D. LES DROITS DE L'HOMME ET L'INFORMATION

1. La place des médias

Mercredi 23 janvier 2019, un débat conjoint s'est tenu sur la liberté des médias en tant que condition pour des élections démocratiques et les médias de service public dans le contexte de la désinformation et de la propagande. Deux résolutions ont été adoptées sur chacun de ces sujets.

Au nom de la commission de la culture, de la science, de l'éducation et des médias, Lord George Foulkes (Royaume-Uni - SOC) a présenté le rapport de Mme Gülsün Bilgehan (Turquie - SOC), qui a quitté l'Assemblée parlementaire à la suite des élections en Turquie, sur la liberté des médias en tant que condition pour des élections démocratiques.

Cette liberté des médias est une condition indispensable pour des élections démocratiques. Les médias doivent pouvoir informer le public en toute indépendance, sans pressions politiques ou économiques, car le choix des électeurs n'est pas réellement libre s'il n'est pas un choix bien éclairé. En particulier, les États membres doivent garantir l'indépendance éditoriale des médias de service public et mettre fin à toute tentative de les influencer ou de les transformer en médias gouvernementaux.

Étant donné leur rôle particulier, les médias du secteur de la radiodiffusion ont des responsabilités spécifiques lors des élections ; les législations nationales devraient prévoir l'obligation pour ces médias de couvrir les campagnes électorales de manière équitable et impartiale. Un environnement médiatique libre, indépendant et pluraliste est une condition essentielle pour contrecarrer la désinformation et la propagande.

Vu l'expansion des médias en ligne et le rôle croissant des médias sociaux, il faut mieux protéger le processus électoral de la manipulation de l'information à travers ces médias et établir clairement leur responsabilité juridique en cas de publication de contenus illégaux préjudiciables aux candidats. Les intermédiaires d'Internet devraient coopérer avec les organisations spécialisées dans la vérification des contenus, pour que toute information soit confirmée par une source tierce qui fait autorité.

Par la suite, M. Petri Honkonen (Finlande - ADLE) a présenté, au nom de la commission de la culture, de la science, de l'éducation et des médias, un rapport sur le rôle des médias de service public dans le contexte de la désinformation et de la propagande.

Dans le nouvel environnement médiatique, où la diffusion de la désinformation, de la propagande et du discours de haine augmente de manière exponentielle, les médias de service public, en tant que sources indépendantes d'informations fiables et de commentaires impartiaux, sont bien placés pour combattre le phénomène du désordre informationnel. Les États membres devraient garantir leur indépendance éditoriale, ainsi qu'un financement suffisant et stable, afin d'assurer un journalisme de qualité qui mérite la confiance du public.

Les médias de service public devraient s'engager résolument dans la lutte contre la désinformation et la propagande, en élaborant des programmes éducatifs pour le grand public et en encourageant l'esprit critique à l'égard des informations et des sources. Ils devraient établir des liens avec les plateformes des médias sociaux, les médias traditionnels, les responsables politiques et d'autres acteurs dans le cadre d'une action commune contre le désordre informationnel.

Les États membres devraient soutenir la recherche sur le désordre informationnel pour mieux comprendre son impact sur le public, ainsi que les collaborations multipartites visant à mettre au point de nouveaux outils de vérification des faits pour les contenus générés par les utilisateurs et de vérification des faits à l'aide de l'intelligence artificielle.

Quant aux intermédiaires d'Internet, ils devraient coopérer avec les médias européens d'information, publics et privés, pour améliorer la visibilité d'actualités fiables et dignes de confiance et en faciliter l'accès des utilisateurs, ainsi qu'avec la société civile et les organisations spécialisées dans la vérification des contenus, afin de garantir l'exactitude de toutes les informations sur les plateformes.

À l'issue de ces présentations, un débat s'est engagé.

M. Bernard Fournier (Loire - Les Républicains) a expliqué que le rapport préconise de s'appuyer sur les médias publics pour lutter contre le désordre informationnel. Selon lui, cette recommandation implique tout d'abord que les médias publics soient totalement indépendants du pouvoir politique et du pouvoir économique, ce qui n'est pas toujours le cas. En outre, les médias de service public n'ont généralement pas les moyens techniques et financiers pour lutter contre le désordre informationnel contrairement aux géants d'Internet qui devraient être davantage mis à contribution. Enfin, il a souligné l'avantage que présentent les collaborations entre les médias publics ou non pour lutter contre le désordre informationnel. En effet, ces collaborations (impliquant également des organisations de journalisme à but non lucratif et des plateformes de médias sociaux) permettent d'identifier plus facilement les désordres informationnels.

