EXAMEN EN COMMISSION

La commission des affaires européennes s'est réunie le jeudi 8 novembre 2018 pour l'examen du présent rapport. À l'issue de la présentation faite par Mme Laurence Harribey et M. Pierre Médevielle, le débat suivant s'est engagé :

M. Pierre Ouzoulias . - Mon groupe votera en faveur de cette proposition de résolution, tout à fait équilibrée.

Nous travaillons sur ces problématiques au sein de l'OPECST et le rapport que nous sommes en train d'élaborer recoupe très largement les points évoqués ici.

Dans cette matière, nous ne devons pas reporter la totalité de la charge de la décision politique sur l'organisme scientifique. Il nous revient de décider à quel niveau nous voulons placer la sécurité des aliments et, en fonction, attribuer à l'EFSA les moyens lui permettant de répondre aux attentes. Ses représentants nous ont expliqué qu'ils faisaient ce qu'ils pouvaient avec leur petit budget, ridicule à l'échelle européenne.

S'agissant de la qualité des études, on se réfère aux « études académiques validées par les pairs ». Pourtant celles-ci ont de moins en moins de valeur car, aujourd'hui, l'intérêt d'une revue pour une étude scientifique peut dépendre du nombre de zéros alignés sur un chèque en échange de cette publication.

Enfin, les chercheurs financent désormais une bonne partie de leurs travaux sur fonds privés. D'après l'EFSA, si l'on veut améliorer la fiabilité de ses avis, il faut consacrer plus d'argent à une recherche publique indépendante, notamment à l'échelle nationale. Or, en France, la toxicologie est une discipline complètement délaissée.

M. Pierre Cuypers . - Merci à nos deux rapporteurs. Une molécule, avant sa mise sur le marché, est étudiée par les services d'agrément compétents de chaque pays. Relancer des études, n'est-ce pas remettre en cause l'agrément qui a été donné ? Cela ne revient-il pas à dire que les budgets consacrés à la délivrance de ces agréments ne servent à rien ? N'y a-t-il pas là un gâchis de moyens ?

Mme Gisèle Jourda . - Je veux d'abord saluer la qualité de ce rapport. Je rejoins Pierre Ouzoulias sur le fond. L'EFSA a été instituée après la crise de la « vache folle » pour être une source impartiale d'expertise scientifique, mais les collusions et les conflits d'intérêts restent nombreux. Vous dites dans le rapport que ce motif conduirait aujourd'hui à écarter un quart des experts déjà recrutés : c'est énorme ! À ce propos, sont-ils renouvelés dans leur intégralité ou seulement partiellement ? Quels garde-fous pouvons-nous mettre en place pour éviter les scandales et restaurer la confiance du consommateur dans la chaîne alimentaire ? Il y a quelques années, le rapport de l'EFSA sur le glyphosate faisait un copier-coller des analyses de Monsanto sur le sujet... Bref, je salue la qualité de la résolution, même si les propositions auraient pu être plus ambitieuses sur la prévention des conflits d'intérêts.

M. André Gattolin . - Merci pour ce beau document. Les plus gros lobbies en la matière ne sont pas les ONG ou l'opinion publique, mais les industriels, qui brassent des intérêts colossaux. En 2012, la présidente de l'EFSA elle-même, Mme Banati, a été obligée de démissionner pour avoir dissimulé des liens d'intérêt ! C'est tout de même récurrent, au niveau national comme européen, et cela pose un véritable problème d'autorité de ces organes de régulation. Renvoyer le règlement de ces questions au conseil d'administration ne suffit pas, il faut un regard extérieur systématique. Le Parlement européen joue fréquemment ce rôle, mais il n'a pas de pouvoirs d'investigation.

Demander à chaque pays de présenter douze experts me semble totalement surréel. Chypre ou Malte ne sont pas la France ou l'Allemagne ! D'autant qu'on peut très bien acheter la citoyenneté européenne en achetant la maltaise... Les avis qui seront rendus concerneront plusieurs centaines de millions de consommateurs : pourquoi faudrait-il attribuer un vingt-septième des voix à un État de 300 000 habitants ? Au Parlement européen, c'est une proportionnalité dégressive qui s'applique.

Mme Laurence Harribey , rapporteure . - Il y a un effet mécanique à prendre en compte : à mesure que la part des financements privés s'accroît, le nombre de chercheurs totalement indépendants diminue. Mais soyons raisonnables : le partenariat public-privé est incontournable, compte tenu du coût des recherches, et il n'exclut pas la transparence. Enseignante-chercheure dans une autre vie, j'ai beaucoup travaillé sur la politique de l'eau. Suez avait jadis monté un laboratoire avec des universitaires sur le bassin Adour-Garonne : l'indépendance des recherches a peut-être fait l'objet de débats, mais il faut reconnaître que les chercheurs prédominaient dans sa gouvernance et que jamais un laboratoire exclusivement universitaire aurait pu accomplir le même travail. Il faut donc savoir ce que l'on veut, et garder à l'esprit que la vérité n'existe pas.

