II. EXAMEN EN COMMISSION - MERCREDI 26 JUIN 2019

Réunie le mercredi 26 juin 2019, la commission a examiné le rapport d'information « Sécurité des ponts : éviter un drame ».

M. Hervé Maurey , président. - Mes chers collègues, nous sommes réunis ce matin pour la présentation du rapport de la mission d'information sur la sécurité des ponts.

Comme vous le savez, cette mission a été créée dans un contexte particulier : le 14 août dernier, une partie du pont Morandi de Gênes s'effondrait, provoquant la mort de 43 personnes. Ce drame a suscité une vive émotion et relancé, en France, les débats sur l'état des ouvrages d'art, vingt ans après la catastrophe du tunnel du Mont-Blanc.

La mission que nous avons créée avait ainsi pour objectif d'évaluer la manière dont l'État et les collectivités territoriales entretiennent leurs ponts, c'est-à-dire d'évaluer les politiques de surveillance et d'entretien qui sont mises en oeuvre ainsi que les moyens financiers qui y sont consacrés. Nous nous sommes particulièrement intéressés à la situation des collectivités territoriales, qui gèrent 90 % des ponts routiers et qui sont donc fortement exposées.

La mission a rencontré une cinquantaine de personnes au cours de nombreuses auditions et tables rondes, et lors de trois déplacements effectués à Gênes, en Moselle et en Seine-et-Marne. Afin de recueillir le plus grand nombre possible de témoignages d'élus, un questionnaire a été mis en ligne sur la plateforme de consultation des élus locaux du Sénat. Près de 1 200 contributions y ont été déposées, qui ont étayé les constats de la mission.

La mission s'étant vue confier les pouvoirs d'une commission d'enquête, elle a par ailleurs pu avoir communication d'un grand nombre de documents et rapports de l'État sur le sujet.

L'ensemble de ces données et témoignages nous a permis de dresser plusieurs constats sur la situation des ponts en France. Et ces constats sont inquiétants.

Le premier constat, c'est qu'il n'est pas possible aujourd'hui de connaître le nombre exact de ponts en France. Ce constat est surprenant, et en lui-même révélateur des lacunes de la politique de surveillance et d'entretien des ponts.

On estime qu'il existe entre 200 000 et 250 000 ponts en France, dont 24 000 appartiennent à l'État - la moitié étant géré par les sociétés concessionnaires d'autoroutes -, entre 100 000 et 120 000 sont gérés par les départements et entre 80 000 et 100 000 sont gérés par les communes et les intercommunalités.

En tant qu'éléments permettant d'assurer la continuité des voies de communication, ces ouvrages sont indispensables à l'activité économique - la route restant, de loin, le principal mode de transport de personnes et de marchandises.

Deuxième constat : l'état des ponts routiers s'est dégradé de manière continue ces dernières années et est aujourd'hui préoccupant.

En dix ans - de 2007 à 2017 -, le pourcentage des ponts gérés par l'État nécessitant un entretien sous peine de dégradation ou présentant des défauts est passé de 65 % à 79 %. 720 ponts environ sont actuellement en mauvais état et nécessitent des travaux de réparation.

S'agissant des départements, 8,5 % des ponts dont ils ont la gestion sont en mauvais état, ce qui représente environ 8 500 ponts, et près de 30 % nécessitent des travaux d'entretien spécialisé.

Quant aux ponts gérés par les communes et les intercommunalités, c'est la grande inconnue. Les dernières données disponibles datent de 2008 et ont été collectées dans le cadre de l'assistance que l'État apportait aux petites collectivités pour des raisons de solidarité et d'aménagement du territoire - l'Atesat, qui a été supprimée en 2014.

À l'époque, sur 17 600 ouvrages évalués, 16 % étaient en mauvais état et 20 % nécessitaient des réparations.

Tout indique que l'état des ponts communaux s'est dégradé depuis 2008. La suppression de l'assistance de l'État, l'absence de politique généralisée de surveillance et d'entretien des ponts, la dégradation de la situation financière des collectivités territoriales et les réorganisations territoriales successives ont certainement pesé sur l'entretien des ponts.

D'après les experts rencontrés par la mission, il est probable qu'aujourd'hui 18 % à 20 % des ponts des petites communes soient en mauvais ou très mauvais état, soit plus de 16 000 ponts.

Ainsi sur l'ensemble du patrimoine routier, il y a a minima 25 000 ponts dont la structure est altérée ou gravement altérée.