Mme Nicole Duranton (Eure - Les Républicains) a rappelé que les fausses nouvelles existaient bien avant Internet citant en exemple les rumeurs qui, au XVIII e siècle, annonçaient un complot de famine en France. Les fake news ne sont donc que le nouveau nom d'un phénomène ancien, même si leur persistance peut surprendre en raison des progrès de l'éducation, du plus grand accès à l'information et du développement du fact checking . Elle a expliqué que la France contribue à lutter contre les fausses nouvelles, y compris au niveau international. En effet, un groupe de travail commun avec Facebook a été créé, à titre expérimental, pour lutter contre la haine en ligne. Détaillant les initiatives prises par les institutions de l'Union européenne dans ce domaine, elle a souhaité que soit renforcée la collaboration entre le Conseil de l'Europe, qui a élaboré de nombreuses normes pertinentes, et l'Union européenne.

Mme Nicole Trisse (Moselle - La République en marche), présidente de la délégation française , a rappelé le rôle déterminant de la presse dans les systèmes démocratiques modernes. Elle a appelé l'Assemblée parlementaire à réaffirmer l'importance de la liberté des médias notamment dans le cadre des processus électoraux, dans un contexte malheureusement assez général de dénigrement de la presse. Les régimes totalitaires ont conscience du rôle des médias et c'est pour cela qu'ils tentent de les museler. Mais aujourd'hui, de nouveaux défis se posent aux médias. C'est le cas de leur indépendance financière, condition de leur crédibilité, mais aussi de la banalisation du « désordre informationnel ». Elle s'est déclarée stupéfaite d'apprendre que, selon l'Eurobaromètre de mars 2018, 40 % des Européens sont confrontés à de fausses nouvelles tous les jours. Dans ce contexte, le rôle des médias de service public est primordial pour garantir une information objective, sérieuse et pertinente. Enfin, elle a salué l'initiative du Gouvernement français qui a annoncé, en juin 2018, la mise en place d'une plateforme de décryptage des fausses nouvelles commune à tous les médias de service public nationaux.

M. Frédéric Reiss (Bas-Rhin - Les Républicains) a rappelé que, lors des récentes campagnes électorales, de nombreux soupçons de manipulation de l'information ont défrayé l'actualité. Comme souvent lorsqu'il s'agit des médias, un équilibre doit être trouvé entre la nécessaire préservation de la liberté d'expression et la lutte contre les fake news . Il a plaidé en faveur du plan d'action présenté en décembre dernier par le Conseil européen qui doit inciter les acteurs numériques à mettre en oeuvre les engagements pris notamment sur la valorisation de la vérification des faits. Il a également appelé à la création d'un ombudsman du numérique au niveau de la Grande Europe pour garantir l'équilibre entre la responsabilisation des plateformes et le respect de la liberté d'expression. Toutefois, la question des sanctions en cas de non-respect du code de conduite reste posée, la plupart des sites mis en cause n'étant pas domiciliés dans l'Union européenne. Enfin, il a conclu en rappelant l'importance de la sensibilisation des citoyens et de l'éducation aux médias dans les écoles.

M. André Gattolin (Hauts-de-Seine - La République en marche) a appelé à ne pas assimiler liberté de la presse à qualité de l'information. Si des syndicats de journalisme ont été créés, des chartes déontologiques ont été rédigées et des régulations ont été mises en place, c'est pour protéger les journalistes mais aussi imposer une responsabilité aux éditeurs. Il est, selon lui, nécessaire de repenser les systèmes de régulation et les autorégulations d'autant que la directive sur le commerce électronique adoptée en 2000 ne donne pas de responsabilité éditoriale aux hébergeurs et aux fournisseurs d'accès. Enfin, il ne faut pas hésiter, comme cela a été fait en France, à légiférer pour encadrer la responsabilité des nouveaux éditeurs que sont les réseaux sociaux.

2. La gouvernance de l'Internet et les droits de l'Homme

Mercredi 23 janvier 2019, l'APCE a adopté, sur le rapport de M. Andres Herkel (Estonie - PPE/DC), au nom de la commission de la culture, de la science, de l'éducation et des médias, une résolution et une recommandation pour une gouvernance de l'Internet respectueuse des droits de l'Homme.

L'Internet est un bien commun et sa gouvernance doit être au coeur des politiques publiques tant au niveau national que dans le cadre des relations multilatérales régionales et globales.

