GLOSSAIRE

AMT

L'association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste est une qualification pénale, définie à l'article 421-2-1 du code pénal, qui peut être délictuelle (dix ans d'emprisonnement) ou criminelle (trente ans de réclusion criminelle). Créée en 1996, cette infraction-obstacle, qui punit la simple appartenance à une organisation terroriste, est la plus utilisée en matière de lutte antiterroriste.

ANSSI

L'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information est un service à compétence nationale rattaché au Secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN). Autorité nationale en matière de sécurité des systèmes d'information, l'ANSSI est chargée de détecter et réagir en cas d'attaque informatique, de prévenir la menace par le développement d'une offre de produits sécurisés, de jouer un rôle de conseil et de soutien aux administrations et aux opérateurs d'importance vitale et d'informer régulièrement le public sur les menaces.

ASE

Le service de l'aide sociale à l'enfance est un service non personnalisé du département, placé sous l'autorité du président du conseil départemental. Ce service est chargé d'apporter un soutien matériel, éducatif et psychologique aux mineurs et à leur famille, et de mener en urgence des actions de protection en faveur des mineurs en danger. L'aide sociale à l'enfance a également des missions de prévention, de contrôle et de signalement.

BCRP

Le Bureau central du renseignement pénitentiaire est un service de renseignement du « second cercle » qui relève du ministère de la justice. Mis en place en avril 2017, le BCRP a pour missions de recueillir et d'analyser les informations utiles à la sécurité des établissements et des services pénitentiaires, d'assurer le suivi régulier et individualisé des personnes détenues le justifiant et de surveiller en liaison avec les autres services compétents de l'État (notamment du ministère de l'intérieur) l'évolution de certaines formes de radicalisation violente et de criminalité.

CDSN

Le conseil de défense et de sécurité nationale est une structure présidée par le Président de la République, qui définit les orientations et les priorités en matière de programmation de sécurité intérieure, de lutte contre le terrorisme, de renseignement ou encore de programmation militaire et de conduite des opérations extérieures.

CEPRAF

Les cellules de prévention de la radicalisation et d'accompagnement des familles ont été mises en place dans les préfectures pour assurer la prise en charge des personnes radicalisées et accompagner leurs proches. Les CEPRAF réunissent différents acteurs locaux : services de la préfecture, parquet, renseignement territorial, services sociaux et de santé, éducation nationale, etc.

CIPDR

Le Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation fixe les orientations de la politique gouvernementale en matière de prévention de la délinquance et de la radicalisation et veille à sa mise en oeuvre. Présidé par le Premier ministre ou, par délégation, par le ministère de l'intérieur, il réunit quatorze ministères. Le CIPDR associe également des partenaires au niveau local comme les préfectures, les collectivités territoriales, les grands réseaux associatifs, etc.

CNRLT

Le coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme est chargé de l'analyse globale de la menace et propose sur cette base au Président de la République les orientations du renseignement et de la lutte contre le terrorisme, et les priorités d'actions coordonnées, que celui-ci fixe aux services spécialisés. Il coordonne l'action de ces services et transmet les instructions de l'Élysée aux ministres responsables desdits services et s'assure de leur mise en oeuvre. Les chefs des services spécialisés lui communiquent les renseignements devant être portés à la connaissance du Président de la République et du Premier ministre et lui rendent compte de leur activité.

DCSR

Ce sigle désigne les détenus de droit commun susceptibles de radicalisation.

DGSE

La direction générale de la sécurité extérieure est un service de renseignement appartenant au « premier cercle » de la communauté du renseignement et relève du ministère de la défense. Elle agit essentiellement hors du territoire national en appliquant des méthodes clandestines de recherche du renseignement (espionnage et contre-espionnage) destinées à protéger les citoyens et les intérêts français.

DGSI

La direction générale de la sécurité intérieure est un service de renseignement appartenant au « premier cercle » de la communauté du renseignement et relève du ministère de l'intérieur. Elle est chargée, sur l'ensemble du territoire de la République, de rechercher, de centraliser et d'exploiter le renseignement intéressant la sécurité nationale ou les intérêts fondamentaux de la Nation. Ses activités recouvrent essentiellement la lutte contre le terrorisme et les extrémismes violents, le contre-espionnage et la protection du patrimoine économique (contre-ingérence économique, contre-prolifération).

DRM

La direction du renseignement militaire est un service de renseignement appartenant au « premier cercle » de la communauté du renseignement et relève du ministère de la défense. Elle a pour mission d'éclairer la prise de décision et d'apporter un appui à la planification et à la conduite des opérations militaires.

DRPP

La direction du renseignement de la préfecture de police de Paris est un service de renseignement du « second cercle ». Elle exerce une pleine compétence dans le domaine du renseignement territorial à Paris et dans les départements de la « petite couronne » 4 ( * ) , et partage les activités de lutte contre le terrorisme et les subversions violentes avec la DGSI.

Eurojust

L'Unité de coopération judiciaire de l'Union européenne (Eurojust - European Union's Judicial Cooperation Unit ) aide les autorités nationales à coopérer pour combattre le terrorisme et les formes graves de criminalité organisée touchant plusieurs États membres.

Europol

L'Office européen de police (Europol - European Union Law Enforcement Organisation ) est l'agence répressive de l'Union européenne. Elle aide les autorités policières nationales à combattre le terrorisme et la criminalité internationale, notamment par l'échange de renseignements. Cette agence travaille également avec plusieurs pays partenaires non membres de l'Union européenne et organisations internationales extérieures à l'Union.

FPR

Le fichier des personnes recherchées recense l'ensemble des personnes faisant l'objet d'une mesure de recherche ou d'une vérification de leur situation juridique. Les fiches S (S pour « sûreté de l'État ») constituent une sous-catégorie du FPR qui en compte vingt et une (IT pour « interdiction du territoire », M pour « mineurs fugueurs », T pour « débiteur envers le Trésor », etc.). Une fiche S a une durée de vie d'un an renouvelable. Elle est elle-même subdivisée en différentes catégories, chiffrées de « S1 » à « S16 », qui ne correspondent pas à des niveaux de dangerosité, mais renvoient à des types de profils (appartenance à la mouvance islamiste, appartenance à un groupe politique violent, hooliganisme, etc.), au genre d'informations à recueillir et aux actions à entreprendre lors d'un contrôle par les forces de l'ordre. Ces fiches sont donc un outil de renseignement et ne constituent ni une preuve de culpabilité, ni une arme judiciaire permettant l'arrestation des individus concernés.

Frontex

L'Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes a pour mission de coordonner la surveillance aux frontières extérieures. Elle remplace l'ancienne Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l'Union européenne, opérationnelle depuis 2005, dont elle développe et complète les missions et moyens.

FSPRT

Le fichier des signalements pour la prévention et la radicalisation à caractère terroriste a été créé en mars 2015. Alimenté par l'ULAT, ce fichier récence les personnes identifiées comme étant des radicaux religieux et susceptibles de nuire. Toutes les personnes inscrites au FSPRT ne sont pas fichées S, et inversement.

GED

Dans chaque département, un groupe d'évaluation départemental se réunit sous l'autorité du préfet et en présence du procureur de la République. Il rassemble l'ensemble des services de sécurité intervenant sur le territoire : renseignements territoriaux, DGSI, police judiciaire, gendarmerie nationale, administration pénitentiaire, etc. Cette instance permet de partager les informations entre les services partenaires, de s'assurer que chaque individu signalé pour radicalisation potentiellement violente fait bien l'objet d'un suivi effectif dans la durée par un service chef de file et de décider des mesures opérationnelles ou administratives nécessaires en vue d'entraver les individus radicalisés.

Interpol

Interpol ou Organisation internationale de police criminelle est l'organisation internationale de police la plus importante au monde. Sa mission est de prévenir et combattre la criminalité grâce à une coopération policière internationale renforcée. Son siège est situé en France, à Lyon.

LAT

Ce sigle désigne la lutte antiterroriste sur le territoire national ou visant le territoire national.

MICAS

Les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance s'appliquent aux personnes dont le comportement constitue une menace pour l'ordre et la sécurité publics et qui soit entrent en relation avec des personnes incitant au terrorisme, soit diffusent ou adhèrent à des thèses terroristes. Elles permettent d'assigner ces personnes dans un périmètre, de les obliger à se présenter périodiquement aux services de police et à déclarer leur domicile, ou encore de leur interdire de se trouver en relation avec certaines personnes pour lesquelles il existe des raisons sérieuses de penser que leur comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics. Les personnes visées peuvent également faire l'objet d'un placement sous surveillance électronique mobile.

PART

Cf. PLAT

PHAROS

La plateforme d'harmonisation, d'analyse, de recoupement et d'orientation des signalements permet de signaler en ligne les contenus et comportements illicites détectés sur Internet : terrorisme et apologie du terrorisme, incitation à la haine raciale, ethnique et religieuse, escroqueries et arnaques financières, pédopornographie, etc. Les signalements sont ensuite traités par des policiers et des gendarmes rattachés à l'Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l'information et de la communication (OCLCTIC) de la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ).

PJJ

La direction de la protection judiciaire de la jeunesse est chargée, dans le cadre de la compétence du ministère de la justice, de l'ensemble des questions intéressant la justice des mineurs et de la concertation entre les institutions intervenant à ce titre . Le champ d'action de la DPJJ s'étend de la conception des normes et des cadres d'organisation, à la mise en oeuvre et à la vérification de la qualité de ces mises en oeuvre. Au quotidien, les professionnels de la PJJ mènent des actions d'éducation, d'insertion sociale, scolaire et professionnelle au bénéfice des jeunes sous mandat judiciaire, pénal ou civil, et de leur famille.

