TROISIÈME TABLE RONDE
COMMENT CONCILIER PRÉSERVATION DES BIODIVERSITÉS
ET DÉVELOPPEMENT DURABLE ?

TROISIÈME TABLE RONDE


COMMENT CONCILIER PRÉSERVATION
DES BIODIVERSITÉS ET DÉVELOPPEMENT DURABLE ?

PROPOS INTRODUCTIF
Gérard POADJA,

Sénateur de la Nouvelle-Calédonie

Monsieur le président,

Mesdames et Messieurs les parlementaires,

Mes chers collègues,

Mesdames et Messieurs,

Le défi du XXI e siècle sera la préservation de notre mode de vie et de notre biodiversité. Cette notion de préservation a longtemps été considérée comme antinomique de l'idée de développement économique. Il est désormais inconcevable, en 2018, de penser « innovation » sans penser au développement durable, de penser « échanges commerciaux » sans penser à l'empreinte carbone ou encore de penser « développement économique » sans penser à la préservation de la biodiversité.

La région Pacifique, dans son ensemble, et plus particulièrement la Nouvelle-Calédonie s'est engagée dans un processus de protection et de valorisation de la biodiversité. La création du programme régional océanien de l'environnement en est une illustration.

De même, l'Union européenne et l'État français accompagnent le Pacifique dans la mise en oeuvre de politiques de conservation, notamment, avec la mise en place de l'Agence française pour la biodiversité.

Depuis juillet 2008, six zones maritimes représentant la diversité des récifs et écosystèmes de Nouvelle-Calédonie ont été érigées au rang du patrimoine mondial de l'Unesco. Avec 50 000 kilomètres carrés de récifs coralliens, dont 75 % se trouvent en Nouvelle-Calédonie, la France possède un patrimoine marin exceptionnel, aux potentialités formidables, que nous devons préserver. Il convient de saluer le travail effectué en la matière par l'Ifrecor depuis près de vingt ans. Cet organisme mène une politique active pour la protection des écosystèmes menacés.

Par ailleurs, le document d'orientation MC 2025 préconise qu'une attention particulière soit portée au développement durable, via la mise en place des filières économiques labellisées et une autonomie énergétique traduite par le schéma de transition énergétique, adopté par le Congrès de Nouvelle-Calédonie en 2016.

La stratégie d'autosuffisance alimentaire portée par le gouvernement de Nouvelle-Calédonie s'inscrit également dans la perspective de développement d'une agriculture locale et pourra, je l'espère, permettre l'émergence forte de nouvelles techniques agricoles innovantes, respectueuses de l'environnement. Celles-ci sont encore sous-développées dans notre territoire. Je parle de l'agroécologie, du développement de la filière bio et de la permaculture.

Il m'importe aussi de citer la création de vastes domaines exceptionnels de Déva, un véritable trésor de biodiversité entre littoral et montagne, érigé en laboratoire de notre destin commun, sur lequel collectivités et populations locales sont largement impliquées afin de concilier développement économique et préservation de l'environnement.

Cette action démontre la volonté des pouvoirs publics de favoriser l'émergence de nouveaux secteurs durables. Des projets sont déjà opérationnels. Je voudrais ici souligner la grande diversité d'innovations que nous observons dans les territoires français du Pacifique. Ces innovations se font notamment en agriculture à travers les activités de Vaihuti Fresh en Polynésie française.

Cependant, la Nouvelle-Calédonie n'est pas en reste. S'y épanouissent des projets en microbiologie, sous l'égide par exemple de l'entreprise Biotecal ou de low tech , avec Aqualone équipement innovant par sa simplicité. Le développement de nouvelles activités économiques doit se structurer, à l'image de l'économie circulaire ou de la notion de Blue economy , qui prône l'utilisation des ressources locales, avec un objectif de zéro déchet et zéro pollution.

Nos économies insulaires du Pacifique souffrent de caractéristiques structurelles importantes. La solution à ces maux est évidente et en même temps complexe. C'est par notre capacité à innover localement, dans nos territoires respectifs ainsi qu'au niveau régional, que nous pourrons permettre au Pacifique de se développer de manière prospère et durable.

