LE CONTENU DES PROPOSITIONS AVANCÉES PAR LA COMMISSION EUROPÉENNE : UN NOUVEAU MODE DE MISE EN OEUVRE, CONJUGUÉ À UNE RÉDUCTION DE FORMAT SIGNIFICATIVE DE LA PAC ?

La communication publiée par la Commission européenne le 29 novembre 2017 et consacrée à « l'avenir de l'alimentation et de l'agriculture » a symboliquement marqué l'ouverture du débat public sur l'avenir de la PAC.

Cette communication, assez courte, reste évasive sur les contours de la Politique agricole commune après 2020. Elle fixe des objectifs relativement consensuels : simplifier la PAC sans en modifier fondamentalement l'architecture générale, tout en rendant cette politique plus intelligente, moderne et durable.

L'AMBITION D'UNE PAC PLUS EFFICACE ET MOINS COÛTEUSE

La Commission propose de conserver une PAC à deux piliers, avec une aide au revenu qui relèverait du « premier pilier » et des mesures en faveur de l'investissement, de la gestion des risques ou encore de la consolidation du tissu socio-économique des zones rurales qui relèveraient du « deuxième pilier ».

La Commission ne propose aucun bouleversement en matière d'organisation des marchés agricoles et d'intervention sur ceux-ci. Le document rappelle que la PAC doit rester orientée vers le marché et évoque simplement un renforcement du rôle des organisations de producteurs.

Les innovations proposées consistent, pour l'essentiel, en un nouveau mode de mise en oeuvre de la PAC.

Ce schéma simplifierait drastiquement cette politique, en retenant une approche par les résultats, plutôt que par les moyens, concernant le verdissement et la conditionnalité environnementale.

La Commission souhaiterait que les États membres s'engagent sur un plan stratégique de mise en oeuvre de la PAC, couvrant les deux piliers (la programmation ne concernerait donc pas seulement le « deuxième pilier », comme c'est le cas aujourd'hui). L'éco-conditionnalité, le verdissement des aides directes et le dispositif des mesures agroenvironnementales seraient remplacés par des mesures définies par les États membres. Les aides distribuées seraient conditionnées à l'engagement des agriculteurs dans des pratiques vertueuses, définies et contrôlées au sein de chaque État membre. Concrètement la Commission propose de supprimer l'approche uniforme en matière d'application de la PAC et d'aller vers davantage de subsidiarité.

Une autre nouveauté consisterait à envisager un plafonnement obligatoire des paiements directs (en tenant compte de la main d'oeuvre), la généralisation des paiements dégressifs, voire des paiements redistributifs, pour favoriser les petites et moyennes exploitations, au détriment des grandes.

La Commission européenne suggère enfin de mieux articuler la PAC et les autres politiques de l'Union européenne, en particulier, la politique de recherche et d'innovation.

DANS L'ENSEMBLE UN ACCUEIL MITIGÉ, AINSI QUE DE FORTES INTERROGATIONS

La communication de la Commission européenne sur l'avenir de la politique agricole commune a d'emblée reçu un accueil très mitigé, tant de la part des ministres de l'agriculture - lors de la réunion du Conseil du 11 décembre 2017 - que des organisations syndicales, tout particulièrement en France. Les membres de la commission AGRI du Parlement européen se sont ensuite fait écho des craintes suscitées par ce document, parmi les organisations syndicales agricoles européennes.

Certains points, comme le principe de la simplification, le souci de rendre la PAC plus lisible, la priorité à accorder aux jeunes agriculteurs, ou le passage d'une logique de moyens à une logique de résultats, ont fait l'objet de commentaires favorables.

Dans l'ensemble, néanmoins, la communication de la Commission a laissé de nombreuses questions ouvertes.

Les critiques ont porté principalement sur le renforcement de la subsidiarité dans la mise en oeuvre de la PAC. Beaucoup d'observateurs y ont vu le risque d'une application plus stricte, à l'avenir, des règles environnementales dans certains pays que dans d'autres et, par là même, d'une rupture d'égalité des conditions de concurrence au sein du marché unique.

Plus précisément, la mise en place d'un cadre commun pour l'application de la PAC, décliné ensuite par État membre à travers un plan stratégique national respectant ce cadre commun apparaît certes techniquement envisageable. Mais, elle comporterait des risques pour l'agriculture française si l'application de ce cadre s'avérait plus rigoureuse en France que chez nos voisins européens, comme l'ont montré les travaux récents du Sénat 6 ( * ) .

