de son comportement et de ses conséquences . Or, selon certains psychiatres, les agresseurs, particulièrement en matière de viol, ont tendance soit à nier leur acte, soit à effacer les conséquences. Ne présentant aucune empathie pour la victime, les agresseurs ont tendance à considérer que la victime, elle aussi, a « effacé » l'acte subi.

Comme évoqué précédemment, le procès pénal, pour des raisons inhérentes à sa fonction, ne permet que trop rarement cette reconnaissance, ou alors dans des conditions éprouvantes, et n'apporte pas forcément les réponses attendues par les victimes.

Selon Mme Martine Brousse, présidente de l'association « La voix de l'enfant » entendue par le groupe de travail, il est indispensable d'accompagner toutes les victimes , même et surtout en dehors d'une procédure judiciaire.

D'autres voies permettant cette reconnaissance par la société, voire par l'auteur, de la qualité de victime ou facilitant la réparation des souffrances peuvent être explorées, en particulier lorsque les faits sont anciens. La prise en charge des victimes d'infractions sexuelles ne doit pas se réduire à sa dimension indemnitaire mais également prendre en compte la reconstruction psychologique.

a) Encourager le développement des mesures de justice restaurative

Depuis plusieurs années, des mesures de justice restaurative sont proposées par certaines associations : dispositif complémentaire à la justice pénale, la mesure de justice restaurative est définie, depuis la loi n° 2014-896 du 15 août 2014, comme « toute mesure permettant à une victime ainsi qu'à l'auteur d'une infraction de participer activement à la résolution des difficultés résultant de l'infraction, et notamment à la réparation des préjudices de toute nature résultant de sa commission » et « mise en oeuvre par un tiers indépendant 120 ( * ) ».

Contrairement à la justice pénale qui s'interroge sur la responsabilité pénale et la culpabilité d'un auteur (qui est coupable ? comment le punir ?), la justice restaurative s'interroge sur la souffrance humaine provoquée par l'infraction et sur les moyens de la réparer. Contrairement au procès pénal centré sur l'auteur, les mesures de justice restaurative permettent aux victimes de devenir acteurs de leur reconstruction.

Avec les rencontres condamnés-victimes ou détenus-victimes, la médiation restaurative constitue probablement la mesure la plus emblématique des mesures de justice restaurative : dans une structure sécurisée et avec l'animation d'un tiers formé, elle consiste en la rencontre de la victime et de « l'infracteur 121 ( * ) ». Selon l'Institut français pour la justice restaurative (IFJR), cette mesure vise principalement à encourager « l'infracteur » à mesurer l'impact humain, social et matériel de son action et à en assumer la responsabilité ; elle permet à la victime d'exprimer ses émotions, ses attentes et ses besoins. Cette mesure peut être proposée avant mais également après un jugement afin de permettre notamment « la libération des émotions négatives consécutives au crime qui continuent de submerger les participants ».

Les moyens consacrés à la justice restaurative , dont les mesures sont organisées par le réseau associatif, restent peu élevés . Surtout, les crédits se concentrent sur les mesures organisées, en amont du procès pénal, dans le cadre des mesures alternatives aux poursuites (prévues par les articles 41-1 à 41-2 du code de procédure pénale) ou d'une dispense de peine : cela ne concerne donc pas les faits d'infractions sexuelles commis à l'encontre des mineurs dénoncés rapidement à la justice.

Concernant ces infractions, il convient de privilégier les mesures de médiation en complément de la justice pénale , après le jugement de l'auteur. Dans ces hypothèses, la victime mineure n'a pu que très partiellement participer, voire s'exprimer, au procès. Une mesure de médiation restaurative organisée pour la victime adulte peut favoriser sa reconstruction. Les témoignages publiés par France Victimes (ex-Inavem) mettent ainsi en avant l'apaisement ressenti par les victimes après avoir pu dire ce qu'elles ressentaient à l'auteur de leurs souffrances.

De plus, ces mesures apparaissent bénéfiques pour prévenir la récidive en faisant prendre conscience aux auteurs d'infractions des souffrances qu'ils ont infligées.

Votre rapporteur recommande d'encourager le recours à ces mesures , dans les conditions de l'article 10-1 du code de procédure pénale, afin de permettre une réparation psychologique et sociale des victimes . Outre la dimension budgétaire, cet objectif suppose d'informer systématiquement les victimes de ces dispositifs et de leur possibilité, si elles le souhaitent, d'y participer.