PLAT

Lancé en 2014, le plan de lutte antiterroriste a été actualisé en mai 2016 par les 80 mesures - dont 50 nouvelles - du plan d'action contre la radicalisation et le terrorisme (PART). Ces deux plans ont développé une politique publique de prévention de la radicalisation qui s'articule autour de la détection, de la formation, de la prise en charge en milieux ouvert et fermé et du développement de la recherche.

PNR

Le Passenger Name Record est un fichier européen qui recense les données personnelles (identité, numéro de téléphone, adresse électronique, etc.) des passagers de vols extra-européens, c'est-à-dire d'un pays tiers vers un État membre de l'Union européenne, et inversement. Ce système permet l'échange de données entre services de police et de renseignement européens afin d'identifier les personnes qui se déplacent en avion dans le cadre d'activités liées au terrorisme et au crime organisé, et de les empêcher de passer à l'acte. Les données collectées peuvent être conservées pendant cinq ans et trente jours.

QER

Les quartiers d'évaluation de la radicalisation sont des unités situées, notamment, au sein des maisons d'arrêt de Fleury-Mérogis (Essonne) et d'Osny (Val-d'Oise), dans lesquelles les détenus radicalisés sont évalués sur leur degré d'adhésion à l'idéologie djihadiste et leur dangerosité. À l'issue des quatre mois d'évaluation, ils sont intégrés dans un quartier spécifique de prise en charge, dans un quartier d'isolement ou en détention générale.

RAN

Le réseau de sensibilisation à la radicalisation (RAN - Radicalisation Awareness Network ) a été mis en place puis renforcé par la Commission européenne. Il réunit les acteurs de terrain de la prévention de la radicalisation : forces de l'ordre, personnel éducatif, travailleurs sociaux, ou encore représentants locaux. Le RAN vise ainsi à créer une synergie entre les divers expériences et modes d'actions des acteurs de terrain et de diffuser les bonnes pratiques entre États membres de l'Union européenne.

RIVE

Le programme Recherche et intervention sur les violences extrémistes est un dispositif de prise en charge des personnes placées sous main de justice, suivies en milieu ouvert au titre d'une mise en examen pour actes de terrorisme ou identifiées comme radicalisées. La finalité de ce programme est de favoriser le désengagement de la violence extrémiste et la réinsertion sociale.

SCRT

Le service central du renseignement territorial est un service de renseignement de la police nationale appartenant au « second cercle ». Il est notamment chargé, sur l'ensemble du territoire et à l'exception de Paris et de ses départements limitrophes ( cf. DRPP), de recueillir et de traiter des renseignements visant à prévenir certains faits délictueux : prévention du terrorisme, faits de société, informations économiques et sociales. Le SCRT est rattaché à la direction centrale de la sécurité publique (DCSP) de la direction générale de la police nationale (DGPN).

SDAO

La sous-direction de l'anticipation opérationnelle est un service de renseignement de la gendarmerie nationale, appartenant au « second cercle » et voué notamment à l'antiterrorisme. Son action de renseignement est apportée en soutien au bureau de la lutte antiterroriste (BLAT), unité opérationnelle de la sous-direction de la police judiciaire de la direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN).

SDAT

La sous-direction anti-terroriste est un service de police judiciaire à compétence nationale relevant de la police judiciaire (DCPJ). Elle est chargée de la prévention et de la répression du terrorisme national et international, y compris dans ses aspects financiers.

SGDSN

Le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale est un service du Premier ministre travaillant en étroite collaboration avec la présidence de la République. Le SGDSN assiste le chef du gouvernement dans l'exercice de ses responsabilités en matière de défense et de sécurité nationale.

SIS

Le système d'information Schengen a pour objet de permettre aux États membres de l'espace Schengen de mettre en place une politique commune de contrôle des entrées dans l'espace Schengen et, ainsi, de faciliter la libre circulation de leurs ressortissants tout en préservant l'ordre et la sécurité publics. À ce jour, le SIS II constitue la plus grande base de données policière au monde, regroupant plus de 70 millions de signalements introduits par trente pays européens.

SPIP

Les services pénitentiaires d'insertion et de probation, services déconcentrés de l'administration pénitentiaire au niveau départemental, assurent le contrôle et le suivi des personnes placées sous main de justice, qu'elles soient en milieu ouvert ou en milieu fermé. Afin de prévenir la récidive et de favoriser la réinsertion des personnes condamnées, les SPIP concourent à l'individualisation des peines privatives de liberté et à la préparation des décisions de justice à caractère pénal.

TIS

Sigle employé par l'administration pénitentiaire pour désigner les personnes condamnées pour des faits de terrorisme en lien avec l'islam radical.

Tracfin

Le service Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins, plus connu sous son acronyme Tracfin, a pour mission de lutter contre le financement du terrorisme, les circuits financiers clandestins et le blanchiment de l'argent. Ce service de renseignement appartient au « premier cercle » de la communauté du renseignement et relève du ministère chargé de l'économie et des finances.

UCLAT

L'Unité de coordination de la lutte antiterroriste est en charge de la coordination des services appelés à lutter contre le terrorisme. Elle centralise les signalements de radicalisation qui alimente le FSPRT. L'UCLAT produit également une évaluation de la menace terroriste destinée à l'information du ministre de l'intérieur pour adapter les dispositifs de sécurité.

I. LA MENACE TERRORISTE RESTE À UN NIVEAU TRÈS ÉLEVÉ EN FRANCE EN DÉPIT DES REVERS MILITAIRES DE L'ÉTAT ISLAMIQUE EN IRAK ET EN SYRIE

Après un apogée en 2014, qui l'a vu prendre le contrôle d'importants territoires en Irak et en Syrie, en proclamer un « califat », l'organisation l'État islamique a été presque totalement vaincue sur le plan militaire.

Cette victoire de la coalition, qui n'est cependant pas totale, ne signifie pas pour autant un amoindrissement de la menace terroriste. Celle-ci reste forte et trouve sa source à l'intérieur même de notre société.

A. QUOIQUE MILITAIREMENT DÉFAITE, L'ORGANISATION ÉTAT ISLAMIQUE DEMEURE UNE MENACE À NE PAS SOUS-ESTIMER

Au niveau mondial, le phénomène djihadiste est principalement marqué par l'effondrement territorial de l'État islamique, au Levant.

Pour autant, il serait très certainement prématuré d'en tirer des conséquences favorables en termes de risques terroristes, non seulement parce que le terrorisme présente d'importantes capacités d'adaptation, mais aussi, et surtout, parce que le contexte géopolitique n'a guère changé et demeure propice au djihadisme, ses causes profondes n'ayant pas disparu.

1. Daech a perdu l'essentiel de son territoire en Irak et en Syrie

Ayant réussi à conquérir rapidement un vaste territoire réparti sur la Syrie et l'Irak, qui constituait l'assise territoriale du « califat » qu'il avait proclamé et d'où il préparait et lançait d'importantes attaques terroristes vers de nombreux pays, dont la France, l'État islamique est aujourd'hui militairement vaincu.

a) L'État islamique avait constitué un proto-État doté de forces « militaires » nombreuses et puissantes

Votre commission d'enquête n'a pas vocation à présenter une fois de plus l'origine et les circonstances de la création de l'État islamique et renvoie sur ce point à d'autres travaux du Sénat 5 ( * ) . Elle rappellera néanmoins quelques grandes étapes et éléments marquants importants.

L' État islamique (EI), ou Daech en arabe , est né du rapprochement, en octobre 2006, d'Al-Qaïda en Irak avec plusieurs autres organisations islamo-djihadistes. Le poids à la fois de nombreux anciens officiers baasistes de l'armée de Saddam Hussein et des tribus sunnites, qui constituent environ 70 % de la population de la province d'al-Anbar, dans l'ouest du pays, est considérable lors de la création de cette organisation, dont l'émir devient Abou Bakr al-Baghdadi à partir de mai 2010.

L'État islamique en Irak tire profit de la guerre civile en Syrie pour s'étendre dans ce pays au cours de l'année 2012. En avril 2013, il prend le nom d'État islamique en Irak et au Levant.

Le 29 juin 2014, il annonce le rétablissement du califat 6 ( * ) dans les territoires placés sous son contrôle et prend le nom d'État islamique, tandis qu'Abou Bakr al-Baghdadi se proclame calife et successeur de Mahomet, à Mossoul, ville irakienne tombée en quelques jours face à la débandade de l'armée irakienne. Comme l'a rappelé, au cours de son audition devant votre commission d'enquête, Mme Hélène Sallon, grand reporter au journal Le Monde et spécialiste de l'Irak, « après le retrait américain en 2011, on a constaté une déliquescence de l'État irakien et une contestation des autorités locales et fédérales par la population en raison d'une corruption importante et d'une politique discriminatoire envers la population sunnite. Par exemple, on constatait des arrestations arbitraires. La situation sécuritaire était également préoccupante : les communautés étaient mises dos à dos et ne coopéraient plus avec les autorités. Ce contexte explique la chute très rapide de Mossoul ».

Dans ce contexte de guerre en Syrie et d'effondrement de l'État irakien, l'État islamique connaît une importante expansion territoriale couvrant les régions sunnites de l'est syrien et de l'ouest irakien et de nombreux groupes djihadistes , y compris en Égypte, en Lybie, au Nigéria ou en Afghanistan, lui font allégeance - mais pas Al-Qaïda, les deux organisations étant désormais rivales.

En dépit des nombreuses exactions, y compris la destruction de vestiges archéologiques, des crimes, dont l'organisation de nombreux attentats en Europe, aux États-Unis et ailleurs dans le monde, et de la répression féroce - 500 000 personnes ont quitté Mossoul, ville de 2 millions d'habitants en juin 2014, venant ainsi grossir les flux migratoires vers l'Europe -, qui caractérisent l'occupation territoriale de Daech 7 ( * ) , cette organisation djihadiste a exercé un indéniable pouvoir de fascination et d'attraction auprès de nombreux musulmans .