Troisième constat : la dégradation de l'état des ponts pose des problèmes de sécurité et de disponibilité.

À la suite d'un audit externe réalisé sur l'état des ponts du réseau routier national non concédé, le ministère des transports a indiqué que 7 % des ponts gérés par l'État « présentaient à terme un risque d'effondrement » avec une forte probabilité de devoir être fermés préventivement à la circulation.

Quant aux ponts communaux, la mission a été à de nombreuses reprises alertée au cours de ses travaux sur les problèmes de sécurité que leur état pose. Elle a par exemple été saisie de la situation de la commune de Sainte-Radegonde-des-Noyers, qui est propriétaire d'un pont dans un état préoccupant qu'elle n'est pas en mesure de réhabiliter. Ce pont supporte un ouvrage hydraulique qui, s'il était endommagé, engendrerait des risques d'inondations pour les territoires en amont. Il s'agit d'un exemple parmi de nombreux autres.

Le mauvais état des ponts se traduit en outre par la mise en place de restrictions de circulation ou de fermetures d'ouvrages. Ces fermetures peuvent être ponctuelles, le temps de procéder à des travaux de réparation, mais elles peuvent également se prolonger lorsque les gestionnaires de voirie n'ont pas la possibilité de financer les travaux nécessaires.

Dans tous les cas, elles pénalisent les usagers dans leurs trajets quotidiens.

Lors de la table ronde des élus locaux que nous avions organisé en commission au mois de janvier, M. François Poletti, adjoint au maire d'Argenteuil avait par exemple témoigné des difficultés rencontrées par sa commune suite à l'effondrement d'une partie du mur de soutènement du viaduc de Gennevilliers en mai 2018. 190 000 véhicules transitant sur le viaduc chaque jour, sa fermeture partielle a entraîné des embouteillages très importants sur l'ouvrage et sur les axes de déviation, et généré des nuisances pour les automobilistes et les riverains - le retour à la normale n'étant intervenu qu'en mars 2019.

Ces problèmes de sécurité suscitent l'inquiétude des usagers et des élus locaux que nous avons rencontrés.

Sur la plateforme de consultation du Sénat, 61 % des élus locaux ayant répondu au questionnaire ont ainsi indiqué que l'état des ponts constituait pour eux une source de préoccupation. Et un sondage récent réalisé par IPSOS a montré une baisse du taux de satisfaction des Français concernant l'état du réseau routier.

Je laisse maintenant la parole aux rapporteurs afin qu'ils vous présentent les raisons pour lesquelles nous sommes dans cette situation, ainsi que les propositions de la mission pour en sortir.

M. Michel Dagbert , rapporteur . - Le constat que vous a présenté le président Hervé Maurey est inquiétant et invite à se demander : comment en est-on arrivé là ?

Trois phénomènes principaux expliquent que l'état des ponts se soit dégradé au cours des dernières années.

Le premier phénomène, c'est le vieillissement du patrimoine des ponts en France. Comme toute infrastructure, les ponts ont une durée de vie limitée, qui est en théorie de 100 ans, mais qui s'établit en pratique autour de 70 ans en moyenne.

Or, de nombreux ouvrages ont un âge avancé. Un quart des ponts gérés par l'État ont été construits entre 1950 et 1975 et arrivent ou arriveront donc prochainement en « fin de vie », soit 2 800 ponts. De même, l'âge du patrimoine des communes dépasse souvent 50 ans.

Par ailleurs, certains types de ponts sont des ponts « à risques », car susceptibles de développer des pathologies particulières, et nécessitent donc une vigilance renforcée.

C'est notamment le cas des ponts en béton précontraint construits avant 1975, des buses métalliques, qui sont soumises à des phénomènes de corrosion importants, des ponts en maçonnerie situés en milieu aquatique ou encore des ponts mixtes acier-béton.

La mission a également été alertée sur le risque d'une accélération à venir du vieillissement des ponts sous l'effet de deux facteurs.

Le réchauffement climatique, d'une part, à travers la multiplication d'événements exceptionnels (crues, tempêtes). Les inondations survenues dans l'Aude en octobre 2018, qui ont provoqué la destruction de quatre ponts, sont un exemple marquant ;

Les conséquences de l'utilisation de certains outils de navigation GPS, d'autre part, qui orientent le trafic, notamment poids lourds, sur des ponts qui ne sont pas conçus pour supporter de telles charges.