Les dimensions sociale, environnementale et économique constituent les trois piliers du développement durable. Un quatrième pilier est nécessaire : celui de la diversité culturelle, pierre angulaire du développement local dans le Pacifique.

Comme le Président de la République l'a déclaré dans son discours à Nouméa, c'est au coeur de la culture Pacifique que nous pourrons remporter cette bataille. La volonté qu'il a exprimée pendant la campagne présidentielle, visant à organiser une conférence internationale sur la biodiversité dans un des territoires d'outre-mer, nous interpelle. C'est pourquoi, avec mes collègues de l'Assemblée nationale, Philippe Gomès et Philippe Dunoyer, députés de la Nouvelle-Calédonie, nous avons proposé au gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, que celle-ci soit le territoire hôte de cette conférence cruciale pour l'avenir de notre population.

Le Pacifique se doit d'être et sera un acteur incontournable de la mise en oeuvre d'un développement économique innovant et protecteur de la diversité.

Thierry LISON DE LOMA,

Chef d'entreprise, directeur général de Vaihuti Fresh

Propos de présentation par M. Michel Magras, président de la Délégation sénatoriale aux outre-mer

Thierry Lison de Loma, après vingt ans passés dans la recherche scientifique sur les récifs coralliens et une carrière d'ex-directeur adjoint de l'Institut des récifs coralliens du Pacifique, vous avez décidé de créer votre propre entreprise. Dites-nous en quoi les pratiques développées en agroécologie et en permaculture permettent, en particulier en milieu tropical, de réconcilier le développement économique et l'environnement. Votre propos se basera sur l'exemple concret de la ferme de Vaihuti Fresh, à Raiatea, que vous exploitez.

Avant de créer cette entreprise, j'étais biologiste marin, responsable du suivi de l'état des récifs coralliens au sein de l'Institut des récifs coralliens du Pacifique. Lorsque des étudiants viennent nous voir, pensant que nous faisons le plus beau métier du monde, on est parfois tenté de leur ôter leurs illusions et de leur expliquer que ce peut être aussi le métier le plus déprimant du monde : les récifs coralliens sont parfois très dégradés, en raison notamment de pollutions importantes, en particulier à proximité des côtes, sous l'effet des pollutions terrigènes et organiques.

Après quinze ans de suivi de l'état de ces récifs, on s'interroge naturellement sur les solutions qui pourraient se faire jour et grandit en nous l'envie d'être acteur de ces solutions. C'est aussi ce qui a motivé ma démarche de création d'une ferme agricole biologique : il s'agissait de répondre à ces problèmes de pollution terrigène. Nombreux sont ceux qui estiment qu'il existe des solutions alternatives viables à l'agriculture conventionnelle qui génère d'une certaine façon des déserts de biodiversité. Les techniques de permaculture et d'agroécologie, que l'on redécouvre, proposent de telles solutions. Les mauvaises pratiques en agriculture entraînent évidemment des pertes de biodiversité marine et terrestre, car on perd le sol, c'est-à-dire son outil de travail. On nourrit le sol pour nourrir les plantes en agriculture biologique. Nous avons lancé cette aventure avec trois amis associés sur la commune de Tumaraa, à Raiatea. J'en profite pour saluer Madame la sénatrice Lana Tetuanui, originaire de cette belle commune, qui a soutenu notre projet depuis le début.

La biodiversité commence dans le sol avec la vie qu'on y trouve. La problématique se pose en des termes particuliers en milieu tropical où seuls 10 % de la biomasse se trouvent dans les sols : 90 % de la biomasse sont au-dessus, alors qu'en milieu tempéré 60 % de la biomasse sont dans le sol. Si nous perdons le sol, en milieu tropical, nous perdons donc un trésor, d'autant plus que notre vallée de Vaihuti recueille jusqu'à trois mètres de pluie par an, ce qui constitue un risque supplémentaire pour l'érosion du sol.

L'agroécologie, dont on entend de plus en plus parler, constitue un ensemble de pratiques allant vers une agriculture durable. On peut y voir une forme d'ingénierie environnementale : il s'agit d'utiliser les services de l'écosystème. Nous couvrons par exemple le sol, sans jamais le laisser à nu. Nous intégrons des animaux dans le système, afin de créer des interactions, si possible positives, de façon à accroître la biodiversité et à produire. C'est là que s'opère la liaison entre production, développement durable et biodiversité.