L'État islamique, d'un groupuscule sunnite du désert d'Anbar, avait réussi à devenir une entreprise internationale.

Dans le même temps, sur place, et comme l'a rappelé Mme Hélène Sallon, « initialement, la population a accueilli favorablement Daech . En effet, en juin 2014, on ne savait pas ce qu'était l'État islamique. Il y avait d'ailleurs un certain dénigrement de cette organisation. Pour rappel, Barack Obama, interrogé sur le groupe djihadiste en Irak et en Syrie, avait minimisé le danger en faisant cette comparaison : « Si une équipe de jeunes met le maillot des Lakers, ça ne fait pas d'eux Kobe Bryant pour autant ». La population a accueilli Daech pour se débarrasser des autorités ».

L'année 2014 constitue ainsi un tournant majeur dans la chronologie du djihad syro-irakien . L'efficacité de sa propagande, ses succès militaires et la déclaration de la restauration du califat ont permis à l'État islamique de mener une véritable politique de recrutement tournée vers l'extérieur . Les filières d'acheminement mises en place pour rejoindre le djihad ont permis la venue, croissante jusqu'à la fin de l'année 2015, de combattants terroristes étrangers 8 ( * ) dans les rangs de Daech . Les modes d'acheminement variaient en fonction du degré d'aguerrissement des candidats au djihad. Les combattants occidentaux issus de réseaux islamistes radicaux partaient de façon coordonnée et groupée, en prenant soin d'échelonner les départs et en liaison avec des contacts sur le terrain. De leur côté, les jeunes volontaires qui ne bénéficiaient pas, au sein de la mouvance islamiste radicale, de contacts développés, partaient de façon isolée. Les volontaires étaient ensuite emmenés dans des structures d'hébergement, appelées madhafas, où ils étaient préparés pour le passage en Syrie. Le transport jusqu'à la frontière se faisait en autobus.

Au total, on estime généralement, avec les précautions d'usage qui s'attachent à ce type de statistiques - par exemple, il y a officiellement, selon les services de renseignement de ce pays, 1 600 à 1 700 Marocains parmi les djihadistes, alors que les services français en évaluent le nombre à plus du double -, que, depuis 2012, plus de 40 000 combattants terroristes étrangers, toutes nationalités confondues, se sont rendus en Syrie et en Irak pour combattre dans les rangs de l'État islamique .

Ces djihadistes se répartissent en une quarantaine de nationalités. Selon les chiffres fournis à votre commission d'enquête par les services de renseignement, il convient notamment de relever 4 000 à 4 500 Russes et russophones, dont beaucoup sont originaires d'Asie centrale et du Nord Caucase, 2 000 à 3 000 Tunisiens, 1 600 à 1 700 Marocains, 800 Britanniques et autant d'Allemands, 700 Indonésiens, 600 Égyptiens, 500 Belges, 200 à 300 Algériens, 250 Espagnols, 200 Américains et 100 Italiens. Beaucoup d'entre eux sont morts dans les combats ou les attaques suicides.

Environ 5 000 de ces combattants terroristes étrangers seraient originaires d'un pays de l'Union européenne : la France, suivie du Royaume-Uni puis de l'Allemagne, est le pays européen le plus affecté par ce phénomène. Les Français constituent en effet le premier contingent européen, avec plus de 1 300 djihadistes.

Captivés par sa radicalité et galvanisés par la restauration annoncée du califat, les djihadistes français présents sur zone ont rallié en masse l'organisation terroriste. Mobilisés sur les principaux fronts, nombre d'entre eux ont participé aux combats, tandis que d'autres ont occupé des tâches de soutien au sein du califat (police religieuse, propagande, administration, etc.).

Dans le même temps, de nombreuses jeunes femmes ciblées par la propagande de l'État islamique et attirées par une vision idéalisée du califat ont quitté la France pour rejoindre la zone syro-irakienne. Cette féminisation constitue l'un des traits majeurs du phénomène des filières syro-irakiennes, en même temps qu'elle témoigne du haut degré de radicalité de ces femmes.

LES RESSORTISSANTS FRANÇAIS SUR ZONE SYRO-IRAKIENNE :
1 309 PARTIS, 1 220 TOUJOURS SUR PLACE ET 500 MORTS

Selon les services de renseignement, au 2 mars 2018, 1 309 ressortissants français ou résidant en France avaient séjourné, depuis 2012, ou séjournaient toujours sur zone syro-irakienne .

Un déclin des arrivées sur zone est observable à partir de 2015, où l'on constatait 255 arrivées et 458 l'année précédente. Il s'est accentué en 2016, avec 35 arrivées, et a été confirmé en 2017, avec 4 arrivées sur zone :

Nombre d'arrivées de djihadistes français ou partis de France en zone syro-irakienne

Source : Services de renseignement.

Plusieurs facteurs se sont conjugués pour expliquer cette quasi-interruption des flux vers la zone : l'effet dissuasif de la dégradation de la situation sécuritaire et l'effondrement de Daech sur zone, la mise en oeuvre de mesures administratives d'entrave aux départs, la coordination renforcée entre services de sécurité européens et la coopération avec la Turquie, mais aussi les appels de l'EI encourageant ses sympathisants à commettre des attentats dans leur pays d'origine.

Les services de renseignement ont indiqué à votre commission d'enquête que, au 6 mars 2018, 733 ressortissants français étaient toujours présents sur zone : 371 hommes, 309 femmes et 53 mineurs de plus de 13 ans. Il convient d' ajouter à ces chiffres environ 490 mineurs de moins de 13 ans , dont plus de 250 sont nés sur zone de parent(s) français. Au total, ce sont plus de 1 220 individus de nationalité française ou partis de France qui seraient donc toujours localisés en zone syro-irakienne. Il s'agit du plus important contingent occidental sur zone.

Par ailleurs, 12 djihadistes français seraient également recensés en Libye, en zone pakistano-afghane, en Somalie et au Yémen.

À la même date, le nombre de ressortissants français présumés décédés sur zone était estimé à 300, soit 288 hommes et 12 femmes, mais ce chiffre est probablement plus élevé, sans doute 200 de plus, compte tenu de la difficulté des services à établir formellement la mort de djihadistes en zone de guerre. Certains d'entre eux se font passer pour morts alors qu'ils sont vivants, tandis que d'autres sont considérés comme vivants alors qu'ils sont morts. Sur ce point, la désinformation est importante, le cas échéant véhiculée par les intéressés eux-mêmes via leur famille.

Deux adultes et deux enfants sont, à ce jour, présents dans les prisons en Irak. Le ministère des affaires étrangères leur apporte la protection consulaire prévue par la Convention de Vienne.

Une cinquantaine d'adultes seraient détenus en Syrie, par les Kurdes. Les autorités françaises n'ont pas connaissance de djihadistes français détenus dans les zones sous le contrôle du régime syrien.

Par ailleurs, l'État islamique, à la différence d'Al-Qaïda, avait également des prétentions étatiques : ainsi a-t-il par exemple créé des « ministères » et levé des « impôts ». L'assise territoriale qu'il avait acquise par la force facilitait ses ambitions et lui donnait une certaine « légitimité ».

b) Daech a subi une lourde défaite militaire en Syrie et en Irak

L'État islamique a aujourd'hui perdu environ 95 % du territoire qu'il avait conquis. Selon la formule de Mme Myriam Benraad, professeure en sciences politiques à l'université de Leyde, aux Pays-Bas, et chercheuse, lors de son audition devant votre commission d'enquête, « le chapitre ouvert par la conquête triomphale de l'année 2014 se referme ».

En effet, depuis le lancement, à l'été 2014, de l' opération militaire Inherent Resolve dans le cadre d'une coalition arabo-occidentale , à laquelle la France contribue activement par le dispositif Chammal , l'État islamique a perdu la quasi-totalité de ses possessions territoriales au Levant. L'organisation ne contrôle plus aucun territoire en Irak et se maintient dans ses derniers sanctuaires d'Hajin et de Dashisha en Syrie orientale, sur la rive est de l'Euphrate.

La campagne militaire contre Daech a comporté quatre étapes. En 2014, il s'agissait de stopper l'invasion des forces djihadistes en provenance de Syrie vers une partie de l'Irak. En 2015, l'opération avait pour objectif de reconstruire les forces des partenaires de la coalition, c'est-à-dire, en Irak, les forces légitimes de sécurité et, en Syrie, les forces démocratiques syriennes, d'abord très majoritairement kurdes puis progressivement ouvertes aux Arabes, aucun membre de la coalition ne souhaitant déployer ses troupes sur le terrain. En 2016, la coalition a contre-attaqué et, en 2017, elle a poursuivi l'objectif de détruire la représentation physique du califat.

Entre juillet 2016 et août 2017, la coalition a repris le contrôle des villes de Qayarah, Haditah, Sharqat, Bulayj, Ba'aj, Mossoul, Tall Afar en Irak, Ar Rai, Manbij, Jarabulus et Tabqah et avait totalement isolé et conquis pour moitié Raqqah, tombée quelques semaines plus tard, en Syrie. Au cours de cette période, la coalition a ainsi reconquis 82 200 km 2 (34 300 km 2 en Syrie et 47 900 km 2 en Irak) et libéré de l'emprise de l'EI près de 5 millions de personnes, dont 3,5 millions d'Irakiens et 1,5 million de Syriens.

La coalition avait aussi neutralisé des dizaines de milliers de combattants islamistes, y compris des ressortissants étrangers, et permis de réduire le flux de combattants étrangers rejoignant le califat, d'environ 1 500 par mois en septembre 2014 à 50 à 100 par mois en juin 2017.

