IV. ASSURER LES ENTREPRISES CONTRE LES DÉFAILLANCES DE L'ÉTAT DANS LE MAINTIEN DE L'ORDRE PUBLIC

Le montant considérable des préjudices (matériels et indirects), l'accumulation de nombreuses difficultés de court et de long-terme, le désespoir de nombreux chefs d'entreprise nourri par un sentiment d'abandon, la perspective d'une aggravation insoutenable des conséquences au second semestre 2019, les changements d'habitudes de la clientèle qui résultent de la crise , appellent une réponse publique d'une ampleur bien plus conséquente. Face à un évènement nouveau et dévastateur pour la pérennité de nombreuses entreprises, le groupe de travail considère que le Gouvernement n'a pas pris la pleine mesure de l'ampleur du phénomène pour les commerçants et artisans . Face à la démesure, n'ont été retenues que des demi-mesures.

A. RELEVÉ DES CONCLUSIONS PRINCIPALES

Il ressort des travaux menés par le groupe de travail au plus près des acteurs économiques que :

Sur les violences et les défaillances dans le maintien de l'ordre public :

• les violences et débordements commis en marge des manifestations des gilets jaunes sont inédits tant par leur intensité que par l'ampleur et la durée de leur impact sur les commerçants et artisans ;

• en cela, ce mouvement social se distingue de tous ceux qui l'ont précédé depuis 70 ans ;

• la répétition hebdomadaire des violences pendant - au moins - 6 mois traduit une défaillance de l'État dans sa fonction régalienne de maintien de l'ordre public et une carence dans la protection de la liberté d'entreprendre et de la liberté du commerce et de l'industrie , toutes deux de valeur constitutionnelle et découlant de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen 76 ( * ) .

Sur les préjudices moraux et économiques :

• les premières victimes de ces agissements sont les salariés , traumatisés psychologiquement par les agressions physiques et verbales, victimes d'une réduction de leurs revenus et témoins d'une diminution brutale des opportunités d'emploi (saisonniers ou pérennes) ;

• les violences se sont déroulées dans les centres-villes alors que ces derniers sont déjà fragilisés depuis de nombreuses années par une désertification croissante , comme en témoigne l'évolution des taux de vacance commerciale. Ces débordements ne peuvent qu' accentuer ce phénomène déjà critique ;

• les préjudices économiques se comptent en plusieurs centaines de millions d'euros pour les dommages matériels et pour les pertes d'exploitation des entreprises ;

• si certaines entreprises ont souscrit une clause assurantielle « perte d'exploitation » qui les indemnise de ces pertes en cas de dommages matériels, très rares sont celles qui sont protégées par une garantie « perte d'exploitation » lorsqu'il n'y a pas de tels dommages ;

• en moyenne, le niveau d'activité dans les centres des villes touchées a diminué d'environ 30 % depuis six mois ;

• au-delà, les conséquences économiques sont multiples : perte irrécupérables (denrées périssables, nuitées en hôtellerie, etc.), vente des stocks à faibles prix et promotions désespérées pour compenser les pertes, baisse du revenu des employeurs pour préserver l'emploi, assèchement de la trésorerie , dégradation de la qualité des dossiers bancaires, retards du paiement des fournisseurs entraînant des réactions en chaîne, risque d'augmentation du montant des primes d'assurances ;

• les violences ont accompagné et parfois initié un changement des habitudes de consommation (report partiel vers le commerce en ligne, diminution du tourisme, désertification des centres-villes le samedi et même en semaine) qu'il sera difficile d'inverser ;

• ces conséquences économiques sont appelées à se poursuivre et même à s'amplifier dans les mois à venir (difficultés de paiement des fournisseurs et de remboursement des prêts suite à l'assèchement de la trésorerie, paiement des échéances sociales et fiscales reportées, etc.).

Sur la prise en charge par le Gouvernement :

• pour prendre en charge ces conséquences économiques, le Gouvernement a largement préféré rappeler les dispositifs existants et les intensifier légèrement plutôt que prendre des mesures nouvelles ;

• une partie de ces dispositifs existants présente une certaine efficacité et les leviers de communication utilisés ont été nombreux ;

• toutefois, la communication institutionnelle a pâti du trop grand nombre d'interlocuteurs mobilisés et du sentiment de confusion né d'un nombre trop important de « mesurettes ». En outre, l'information au sein même des services de l'État n'a pas toujours été correctement transmise, et la dépersonnalisation du point de contact via des adresses mail génériques se heurte à la nécessité d'un service public incarné ;

• plusieurs de ces mesures sont insuffisamment ciblées et donc inadaptées à la situation de TPE d'artisans et commerçants qui n'ont en outre ni le temps ni les moyens d'affronter tant de complexité administrative ;

• cette réponse témoigne d'une mauvaise compréhension des impacts démesurés que ces violences ont pour les entreprises ;

• si l'exécutif a certes été contraint de réagir en urgence, il apparaît toutefois que les mesures les plus utiles aux entreprises, et les plus demandées, ont été repoussées ou retardées volontairement (fonds d'indemnisation nationale, exonérations plutôt que report des dettes fiscales, assurer le respect des interdictions de manifester) ;

• que l'argument du redressement des finances publiques est clairement inopérant au regard du montant des mesures gouvernementales annoncées le 10 décembre 2018 et le 25 avril 2019 . Dès lors, un « deux poids deux mesures » semble s'installer entre au détriment des artisans et commerçants ;

• il est d'autant plus étonnant que les commerçants et artisans aient été les grands oubliés de ces annonces que leur situation était connue de l'exécutif depuis le début des violences en novembre 2018 ;

• en conséquence, le taux de recours à ces aides nationales est très faible ;

• il est peu probable que la responsabilité de l'État soit engagée en raison de critères légaux et jurisprudentiels stricts ;

• une transmission aléatoire des informations s'est opérée entre la Fédération française des assurances, la Fédération française bancaire et leurs agences locales respectives.

Sur l'action des collectivités et des chambres consulaires :

• les réseaux consulaires ont été fortement sollicités afin de diffuser l'information auprès des entreprises, les accompagner dans leurs démarches et remonter leurs difficultés et ils ont assumé ce rôle avec engagement et efficacité ;

• les villes, métropoles, régions et chambres consulaires ont assumé en lieu et place de l'État une grande part de sa responsabilité en prenant en charge les conséquences économiques par des fonds d'aides directes , des exonérations de droits d'occupation du domaine public et des opérations de redynamisation des centres-villes ;

• que toutefois, l'efficacité de tels fonds s'est parfois heurtée à la fixation de critères d'éligibilité trop restrictifs .


* 76 Article 4, DDHC, 1789 : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi ».

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page