Il est évident que la recherche académique change de nature dès lors que les chercheurs sont notés selon le nombre de leurs publications et que s'ouvre un véritable marché de la recherche. Même dans les structures purement académiques se pose parfois la question des conflits d'intérêts. La solution est dans un nouveau modèle de recherche. Gardons cependant à l'esprit que chaque système a ses dérives et que la remise en cause doit être permanente.

Un renouvellement intégral des experts a eu lieu en 2018 : c'est à cette occasion que l'on s'est rendu compte que 25 % des experts ne pouvaient plus le rester. Cela veut bien dire que des progrès sont possibles. Notre résolution demande un audit externe des règles relatives à la prévention des conflits d'intérêts.

M. Pierre Médevielle , rapporteur . - Les inquiétudes de M. Cuypers sont légitimes. En matière de produits phytopharmaceutiques ou d'additifs alimentaires, nous avons parfois des surprises, rarement bonnes : des effets secondaires peuvent apparaître au bout de nombreuses années, parfois vingt ou trente. Cela rend nécessaire l'évaluation continue de ces produits. Mais non, l'argent public dépensé n'est pas jeté par les fenêtres. Une étude d'autorisation de mise sur le marché coûte très cher, souvent des centaines de millions d'euros, et l'étude parfaite n'existe pas : il faut faire preuve d'humilité. Même avec des moyens illimités, le risque zéro n'existerait pas. Il faut donc faire au mieux, et étudier des nouvelles pistes de financement. L'Anses est ainsi financée par des redevances versées lors de la délivrance des autorisations de mise sur le marché, qui lui rapportent chacune 30 000 ou 40 000 euros : cela peut aussi poser des problèmes d'éthique. On peut probablement trouver des conflits à tous les niveaux, et se pose en outre un problème de chronologie : un expert sans tache peut être approché le lendemain de sa nomination par un lobby ou un laboratoire !

M. André Gattolin . - Certes, et les responsables politiques tout autant. Je dis simplement qu'une décision politique doit reposer sur un minimum d'objectivité. Et l'EFSA n'en est pas à son premier problème depuis sa création.

M. Pierre Médevielle , rapporteur . - Il y en a partout, et il y en aura toujours ; la nature humaine est ainsi faite...

Mme Laurence Harribey , rapporteure . - Deux principes me semblent fondamentaux. D'une part, la séparation de l'évaluation scientifique et de la responsabilité politique. La reddition de comptes, la responsiveness, est du ressort du politique. D'autre part, le renversement de la charge de la preuve, introduit dans le droit de l'Union par le règlement REACH en matière de traçabilité des produits chimiques : c'est à l'industriel de prouver que le produit est bon, et non à la victime de prouver qu'il est mauvais. Si les études ont été biaisées, la responsabilité de l'industriel sera mise en cause. L'évolution de la jurisprudence nationale et européenne va dans ce sens.

M. Benoît Huré . - Ce mouvement est intéressant, mais il a ses limites, car on juge un produit selon des connaissances scientifiques qui n'étaient pas disponibles à l'époque de son lancement. Cela renvoie aux débats que nous avons eus sur le principe de précaution. L'humilité, la conscience que le risque zéro n'existe pas, n'excluent pas la vigilance. Autrement dit, il faut bien prendre des risques. Les catastrophes sanitaires n'ont heureusement plus l'ampleur qu'elles ont pu avoir dans le passé. Je me satisfais en tout cas de ce rapport très accessible, y compris pour les non-scientifiques comme moi.

M. André Gattolin . - Ce qui importe, c'est en réalité la transparence : il faut savoir d'où les gens parlent. Ce que j'appelle conflit d'intérêts dès lors, ce n'est pas le fait pour un expert d'avoir travaillé pour tel laboratoire, mais de le cacher ! C'est le vrai problème des instances européennes. L'ancienne présidente de l'EFSA a démissionné pour aller présider le conseil d'administration de l'organisme auquel elle avait caché son appartenance ! Nous sommes sans doute tous dépendants d'une institution, en fonction de notre parcours : il faut simplement que le degré de proximité avec chacune soit connu.

Mme Laurence Harribey , rapporteure . - C'est pourquoi nous demandons, dans le rapport, une évaluation externe des conflits d'intérêts.

M. Pierre Médevielle , rapporteur . - Les dissimuler procède en effet d'une démarche malhonnête.

M. André Reichardt , président . - Monsieur Gattolin, la proposition de résolution ne vous donne-t-elle pas satisfaction sur la nomination des experts nationaux en demandant que l'EFSA puisse publier un appel à manifestation d'intérêt de manière à constituer une liste d'experts qui pourront être nommés en parallèle des listes fournies par les États membres, ainsi qu'en souhaitant l'encadrement de la possibilité pour un État membre de proposer des scientifiques d'une autre nationalité ?

M. André Gattolin . - Ma remarque concernait plus généralement la mauvaise gouvernance européenne, qui exige l'égalité entre les États dans l'attribution des postes - de commissaires européens par exemple - au détriment de l'équité. Les élargissements successifs ont rendu cette logique particulièrement dommageable.

*

À l'issue du débat, la commission, à l'unanimité, autorise la publication du rapport d'information et adopte la proposition de résolution européenne suivante, ainsi que l'avis politique qui en reprend les termes et qui sera adressé à la Commission européenne.

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