La permaculture est un peu différente. Au coeur de cette notion se trouve celle de design : les pratiques sont assez similaires à celles de l'agroécologie mais un design d'exploitation va s'y ajouter. C'est d'abord un design théorique, qui trouve ensuite à s'appliquer sur le terrain, et dans lequel des liens sont établis entre tous les éléments. Dans notre ferme, nous introduisons par exemple des ruches pour la pollinisation (le miel faisant figure de bénéfice secondaire). Nous allons introduire des poules pondeuses, qui préparent le terrain - car elles ne sont jamais plus heureuses que lorsqu'elles grattent la terre, ce qui le déparasite. Elles fertilisent également le terrain avec leurs déjections.

Le point commun à ces deux approches (agroécologie et permaculture) réside dans l'augmentation de la biodiversité. Il y a là un gage de résilience, en particulier dans un contexte de changement climatique. Nous le voyons dans les récifs coralliens mais aussi dans les écosystèmes terrestres.

Dans notre ferme, nous avons commencé par une cartographie, un système d'information géographique (SIG), en partant de cartes de base puis en faisant appel à un botaniste, qui a établi un inventaire de la flore. Il s'agissait de prendre les bonnes décisions sur les aménagements à mettre en place : il faut, pour cela, savoir quelles sont les espèces utiles déjà présentes, les espèces manquantes, les espèces patrimoniales et les espèces envahissantes - qui peuvent constituer un problème mais aussi un atout, notamment pour la production de compost.

Nous sommes implantés sur ce terrain depuis trois ans. C'était au départ une zone de repousse de forêt où avaient élu domicile nombre d'espèces envahissantes. Vous voyez une photographie prise en septembre 2015, puis une autre prise en novembre 2015. De premiers aménagements apparaissent. En mai 2016 apparaissent des structures particulières qui suivent les courbes de niveau, sur lesquelles nous reviendrons. La photo de septembre 2017 montre un développement un peu plus important. En février 2018, nous voyons que la ferme s'agrandit et que la mise en place des aménagements se poursuit.

Il s'agit notamment d'aménagements physiques ayant vocation à gérer l'eau (bassins de rétention, baissières ou fossés, suivant le tracé des courbes de niveau, permettant de décanter les sédiments et de ralentir le ruissellement). Ces éléments favorisent la pénétration de l'eau dans le sol, ce qui est indispensable compte tenu de l'importante pluviométrie annuelle qui pourrait faire disparaître notre sol sans ces mesures de gestion.

En stoppant l'eau dans son élan, les baissières permettent de la dévier, limitant ainsi l'érosion et augmentant les phénomènes d'infiltration. En plus de diminuer les processus érosifs, nous mettons donc en place une irrigation par gravité qui permet d'assurer le développement du verger. Des fosses de culture sont également présentes pour retenir l'eau, même si on les voit peu une fois qu'elles ont poussé. Un autre exemple d'aménagement est la stabilisation des voies, afin de contrer les impacts de l'érosion, sur un terrain en pente. Nous stabilisons notamment nos routes au moyen de bois broyé, prélevé sur des espèces envahissantes. C'est une façon de les gérer.

Tout ceci forme un réseau d'aménagement, qui comprend aussi des aménagements biologiques. Nous parlons d'une polyculture stratifiée, car il y a plusieurs étages de culture, ce qui permet d'élever les rendements au mètre carré. Nous utilisons des plantes de couverture pour couvrir le sol, de même que du paillage, afin de ne pas subir l'action directe de la pluie sur le sol. Nous utilisons beaucoup, pour ce paillage, la bourre de coco, passée au broyeur, ce qui a l'avantage de conserver l'humidité dans le sol, avant de nourrir celui-ci, à long terme, par la dégradation de ce produit. Des haies et coupe-vent jouent aussi un rôle très important : ce sont des refuges de biodiversité qui permettent aussi, dans notre cas, d'éviter que des insectes prédateurs de certaines cultures ne puissent passer d'une parcelle à une autre. Ce type de polyculture génère naturellement une augmentation de la biodiversité floristique et faunistique.