La deuxième cause de dégradation de l'état des ponts, c'est l'insuffisance des moyens qui sont consacrés à leur entretien.

Ces dernières années, l'État a consacré en moyenne 45 millions d'euros par an à l'entretien des ouvrages d'art, soit environ 0,2 % de leur valeur à neuf lorsque l'OCDE recommande d'y consacrer 1,5 %.

Ce montant est largement insuffisant pour assurer l'entretien du patrimoine des ponts et éviter que leur état ne se dégrade.

Plusieurs audits du réseau routier récents ont montré que le maintien d'un tel budget conduirait à un doublement du nombre d'ouvrages en mauvais état dans les dix prochaines années, et à un triplement voire un quadruplement de ce nombre en vingt ans, ce qui se traduirait par des risques de sécurité importants pour les usagers.

Ces audits ont évalué entre 110 et 120 millions d'euros par an le budget nécessaire pour améliorer l'état des ouvrages d'art, soit deux fois plus que le budget actuel.

S'agissant des collectivités territoriales, les budgets qu'elles consacrent à l'entretien de leurs réseaux routiers sont fluctuants. Après avoir augmenté entre 2003 et 2013, ces dépenses de voierie ont baissé de près de 30 % entre 2013 et 2017, pour atteindre 11,7 milliards d'euros.

Cette baisse s'explique notamment par la baisse des dotations de l'État appliquée depuis 2014, ainsi que, s'agissant des départements, par l'augmentation de leurs dépenses relatives aux allocations individuelles de solidarité et par la prise en charge de nouvelles dépenses, par exemple en matière de numérique.

Lors de son audition devant notre commission, l'Assemblée des départements de France avait indiqué que deux tiers des départements estiment que l'entretien des ponts pose des problèmes financiers importants ou très importants.

Le troisième facteur qui explique la dégradation de l'état des ponts, ce sont les limites que présente la politique de surveillance et d'entretien.

L'État applique un référentiel technique qui prévoit notamment une visite d'évaluation des ouvrages tous les trois ans. Toutefois, cette évaluation repose sur un suivi des dégradations visibles qui n'est pas suffisant pour détecter les pathologies qui se développement à l'intérieur des matériaux.

Le cas du pont de Gennevilliers, dont un des murs de soutènement s'est effondré sans que les inspections visuelles n'aient pu le détecter, montre les limites de cette méthode.

Les experts que la mission a rencontrés ont tous convergé pour souligner qu'il était nécessaire d'améliorer la gestion des ponts en évoluant vers une politique de gestion du risque et en consacrant davantage de moyens au préventif plutôt qu'au curatif.

Il existe par ailleurs des tensions sur les effectifs consacrés à l'entretien des ponts dans les services de l'État comme dans les départements, qui rencontrent des difficultés à recruter et à conserver un personnel technique suffisant, en raison d'une raréfaction des compétences en matière d'ingénierie spécialisée.

La mission a également été alertée d'une difficulté à laquelle les gestionnaires de voirie peuvent être confrontés : la perte des archives liées aux ponts. Il arrive en effet que les éléments techniques relatifs aux ponts aient été perdus, notamment à l'occasion de transferts de compétences, ce qui nécessite de procéder à des investigations coûteuses pour les reconstituer.

L'ensemble de constats relatifs au manque de moyens financiers et humains sont plus préoccupants encore s'agissant plus spécifiquement des communes et des intercommunalités.

Il ressort des travaux de la mission qu'une grande partie de ces collectivités ne sont pas équipées pour assurer la gestion et l'entretien de leurs ponts, car elles ne disposent ni de l'expertise interne ni des ressources financières suffisantes.

90 % des élus des communes et des intercommunalités ayant répondu à la consultation du Sénat ont indiqué que leur collectivité ne dispose pas de ressources en interne pour assurer la gestion de leurs ponts. Il en résulte qu'un grand nombre de communes méconnaissent le nombre de leurs ponts et leur état.

Par ailleurs, les coûts que représentent le diagnostic, l'entretien, la remise en état et la reconstruction des ponts sont souvent prohibitifs pour les petites communes et intercommunalités.

La mission a ainsi été alertée à de nombreuses reprises sur la situation de communes qui sont dans l'incapacité de financer des travaux de remise en état de leurs ponts.

