C. UNE CONCURRENCE TRÈS VIVE ENTRE PLATEFORMES EN LIGNE

Si le secteur des plateformes de réservation hôtelière apparaît relativement concentré, celui des plateformes proposant la location de meublés de tourisme semble plus éclaté. Au demeurant, les deux tendent aujourd'hui à se rejoindre.

1. Les plateformes de réservation hôtelière en Europe : un marché concentré.

Les plateformes généralement désignées par les termes « agences de voyage en ligne » 27 ( * ) peuvent se spécialiser dans la réservation d'hôtels - c'est le cas de Booking.com ou Hotels.com - ou permettre de réserver d'autres services de voyage , comme les billets d'avion, de train, la location de voitures - c'est le cas d'Expedia, Lastminute.com ou encore oui.sncf.

Le marché des plateformes de réservation hôtelière fait l'objet d'une forme de concentration depuis ces dernières années, comme l'a par exemple illustré le rachat de Venere par Hotels.com. Selon l'étude précitée de l'HOTREC, Booking disposerait de 66,4 % des parts de marché des réservations hôtelières en ligne en Europe, contre 16,6 % pour Expedia et 9 % pour HRS . Dès 2012, la part de marché de Booking en France était estimée à 65 % 28 ( * ) . Selon les données fournies à l'Autorité de la concurrence par les syndicats hôteliers, Booking représenterait, en 2016, 60 % à 70 % du marché français de l'offre de réservation en ligne . La situation est différente en Allemagne, où HRS dispose d'une part de marché d'environ 30 %.

Cette concentration du secteur peut s'expliquer par la nature même des plateformes, intermédiaires entre des offreurs et des demandeurs, généralement désignés par les termes de marchés « bifaces ». Les effets de réseaux croisés peuvent en effet expliquer une tendance à la concentration du marché : les consommateurs sont d'autant plus satisfaits qu'il existe un grand nombre d'offreurs et inversement, ces derniers cherchant à maximiser leur visibilité.

Booking.com a été créé aux Pays-Bas en 1996. Le site, disponible en 43 langues, revendique aujourd'hui 1,5 million de nuitées réservées chaque jour, 27 millions de chambres proposées, réparties sur 130 000 destinations. En France, le site revendique 100 000 hébergements pour 1 million de chambres. Sur les 17 000 salariés de l'entreprise, 650 se trouvent en France, répartis entre huit bureaux et un centre de service client. Le site prévoit d'augmenter ses effectifs de 50 % dans notre pays dans les années à venir. Booking appartient au groupe Booking Holdings, anciennement Priceline, qui regroupe des marques comme Kayak, Rentalcars, Agoda ou encore Open Table. Le chiffre d'affaires du groupe en 2017 a été de 10,2 milliards de d'euros, pour un bénéfice net d'1,8 milliard d'euros.

Le groupe Expedia a été créé à Washington en 1996. Il revendique 590 000 établissements référencés. Il a réalisé en 2017 un chiffre d'affaires de 10 milliards de dollars, pour un bénéfice net de 380 millions de dollars. Les différentes marques du groupe Expedia représenteraient environ 5 % du marché du voyage en ligne en France. Le groupe est surtout présent aux États-Unis et au Royaume-Uni.

Présentation simplifiée du secteur
des plateformes de réservation hôtelières

Source : GNI.

La majeure partie des plateformes de réservation hôtelière ont un modèle économique similaire : les clients paient, sur la plateforme, l'hébergeur, qui reverse ensuite une commission proportionnelle au montant de la réservation à la plateforme. L'hébergeur fixe le prix de ses nuitées ainsi que leur disponibilité, contrairement au modèle des tours opérateurs.

Le taux des commissions est fixé par les plateformes en fonction de plusieurs critères, tels que l'attractivité de la destination, la diversification de la clientèle, ou encore la taille des établissements. Un taux de commission peut également être plus élevé car il correspond à un service particulier, comme le fait d'être référencé plus haut dans les résultats.

Booking estime que le taux de commission moyen pratiqué sur son site est de 15,1 %, un chiffre qui serait stable depuis maintenant plus de 8 ans. Expedia estime que la fourchette de ses commissions s'étend de 10 à 18 % du prix des chambres louées.