Évidemment, tout ceci suppose de pratiquer un défrichage assez lent, à la différence de l'agriculture conventionnelle où l'on rase deux ou trois hectares, puis attendre pendant deux saisons que le sol ait disparu avant de replanter. Nous allons défricher lentement, broyer au fur et à mesure, planter et utiliser ce broyat pour réaliser du compost. Celui-ci a un rôle central en agriculture biologique. Nous avons eu la chance d'obtenir un financement européen BEST 2.0 pour cette thématique de valorisation et de gestion des espèces envahissantes. Il s'agit, en l'occurrence, de grands arbres (Cecropia, Falcata) que nous utilisons pour fabriquer du compost mais aussi du charbon, qu'on intègre dans les sols. Un rapport de l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) fait l'hypothèse qu'en exploitant 4 %o des surfaces agricoles mondiales selon les principes de l'agroécologie et de la permaculture, on parviendrait à capter autant de CO 2 dans les sols qu'il n'en est émis par l'homme. C'est donc une voie de recherche essentielle, et une solution possible au réchauffement climatique.

Crédits photo : Thierry Lison de Loma

Parmi les soutiens dont nous avons bénéficié, il faut citer INTEGRE, qui a financé une action de suivi (monitoring) de l'érosion. Ce programme a impulsé, en Polynésie, une dynamique dans le bio, de façon fédératrice pour des agriculteurs qui voulaient passer au bio ou de jeunes agriculteurs soucieux de se lancer en bio. Il faut également saluer l'action du ministère de l'agriculture et de la direction de l'agriculture de Polynésie française, qui nous soutient sur ces thématiques.

Outre le fait qu'elles favorisent le développement de la biodiversité, l'agroécologie et la permaculture font appel au développement de nouvelles entreprises, qui connaissent souvent trois ou quatre premières années difficiles. C'est d'ailleurs l'occasion pour moi de lancer un appel aux décideurs et aux maires de communes. Celles-ci peuvent grandement aider les agriculteurs qui se lancent, notamment sur le plan des outils de mécanisation. Il faut aussi profiter de la perte de valeur des terrains agricoles, un peu partout, dans l'hexagone mais aussi en outre-mer, et saisir cette opportunité pour soutenir des agriculteurs désireux d'appliquer ces principes plus vertueux pour l'environnement, d'autant plus que l'opinion publique est généralement favorable à ces pratiques, ce qui soutient le développement rapide du marché de l'agriculture biologique.

Encore faut-il, bien sûr, montrer que le modèle économique est viable. Cette démonstration est faite, de plus en plus, dans différents pays, notamment au Canada, et dans une moindre mesure en France. Ce n'est pas encore le cas en milieu tropical. Nous sommes en phase de test. Les débuts s'avèrent toutefois prometteurs.

Continuer d'investir dans un modèle conventionnel qui se meurt n'a guère de sens, à mes yeux, plutôt que de promouvoir des fermes d'avenir contribuant à la biodiversité. Nous avons d'ailleurs reçu en 2017 le prix « Fermes d'avenir » pour l'ensemble des outre-mer. Nous recevrons notre prix lundi. Je remercie d'autant plus l'Agence française pour la biodiversité (AFB) et la Délégation sénatoriale aux outre-mer de leur invitation, puisque les différents motifs de ma venue en métropole ont ainsi pu converger du point de vue du calendrier.

Emma COLOMBIN,

Directrice d'Archipelagoes NC

Propos de présentation par M. Michel Magras, président de la Délégation sénatoriale aux outre-mer

Je vais passer la parole à Emma Colombin, économiste maritime, spécialiste du tourisme nautique, manager du cluster maritime de Nouvelle-Calédonie et directrice de la société Archipelagoes.

Acheter et vendre des bateaux, ce n'est pas tout : il faut aussi penser à organiser leur fin de vie. Le tourisme fait partie des activités importantes pour les îles, dans l'ensemble des outre-mer, et il est important de raisonner aussi en termes de développement durable pour le tourisme nautique, préoccupation qui s'inscrit dans le développement plus général de l'éco-navigation.