Proposition n° 28. - Renforcer les moyens consacrés aux mesures de justice restaurative et informer systématiquement les victimes de la possibilité de recourir à de telles mesures, y compris après une condamnation pénale.

Les mesures de justice restaurative peuvent également être envisagées lorsque l'action publique n'est pas possible , en raison du décès de l'auteur, de son absence de discernement ou en raison des règles de prescription, ou peut difficilement prospérer , faute de preuves suffisantes.

Lorsque « l'infracteur » est vivant, des associations organisent ainsi des mesures de « cercle restauratif » permettant une médiation entre la victime, « l'infracteur », les proches afin de permettre à la victime d'exprimer les conséquences ressenties à l'acte subi et d'amener les « infracteurs » à ne pas nier les faits, voire à les reconnaître et à s'interroger sur les modalités de réparation des dommages causés à la victime. Structurées, ces rencontres visent à éviter toute victimisation secondaire des parties .

Votre rapporteur considère que ces mesures, soumises à l'accord préalable de la victime et de « l'infracteur », devraient systématiquement être proposées par les services enquêteurs ou les procureurs de la République aux victimes de faits anciens pour lesquels l'auteur est toujours vivant, lorsque les faits sont prescrits ou qu'ils ne peuvent être prouvés .

Concernant les infractions non prescrites mais très anciennes, pour lesquelles le classement sans suite est envisagé par le procureur de la République, votre rapporteur recommande d'encourager les mesures de justice restaurative en tant qu'alternatives aux poursuites (article 41-1 du code de procédure pénale), telles que la réparation du dommage par l'auteur ou une médiation qui permet la reconnaissance des faits. L'organisation de telles mesures apparaît préférable à des ordonnances de non-lieu, des décisions de relaxe ou d'acquittement , intervenant après un long processus judiciaire.

Des mesures restauratives peuvent également être organisées sans « l'infracteur » , lorsque ce dernier est décédé ou souffre de troubles mentaux : des cercles de discussion peuvent alors associer les proches des intéressés, les représentants des associations, voire même les enquêteurs afin de permettre une « reconnaissance sociétale » des actes.

Proposition n° 29. - Orienter systématiquement les victimes d'infractions sexuelles pour lesquelles l'action publique est éteinte, notamment en raison de la prescription, vers des dispositifs spécifiques de justice restaurative.

b) Faciliter la réparation indemnitaire des mineurs victimes d'infractions sexuelles

La réparation des préjudices graves subis par les mineurs victimes d'infractions sexuelles peut également être envisagée par une action civile en réparation.

L'ensemble des préjudices , évalués au regard des conséquences des infractions sexuelles sur la sphère psychologique, affective, sexuelle, alimentaire, familiale, sociale et professionnelle, sur la personnalité de la victime mais également au regard des conséquences médicales, sont susceptibles de réparation 122 ( * ) .

Au cours de ses auditions, votre rapporteur a pu constater que la possibilité d'une réparation civile des dommages était insuffisamment connue .

Pourtant l'action civile présente d'indéniables avantages par rapport à l'action pénale, pour les victimes mais également pour leurs proches. En application de l'article 2226 du code civil, pour les préjudices résultant d'une agression sexuelle commise à l'encontre d'un mineur, l'action en responsabilité se prescrit par vingt ans à compter de la date de la consolidation du dommage initial ou aggravé .

La date de la consolidation du dommage peut être bien postérieure à celle de la commission des faits. La détermination de cette date, qui repose principalement sur l'expertise, peut évidemment tenir compte de certains symptômes, par exemple des cas décrits comme des « amnésies traumatiques » : l'action en justice peut donc, sous réserve d'en rapporter la preuve, être intentée des décennies après les faits. Si cette procédure en réparation ne peut aboutir au prononcé d'une peine à l'encontre du mis en cause, elle permet néanmoins la reconnaissance de la responsabilité civile de l'auteur des faits et sa participation à la réparation des dommages causés.

Votre rapporteur estime nécessaire de sensibiliser les victimes, les psychologues et les associations qui les accompagnent, à cette possibilité .