Lors de son déplacement en Seine-et-Marne, la mission a par exemple visité deux ponts appartenant aux communes de Guérard et de Tigeaux fermés à la circulation depuis 2014 en raison de leur mauvais état. Les travaux de réhabilitation ont été estimés à un million d'euros par pont, soit un investissement hors de portée pour les communes compte tenu de leurs ressources budgétaires - le budget annuel de la commune de Guérard étant de 3 millions d'euros.

Enfin, la mission a été alertée sur la situation de ponts qui posent des problèmes particuliers.

Les ponts dits « orphelins », d'une part, dont la propriété n'est pas établie ou est contestée, et qui ne sont par conséquent pas entretenus. La mission a par exemple visité un pont à Petite-Rosselle, en Moselle, qui a été construit par les Houillères du Bassin de Lorraine et qui devrait donc aujourd'hui être pris en charge par l'État. Mais celui-ci refuse jusqu'à présent d'assumer le coût de réparation de ce pont en très mauvais état ;

Les « ponts de rétablissement » des voies qui ont été coupées par de nouvelles infrastructures de transports, d'autre part. Ces ponts peuvent générer des conflits entre les collectivités et les gestionnaires SNCF Réseau et Voies navigables de France s'agissant de leur entretien. En application de la loi du 7 juillet 2014, votée à l'initiative de notre ancienne collègue Évelyne Didier, un recensement de ces ponts qui ne font pas l'objet d'une convention de répartition des charges d'entretien a été effectué. Plus de 17 000 ponts ont été identifiés, qui sont en attente de conventionnement.

M. Patrick Chaize , rapporteur . - Face au constat inquiétant qui vous a été présenté, la mission considère qu'il est essentiel de mettre en place des mesures urgentes afin d'enrayer la dégradation de l'état des ponts, en particulier ceux gérés par les communes et les intercommunalités dont l'état est particulièrement préoccupant. Il en va de la sécurité des usagers.

Après des années de sous-financement, la priorité est d'augmenter les moyens consacrés à l'entretien des ponts, en mettant en oeuvre un véritable « plan Marshall ».

Ce plan viserait, premièrement, à doubler les montants consacrés par l'État à l'entretien de ses ouvrages d'art, pour les porter à 120 millions d'euros dès l'année prochaine, soit le niveau recommandé par différents audits pour stopper leur dégradation.

Le Gouvernement a engagé, depuis 2017, une trajectoire d'augmentation des crédits dédiés à l'entretien des réseaux routiers et des ponts, qui est certes positive mais qui est insuffisante au regard des besoins.

Le deuxième volet de ce « plan Marshall », c'est la mise en place d'un fonds d'aide aux collectivités territoriales. Les travaux de la mission ont en effet mis en évidence qu'un grand nombre de collectivités étaient dans l'incapacité d'assurer l'entretien de leurs ponts. Sans une aide financière, l'état de ces ponts ne pourra que continuer à se dégrader à l'avenir.

Ce fonds doit par conséquent poursuivre deux objectifs.

Premièrement, permettre qu'un diagnostic de l'ensemble des ponts des petites communes et intercommunalités soit réalisé d'ici cinq ans.

Deuxièmement, permettre aux collectivités qui en ont besoin de bénéficier d'une aide pour procéder aux travaux de réparation et de reconstruction de leurs ponts d'ici dix ans.

L'objectif est donc que, d'ici dix ans, l'état de l'ensemble du parc des ponts routiers français soit connu, ce qui est loin d'être le cas aujourd'hui, et que les ponts les plus dégradés aient fait l'objet de travaux de remise en état.

Ce fonds bénéficierait aux collectivités qui rencontrent des difficultés pour financer les diagnostics et les travaux de réparation de leurs ponts, en fonction de critères liés au nombre de ponts dont elles ont la gestion et à leurs ressources financières, et sur la base d'un cofinancement.

Au regard des besoins estimés par la mission, ce fonds devrait être doté de 130 millions par an pendant une durée de dix ans, soit 1,3 milliard d'euros au total.

Afin d'alimenter ce fonds, la mission recommande d'utiliser les crédits actuellement dédiés au programme de mise en sécurité des tunnels, qui s'achèvera en 2021.

À la suite de la catastrophe du tunnel du Mont-Blanc, des mesures fortes ont été prises pour renforcer la surveillance des tunnels et des moyens très importants ont été consacrés à leur sécurisation. Entre 2007 et 2018, 1,2 milliard d'euros ont été alloués à ces travaux.