Épaves dans la petite rade de Nouméa (c)EmmaColombin

En Nouvelle-Calédonie, les épaves sont un peu partout. On trouve des bateaux en bord de route (souvent dans des zones techniques maritimes), échoués sur le littoral ou coulés entre deux eaux. On trouve des bateaux abandonnés à terre dans des chantiers ou à flot dans les marinas. Souvent, les propriétaires ont quitté le territoire, ne paient plus l'emplacement, alors que les places qui pourraient être libérées seraient les bienvenues compte tenu de la saturation des infrastructures.

On trouve également des bateaux abandonnés sur des corps morts qui représentent un danger pour les voisins immédiats mais aussi lors des épisodes climatiques (coups d'ouest ou cyclones)

Selon l'Agence française pour la biodiversité, qui a conduit une étude en 2017, un navire arrive en fin de vie en moyenne entre 35 et 50 ans. En Nouvelle-Calédonie, territoire qui ne compte que 270 000 habitants, il y aura 6 300 navires à déconstruire dans les quinze prochaines années et ce nombre ne va faire que croître : on estime que les bateaux de plus de 50 ans seront au nombre de 20 000 en 2055. Le boom de la plaisance depuis les années 80 a fait naître une nouvelle activité, la déconstruction, mais il est nécessaire aujourd'hui de structurer cette filière.

Les enjeux sont de trois ordres, économique, écologique et en termes d'image. Il s'agit d'une filière de gestion des déchets puisque les bateaux sont finalement des déchets, au terme de leurs années de navigation. Si chacun sait que les filières de déchets génèrent jusqu'à présent une assez faible rentabilité, elles n'en sont pas moins nécessaires et créatrices d'emplois. De plus, les emplois générés n'exigent pas un niveau très élevé de formation ni de qualification, ce qui est intéressant pour notre jeunesse. Un démantèlement organisé peut générer des ressources. L'aluminium se négocie à un prix significatif sur le marché des matières premières et le nombre de bateaux de plaisance en aluminium n'est pas négligeable.

Sur le plan environnemental, une épave encore à flot, laissée à l'abandon, présente à terme un risque de pollution important. Un bateau qui coule impactera durablement l'espace marin et les opérations de dépollution et de renflouage présenteront des coûts bien supérieurs à ceux de la déconstruction.

Enfin, en termes d'image, les bateaux abandonnés constituent évidemment une pollution visuelle et une mauvaise publicité pour les touristes, sans compter qu'ils desservent l'acceptation du nautisme par les populations locales. Comment développer les services nautiques dans les îles si l'image du secteur se focalise sur une épave ?

Un enjeu d'intégration régionale est également présent. Peggy Roudaut l'évoquait tout à l'heure. La problématique du démantèlement des bateaux de plaisance est relativement récente mais va se poser dans différents territoires qui nous entourent, aux Fidji, mais aussi en Nouvelle-Zélande et en Australie. Notre exemplarité et nos savoir-faire pourraient donc être exportés.

Une étude est en cours afin de recenser l'ensemble des épaves, évaluer le gisement et identifier celles à déconstruire le plus rapidement possible, car présentant un risque élevé de pollution. Elle permettra également de proposer un cadre réglementaire, technique et financier pour cette nouvelle activité. Dans une logique d'économie circulaire, il est possible de réutiliser une partie des pièces récupérées (ce qui se pratique déjà pour les casses automobiles) et toutes les matières dangereuses iront dans les filières à responsabilité élargie des producteurs (REP) existantes (batteries, huiles usagées), comme c'est le cas pour les véhicules hors d'usage. Il peut aussi être envisagé d'utiliser certaines épaves pour en faire des récifs artificiels. Une telle utilisation peut choquer. Néanmoins, après dépollution et démantèlement, il peut s'avérer intéressant de poser ces épaves dans des endroits précis du lagon, par exemple là où le récif aurait été dégradé par des phénomènes naturels (forte houle ou phénomènes exceptionnels tels que des cyclones). Cela permettrait une régénération du milieu et les épaves constituent des abris très intéressants pour les poissons. La plongée constitue une activité importante autour de Nouméa. Certains sites subissent une pression importante, quatre ou cinq clubs plongeant parfois sur le même site le dimanche. Poser des épaves dans le lagon permettrait de mieux répartir la fréquentation des sites de plongée.