L'ambition du commandement américain, assuré par le général Stephen Townsend, était de se saisir des deux capitales de Daech , Mossoul en Irak et Raqqa en Syrie - rappelons que la France estimait que toutes les actions menées sur son territoire, en particulier les attentats du 13 novembre 2015, avaient été planifiées depuis Raqqa. Mossoul a été reprise à l'issue de longs et durs combats qui ont duré plus de neuf mois, menés au sol par les forces irakiennes avec l'appui aérien de la coalition, tandis que Raqqa a été prise, en plusieurs mois également, par les forces de sécurité syriennes et les forces spéciales de la coalition, appuyées aussi par l'aviation.

Par ailleurs, le général Townsend souhaitait éviter que Daech ne fuie ensuite au Liban et en Jordanie. Aussi l'opération militaire a-t-elle obligé ses combattants à se retirer dans la moyenne vallée de l'Euphrate, entre Mayadine et Al-Qaïm, à cheval entre la Syrie et l'Irak. Il fallait éviter que l'organisation djihadiste reconstitue son califat en Jordanie ou au Liban. Les djihadistes ont ainsi été « encapsulés » dans cette région.

Selon certaines estimations, il resterait encore dans la capsule entre Mayadine et Al-Qaïm environ 4 000 à 5 000 combattants , peut-être davantage, d'autant plus que la population y est plutôt favorable à Daech . Le combat pour achever Daech sera très difficile, d'autant plus que les populations de cette zone sont exclusivement sunnites et sans doute encore proches de l'idéologie islamo-djihadiste - on a pu supposer que al-Baghdadi s'y cachait.

En 2017, Daech n'était plus en position de prendre des initiatives, de lancer des offensives significatives et de conquérir de nouveaux territoires. « Encapsulé » dans une zone géographique réduite à la vallée moyenne de l'Euphrate, à cheval sur la Syrie et l'Irak, l'État islamique a été contraint de passer dans un mode clandestin dans les territoires libérés et à constituer des cellules dormantes traquées par les forces de sécurité irakiennes et par les forces démocratiques syriennes dans le nord de la Syrie. Daech est dans une posture de résistance en Syrie - qui concentre ses derniers bastions - et dans une stratégie de nuisance en Irak en tentant de pérenniser une instabilité sécuritaire par des attentats récurrents.

c) La perte de l'assise territoriale de l'État islamique est une étape fondamentale dans la lutte contre la menace djihadiste

Au total, on l'a vu, l'action militaire de la coalition internationale a grandement contribué à réduire sensiblement les capacités de Daech à former des combattants, à les équiper, à les financer, à les projeter, voire à les piloter à distance.

En outre, en réduisant l'empreinte physique de l'État islamique et en éliminant ses membres, la coalition a limité sa capacité technique à diffuser de la propagande, nombre de ses laboratoires ayant été détruits. De fait, une diminution sensible de la qualité de ses messages idéologiques peut être constatée.

Comme l'a souligné M. Nicolas Hénin, ancien journaliste et président de la société de conseil et formation en contre-terrorisme et radicalisation Action résilience, au cours de son audition, « il faut insister sur cet événement car il s'agit d'une réelle victoire. Jouer les Cassandre est toujours facile. En l'occurrence, la chute de l'utopie califale portée par l'État islamique depuis 2013, provoquée essentiellement par la coalition de nos forces armées, est une victoire importante qui prive ce groupe terroriste de son argument de propagande fondamental. C'est en effet son assise territoriale qui assurait la prééminence de l'État islamique sur Al-Qaïda, lui garantissait la maîtrise de certaines ressources et lui permettait de disposer de camps d'entraînement desquels les combattants ressortaient propager le djihad avec une aura supplémentaire. Cette victoire offre une fenêtre de calme. L'État islamique n'a sans doute plus à très court terme la capacité de concevoir des attentats de commando ».

Les services de renseignement entendus par votre commission d'enquête ont en effet tous confirmé ce point, même s'il convient naturellement de rester prudent : désorganisé par la mort de nombreux cadres, notamment européens, le pôle des opérations extérieures de l'État islamique a vu décroître sa capacité à projeter des opérations depuis la zone syro-irakienne ou à soutenir de façon opérationnelle des passages à l'acte sur le territoire national . Ainsi, en 2017, il n'y a eu aucune tentative d'attentats en France trouvant son origine dans une projection de menaces en provenance du théâtre d'opérations syro-irakien.

La menace d'attentats sophistiqués et coordonnés tels que ceux du Bataclan ou de Bruxelles est aujourd'hui contenue, bien que non nulle.

d) Sa défaite n'est cependant pas encore totale

Grâce à l'intervention militaire de la coalition internationale, Daech a perdu la quasi-totalité de son territoire. On l'a dit, il n'est plus présent en Irak et, en Syrie, il n'a conservé que deux poches à l'est de l'Euphrate, l'une au niveau de Dashisha, à l'est de Cheddadi, l'autre à l'extrême sud-est de la frontière syro-irakienne, à l'endroit où l'Euphrate traverse la frontière, près d'Hajin, de l'autre côté d'Abou Kamal.

Toutefois, ces victoires sur l'État islamique n'ont pas été remportées sans difficultés. Seule la puissance militaire occidentale a permis que les djihadistes reculent. Et encore la prise de Mossoul s'est-elle déroulée sur neuf mois, soit, comme l'a fait remarquer une personne auditionnée par votre commission d'enquête, une durée plus longue que celle de la bataille de Stalingrad, tandis que l'armée de Saddam Hussein n'avait pas tenu plus d'un mois face aux Américains. Cette personne a conclu sur cette formule : « Sans l'aide des Occidentaux, le drapeau noir flotterait sur Bagdad ».

En outre, si le combat militaire contre Daech est en bonne voie, il n'est pas encore terminé.

L'objectif de la coalition reste d'obtenir sa disparition totale et durable.

Or, sa disparition n'est ni totale ni durable.

D'une part, en Syrie, Daech profite actuellement de l'arrêt des opérations militaires des Forces démocratiques syriennes contre ses derniers sanctuaires, en raison de l'offensive turque sur le flanc ouest des Kurdes syriens. Ainsi l'offensive turque à Afrine a-t-elle entraîné le gel des actions offensives contre Daech à l'est, les combattants kurdes les plus aguerris quittant la zone pour rejoindre le front ouest contre les Turcs. La perspective de libération intégrale de Daech dans l'est syrien s'éloigne donc. Alors que la dynamique était du côté de la coalition, l'achèvement des opérations s'en trouve ralenti. Les djihadistes se maintiennent ainsi dans leurs poches de Deir ez-Zor, à l'est du pays, en dépit de la reprise de la ville en novembre 2017, et, surtout, d'Idlib, au nord. Dans la nuit du 23 mai, des attaques djihadistes planifiées ont d'ailleurs ont provoqué la mort de près de 80 personnes, dont plusieurs ressortissants russes, près de Mayadine, au sud de Deir ez-Zor.

L'organisation djihadiste parvient ainsi à consolider ses positions défensives et à se réorganiser pour mener des attaques asymétriques de part et d'autres de l'Euphrate. De plus, Daech profite toujours de la porosité de la frontière syro-irakienne et ses membres évoluant dans les sanctuaires syriens participent du maintien d'une menace constante sur la stabilité de l'Irak. D'ailleurs, il continue d'y opérer de façon larvée principalement dans deux zones : Mossoul et la province de Ninive, et Kirkouk et sa région.

D'autre part, la victoire militaire contre l'État islamique ne paraît pas encore durable.

Comme l'a souligné Mme Myriam Benraad devant votre commission d'enquête, « les acteurs locaux de part et d'autre de la frontière irako-syrienne doivent cependant, pour une très large part, leurs victoires à l'appui militaire de la coalition - ce qui pose, sur le long terme, la question de la reconstitution d'un appareil militaire viable pour consolider ces gains et éviter un retour des djihadistes ».

D'une action majoritairement militaire, la coalition devra basculer dans un registre plus sécuritaire. Après avoir formé et équipé des forces militaires, elle devra porter ses efforts sur les forces de sécurité (police, garde-frontières, contre-terrorisme), encourager la constitution d'une autorité judiciaire indépendante, faciliter les projets de reconstruction pour accélérer le retour des populations déplacées et soutenir la reprise économique pour offrir un emploi à la jeunesse sans considération ethnique (arabe, kurde) ni religieuse (sunnite, chiite, chrétien).

Que se passera-t-il lorsque la pression occidentale retombera ? Le précédent de la situation en Afghanistan n'incite guère à l'optimisme...

2. Pour autant, l'État islamique reste une organisation terroriste fonctionnelle

L'État islamique est à ce jour très largement défait sur le plan militaire en Syrie et en Irak. Votre commission d'enquête est cependant convaincue que, malgré les revers subis, Daech n'est pas détruit et la menace terroriste qu'il représente n'a pas disparu : elle a seulement muté. En effet, les organisations djihadistes présentent d'importantes capacités d'adaptation si bien que Daech reste une organisation terroriste fonctionnelle, capable d'inspirer, voire de porter des attentats.

a) Sur le terrain, la menace djihadiste se transforme plus qu'elle ne disparaît

Rétrospectivement, il apparaît que la chute de l'État islamique en Irak, proclamée par le Premier ministre irakien, Haïder al-Abadi, le 9 décembre 2017, l'a été sans doute un peu précipitamment.

En effet, ce groupe terroriste représente une menace durable et évolutive . Son histoire n'est très probablement pas terminée et son influence perdure . L'organisation s'appuie sur des réseaux de solidarité tribale et sur une présence diffuse dans des zones sanctuaires, cherchant désormais moins l'affrontement direct avec les troupes gouvernementales.