Selon la direction générale des entreprises, en 2013, le taux des commissions était en moyenne compris entre de 17 % à 25 % du prix de la chambre, et pouvait s'élever jusqu'à 30 % pour les hôteliers qui achetaient un rang préférentiel. Les grands groupes hôteliers, plus organisés que les hôteliers indépendants, ont négocié un taux de commission bien inférieur à 15 %. En 2016, les taux de commission seraient plus resserrés, entre 15 % et 22 % .

Le taux de commissionnement en Europe est plus élevé en moyenne par rapport aux États-Unis car ce pays compte davantage de grands groupes disposant de leurs propres canaux de distribution et plus à même de négocier avec les agences de voyage en ligne.

Le montant des commissions de commercialisation des grandes plateformes en ligne représenterait, toujours selon la direction générale des entreprises, 4 % à 5 % du chiffre d'affaires de l'hôtellerie française 29 ( * ) .

Il convient de noter que figurent, en amont des plateformes de réservation hôtelière, d'autres intermédiaires, dont elles sont clientes et qui se rémunèrent « au clic » :

- les moteurs de recherche comme Google : les plateformes de réservation hôtelière font partie des plus importants clients du moteur de recherche ; Expedia dépenserait environ 2 milliards de dollars auprès de Google chaque année, sur un total de dépenses de marketing de 4,3 milliards, alors que Booking aurait investi 4,1 milliards de dollars en 2017 30 ( * ) (soit près de 40 % du chiffre d'affaires de l'entreprise) : ces entreprises ont donc de très importants coûts fixes ;

- les « méta-moteurs de recherche » ou « comparateurs », tels que Tripadvisor, Google Hotel finder, Trivago (groupe Booking), Kayak (groupe Expedia).

2. Les plateformes proposant des locations de meublés touristiques en France sont encore nombreuses et diverses.

Il existe de très nombreuses plateformes proposant à la location des meublés de tourisme. En 2011, une étude de l'atelier parisien d'urbanisme (APUR) recensait plus de 312 plateformes d'annonces de location de courte durée à Paris. L'étude d'impact du projet de loi « ELAN » identifie aujourd'hui 22 plateformes 31 ( * ) . Cette évolution tend à montrer que le secteur est en train d'atteindre une phase de maturité, même s'il reste encore moins concentré que celui des plateformes de réservation hôtelière.

Elles ne sont toutefois pas toutes assimilables. Elles n'ont d'abord pas toutes les mêmes cibles . Le site Leboncoin.fr s'adresse avant tout à une clientèle française, quand Airbnb ou Abritel/Homeaway visent aussi bien à une clientèle internationale que domestique. De même, certaines plateformes sont spécialisées sur un certain segment . C'est, par exemple, le cas de Onefinestay, sur les biens haut de gamme. Airbnb est première sur le marché de la location de sa résidence principale, quand d'autres acteurs sont plutôt présents sur celui des résidences secondaires. Enfin, toutes n'ont pas la même spécialisation géographique . L'offre d'Airbnb dans les grandes agglomérations (Paris, Lyon, Marseille, Nice, Bordeaux) apparaît aujourd'hui nettement plus importante que celle des plateformes concurrentes. À Paris, le nombre d'offres de logements entiers était d'environ quatre fois plus important sur Airbnb que sur les plateformes du groupe Abritel/Homeaway en 2015 32 ( * ) . À l'inverse, Abritel/Homeaway est traditionnellement plus présente à la campagne.

En termes de services, certaines plateformes gèrent le paiement de l'opération (elles sont appelées plateformes « transactionnelles ») - c'est le cas d'Airbnb, de Booking ou d'Abritel, d'autres permettent au locataire de choisir son mode de paiement (par l'intermédiaire de la plateforme ou directement auprès du propriétaire - c'est le cas de selogervacances), d'autres ne font que mettre en relation sans intervention dans la réservation ni dans le paiement - c'est le cas du Boncoin ou de PAP vacances.