Sous réserve d'une étude d'impact approfondie concernant le coût de la mesure, votre rapporteur estime également souhaitable d'élargir le champ d'application de l'article 9-2 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique qui n'exige pas des victimes de viol de répondre aux conditions de ressources fixées par la même loi pour bénéficier de l'aide juridictionnelle : les faits d'agressions sexuelles commis à l'encontre d'un mineur pourraient ainsi entrer dans le champ de cette exception.

Proposition n° 30. - Encourager les actions en réparation civile, en renforçant l'information des victimes et en élargissant le champ de prise en charge des actions par l'aide juridictionnelle.

En application de l'article 706-3 du code de procédure pénale , les victimes françaises ou les victimes de faits commis en France peuvent obtenir la réparation intégrale des dommages résultant de faits présentant le caractère matériel d'une agression sexuelle ou d'une atteinte sexuelle à l'encontre d'un mineur via une procédure spécifique applicable même en l'absence de poursuites pénales . Cette indemnisation, versée par le fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et autres infractions ( FGTI ), relève d'une décision des commissions d'indemnisation des victimes d'infractions ( CIVI ), qui sont des juridictions civiles.

Si les faits n'ont pas donné lieu à poursuites, en cas d'auteur inconnu notamment, la requête à la CIVI doit être présentée dans un délai de trois ans à compter des faits. Ce délai est apparu insuffisant à votre rapporteur : il pourrait être envisagé d'aligner ce délai sur celui de droit commun en matière de responsabilité civile, soit dix ans à compter de la manifestation du dommage ou de son aggravation.

Proposition n° 31. - Faciliter l'indemnisation par la solidarité nationale des victimes mineures d'infractions sexuelles en allongeant le délai de saisine des commissions d'indemnisation.

3. Améliorer la prise en charge médicale des victimes d'infractions sexuelles dans leur enfance

Depuis plusieurs décennies, et notamment depuis la loi n° 98-468 du 17 juin 1998 qui a instauré le suivi socio-judiciaire avec injonctions de soins pour les auteurs de violences sexuelles, celles-ci sont désormais considérées comme un enjeu de santé publique .

Quelle qu'en soit la nature, les violences ont des conséquences multiples sur la santé physique et psychique des personnes. Ces conséquences apparaissent très lourdes lorsqu'il s'agit de violences sexuelles faites aux enfants. Ces violences peuvent expliquer l'apparition de pathologies somatiques (maladies cardio-vasculaires, diabète, troubles endocriniens, etc. ) et de différents troubles psycho-traumatiques (développement de comportements à risques, de mises en danger, conduites addictives et agressives, etc. )

Afin de faciliter la mise en place de protocoles de soins adaptés, les soins consécutifs aux sévices sexuels subis par les mineurs victimes d'agressions ou d'atteintes sexuelles au sens large sont intégralement pris en charge par la branche assurance maladie de la sécurité sociale. La demande de prise en charge peut émaner directement de l'assuré, de la victime, de son médecin traitant ou de son représentant légal. Si cette prise en charge est prévue depuis la loi n° 98-468 du 17 juin 1998, elle est insuffisamment connue.

Afin d'améliorer la sensibilisation des professionnels à ce dispositif ainsi que leurs pratiques professionnelles, le quatrième plan interministériel de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes prévoyait l'élaboration par la Haute autorité de santé (HAS) d'un « protocole national de prise en charge pour les victimes de violences sexuelles ». Ce travail n'a jamais été publié, non plus que la cartographie nationale de l'offre de prise en charge spécialisée.

Extrait des propositions du rapport du Dr Marie-Paule Martin-Blachais 123 ( * ) ,

« Proposition n° 25 : Garantir un parcours de soin et de prise en charge cohérent et gradué de la périnatalité à l'adolescence, articulant psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent, psychiatrie adulte, [...] ;

« Proposition n° 26 : Disposer de services et d'équipes pluridisciplinaires formés à la prise en charge de la clinique des maltraitances (physiques, psychologiques, sexuelles, de la négligence et des violences conjugales), d'équipes ressources pour répondre aux besoins de prise en charge, d'accompagnements spécifiques conciliant diverses approches (systémie, psycho-traumatologie, cognitivo-comportementale, thérapie familiale, psychanalyse, aide contrainte, EMDR, etc...) [...] ;

