N° 437

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2017-2018

Enregistré à la Présidence du Sénat le 18 avril 2018

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires européennes (1) et de la commission des affaires économiques (2) par le groupe de suivi de la Politique agricole commune sur la prochaine réforme de la Politique agricole commune (3) :
pour un
maintien des moyens budgétaires , au service d'une PAC forte et rénovée ,

Par M. Daniel GREMILLET, Mme Pascale GRUNY, MM. Claude HAUT
et Franck MONTAUGÉ,

Sénateurs

(1) Cette commission est composée de : M. Jean Bizet, président ; MM. Philippe Bonnecarrère, André Gattolin, Mmes Véronique Guillotin, Fabienne Keller, M. Didier Marie, Mme Colette Mélot, MM. Pierre Ouzoulias, Cyril Pellevat, André Reichardt, Simon Sutour, vice-présidents ; M. Benoît Huré, Mme Gisèle Jourda, MM. Pierre Médevielle, Jean-François Rapin, secrétaires ; MM. Pascal Allizard, Jacques Bigot, Yannick Botrel, Pierre Cuypers, René Danesi, Mme Nicole Duranton, MM. Thierry Foucaud, Christophe-André Frassa, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, M. Daniel Gremillet, Mme Pascale Gruny, Laurence Harribey, M. Claude Haut, Mmes Sophie Joissains, Claudine Kauffmann, MM. Guy-Dominique Kennel, Claude Kern, Jean-Yves Leconte, Jean-Pierre Leleux, Mme Anne-Catherine Loisier, MM. Franck Menonville, Jean-Marie Mizzon, Georges Patient, Michel Raison, Claude Raynal, Mme Sylvie Robert.

(2) Cette commission est composée de : Mme Sophie Primas , présidente ; Mme Élisabeth Lamure, MM. Daniel Gremillet, Alain Chatillon, Martial Bourquin, Franck Montaugé, Mmes Anne-Catherine Loisier, Noëlle Rauscent, M. Alain Bertrand, Mme Cécile Cukierman, M. Jean-Pierre Decool , vice-présidents ; MM. François Calvet, Daniel Laurent, Mmes Catherine Procaccia, Viviane Artigalas, Valérie Létard , secrétaires ; MM. Serge Babary, Jean-Pierre Bansard, Mme Anne-Marie Bertrand, MM. Yves Bouloux, Henri Cabanel, Mmes Anne Chain-Larché, Marie-Christine Chauvin, Catherine Conconne, MM. Roland Courteau, Pierre Cuypers, Marc Daunis, Daniel Dubois, Laurent Duplomb, Alain Duran, Mmes Dominique Estrosi Sassone, Françoise Férat, M. Fabien Gay, Mmes Michelle Gréaume, Annie Guillemot, MM. Xavier Iacovelli, Jean-Marie Janssens, Joël Labbé, Pierre Louault, Michel Magras, Jean-François Mayet, Franck Menonville, Jean-Pierre Moga, Mme Patricia Morhet-Richaud, MM. Robert Navarro, Jackie Pierre, Michel Raison, Mmes Évelyne Renaud-Garabedian, Denise Saint-Pé, MM. Dominique Théophile, Jean-Claude Tissot .

(3) Ce groupe de suivi est composé de : M. Jean Bizet et Mme Sophie Primas, co-présidents ; MM. Yannick Botrel, Henri Cabanel, Pierre Cuypers, Mme Cécile Cukierman, MM. Laurent Duplomb, Daniel Gremillet, Mme Pascale Gruny, MM. Claude Haut, Joël Labbé, Pierre Louault, Mmes Anne-Catherine Loisier, Colette Mélot, M. Franck Montaugé.

AVANT-PROPOS

La prochaine réforme de la PAC est-elle d'ores et déjà mal partie ?

Pressentant une future négociation délicate, le Sénat avait choisi, dès l'été 2017, de se positionner en amont de la prochaine réforme de la Politique agricole commune (PAC).

Il s'agissait, par là même, de contribuer utilement au débat public, avant une échéance très importante. Cette démarche, initiée par les sénateurs des commissions des affaires économiques et des affaires européennes, visait aussi et surtout à permettre aux parlements nationaux de « s'inviter » dans cette négociation, menée par d'autres acteurs institutionnels : les hauts responsables politiques des États membres, la Commission européenne et le Parlement européen.

C'est un travail de fond sur l'avenir de la PAC que le Sénat a voulu mener. Réunies le 20 juillet 2017, les deux commissions précitées ont tout d'abord adopté, au terme d'un programme d'auditions de six mois, un rapport d'information 1 ( * ) . Ce rapport formulait un vaste ensemble de constats et de propositions pour l'avenir de la PAC. Parallèlement était également adoptée, à l'unanimité, une proposition de résolution européenne. Ce texte, devenue résolution du Sénat le 8 septembre 2017 2 ( * ) , comportait 17 recommandations, pour la négociation à venir.