Leurs modalités de tarification sont également très diverses, en fonction de leur modèle économique. Pour Airbnb, les frais de service des hôtes sont de 3 % à chaque fois qu'une réservation est faite sur le site internet. Elle applique en plus des frais de service voyageur qui s'élèvent, dans la majorité des cas, à 12 % (échelle de 0 à 25 %). Abritel a pour principale particularité de proposer deux types de tarifs. Le propriétaire peut choisir de payer soit des commissions soit un forfait annuel. La première option, facturée 8 % sur chaque réservation con?rmée, reste intéressante pour un temps total de location inférieur à 6 semaines par an. Au-delà, l'abonnement annuel est recommandé (249 euros TTC). Selogervacances propose des formules d'abonnement entre 79 euros pour 3 mois à 249 euros par an, quand celles de PAP Vacances vont de 69 euros (forfait hiver) à 129 euros (forfait annuel). LeBoncoin ne prélève aucune commission pour les particuliers loueurs de meublés touristiques (le site se rémunère par son activité de régie publicitaire et par la vente de services payants aux professionnels). L'ensemble des plateformes proposent également des options payantes, permettant une meilleure mise en valeur de son annonce ou des assurances.

Enfin, la location de meublés touristiques n'est bien souvent pas la seule activité de ces plateformes : Airbnb développe les expériences, seloger est initialement dédié à la location d'habitation, Booking à la location de chambres d'hôtels...

La plateforme Airbnb en France

Fondée en 2008, et disposant d'un bureau parisien depuis 2012, Airbnb revendiquait, en 2017, près de 500 000 annonces (contre 400 000 en 2016) réparties sur 22 000 communes (contre 19 000 en 2016) en France. Notre pays est le deuxième marché de l'entreprise, après les États-Unis. Paris est la première ville dans le monde après Londres. 22 millions de voyageurs, dont la moitié d'étrangers, auraient été accueillis dans un hébergement par son intermédiaire, contre 8,3 millions en 2016 et 4,7 millions en 2015.

En 2017, selon les chiffres communiqués par l'entreprise à vos rapporteures, environ 43 millions de nuitées auraient été effectuées par l'intermédiaire de la plateforme 33 ( * ) , soit environ 10 % du total des nuitées des hébergements collectifs touristiques, contre 209 millions de nuitées dans des hôtels 34 ( * ) .

Selon l'entreprise, un hôte français louerait en moyenne 28 jours par an son logement, ce qui générerait un revenu moyen de 2 100 euros par ans.

3. Une évolution constante des modèles d'affaires
a) Les plateformes diversifient leurs activités et leurs modèles d'affaires.

Il devient de plus en plus artificiel de distinguer les plateformes de réservation hôtelière et les plateformes de location de meublés de tourisme. Actuellement, Booking souhaite développer son activité de meublé touristique (l'entreprise revendique 5 millions de chambres dans des appartements ou d'autres solutions d'hébergements alternatives sur son site), et Airbnb entend accroître son activité de plateforme de réservation hôtelière. De même, les deux sites tendent à commercialiser de plus en plus d' « expériences ».

Les modèles de rémunération des plateformes évoluent. Abritel/Homeaway est passé depuis plusieurs années à un modèle transactionnel. Leboncoin est en train de suivre la même voie : le site travaille actuellement sur un module de réservation et de paiement, qui pourrait être ouvert à tous les utilisateurs à la fin de l'année 2018. Leboncoin ne passerait cependant pas tout de suite à un modèle totalement transactionnel, car l'utilisation de ce module reste optionnelle.

Airbnb développe son offre d'hôtels

En France, le site a également conclu un partenariat avec le réseau des Collectionneurs (anciennement désigné « Châteaux et hôtels de Collection ») en 2016. Le directeur général des Collectionneurs a publiquement fait état de ce qu'il considère ce partenariat comme bénéfique 35 ( * ) : les touristes passant par Airbnb représenteraient jusqu'à 20% du taux d'occupation pour les hôtels mettant à disposition du public quelques chambres sur le site.

La plateforme a également conclu un partenariat mondial avec le site SiteMinder, dont les 28 000 hôtels clients peuvent désormais être référencés sur Airbnb, ce dernier privilégiant l'accueil de « boutique-hôtels » et de chambres d'hôtes.