Une autre possibilité consisterait à transformer certaines épaves en éco-lodges. Vous voyez sur la photo un ensemble de cinq bateaux de pêche, rachetés pour un prix modique dans le but d'être remis en état, ce qui n'a finalement jamais été fait.

Épaves de Paagoumène (c)TonyLaubreaux

L'idée serait de les poser sur un terrain où, après quelques transformations, ils pourraient devenir des chambres d'hôtes ou un restaurant. On voit depuis longtemps des bateaux utilisés de cette façon en Asie ( blue boats ), par exemple au Vietnam et dans d'autres pays d'Asie du Sud-Est. L'idée est d'autant plus séduisante que ce type d'offre touristique n'engendre pas de construction d'infrastructures lourdes, et surtout favorise l'activité des populations locales.

Le financement de cette filière demeure une question importante, plusieurs pistes sont à l'étude. Pour de nombreux équipements, une responsabilité élargie du producteur (REP) a été instaurée. Vous en connaissez le principe : lorsque vous achetez votre machine à laver, vous versez une éco-participation afin de financer la filière de recyclage des équipements de la même famille. Une difficulté pourrait provenir du fait que le bateau est souvent acheté en métropole, où une REP s'appliquera à compter du 1 er janvier 2019, après que son application a été reculée plusieurs fois. Cependant, si le propriétaire paie la REP en France et que le bateau finit sa vie dans le Pacifique, il ne sera pas possible de procéder à un transfert de REP. Une de nos pistes de réflexion porte sur la possibilité d'étaler le prélèvement sur la durée de vie entière du bateau. Il n'y a pas de raison pour que ce soit le dernier propriétaire, qui a souvent acheté le navire à un prix relativement faible, qui porte l'entière responsabilité de démantèlement du bateau, sachant que cette opération présente un coût élevé.

Puisqu'il n'y a plus de droit de francisation en Nouvelle-Calédonie depuis le transfert de compétence en 2011, notre proposition consisterait à prélever, lors de chaque changement de propriétaire, un droit permettant d'alimenter un fonds qui financerait, au moins en partie, cette filière.

La création de cette filière de fin de vie des bateaux s'inscrirait totalement dans le développement durable et dans l'économie circulaire, en favorisant les usages responsables. Elle stimulerait également l'innovation, car il faut recycler la matière récupérée des coques en fibre de verre. En métropole, cette fibre est généralement broyée pour être réutilisée en cimenterie ou pour la fabrication de mobilier. D'autres réutilisations sont aujourd'hui imaginées par des sociétés innovantes, par exemple la création de corps-morts intelligents capables de capter des données, une jolie nouvelle vie pour une coque de bateau.

Enlèvement d'une épave (c)Scadem

Nathalie DUPRIEZ,

Chef d'antenne Nouvelle-Calédonie et Wallis-et-Futuna
Agence française pour la biodiversité

Propos de présentation par M. Michel Magras, président de la Délégation sénatoriale aux outre-mer

Nathalie Dupriez, chef d'antenne de l'AFB en Nouvelle-Calédonie, va nous montrer comment le santal, naturellement présent en Inde, au Népal, en Australie, en Nouvelle-Calédonie, au Vanuatu et à Hawaï, exploité en parfumerie pour son essence très recherchée, est devenu victime d'une surexploitation, à tel point que différentes espèces sont aujourd'hui menacées. Avec Jean Waikedre, ingénieur agronome kanak, vous avez redynamisé l'exploitation durable, par la population autochtone, d'une espèce de santal pratiquement épuisée dès le 19 e siècle.

Je précise que je n'ai pas participé à cette action de valorisation de l'essence de santal. Je vais vous présenter la démarche qui a été mise en place sur les Îles Loyauté de Nouvelle-Calédonie, au travers d'un film qui a été réalisé sur l'exploitation durable du santal, par Monsieur Waikedre, qui ne pouvait être présent aujourd'hui.

Monsieur Waikedre est un ingénieur agronome chimiste qui a travaillé à l'Institut de recherche pour le développement (IRD) et mis en place un procédé de distillation de l'essence de santal. Ce bois a été fortement exploité pour son essence, principalement en vue de la fabrication de parfums. Cette exploitation, généralement peu raisonnable, s'est traduite par la menace de disparition de plusieurs espèces, y compris en Nouvelle-Calédonie.