Il est essentiel que les pouvoirs publics, le secteur privé, la société civile, les milieux universitaires et la communauté technique des internautes et les médias entretiennent un dialogue ouvert et inclusif afin de définir et de concrétiser une vision commune d'une société numérique fondée sur la démocratie, l'État de droit et les libertés et droits fondamentaux.

Les États membres sont invités à donner pleine application aux recommandations du Comité des Ministres dans ce domaine. Le rapport prône des politiques nationales d'investissement public cohérentes avec l'objectif d'un accès universel à Internet. Les États membres doivent également soutenir la neutralité du Net, des politiques globales de lutte contre la criminalité informatique et contre les abus du droit à la liberté d'expression et d'information sur l'Internet. Enfin, le principe de la sécurité de la conception doit être mis en oeuvre.

Les États membres devraient mieux utiliser la convention sur la cybercriminalité pour améliorer la collaboration interétatique. En outre, ils devraient s'engager avec le groupe de haut niveau des Nations Unies sur la coopération numérique et contribuer à ses travaux, en promouvant une gouvernance de l'Internet qui soit multipartite, décentralisée, transparente, responsable, collaborative et participative.

Mme Marie-Christine Dalloz (Jura - Les Républicains) , s'exprimant au nom du groupe PPE/DC, a indiqué que de nombreuses études récentes ont montré que la cyberviolence et le cyberharcèlement représentent aujourd'hui une part importante des agressions subies par les jeunes ou les femmes. Cette violence est facilitée par l'anonymat et le sentiment d'une certaine impunité. De même, une étude d'Amnesty International sur la liberté d'expression des femmes sur les réseaux sociaux soulignait que 23 % d'entre elles ont été insultées ou harcelées en ligne à la suite de leurs prises de position. Il convient donc de responsabiliser en premier lieu les plateformes, mais aussi de donner les moyens aux organismes spécialisés tels que la CNIL pour agir. Enfin, face aux fake news , le législateur devra trouver les moyens pour contrôler les dérives, en n'oubliant jamais le principe de liberté inhérent à Internet et en s'appuyant sur les dispositifs d'autorégulation mis en place par les journalistes eux-mêmes.

M. Frédéric Reiss (Bas-Rhin - Les Républicains) a indiqué qu'en matière de gouvernance, la question du contrôle et des sanctions liées au déréférencement est centrale. Pour lui, malgré une politique affichée d'autorégulation via des vérificateurs et des modérateurs, les grands acteurs du numérique sont loin d'être exemplaires. De plus, les opérateurs nationaux tels que le CSA en France ne peuvent imposer de sanctions sur le Web, d'où la nécessité de projets européens concertés en matière de gouvernance de l'Internet. Ainsi, en ce qui concerne les données personnelles, il a souligné l'intérêt d'initiatives comme celle de Qwant, un moteur de recherche franco-allemand qui n'enregistre pas les données privées. La mise en place de règles européennes en matière de données personnelles constitue un vrai progrès en matière de gouvernance de l'Internet. Enfin, il a insisté sur la nécessité de protéger spécifiquement les populations fragiles contre les cyber-risques, notamment les enfants.

Mme Nicole Trisse (Moselle - La République en marche), présidente de la délégation française , a d'abord rappelé l'importance prise par Internet qui a immanquablement des implications sur les droits de l'Homme. Si la nécessaire préservation de la liberté d'expression et d'information vient en premier à l'esprit, d'autres droits fondamentaux, tels que la sécurité, la protection de la vie privée et des données à caractère personnel ou encore le seul droit à accéder à Internet, demeurent des sujets de préoccupation majeurs. Selon elle, l'Europe, avec le règlement général sur la protection des données et le règlement du 25 novembre 2015 qui a consacré le principe d'accès à un Internet ouvert, est sur la bonne voie. Mais la gouvernance de l'Internet doit également impliquer les acteurs privés. Ainsi, un groupe de travail commun à Facebook et à l'État français a été créé pour identifier les moyens de lutter plus efficacement contre les discours de haine sur les réseaux sociaux. Elle a estimé, enfin, que les forums de gouvernance initiés à l'échelle mondiale ou européenne sont des instruments pertinents, le dernier en date, organisé en novembre 2018 à Paris, ayant débouché sur un appel pour la confiance et la sécurité du Cyberespace signé par 51 États, 93 acteurs de la société civile et 218 partenaires du secteur privé. Tout cela, indéniablement, va dans le bon sens et peut déboucher sur des résultats bien plus effectifs que des normes adoptées unilatéralement.

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