Nombre de responsables des États membres se sont également inquiétés d'une « renationalisation » de la PAC, à la faveur de l'accroissement des disparités pouvant en résulter au sein de l'Union. Le commissaire Phil Hogan s'en est fermement défendu : il a fait valoir que chaque pays aurait à concevoir un plan stratégique détaillé pour les deux « piliers » de la Politique agricole commune, reposant en particulier sur des objectifs chiffrés, précis et vérifiables. Pour autant, en dépit de ces éléments, la crainte d'une action de simplification aboutissant paradoxalement à une plus grande complexité de la PAC demeure répandue. Elle se fonde sur le retour négatif d'expériences des programmes de développement rural (PDR) du « second pilier ».

S'y ajoute, du moins en France, la critique sur l'absence de toute nouvelle ambition de régulation des marchés agricoles et de gestion des crises : en effet, le modèle des aides directes n'est pas remis en cause, alors même qu'il ne revêt aucune dimension contra-cyclique.

En définitive, la communication, publiée le 29 novembre 2017 par la Commission européenne a suscité beaucoup d'interrogations : à titre d'illustration, le document de synthèse regroupant toutes les questions des États membres sur son contenu ne comporte pas moins de 72 pages.

Là réside toute l'ambiguïté, car dans l'attente de précisions complémentaires, de nombreux responsables d'États membres surestiment très probablement la « carte blanche », dont ils espèrent disposer à l'avenir.

Sur la question d'un éventuel cofinancement des aides du « premier pilier », les États membres ont majoritairement marqué leur opposition. Aussi cette perspective, qui n'était pas expressément écartée dans le document, est-elle désormais officiellement abandonnée par la Commission.

Paradoxalement, après avoir été accueilli avec beaucoup de scepticisme en novembre 2017, le nouveau mode de mise en oeuvre de la PAC - proposé par la Commission européenne - semble, dans l'immédiat, ne plus être remis en cause par les États membres, car le débat se focalise sur d'autres aspects de la négociation.

Depuis le début de l'année 2018, les échanges de vues entre les États membres font effectivement apparaître deux autres éléments de blocage. Il s'agit, en premier lieu, de l'insistance des pays de l'Est de l'Union européenne à voir poursuivi le processus d'harmonisation du montant des paiements directs. S'y ajoutent, en second lieu, les critiques formulées contre les possibilités de couplage des aides, principe auquel la France tient pour certaines de ses productions, notamment dans le domaine de l'élevage.

De fait, lors de la dernière réunion en date du Conseil « agriculture et pêche », qui s'est tenue le 19 mars 2018, la présidence bulgare n'est pas parvenue à obtenir un accord de l'ensemble des ministres de l'Agriculture de l'Union européenne, sur l'avenir de la PAC après 2020. Ses propositions de conclusions n'ont été soutenues in fine que par 23 États membres.

Jusqu'au bout, la Pologne, la Slovaquie et les trois États baltes ont exigé que l'objectif d'une convergence externe « rapide et complète » entre les niveaux d'aides directes dans les différents pays de l'Union, soit inscrite dans le texte. À l'inverse, le Danemark, les Pays-Bas, la Suède, l'Italie, l'Autriche et, dans une moindre mesure, la Belgique et Allemagne ne voulaient pas que la moindre mention soit faite à ce dispositif, qui dépend d'abord du cadre financier pluriannuel. Aucune formulation qui satisfasse l'ensemble du Conseil n'a pu être trouvée.

Un autre point a fait débat, quoique dans une moindre mesure : les aides couplées. Les Pays-Bas, la Suède, le Danemark et surtout l'Allemagne demandaient que le texte de la présidence bulgare précise qu'elles devaient rester limitées. Pour mémoire, l'Allemagne est le seul État membre à avoir totalement supprimé ce type d'aides.

En définitive, la réforme de la PAC demeurera dans le flou tant que le contexte budgétaire d'ensemble demeurera aussi incertain. Or les propositions de la Commission européenne sur le Cadre financier pluriannuel 2021/2027 sont attendues pour le 2 mai 2018, moins de deux mois donc avant le Conseil européen des 28 et 29 juin 2018.


* 6 Rapport d'information n°773 (2015-2016) de M. Daniel Dubois « Normes agricoles : retrouver le chemin du bon sens ».

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