Depuis quelques années, une exploitation durable de l'huile essentielle de santal est pratiquée sur les Îles Loyauté, à la faveur du procédé inventé par Monsieur Waikedre. Je vous propose de découvrir le principe de ce projet en images.

Projection d'un film.

L'exploitation de l'essence du santal aux Îles Loyauté est réglementée par la province des Îles Loyautés. Cette réglementation prévoit notamment la plantation de trois jeunes plants de santal pour chaque arbre mature prélevé. Actuellement, l'entreprise en plante trente pour chaque arbre prélevé. Ce ratio ne pourra être maintenu indéfiniment mais l'objectif est de reconstituer un vivier, une forêt, et d'obtenir une exploitation durable à long terme. De plus, le fait de ne pas couper tous les arbres pour en exploiter l'essence mais de les sélectionner, afin de ne retenir que ceux qui sont les plus intéressants, contribue à une exploitation durable du santal. Cette exploitation a nécessité une importante concertation avec les populations locales et les autorités coutumières. Leur acceptation du projet constitue une condition sine qua non de sa mise en oeuvre, faute de quoi il ne pourrait s'agir d'une exploitation durable.

Des procédés innovants ont été inventés pour extraire l'huile, mais aussi afin de limiter l'impact écologique de la consommation d'eau et d'électricité. L'entreprise a, par exemple, imposé la présence de panneaux photovoltaïques sur l'usine pour produire de l'électricité renouvelable. Pour mettre en oeuvre un procédé d'hydro-distillation traditionnelle sans solvant, qui nécessite plus d'électricité et plus d'eau, une réflexion est née au sein de l'entreprise en vue de la création d'une unité de production d'électricité et de vapeur, avec l'idée d'exploiter une biomasse très présente à Maré, via des espèces exotiques envahissantes. D'après l'entreprise, cette biomasse représenterait environ 70 ans de stock pour la production d'électricité à l'échelle de l'île, ce qui dépasserait largement les besoins de l'entreprise et pourrait couvrir une partie des besoins en électricité de Maré. Quant à la consommation en eau de l'entreprise, elle est diminuée par la récupération d'eau de pluie.

Enfin, selon l'entreprise, l'exploitation des espèces exotiques envahissantes pourrait libérer du foncier, lequel pourrait être réaménagé en zone agricole et sylvicole en vue de développer des filières courtes (agroécologie, maraîchage durable, bois-énergie, exploitation traditionnelle du bois, tourisme local).

Le respect de la terre est important dans cette démarche conduite sur les Îles Loyauté. L'implication des populations y constitue une dimension centrale afin de permettre l'exploitation durable de cette biodiversité.

Elefthérios CHALKIADAKIS,
Gérant de Biotecal

Propos de présentation par M. Michel Magras, président de la Délégation sénatoriale aux outre-mer

Notre dernier intervenant, Elefthérios Chalkiadakis, docteur en sciences du vivant, est gérant d'une structure de recherche, Biotecal, spécialisée dans la mise sur le marché de molécules à haute valeur ajoutée, produites à partir de micro-organismes marins. C'est une start-up de biotechnologies qui puise son inspiration dans la ressource marine et utilise les capacités naturelles du vivant pour générer des produits de haute qualité répondant aux besoins des industriels.

Biotecal est née de ma volonté de valoriser la recherche académique. Je suis parti d'un double constat. D'une part, nous habitons en Nouvelle-Calédonie, zone très riche en biodiversité marine. D'autre part, grâce à vous et grâce à nous, les industriels se tournent de plus en plus vers des molécules naturelles.

J'ai ainsi voulu utiliser les organismes les plus productifs de notre planète, les bactéries marines, pour produire une multitude de molécules : des pigments, des antibiotiques, des protéines, des polysaccharides. Elles le font naturellement. Je découvre la façon dont elles s'y prennent et je fournis à mes clients tous les tests dont ils ont besoin pour une mise sur le marché, qu'il s'agisse de tests cliniques, toxicologiques ou chimiques ; ce sont des services clés en main. Nous vendons de la propriété intellectuelle. Je valorise, ce faisant, le lagon, en faisant naître une nouvelle économie et de l'emploi.