De ce point de vue, l'attitude de Daech après ses défaites militaires est intéressante à observer. Dans ce nouveau contexte, elle fait preuve d' opportunisme : sa stratégie évolue et se caractérise par la lutte asymétrique . Elle mise désormais moins sur un califat territorial au Levant que sur un État en « collier de perles » avec des franchises dans différents territoires qui se relocalisent et attend une situation plus favorable qui lui permettrait de nouveau d'atteindre ses objectifs. Cette implantation en « collier de perles » est à la fois un enjeu symbolique, car il s'agit pour l'organisation de continuer à rayonner en utilisant sa propagande, et un moyen de régénérer sa structure en évitant de s'exposer sur un seul théâtre, comme c'est le cas actuellement au Levant.

Sur le terrain, la perte de ses derniers territoires incite l'État islamique à la clandestinité , avec une posture de harcèlement et de résistance . Au cours de son audition, Mme Myriam Benraad a fait observer que « l'État islamique est revenu à la guérilla et à la clandestinité, lançant des opérations contre les armées et les institutions qui symbolisent le retour de l'État. Les civils sont moins visés. En Irak, des zones jusqu'à présent épargnées sont touchées, comme le Sud. Autour de Bassora, les djihadistes ont fait la preuve, avec des embuscades et des incidents armés, de leur capacité à se redéployer à la faveur des absences ou des dysfonctionnements de l'État, y compris dans des zones où ils n'étaient pas présents ».

Cette situation illustre la transformation du modus operandi de Daech qui a basculé dans une logique insurrectionnelle, basée sur des cellules clandestines . Elle est en train de muter en un groupe insurgé syro-irakien qui multiplie les opérations de guérilla, dont l'impact est du reste accru par le relatif désengagement des forces kurdes, accaparées actuellement par la défense de leur zone d'influence face à l'armée turque. Ce relatif désintérêt peut permettre à l'État islamique de retrouver de l'oxygène.

En Irak, Daech passe d'une terreur généralisée sur l'ensemble de la population à des cellules terroristes procédant à des attaques ciblées et asymétriques, par exemple avec des voitures piégées. Mme Hélène Sallon a ainsi précisé que, dans les Monts Hamrin, au Sud du Kurdistan irakien, qui constituent une zone de présence des djihadistes, « on a vu la résurgence d'un groupe qui se fait appeler les white flags . C'est une zone d'insurrection depuis 2003. Ils harcèlent les forces de sécurité, font des embuscades. Récemment, ils ont égorgé 27 policiers des forces locales de sécurité. Cette zone n'a jamais été totalement maîtrisée par les Irakiens ». En Syrie, la situation de guerre civile engendre de la confusion et la fongibilité est grande entre les groupes d'opposants à Bachar al-Assad et Daech , puisqu'ils ont le même ennemi...

Dans sa zone de repli, l'État islamique peut survivre longtemps et tant qu'il survivra, la menace perdurera.

b) Daech adapte son discours, tout en maintenant ses objectifs

Comme l'a dit une des personnes auditionnées par votre commission d'enquête, « tant que Daech survivra dans sa représentation physique et géographique, il construira sa légende ».

Or, l'État islamique a parfaitement compris que sa « réputation » et son image auprès des islamo-djihadistes étaient ses principaux atouts. C'est pourquoi il adapte son discours au contexte nouveau résultant de sa défaite militaire .

Ce discours s'appuie d'abord sur une mythologie, celle de la « défaite apparente » , à destination de ses partisans potentiels. M. François-Bernard Huyghe, directeur de recherche à l'Institut de relations internationales et stratégiques, l'a très bien expliqué devant votre commission d'enquête : « Les propagandistes de Daech ne sont pas stupides. La littérature djihadiste martèle un argument : « Ne croyez pas en la défaite apparente ». En bons salafistes, ils nourrissent une vision mythique dans laquelle les événements actuels ne sont que la reproduction des événements du VII e siècle. L'histoire n'existe que parce qu'elle se reproduit dans le jeu de la volonté divine. On appelle donc les musulmans à se souvenir de la bataille du fossé, durant laquelle ils paraissaient perdus, mais qu'ils ont finalement gagnée face à des ennemis beaucoup plus puissants. Ce discours s'articule autour de l'idée selon laquelle les vrais croyants savent qu'une défaite apparente est la garantie d'une victoire plus grande. [...] la perspective des militants de Daech est millénariste, ils attendent la bataille finale, dans quelques années, à l'issue de laquelle les bons iront au paradis ».

Ce mythe recoupe d'ailleurs en partie certaines réalités du terrain. L'État islamique est l'héritier de l'État islamique d'Irak créé en 2006 qui a déjà connu des défaites. Le « califat » qu'il avait instauré, s'il ne faut évidemment pas sous-estimer sa portée, ne serait-ce que symbolique, constitue une parenthèse assez brève dans la construction de l'État islamique , celui-ci n'ayant pas commencé à exister en 2014, date à laquelle l'Occident en a pris conscience. Comme l'a fait observer une personne entendue par votre commission d'enquête, « aujourd'hui, les effectifs ou les têtes pensantes de l'État islamique en Irak ou en Syrie, qui sont inconnues du grand public, sont en retrait et réfléchissent toujours. Ils ont le temps, tandis que nous avons des montres. Les djihadistes [...] attendent pour capitaliser sur le pourrissement de cette situation ».

L'ancien Premier ministre Manuel Valls, lors de son audition, n'a pas dit autre chose : « Le temps des islamistes n'est pas le nôtre. Pour eux, il s'agit certes d'une défaite, mais c'est une étape. Daech est ainsi la troisième ou quatrième phase d'une réflexion qui a commencé avec Ben Laden, voire sans doute auparavant. Ils se reconstruiront ».

Daech se trouve actuellement dans une phase où il diffère son objectif du califat à une temporalité plus propice, qui dépendra à la fois du contexte et d'événements stratégiques tels qu'un soulèvement populaire ou la révélation d'une fragilité majeure d'un État de la région.

Ensuite, l'État islamique poursuit sa logique de visibilité médiatique qui est désormais devenue une priorité pour lui. Comme l'a dit l'ancien Premier ministre Manuel Valls à votre commission d'enquête, « pour Daech , il y a une victoire à avoir réussi à convaincre des milliers de personnes que l'ennemi est l'Occident ». Il s'agit donc d' entretenir son aura par la propagande .

Beaucoup de ses infrastructures ayant été bombardées, et ses experts tués ou neutralisés, les capacités de l'État islamique à diffuser des messages ont naturellement considérablement diminué, mais elles n'ont pas disparu. Comme l'a relevé M. François-Bernard Huyghe, « des textes de Daech sont encore publiés. Hier [la veille de son audition, soit le 5 mars 2018] , j'ai pris connaissance d'un communiqué suggérant de porter la bataille en Afghanistan et au Pakistan, c'est-à-dire au Khorassan. L'argument est le suivant : certes, le califat semble fini, mais il y a eu des périodes dans l'histoire de l'Islam durant lesquelles nous n'étions qu'une petite bande courant dans le désert ; continuez le combat au Khorassan ».

Enfin, le contenu du message de Daech évolue également : il n'incite plus à une posture classique contre l'Occident et ses alliés en attirant des combattants étrangers sur les théâtres d'opérations, mais appelle à une résistance plus large, à la fois contre le monde occidental et les différents apostats . Par ailleurs, il revendique les passages à l'acte autonomes d'acteurs isolés , soit reconnus comme appartenant à la mouvance radicale intérieure, soit souffrant de troubles psychologiques ou psychiatriques. En dépit de sa défaite sur zone, l'État islamique continue donc d'inspirer de telles actions à travers sa propagande, dont l'intensité a pourtant diminué.

Sur le fond, cependant, ce changement de discours de l'État islamique ne s'accompagne en rien d'une évolution de ses objectifs. À cet égard, comme l'a indiqué Mme Myriam Benraad devant votre commission d'enquête, « le repli de l'État islamique ne signifie pas que la France est sortie des radars djihadistes ; au contraire, ces derniers rappellent régulièrement que notre pays reste un ennemi viscéral ».

Les raisons pour lesquelles la France est une cible privilégiée de l'État islamique sont nombreuses. La France est intervenue aux côtés de la coalition en Irak puis en Syrie - il convient de rappeler que certains djihadistes ayant côtoyé Abdelhamid Abaaoud, le commanditaire opérationnel des attentats du 13 novembre 2015, ont indiqué vouloir frapper la France pour lui faire changer sa politique étrangère. Dans un enregistrement, Rachid Kassim a également indiqué que l'État islamique arrêterait de frapper la France si cette dernière arrêtait de frapper la Syrie. Mais d'autres causes existent : la laïcité à la française, les interventions de la France au Sahel, la perception selon laquelle la France cherche à influencer les États musulmans, etc.

c) Les djihadistes disposent encore d'un « trésor de guerre » et reconstitueraient leurs financements

Bien que l'État islamique ait perdu la quasi-totalité du territoire qu'il avait conquis, il dispose toujours de ressources financières conséquentes et continue de bénéficier du fruit des trafics qu'il avait mis en place . En effet, les mouvements terroristes se financent largement par l'économie informelle. Dans le Sahel et l'Afrique de l'Ouest par exemple, la contrebande de cigarettes engendre des revenus considérables, dont il est réaliste de penser, sans que l'on dispose toutefois d'informations fiables sur les sommes en jeu, qu'ils ont contribué à financer des groupes terroristes.

Les services de renseignement entendus par votre commission d'enquête lui ont indiqué que les chefs de Daech avaient anticipé depuis plusieurs mois leur défaite militaire et pris des dispositions en matière financière ou logistique à même d' assurer la survie de l'organisation .

En outre, la solidarité financière demeure forte entre les différents groupes djihadistes ralliés au califat, même si une part de leurs ressources provient de l'économie des rançons.