Rétrospectivement, il est permis de penser que cette prise de position anticipée de la Haute assemblée était judicieuse, tandis que le titre choisi pour le rapport d'information était en quelque sorte prémonitoire : « PAC : traverser le cap dangereux de 2020 ».

En effet, depuis l'automne 2017, les premiers éléments rendus publics sur la négociation ont suscité de vives inquiétudes. Ce constat va au demeurant bien au-delà des craintes exprimées lors des autres réformes de la PAC depuis 1992 : dans un proche avenir, la Politique agricole commune pourrait faire l'objet d'une réduction de format drastique, résultant de « coupes budgétaires » inédites.

En définitive, pour reprendre les termes mêmes du commissaire Phil Hogan, « jamais la PAC n'a été autant sous pression ». Cette pression est naturellement financière et budgétaire, sous l'effet conjugué des pertes de ressources consécutives au « Brexit » et de l'émergence de nouvelles priorités politiques européennes. Au surplus, pourrait s'y ajouter, dans le cas de la France, une perte supplémentaire, si le processus de convergence externe des paiements directs devait être poursuivi et accéléré, car il s'agit d'un jeu à somme nul entre les 27 États membres.

Au-delà de ces seules considérations financières, la Politique agricole commune justifierait pourtant d'une réforme d'envergure, qui ne se borne pas à en réduire le format, en guise de variable d'ajustement du prochain Cadre financier pluriannuel (CFP) 2021/2027.

A contrario , le rapport d'information du Sénat était parti du constat que la PAC actuelle apparaît d'ores et déjà de moins en moins commune et de moins en moins agricole. En conséquence, il avait fait valoir cinq axes de réforme jugés indispensables, en matière de gestion des risques, d'organisation des marchés, de compétitivité, de lien avec les territoires et de prise en compte pragmatique et efficace de l'impératif environnemental.

Malheureusement, les propositions et réflexions mises en avant, depuis la fin de l'été 2017, par la Commission européenne, qui sont censées préfigurer les contours de la prochaine réforme, ne reprennent que très imparfaitement, voire contredisent sur le plan budgétaire, les recommandations de la résolution du Sénat du 8 septembre 2017.

Au total, tous ces éléments militaient pour que le Sénat prenne position, à nouveau, sur l'avenir de la PAC, en formulant de nouvelles recommandations aux autorités politiques françaises et européennes. L'objet de cette seconde proposition de résolution européenne consiste précisément à initier un tel processus.

POINT D'ÉTAPE SUR LA NÉGOCIATION DE LA PROCHAINE RÉFORME DE LA PAC : UN CONTEXTE INQUIÉTANT, DOMINÉ PAR DE PREMIERS ÉLÉMENTS INCERTAINS, VOIRE AMBIGUS

UNE DOUBLE NÉGOCIATION « À MARCHE FORCÉE »

UN CALENDRIER PARTICULIÈREMENT VOLONTARISTE

D'une façon générale, la Commission européenne s'efforce de synchroniser le calendrier de préparation, d'une part, de la réforme de la politique agricole commune après 2020, d'autre part, du prochain cadre financier pluriannuel 2021/2027. Les deux dossiers, qui sont intimement liés, devraient avancer parallèlement, pour être menés à bien et aboutir à un accord, idéalement avant les prochaines élections au Parlement européen de mai 2019. Cet objectif se traduit par un calendrier de travail très contraint.

L'actuelle présidence bulgare de l'Union européenne ambitionne de réaliser, durant le premier semestre 2018, d'importants progrès dans les discussions préparatoires. Une « feuille de route » a été élaborée à cet effet. Les réunions de travail ont eu lieu à un rythme très soutenu : la périodicité de ces échanges est mensuelle pour le Comité Spécial Agriculture (CSA) préparant les décisions du Conseil « Agriculture et pêche » et hebdomadaire, entre les représentants des États membres.

La Commission européenne a annoncé qu'elle fera connaître ses premières propositions, tendant à modifier la réglementation de la PAC, dans les derniers jours du mois de mai 2018.

Par la suite, en cas d'accord au Conseil européen des 28 et 29 mai 2018, s'ouvrirait alors, au second semestre 2018, une seconde phase - de négociation - entre tous les acteurs institutionnels.

LA PAC, NÉGOCIATION SYNCHRONISÉE SUR (ET CONDITIONNÉE PAR) CELLE DU PROCHAIN CADRE FINANCIER PLURIANNUEL 2021/2027

D'une façon générale, la difficulté incontournable à surmonter réside dans le manque de ressources au regard des ambitions de l'Union, aggravé par la perspective du Brexit.