Nos cellules mettent un, deux ou trois jours à se diviser et à se multiplier. Les micro-organismes le font en vingt minutes. Ils constituent de formidables usines. Il y a d'ailleurs davantage de cellules bactériennes que de cellules humaines dans le corps humain. Elles font partie intégrante de notre système et méritent que nous leur redonnions leur vraie place dans nos sociétés.

L'engouement des industriels pour les molécules marines se reflète dans la forte augmentation, au fil des ans, du nombre de dépôts de brevets dont les entreprises souhaitent tirer parti en mettant des produits sur le marché.

Notre valeur ajoutée vient de notre savoir-faire en microbiologie, développé dans le cadre de mon doctorat. Nous parvenons à identifier les micro-organismes et à leur faire produire la molécule souhaitée. J'utilise pour cela des procédés entièrement naturels, sans produit chimique. Les bactéries font l'intégralité du travail. C'est l'alliance du vivant et de la technologie. Je prends un produit à faible valeur ajoutée, qui devient, après être passé par notre chaîne biologique, un produit à forte valeur ajoutée.

Une fois que je maîtrise mes capacités de production, je propose de fournir à mes clients un panel de tests associés à la molécule. C'est la raison pour laquelle je parlais de propriété intellectuelle.

Les molécules sur lesquelles nous avons le plus avancé sont les polymères bactériens, qui peuvent être valorisés de multiples façons dans divers secteurs (cosmétique, santé, pharmacie, agroalimentaire, etc.), par exemple sous la forme de principes actifs (molécules ayant une efficacité physiologique) ou pour des propriétés physiques. Les opportunités sont considérables. Nous sommes au début de notre existence et nous nous positionnons dans un secteur facilement valorisable, celui des cosmétiques. Nous avons trouvé des molécules ayant des propriétés lissantes et antirides. Après une première mise sur le marché au niveau local, notre objectif est de parvenir à toucher des clients ayant un potentiel plus important.

J'ai initié le projet mais ne suis pas seul dans Biotecal. Étienne Lerat, ingénieur de formation, est mon associé, plus particulièrement chargé du développement commercial de la société. Ses connaissances en ingénierie ont permis de créer une plateforme analytique, une plateforme de production et une plateforme de criblage. Récemment, Rym Hadji, toxicologue de formation, nous a rejoints. Elle se charge particulièrement des aspects liés à la législation et des études cliniques. Nous disposons ainsi d'une équipe assez complète au regard de la taille de notre structure.

Nous avons créé deux laboratoires et maîtrisons, à notre échelle, l'intégralité de la chaîne de production. Nous évoluons dans un secteur extrêmement dynamique et plusieurs instituts de recherche nous apportent leur soutien. Je tiens à les remercier, de même que tous nos partenaires, parmi lesquels l'Institut Pasteur, l'université de Nouvelle-Calédonie ou encore l'Institut de recherche pour le développement (IRD). C'est par cette dynamique que l'on parvient à faire émerger l'innovation, plus encore dans le contexte particulier de Nouvelle-Calédonie, qui n'est pas le plus propice à l'émergence d'une superficie internationale en raison notamment du caractère insulaire du territoire et du coût élevé de la vie.

Je tiens enfin à exprimer ma gratitude envers l'État français qui m'a permis de fonder Biotecal. J'ai pu bénéficier, à deux reprises, de subventions venant de la Banque publique d'investissement. Il me paraît aujourd'hui extrêmement important que nos projets soient ancrés sur le territoire. Il est important que la Nouvelle-Calédonie ouvre le droit à ses sociétés de valoriser la ressource génétique en faisant urgemment évoluer ses lois (APA) pour que puissent s'allier développement économique et préservation de la biodiversité. Si nous rencontrions des difficultés, nous pourrions être contraints de quitter la Nouvelle-Calédonie et ce n'est pas ce que nous souhaitons. Il faut aussi développer les mécanismes incitatifs à l'investissement, à l'image du crédit impôt recherche (CIR), qui n'existe toujours pas en Nouvelle-Calédonie.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page