Enfin, selon une information communiquée par les services de renseignement à votre commission d'enquête, l'État islamique reçoit des subsides issus de collectes réalisées, à plus ou moins grande échelle, lors de prêches.

Ce qui paraît plus inquiétant encore, c'est que, comme l'a indiqué Mme Hélène Sallon lors de son audition, « les djihadistes reconstituent leurs financements » . Elle a ainsi précisé qu' « ils ont investi de petites sommes dans des fermes piscicoles, dans les compagnies de taxi, les bureaux de change, les sociétés d'import-export. Ils ont réussi à entrer sur le marché des enchères des banques centrales. Leur micro-business leur permet de financer les combattants en cellule dormante et les familles des martyrs. Cela permet d'entretenir un mythe et la possibilité d'une résurgence, de plus en plus proche ».

Elle a publié un peu plus tard un article très documenté 9 ( * ) dans lequel elle explique que « plus de 400 fermes piscicoles - légales et illégales -, sur les 2 000 qui fournissent Bagdad et sa périphérie en carpes, ont été identifiées comme liées à l'EI et démantelées en 2015 et 2016 ». Rapportant les propos d'un expert irakien des mouvements djihadistes, elle indique « on estime que le groupe détient encore des ressources financières pour assurer sa survie pour quinze ans ». Selon ce même expert, l'EI aurait investi de 250 à 500 millions de dollars dans des sociétés irakiennes. « Les sources de revenus de l'organisation sont aujourd'hui dispersées dans une myriade de sociétés-écrans, difficiles à confondre, gérées par des intermédiaires de confiance qui n'appartiennent pas à l'EI », écrit Mme Hélène Sallon. Selon elle, « les bureaux de change sont l'outil de prédilection de l'EI pour blanchir et transférer son argent, distribuer les salaires à travers le pays et convertir ses dinars irakiens en dollars » - plusieurs dizaines de bureaux de change à Bagdad seraient liés à l'EI. Le contexte général en Irak, marqué par l'absence de culture bancaire et par une forte corruption, est propice à cette situation.

Au total, si l'État islamique recule indéniablement sur le théâtre d'opérations syro-irakien, il est encore très loin d'avoir disparu, et la menace qu'il représente demeure. Non seulement l'idéologie qui le sous-tend ne faiblit pas, mais les groupes djihadistes profitent des situations de chaos, de guerre civile et de zones non gouvernées pour s'enraciner sur le terrain.

3. Le contexte géopolitique reste propice au djihadisme

Depuis plus de vingt ans, le djihadisme ne faiblit pas, mais se déplace et se recompose. De l'Afrique de l'Ouest à l'Asie du Sud-Est, en passant par la Somalie et le Levant, l'évolution du phénomène djihadiste est marquée par la prolifération d'enclaves et de guérillas persistantes, voire de proto-États bénéficiant parfois du soutien, voire du concours des populations locales.

Les facteurs qui ont conduit au développement du djihadisme n'ont pas disparu. Ce phénomène n'a donc aucune raison de disparaître à court ou moyen terme.

a) Le djihadisme serait la manifestation d'un continuum idéologique

Au cours de son audition devant votre commission d'enquête, M. Mohamed Sifaoui, journaliste, écrivain et réalisateur, a considéré qu' « il y a un continuum idéologique entre le terrorisme qui a ciblé la France au cours des années 1990, celui qui a ciblé ensuite l'Occident et le monde entier, y compris musulman, de manière générale, durant les années 1990 et 2000, et enfin celui que l'on connaît sous la forme actuelle ». Selon lui, « Daech n'a fait en réalité que révéler et amplifier un phénomène existant en France depuis plusieurs années. Pour comprendre le terrorisme islamiste, il faut l'appréhender de manière globale ».

M. Sifaoui estime que la religion islamique a été dévoyée par des considérations politiques qui l'ont conduite à l'extrémisme et au sectarisme : « L'islam , au niveau mondial, est largement phagocyté [...] par deux pensées extrémistes , et souvent violentes, au caractère incontestablement politique. Ces deux pensées ont politisé et idéologisé l'islam . Elles ont fait de l'islamisme une norme, et de ses préceptes des référentiels. Ainsi, au nom de l'islam, les différents courants islamistes ont livré à leurs adeptes la position à adopter - par exemple face à des valeurs comme la démocratie, la laïcité, les droits de l'Homme ou face aux autres religions ».

Il a précisé son analyse au cours de son audition : « La pensée wahhabite - celle inspirée et propagée durant de longues années par l'Arabie saoudite - et la pensée des Frères musulmans , confrérie née en 1928, sont les deux logiques qui ont pris en otage la religion musulmane et les musulmans eux-mêmes . Cette réislamisation d'une grande partie du monde musulman et des populations musulmanes vivant en Occident, selon des logiques extrémistes, est le résultat d'une campagne de prosélytisme de ces deux écoles ». Ainsi, « ce sont ces deux pensées qui constituent le coeur de la doctrine salafiste qui comporte, il est vrai, plusieurs courants. Toutefois, ils se rejoignent tous en un élément essentiel : l'islam est considéré par les adeptes du salafisme comme un absolu englobant et ses textes doivent en toute circonstance et en tout lieu supplanter les législations et les lois ».

Selon lui, « le terrorisme - c'est-à-dire le djihad - vise en définitive soit à assoir cette vision binaire du monde, soit à l'imposer sinon à punir ceux qui ne se soumettent pas à cette même logique ou ceux qui la combattent ».

Or, il convient de constater que ce continuum idéologique se décline également au niveau géographique .

b) L'État islamique n'est pas la seule organisation djihadiste

L'État islamique n'est pas le seul mouvement djihadiste, et le théâtre d'opérations syro-irakien n'est pas le seul foyer de djihadisme.

Comme l'a fait remarquer le responsable d'un service de renseignement entendu par votre commission d'enquête, la menace terroriste d'inspiration islamiste est particulièrement élevée dans les zones de crise que sont l'Afrique du Nord, la bande sahélo-saharienne, le Proche et Moyen-Orient ou la zone afghano-pakistanaise.

En premier lieu , Mme Myriam Benraad a souligné que « le discours est concentré sur l'État islamique, mais il existe d'autres factions djihadistes vers lesquelles certains combattants de celui-ci font désormais mouvement ».

Les services de renseignement considèrent que la menace djihadiste est le fait de plusieurs organisations telles qu'Al-Qaïda, Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) ou encore Boko Haram, dont certaines disposent d'outils de propagande à l'échelle mondiale.

Au cours de son audition, M. Nicolas Hénin a estimé que « l'État islamique et Al-Qaïda sont deux organisations également dangereuses pour notre pays et ses intérêts, qui se situent largement dans la bande sahélo-saharienne... où l'État islamique n'est pas le mieux représenté ». Selon lui, « il [faut] voir la compétition entre ces deux groupes comme un élargissement de « l'offre » djihadiste ».

L'affaiblissement de Daech au Levant se traduit par une réaffirmation d'Al-Qaïda et de ses affiliés . En effet, l'échec du projet califal du premier vient conforter la stratégie de second qui répond à un agenda internationaliste de long terme. Il pourrait inciter certains des combattants de l'État islamique déjà présents en Syrie ou en Irak et déçus par cet échec à rejoindre les filiales d'Al-Qaïda ou les groupes appartenant à la mouvance qaïdiste, notamment ceux présents en Syrie - où l'on observe ainsi une certaine porosité entre Daech et Al-Qaïda, ce phénomène restant toutefois pour l'instant localisé à la poche d'Idlib.

Contrairement à Daech qui a construit son projet autour d'un modèle de djihad territorialisé, Al-Qaïda s'est toujours pensé et construit avec un dessein global. Avec sa structure déterritorialisée qui vise, aussi, à l'établissement, à terme, d'un califat, Al-Qaïda s'inscrit pour l'instant dans une dimension plus intellectuelle du djihad lui permettant d'asseoir son rôle d'acteur de la contestation dans le monde musulman.

La force d'Al-Qaïda réside dans sa stratégie qui vise dans un premier temps à renforcer sa présence dans ses lieux d'implantation principaux tels que la bande sahélo-saharienne, la Péninsule arabique ou le Levant puis, dans un second temps, à disséminer et multiplier des filiales dans plusieurs régions du monde - cette organisation détient des branches régionales telles que les Shebab en Somalie, Al-Qaïda dans la Péninsule arabique au Yémen ou encore le Groupe pour le soutien de l'islam et des musulmans (GSIM) au Sahel. Ainsi, à moyen terme, Al-Qaïda devrait poursuivre sa stratégie de renforcement de ses emprises locales pour mieux réaffirmer son ambition internationale. L'exemple le plus emblématique de cette stratégie s'observe notamment dans la bande sahélo-saharienne avec l' unification des groupes terroristes maliens . Si la dimension locale reste un élément essentiel de la stratégie globale d'Al-Qaïda
- on le voit également en Syrie, où Al-Qaïda s'inscrit dans une tendance djihadiste nationaliste, contre le régime de Bachar el-Assad -, celle-ci ne remet pas en cause sa velléité à se maintenir comme un acteur majeur du djihad sur le long terme.

Les organisations djihadistes oscillent ainsi en permanence entre le terrain local et niveau global.

Par ailleurs, Al-Qaïda et ses groupes affiliés ont saisi l'opportunité d' occuper l'espace médiatique . Il y a peu, l'émir d'Al-Qaïda, Ayman al-Zawahiri, incitait dans une vidéo les musulmans du Maghreb islamique à se battre contre l'État français. De même, depuis la fin 2017, on note une attention particulière de cette organisation terroriste pour la traduction de ses documents de propagande en langue française, notamment par l'intermédiaire d'une nouvelle société médiatique, Al Kifah. Le 8 janvier 2018, elle a ainsi commémoré les trois ans de l'attaque contre Charlie Hebdo en publiant trois photomontages en arabe, anglais et français pour rendre hommage aux frères Kouachi.