La plateforme souhaite attirer les hôteliers en mettant en avant son taux de commission réparti entre le touriste et l'offreur d'hébergement.

b) Les acteurs traditionnels adaptent leurs stratégies.

Afin de prendre acte de la nouvelle offre d'hébergement touristique générée par les sites de location touristique, les acteurs traditionnels du tourisme se sont adaptés selon des modalités diverses.

Une stratégie de croissance externe a pu être retenue par les grandes chaînes. Accor Hotels a racheté Onefinestay et a investi dans Squarebreak et Oasis collections, quand Pierre&Vacances a racheté La France du Nord au Sud.

Les acteurs traditionnels peuvent également proposer de no uveaux produits - Accor Hotels a conçu la marque Jo&joe - comme de n ouvelles prestations : conciergerie 36 ( * ) , petit-déjeuner...

Enfin, les acteurs traditionnels de la location de tourisme ont développé une offre sur internet. La fédération nationale des gîtes de France , qui rassemble environ 60 000 hébergements, dispose ainsi de plusieurs plateformes, nationale et locales, comparables à celle d'Airbnb. Il en va de même pour le réseau Fleurs de Soleil. Alors que les agents immobiliers gèrent depuis longtemps un parc de meublés touristiques, la fédération nationale des agents immobiliers (FNAIM) et Foncia ont également développé un site internet dédié à la location de vacances présentant l'offre de leurs adhérents 37 ( * ) . On remarquera pour ces derniers qu'ils sont soumis aux dispositions de la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970 réglementant les conditions d'exercice des activités relatives à certaines opérations portant sur les immeubles et les fonds de commerce, dite « Hoguet », qui encadre l'activité d'entremise immobilière 38 ( * ) , quand les plateformes ne semblent pas y être soumises 39 ( * ) .


* 27 Ou « OTA » pour Online travel agency.

* 28 Autorité de la concurrence, Décision n°-D-06 du 21 avril 2015 (estimation fournie à l'autorité par les syndicats hôteliers demandeurs).

* 29 Soit environ 500 millions d'euros.

* 30 Les Échos, Gillian Tans, la femme la plus puissante du tourisme mondial, 22 mars 2018.

* 31 Airbnb, leboncoin.fr, Flipkey (groupe tripadvisor : tripadvisor, Nimuba, Holidaylettings, Housetrip), MediaVacances.com, SeLoger Vacances (groupe SeLoger : Amivac, Vacances.com,
A-gité), REPIMM, PAP vacances, Vivaweek, paruvendu.fr, vivastreet, Groupe HomeAway (Abritel, VRBO, Homelidays, Vacationrentals, Ownersdirect,fewo-direkt.

* 32 Inspection générale des finances, conseil général de l'environnement et du développement durable, Évaluation de politique publique : le logement locatif meublé, annexe V relative à la location meublée de courte durée, Janvier 2016.

* 33 12 millions de voyageurs, pour une moyenne de séjour de 3,6 nuitées.

* 34 Insee, Les hébergements collectifs touristiques en 2017, 3 avril 2018.

* 35 Sur l'ensemble des locations de meublés touristiques, environ 100 000 seraient gérées par des agents immobiliers. Ce chiffre serait stable depuis plusieurs années malgré la croissance du marché. Source : Le Figaro, Airbnb s'étend aux hôtels, 18 février 2018.

* 36 De nouveaux acteurs, spécialisés dans le service de conciergerie, ont également émergé, tels que Bnbsitter, welkeys, guesready...

* 37 Les Échos, Agents immobiliers et sites internet rivalisent pour les locations saisonnières, mardi 18 avril 2017.

* 38 Et notamment l'activité d'entremise à la location saisonnière, définie comme la « location d'un immeuble conclue pour une durée maximale et non renouvelable de quatre-vingt-dix jours consécutifs ».

* 39 C'est l'analyse figurant dans le rapport de l'inspection générale des finances et conseil général de l'environnement et du développement durable relative à l'évaluation de la politique publique du logement locatif meublé, dans son annexe V relative à la location meublée de courte durée, publié en janvier 2016.

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