Extrait du 5 ème plan de mobilisation et de lutte contre toutes les violences
faites aux femmes (2017-2019)

« Action 24 : Garantir la prise en charge psychologique des femmes victimes de violences

« Développer une prise en charge psychologique adaptée en direction des femmes victimes de violences, première étape incontournable du processus de reconstruction, est un enjeu majeur de santé publique. Les femmes victimes de violences doivent pouvoir bénéficier d'une prise en charge s'effectuant par un.e professionnel.le formé.e à la spécificité de ce type de psycho-traumatisme et privilégiant l'unité de lieu avec la prise en charge somatique. [...] »

Si l'organisation d'une offre de soins adaptée ne relève pas de la compétence du législateur, votre rapporteur ne peut qu'inciter la direction générale de l'offre de soins à garantir la prise en charge psychologique et médicale des victimes d'infractions sexuelles.

Proposition n° 32. - Améliorer la prise en charge médicale des adultes, victimes d'infractions sexuelles pendant leur enfance, notamment en sensibilisant les professionnels de santé et en communiquant sur le dispositif de prise en charge intégrale.

Votre rapporteur ne s'est pas livré à un diagnostic approfondi des carences de notre système de soins.

Elle souligne néanmoins quelques-uns des facteurs qui expliquent l'absence de prise en charge efficace et rapide de ces victimes : l'inadaptation de l'offre pédopsychiatrique, voire son insuffisance dans certains territoires à répondre aux besoins, ainsi que le très faible nombre de pédopsychiatres formés aux pathologies post-traumatiques de l'enfance 124 ( * ) .

Extrait des propositions du rapport du Dr Marie-Paule Martin-Blachais 125 ( * ) ,

« Proposition n° 24 : Promouvoir la psychotraumatologie des troubles relationnels comme modèle dialogique de compréhension des processus compromettant le développement de l'enfant et de l'adolescent [...] ;

« Proposition n° 27 : Permettre dans le cadre du panier de soins des mineurs victimes une meilleure accessibilité au recours aux professionnels libéraux, ayant une formation spécifique en psycho-trauma et mettre en place un dispositif de prise en charge des frais. [...] »

Extrait du 5 ème plan de mobilisation et de lutte contre toutes les violences
faites aux femmes (2017-2019)

« Action 42 : Mieux mobiliser la connaissance en cours d'élaboration concernant le psycho-trauma

« La réflexion pour améliorer la prise en charge médicale pourra être alimentée par un cycle de tables rondes, lancé dès fin 2016, consacré spécifiquement à la prise en charge des traumatismes graves des adultes, enfants et adolescents victimes d'attentats et dont les modalités d'accompagnement pourraient être transposées aux victimes de violences sexuelles. [...] »

Force est de constater que l'offre de soins en matière de prise en charge des psycho-traumatismes pour les victimes d'infractions pénales reste très insuffisante en France.

Par exemple, contrairement aux victimes d'attentats ou d'accidents collectifs, les victimes d'infractions sexuelles, même lorsque les faits sont immédiatement signalés, ne bénéficient pas d'une prise en charge spécifique semblable à celle proposée par les cellules d'urgences médico-psychologiques (CUMP) 126 ( * ) .

Plusieurs rapports insistent pourtant régulièrement sur la nécessité d'accroître les connaissances en psycho-traumatologie et de proposer des parcours de soins et de prise en charge cohérents 127 ( * ) . Votre rapporteur partage ce diagnostic et renouvelle ces recommandations.

Proposition n° 33. - Accroître et diffuser les connaissances sur la prise en charge médicale des psycho-traumatismes.

Enfin, votre rapporteur estime indispensable de ne pas réduire les personnes victimes d'une infraction sexuelle à une supposée condition de victime qui serait synonyme de personne « affaiblie ». Au contraire, les institutions de la société doivent être mobilisées afin d' accompagner la résilience des personnes victimes de violences sexuelles .

Selon M. Boris Cyrulnik, psychiatre ayant développé en France cette notion, la résilience peut se définir comme la capacité d'adaptation d'une personne à un traumatisme, comme un développement, différent, après un traumatisme.

Si certains syndromes de stress post-traumatiques sont durables, les effets peuvent être réversibles sur certaines victimes si elles sont accompagnées.