En second lieu - et il convient de citer une fois encore Mme Myriam Benraad - « d'autres foyers de djihadisme ont émergé » .

En Libye , la perte de son sanctuaire territorial autour de Syrte, au centre du littoral, par l'État islamique en décembre 2016 a indéniablement affaibli l'organisation. Pour autant, elle a conduit à son redéploiement en plusieurs centaines de cellules disséminées sur l'ensemble du territoire, y compris dans des zones désertiques plus au sud, de telle sorte que Daech n'a pas disparu de Libye et continue de se manifester régulièrement, en particulier dans la zone d'Ajdabiya. D'ailleurs, les États-Unis ont effectué plusieurs raids aériens contre des positions djihadistes. Et le gouvernement de Tripoli a engagé, le 2 avril dernier, une opération, nommée Tempête de la patrie, contre les réseaux résiduels de Daech . Quant au maréchal Haftar, qui contrôle l'est du pays, il a lancé une opération pour récupérer Derna, une ville côtière contrôlée par une coalition de milices islamo-djihadistes proches d'Al-Qaïda.

En Égypte , l'armée a déclenché une offensive contre les groupes actifs au Sinaï, même si la présence djihadiste dans cette région est une réalité depuis des décennies.

Des opérations de plus en plus fréquentes sont également menées en Afghanistan .

Le continent africain constitue aussi un foyer de djihadisme et un lieu de convergences entre organisations djihadistes.

Ainsi, selon les services de renseignement, un rapprochement a eu lieu entre les factions de Daech en Afrique de l'Ouest, un an exactement avant l'attentat de Ouagadougou, au Burkina Faso, le 2 mars 2018, en vue de fédérer tous les groupes terroristes, dont l'État islamique dans le Grand Sahara. Même si Al-Qaïda est plus éloignée, une fusion serait envisagée dans le futur, avec une meilleure coordination et une plus grande efficacité de l'action de ces groupes.

Au Mali , l'autorité est désormais revenue à Gao et Bamako, dans le cadre des opérations Serval puis Barkhane. Mais la menace terroriste reste très élevée dans le Sahel et des attaques djihadistes continuent d'y être menées, par exemple celle contre le camp de la Minusma 10 ( * ) à Tombouctou, le 14 avril dernier. Il y a actuellement une reconfiguration du Groupe pour le soutien de l'islam et des musulmans (GSIM), qui a revendiqué l'attaque à Ouagadougou et contre les soldats français. Par ailleurs, on constate une affiliation de certains groupes à l'émirat islamique du Sahara. Ils sont toujours présents dans le nord du Mali, sont descendus vers le centre Mali et la région des Trois-frontières. Bien que durement frappés par l'opération Serval, les groupes djihadistes ont donc fini par se réorganiser au Sahel.

c) Le risque de dissémination de mouvements djihadistes vers d'autres théâtres d'opérations

Les services de renseignement s'inquiètent du risque de dissémination de combattants terroristes étrangers , dont certains ont été formés à l'usage des armes et aux techniques de combats.

Les revers militaires de Daech au Levant ont provoqué un éclatement. Avant cela, les djihadistes se trouvaient à Mossoul ou à Raqqa, mais ce n'est plus nécessairement le cas. Il faut donc être capable de repérer les traces de ceux qui fuient le théâtre d'opérations syro-irakien pour d'autres foyers de djihadisme.

Les destinations potentielles sont nombreuses , même si les dynamiques sont différentes selon les territoires.

L'Afghanistan constitue sans doute la principale. Il existe dans ce pays une filiale de l'État islamique, de taille réduite, mais qui, selon M. Nicolas Hénin, « prend le contrepied de la stratégie des talibans : tandis que ceux-ci se trouvent sur une ligne orthodoxe traditionnelle [...] l'État islamique recrute, un peu comme en Europe, les jeunes éduqués, périurbains, souvent déplacés, qui n'ont guère connu que la présence internationale, dont les familles avaient parfois espéré du bien de l'intervention américaine, mais qu'eux ont appris à détester ».

Mme Myriam Benraad a indiqué à votre commission d'enquête que l'Afghanistan fait un retour notable dans le discours djihadiste . Elle a ainsi noté que « l'État islamique a publié, le 4 mars, une vidéo appelant les musulmans à la hijra , c'est-à-dire à la migration vers ce pays, appelé Khorassan - sa dénomination médiévale - dans la vidéo, pour le replacer au coeur de la menace transnationale. Bien que l'Afghanistan soit sorti du champ de visibilité des populations occidentales, rien n'a véritablement été résolu : il subsiste un paysage insurgé très morcelé, avec des factions qui se font la guerre ». Ainsi une trentaine de cadres de Daech se seraient-ils déjà rendus en Afghanistan avec l'intention de renforcer l'implantation de la branche locale de cette organisation. Le 30 avril dernier, un double attentat à Kaboul, au cours duquel au moins vingt-cinq personnes ont trouvé la mort, a été revendiqué par l'État islamique.

En ce qui concerne la présence de Français en Afghanistan, il est probable que ceux-ci, environ une dizaine - trois ressortissants français ont été tués sur place début avril -, aient décidé de rejoindre directement la zone afghano-pakistanaise depuis la France ou un autre pays, sans passer par le théâtre d'opérations irako-syrien. L'Afghanistan ne serait donc pas une base de repli pour ces djihadistes, d'autant plus qu'il n'existerait pas de structures d'accueil pour les combattants étrangers 11 ( * ) .

Le rapprochement entre les talibans et Daech dans ce pays aurait toutefois peu de risques de se réaliser en raison d'une forte opposition des zones contrôlées par les talibans et du Khorassan, région adossée à la frontière avec le Pakistan.

La Libye, le Sinaï égyptien, le Yémen, les Balkans ou la Somalie constituent d'autres destinations possibles.

En Libye , Daech a néanmoins déjà subi l'échec d'un projet califal en 2016, poussant ses combattants à fuir vers d'autres territoires africains. Aujourd'hui, le pays peut représenter une terre de refuge, notamment pour quelques combattants expérimentés originaires d'Afrique du Nord, mais ne semble plus offrir les conditions d'une nouvelle territorialisation de l'organisation.

En Égypte , le ralliement, en novembre 2014, de groupes locaux du Sinaï à l'État islamique sous la dénomination de Daech wilaya Sinaï a donné à cette cellule terroriste une aura internationale, mais elle conserverait néanmoins une dimension surtout régionale. Elle est composée essentiellement de combattants locaux et ses actions répondent à une logique insurrectionnelle classique. De plus, les campagnes anti-terroristes conduites par les forces de sécurité égyptiennes contribuent vraisemblablement à dissuader le commandement de Daech d'un repli massif vers ce territoire.

Au Yémen , les wilayas de Daech sont marginales et ne contrôleraient aucun territoire. L'attraction du groupe terroriste reste concurrencée par celle d'Al-Qaïda qui prédomine largement en raison de son implantation historique dans la région.

Dans les Balkans , des retours de ressortissants de la région partis faire le djihad sont observés, mais il n'y a pas de flux massif et ces mouvements seraient suivis avec attention par les autorités locales.

Le Sahel est une autre destination possible pour les combattants terroristes étrangers. Dans un contexte marqué par des trafics divers, la pauvreté et d'importants flux migratoires, les terroristes en provenance du Levant seraient encore peu nombreux, mais l'on peut y observer l'existence de flux avec la Libye, de même que, depuis les années 1990, il en existe entre l'Algérie et le Sahel.

Plusieurs sources, y compris les services de renseignement, ont indiqué à votre commission d'enquête que le continent asiatique comporte d'autres terrains possibles de migration de djihadistes , en particulier la Birmanie et le Bangladesh , où la crise des Rohingyas pourrait être instrumentalisée, mais aussi l'Indonésie , plus grand pays musulman du monde et où, les 13 et 14 mai derniers, deux familles, dont l'une de retour de Syrie, ont perpétré des attaques suicides, revendiquées par l'EI, dans l'est de l'île de Java, ainsi que les Philippines et la Malaisie , pays vers lesquels fuient des djihadistes de Daech , et qui font l'objet d'une surveillance particulière de nos services de renseignement. La fuite vers l'Asie donne aux djihadistes la quasi-assurance de ne pas avoir à subir de conséquences judiciaires de la part des autorités de ces pays.

Toutefois, de l'avis convergent de nombreuses personnes auditionnées par votre commission d'enquête, cette dissémination des djihadistes est relativement limitée pour l'instant et constitue surtout un risque, à ne pas négliger néanmoins.

D'abord, il est très difficile de sortir de la zone et les axes de fuite sont particulièrement surveillés.

Ensuite, il ne semble pas, jusqu'à présent, y avoir de stratégie de relocalisation pensée par l'état-major de Daech : les déplacements sont plutôt le fruit de flux individuels, et non d'une relocalisation planifiée . On observe d'ailleurs que ce sont surtout les djihadistes étrangers qui cherchent à fuir car ils savent qu'ils n'ont pas d'appuis locaux - il y a par exemple des retours vers le Maghreb, certains djihadistes binationaux pouvant être tentés de rejoindre l'Afrique du Nord dans l'espoir de se soustraire aux poursuites judiciaires dont ils font l'objet en France.

Dans la majorité des cas néanmoins, les combattants terroristes étrangers font le choix de rester sur zone où ils entrent dans la clandestinité ou continuent le combat soit en rejoignant des groupes toujours actifs soit en combattant sous de nouvelles formes (guérilla). En outre, certains d'entre eux - c'est le cas des Français - savent qu'ils seront judiciarisés à leur retour dans leur pays, ce qui ne les incite pas à rentrer. On constate donc une relocalisation interne à la Syrie, vers la ville d'Idlib notamment.