La raréfaction des ressources est au demeurant un phénomène ancien. En effet, le budget de l'Union a fait l'objet d'une contraction progressive depuis une vingtaine d'années, en passant de 1,18 % du RNB européen entre 1993-1999 à 0,98 % de celui-ci sur la période 2014-2020.

Plus récemment, les travaux 3 ( * ) sur les ressources propres n'ont pas non plus apporté l'avancée décisive, espérée par certains observateurs.

Dans ce contexte et dès le 28 juin 2017, la Commission européenne avait publié un « Document de réflexion sur l'avenir des finances de l'UE ». Dans quatre scénarios sur cinq, elle y prévoyait de consacrer moins de ressources à la PAC, en ciblant davantage les dépenses.

Ces réflexions ont été récemment précisées et actualisées par M. Günther Oettinger, commissaire européen au budget et aux ressources humaines, à l'occasion de deux conférences organisées à Bruxelles (les 18 et 19 décembre 2017 et le 8 janvier 2018), afin de nourrir les futures discussions.

Le commissaire européen a ainsi plaidé en faveur d'un budget pour l'Union européenne « légèrement supérieur », porté à hauteur de 1,1 % du revenu national brut (RNB) de l'Union européenne, voire de 1,12 %/1,13 %, contre près de 1 % aujourd'hui. Relever, comme le propose le commissaire Oettinger, le niveau des ressources propres à hauteur de 1,1 % du revenu national brut (RNB) de l'Union européenne à 27 correspondrait sensiblement à 1 % du RNB à 28 (y compris le Royaume-Uni).

M. Oettinger a également estimé que le besoin de financement annuel (« financial gap ») à couvrir s'élèverait à environ 12/13 milliards d'euros au titre du seul Brexit, auquel s'ajouterait le coût - d'un montant sensiblement équivalent - des nouvelles priorités politiques, notamment en matière de migration, de défense et de sécurité. Le premier pourrait être comblé à hauteur de 50 % par des économies et de 50 % par de nouveaux financements. S'agissant du second, la répartition serait de 80 % pour la part relative de « l'argent frais » et de 20 % pour les redéploiements de crédits.

Les premières réactions des États membres ont globalement mis en évidence un fort clivage Est/Ouest. Les nouveaux pays membres souhaitent préserver au maximum la PAC et la politique de cohésion, d'autant plus qu'ils en sont désormais les grands bénéficiaires. À l'Ouest, en revanche, la demande politique d'un gel, voire d'une diminution (Suède, Pays-Bas) du budget de la Politique agricole commune est sensible. La position de l'Allemagne demande encore à être précisée. En effet, le récent contrat de coalition CDU/CSU/SPD a ouvert la voie à une augmentation globale de la participation allemande au budget européen, mais sans indiquer clairement dans quelles conditions. Quant à la France, pour reprendre les termes employés par Mme Loiseau, ministre chargée des affaires européennes, elle est « prête à moderniser cette politique ( la PAC), mais pas à la sacrifier » 4 ( * ) .

Dans ce contexte, les pistes d'économies envisagées par la Commission pour la PAC se situeraient à l'intérieur d'une fourchette de -5/-10 %, par rapport à l'actuel cadre financier pluriannuel 2014/2020.

Les hypothèses de travail évoquées officieusement tableraient sur une diminution annuelle du budget de la PAC de l'ordre de 3 milliards d'euros. Au regard d'un tel effort, l'éventuel plafonnement des aides à hauteur de 100 000, voire de 66 000 euros par exploitation serait susceptible de donner lieu une économie annuelle de l'ordre de, respectivement, 1 et 2 milliards d'euros.

S'y ajouterait, pour la France, l'impact défavorable, non quantifié à ce jour, des revendications des pays de l'Est de l'Union européenne portant sur une accélération du processus d'harmonisation des montants des paiements directs. Dès lors qu'il s'agit d'un jeu à somme nulle entre les 27 pays de l'Union, cet effort ne pourrait que venir s'ajouter aux coupes budgétaires envisagées par le commissaire Oettinger.

Comment y consentir lorsqu'un tiers 5 ( * ) des agriculteurs français a des revenus de l'ordre de 350 euros par mois ?


* 1 Rapport d'information n°672 (2016-2017) « PAC : traverser le cap dangereux de 2020 » - Daniel Gremillet, Pascale Gruny, Claude Haut et Franck Montaugé.

* 2 Résolution n°130 (2016-2017) du Sénat en date du 8 septembre 2017.

* 3 Rapport final et recommandations du Groupe à haut niveau sur les ressources propres présidé par M. Mario Monti - janvier 2017.

* 4 Bulletin quotidien Europe du 10 mars 2018 « Dialogue de sourds à Sofia sur le cadre financier pluriannuel post 2020 ».

* 5 Source : Mutualité sociale agricole (données statistiques pour l'année 2016).

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