En mars 2017, le Gouvernement avait annoncé la création d'un centre national de ressources et de résilience. Presque une année plus tard, la mise en oeuvre de cette annonce tarde à se concrétiser. Pourtant, selon l'analyse de Mme Françoise Rudetzi 128 ( * ) , la création d'un centre national de la résilience (CNR) permettrait de briser le tabou des douleurs invisibles

Votre rapporteur estime souhaitable de développer au plus vite une offre institutionnelle de parcours de résilience pour les victimes d'infractions sexuelles.

Proposition n° 34. - Permettre la prise en charge des personnes victimes d'infractions sexuelles au sein de parcours de résilience.

*

* *

Votre rapporteur a estimé nécessaire de changer les termes du débat , centrés sur le délai de prescription et l'introduction d'une « présomption de non-consentement » , afin d'envisager de manière plus large la lutte contre les violences sexuelles faites aux mineurs . Deux orientations fondamentales l'ont guidée : la prise en compte de l'intérêt de l'enfant et la protection des victimes mineures.

Votre rapporteur a privilégié une stratégie globale qui repose sur quatre piliers : prévenir plus efficacement la commission des violences sexuelles à l'encontre des mineurs, faciliter la libération et permettre la prise en compte effective de la parole des victimes , améliorer la réponse pénale et permettre une prise en charge des victimes déconnectée du procès pénal .

L'enjeu essentiel de la protection des mineurs victimes d'infractions sexuelles ne réside pas dans l'empilement de réformes législatives mais dans la construction d'une stratégie cohérente, prenant en compte toutes les dimensions de la lutte contre les violences sexuelles. Cette stratégie exige en premier lieu la revalorisation des moyens de la justice - des unités de police judiciaire aux institutions médico-légales - et la formation de tous les acteurs du combat qui continue d'être mené contre les violences sexuelles commises à l'encontre des mineurs.


* 119 M. Denis Salas, La volonté de punir. Essai sur le populisme pénal , Hachette, Paris, 2005.

* 120 Article 10-1 du code de procédure pénale.

* 121 Les acteurs de la justice restaurative privilégient le vocable « d'infracteur » à celui d'auteur.

* 122 Les souffrances physiques sont susceptibles de réparation mais également les incidences professionnelles, le préjudice de formation, le préjudice sexuel temporaire, la perte de chance de réaliser un projet de vie familiale, tout préjudice d'agrément, mais également tout préjudice permanent exceptionnel.

* 123 Voir les propositions 24 à 27 du rapport remis par le Dr Marie-Paule Martin-Blachais à Mme Laurence Rossignol, ministre des familles, de l'enfance et des droits des femmes le 28 février 2017, « Démarche de consensus sur les besoins fondamentaux de l'enfant en protection de l'enfance », pages 91-92.

* 124 Pour de plus longs développements sur cette question, votre rapporteur renvoie au rapport d'information n° 494 (2016-2017) de M. Michel Amiel, fait au nom de la mission commune d'information sur la situation de la psychiatrie des mineurs en France.

Le rapport est consultable à l'adresse suivante : https://www.senat.fr/rap/r16-494/r16-494_mono.html

* 125 Voir les propositions 24 à 27 du rapport remis par le Dr Marie-Paule Martin-Blachais à Mme Laurence Rossignol, ministre des familles, de l'enfance et des droits des femmes le 28 février 2017, « Démarche de consensus sur les besoins fondamentaux de l'enfant en protection de l'enfance », pages 91-92.

* 126 Définies à l'article R. 6311-25 du code de la santé publique.

* 127 Selon le rapport de l'inspection générale des affaires sociales sur la prise en charge à l'hôpital des femmes victimes de violences (mai 2017), la prise en charge repose sur trois compétences : une compétence médicale qui inclut une dimension santé mentale avec une formation en psycho-traumatologie ; une compétence infirmière ou sage-femme et une compétence en travail social.

* 128 Françoise Rudetzki, « Pour un centre de ressources et de résilience : réparer et prendre soin de la vie », décembre 2016. Le rapport est consultable à l'adresse suivante : http://www.gouvernement.fr/sites/default/files/contenu/piece-jointe/2017/03/rapport_de_francoise_rudetzki_pour_un_centre_de_ressources_et_de_resilience-reparer_et_prendre_soin_de_la_vie.pdf

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