La majorité des combattants cherchant à quitter la zone syro-irakienne tentent de rejoindre la Turquie . Les tentatives s'effectuent généralement en convois, au sein desquels les djihadistes, parfois accompagnés de leur famille, soit se dissimulent dans les flux de réfugiés, soit suivent des passeurs dont la vénalité entraîne souvent leur arrestation. Les escroqueries sont nombreuses et les djihadistes sont souvent arrêtés par les forces kurdes après avoir dépensé plusieurs milliers d'euros.

d) Les facteurs structurels de la radicalisation djihadiste n'ont pas disparu

Plusieurs personnes entendues par votre commission d'enquête ont insisté sur le lien entre persistance de facteurs géopolitiques déstabilisants et maintien de la menace terroriste . Si des opérations militaires peuvent défaire des organisations djihadistes, comme c'est le cas pour l'État islamique au Levant, elles ne font pas disparaître les causes du succès de ces organisations ni de l'audience qu'elles peuvent rencontrer auprès des populations.

Comme l'a dit une personne auditionnée par votre commission d'enquête, « la victoire militaire contre les djihadistes s'est déjà déroulée plusieurs fois : ceux-ci ont été chassés des villes, mais sont chaque fois revenus. L'enfant de dix ans dans un camp de réfugiés dans le désert d'Anbar sera apte, dans les deux ans qui viennent, à porter une kalachnikov. Les raisons objectives de leur montée en puissance se sont aggravées ».

En effet, les facteurs structurels de la radicalisation djihadiste demeurent .

Le contexte de guerre , avec les violences qu'il recèle - centaines de milliers de morts et de blessés, destruction de villages et de villes entiers, bombardements, millions de réfugiés vivant dans des camps et privés de toute perspective -, est favorable à la radicalisation.

Il convient de rappeler que, depuis l'accession au pouvoir du Maréchal al-Sissi en Égypte, la répression au Sinaï a été forte, des villages ont été détruits le long de la frontière avec Gaza et Israël, ce qui a ainsi provoqué la fin des trafics qui permettaient à de nombreux habitants de survivre. Ce sont autant de griefs réels sur lesquels capitalisent les djihadistes.

De même, la situation en Syrie reste plus que précaire. Ainsi Mme Hélène Sallon a-t-elle fait observer que le régime syrien avait certes reconquis son territoire, mais que, dans ce pays, « on est loin d'une réconciliation nationale. Le régime n'est en effet pas en phase de réconciliation avec les populations de ces territoires d'opposition. En outre, le pouvoir syrien n'a pas de prise sur les territoires. Des groupes profitent de cette situation. On est ainsi dans un régime de chefs de guerre. Le régime a perdu beaucoup d'hommes et n'a pas les moyens de stabiliser les zones ».

Or, les seules solutions de nature sécuritaire au terrorisme sont insuffisantes. De ce point de vue, la situation en Irak constitue une très bonne illustration des multiples défis à relever pour détourner les populations minoritaires marginalisées des discours extrémistes .

Les populations libérées en Irak, à Ramadi, à Fallouja et à Mossoul-Est, semblaient, dans leur majorité, rejeter l'expérience de Daech et ne pas regretter sa défaite. Néanmoins, la reconstruction, le retour des déplacés, la reprise de l'économie et la création d'emplois, une réelle inclusion des minorités dans la vie politique nationale et locale et la lutte contre la corruption sont autant de conditions nécessaires pour que la population ne se dresse à nouveau contre le régime irakien sous une forme violente, le cas échéant à travers une nouvelle organisation de type djihadiste.

Parmi les facteurs structurels favorables au djihadisme, figure également le manque d'État ou l'effondrement de l'État , Daech se nourrissant de la fragilité des États.

Mme Myriam Benraad a ainsi expliqué que « toutes ces zones sont travaillées depuis longtemps par le djihadisme qui a attiré une partie de la jeunesse du fait de la défaillance de l'État et d'un environnement de désocialisation », précisant que « c'est la demande d'État des populations qui explique pourquoi elles ont pu, dans certains cas, jouer le jeu des djihadistes qui promettaient un retour de l'ordre et une restauration des fonctions régaliennes. C'est vrai en Irak comme en Libye ». « L'Irak est un État failli depuis 15 ans » a fait observer Mme Hélène Sallon. N'oublions pas qu'en Irak, beaucoup de membres de Daech sont d'anciens officiers baasistes et proviennent d'une partie de la population sunnite marginalisée à la suite de la chute de Saddam Hussein.

On peut donc s'attendre à ce que les djihadistes tirent parti de la fragilité des États pour proliférer. C'est le cas, par exemple, en Tunisie. Comme l'a rappelé l'ancien Premier ministre Manuel Valls, « il y a tous les éléments pour déstabiliser ce pays. Des milliers de Tunisiens et de Marocains sont ainsi partis combattre pour Daech ».

Le fonctionnement lui-même de nombre de ces États constitue un facteur propice à la radicalisation.

Comme l'a rappelé Mme Hélène Sallon, « Saddam Hussein [avait] favorisé la montée du salafisme en Irak pour contrer la prise d'influence des Frères musulmans, fondés en 1928 en Égypte, et aussi en réaction à l'Iran après la révolution islamique et la guerre Iran-Irak de 1980-1988 », les salafistes et les Frères musulmans qui, au départ, prônaient une réforme de l'islam et la lutte contre l'occupant britannique, étant des mouvements concurrents au sein de l'islam politique. Cette journaliste a également fait observer que « la campagne de la foi de Saddam Hussein, qui a consisté à réintroduire l'islam dans l'espace public et à favoriser la formation des imams en Arabie saoudite, a donné lieu à une wahhabisation de la société, qui a également touché l'armée. En outre, la migration de villageois vers la ville a conduit au développement de quartiers de populations salafisées. Certaines zones sont ainsi salafisées depuis 15 à 20 ans ».

En effet, dans beaucoup de pays arabes, les salafistes sont les partenaires du gouvernement. Ainsi, en Algérie, des imams salafistes participent à la rédaction du contre-discours. Même si le salafisme n'est pas en opposition avec les valeurs de ces pays.

Comme l'a fait observer M. Manuel Valls, « en Égypte, pour des raisons stratégiques, après l'épisode du Président Morsi, nous avons fait du Maréchal al-Sissi un allié. Or, il considère devoir donner des gages aux islamistes sur le plan religieux. On assiste ainsi à une vague de puritanisme dans ce pays. L'islam continue son mouvement vers le conservatisme et une certaine conception de la société ». Le régime égyptien voudrait en particulier faire adopter une loi réprimant l'athéisme.

Enfin, l'échec des expériences démocratiques et les espérances déçues des « printemps arabes » peuvent aussi conduire à la frustration, ensuite récupérée par les islamo-djihadistes.

Le cas le plus emblématique, d'après une personne auditionnée par votre commission d'enquête, est celui de l'Égypte où, après le renversement du régime du Président Moubarak, le Président élu, issu des rangs des Frères musulmans, a été destitué par l'armée à l'issue d'un coup d'État, soutenu par les Émirats arabes unis et l'Arabie saoudite, et toléré par les pays occidentaux. Selon cette personne, peut-être eût-il été préférable de leur laisser le pouvoir pour que les Frères musulmans témoignent, à court terme, de leur incapacité à gouverner ? Toujours est-il que ce coup d'État a conduit les djihadistes à rappeler que seul le choix des armes s'avérait opportun... Le risque est en effet que le verrouillage politique opéré par des régimes forts, mais instables, ne conduise, en particulier chez les jeunes, à un rejet de toute solution démocratique au profit du radicalisme.

Aujourd'hui, la seule offre révolutionnaire sur le « marché » est l'offre djihadiste , à l'instar de l'offre communiste violente au XX e siècle et l'offre révolutionnaire armée au XIX e siècle.

Au total, les conditions objectives du maintien de la présence de Daech ou de la renaissance des mouvements djihadistes sont réunies.

C'est pourquoi la disparition complète de l'État islamique, au moins sous sa forme idéologique, ne paraît pas envisageable à court terme .

Cette idéologie continue même de représenter une menace - la principale menace dans le contexte actuel - en France.


* 4 Zone constituée des trois départements limitrophes de la ville de Paris : les Hauts-de-Seine, la Seine-Saint-Denis et le Val-de-Marne.

* 5 Voir en particulier le rapport (n° 388 ; 2014-2015) du 1 er avril 2015, établi par M. Jean-Pierre Sueur, Mme Nathalie Goulet et M. André Reichardt étant co-présidents, au nom de la commission d'enquête sur l'organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe.

* 6 Le califat avait été aboli par une décision de la Grande Assemblée nationale de Turquie, le 3 mars 1924.

* 7 Voir par exemple le rapport intitulé Poursuivre et punir les crimes contre l'humanité voire l'éventuel génocide commis par Daech, du 22 septembre 2017, établi par M. Pieter Omtzigt (Pays-Bas - PPE/DC) au nom de la commission des questions juridiques et des droits de l'Homme de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (document 14402).

* 8 Les combattants terroristes étrangers ont été définis par la résolution 2178 du Conseil de sécurité des Nations Unies du 24 septembre 2014 comme « des individus qui se rendent dans un État autre que leur État de résidence ou de nationalité, dans le dessein de commettre, d'organiser ou de préparer des actes de terrorisme, ou afin d'y participer ou de dispenser ou recevoir un entraînement au terrorisme, notamment à l'occasion d'un conflit armé ».

* 9 Article intitulé En Irak, la difficile traque de l'argent de l'EI , publié dans Le Monde daté du mercredi 25 avril 2018.

* 10 Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali.

* 11 Voir l'article intitulé Trois Français engagés dans l'EI tués en Afghanistan , publié dans le journal Le Monde daté du 14 avril 2018.

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