Nous considérons qu'il ne faut pas attendre qu'un drame se produise pour augmenter les moyens consacrés aux ponts, mais qu'il convient d'agir dès maintenant en réalisant, au cours des dix prochaines années, un effort financier identique à celui consacré aux tunnels.

En dehors de ces moyens financiers, devant être déployés à court terme, la mission recommande de mettre en place des mesures structurelles permettant de développer une gestion patrimoniale des ponts.

Tout d'abord, afin d'améliorer la connaissance et le suivi des ponts, la mission préconise la mise en place de trois outils.

Premièrement, un système d'information géographique (SIG) national, permettant de recenser tous les ouvrages d'art en France.

Deuxièmement, un « coffre-fort numérique » permettant aux gestionnaires de voirie d'archiver les documents techniques relatifs à leurs ponts. Cela permettrait d'éviter les pertes d'archives que l'on constate fréquemment.

Troisièmement, un « carnet de santé » pour chaque pont, permettant d'assurer le suivi de leur état et de retracer les opérations effectuées sur l'ouvrage ainsi que celles à venir.

La mission recommande également d'améliorer la prise en compte des dépenses d'entretien des ponts dans la comptabilité publique.

Les ponts sont aujourd'hui insuffisamment considérés comme un patrimoine qui, au même titre que d'autres biens, doit faire l'objet de provisions pour renouvellement et d'actions préventives.

Or le sous-entretien des ponts se traduit par des coûts de réparation beaucoup plus importants ensuite, ce qu'on appelle la « dette grise ».

Afin d'inciter les collectivités à consacrer davantage de moyens à l'entretien préventif des ponts, la mission recommande par conséquent d'intégrer dans la section « investissement » des budgets des collectivités les dépenses de maintenance des ouvrages d'art, qui sont actuellement considérées comme des dépenses de fonctionnement mais qui permettent d'accroître la durée de vie des ouvrages. Afin de créer un effet incitatif, nous proposons que ce changement comptable soit ouvert aux collectivités pendant une période transitoire de dix ans.

Il conviendrait également de lancer une concertation pour adapter les outils de comptabilité publique afin qu'ils prennent en compte l'amortissement des ouvrages d'art et le provisionnement de sommes pour assurer leur entretien.

Pour terminer, la mission considère qu'il est essentiel d'apporter une offre d'ingénierie aux collectivités territoriales.

Afin d'aider les petites communes et les intercommunalités à définir une politique de maintenance de leurs ponts, il conviendrait d'élaborer et de mettre à leur disposition un référentiel technique allégé - celui utilisé par l'État n'étant pas adapté.

Par ailleurs, il est nécessaire de recréer une ingénierie publique locale pouvant être mobilisée par les communes et les intercommunalités qui font face à des difficultés dans la gestion de leurs ouvrages.

La suppression de l'assistance que l'État apportait aux communes (Atesat), en 2014, a laissé un vide qui n'a été que partiellement comblé par les départements, en fonction de leurs capacités financières.

L'Agence nationale de cohésion des territoires (ANCT), qui sera créée prochainement, devrait permettre de mobiliser une ingénierie technique et financière au profit des collectivités qui en ont besoin.

Le ministre des relations avec le Parlement a confirmé la semaine dernière en séance publique que l'ANCT pourra apporter un appui en matière d'infrastructures de transport, donc d'ouvrages d'art. Mais elle devra pour cela être dotée de moyens humains et financiers suffisants.

De même, il conviendra que l'ANCT puisse mobiliser l'expertise du Cerema au profit des collectivités territoriales, comme s'y est engagé le Gouvernement. Aujourd'hui, les actions de partenariat entre le Cerema et les collectivités ne représentent que 6 % de ses activités...

En dehors de l'appui de l'ANCT, la mission recommande de mutualiser la gestion des ponts des collectivités territoriales soit au niveau des intercommunalités, lorsqu'elles ont une taille suffisante, soit au niveau des départements, en mettant en commun un ou plusieurs experts en ouvrages d'art.

L'emploi de personnels spécialisés ne se justifie économiquement que lorsque le patrimoine de ponts a une taille suffisante, ce qui n'est pas le cas pour de nombreuses communes.

Par conséquent, la mutualisation des moyens humains et techniques, par le biais d'un conventionnement, est une solution pertinente pour maintenir des compétences rares et coûteuses sur un territoire.

Enfin, de manière plus générale, la mission estime qu'il convient de d'appréhender la gestion des ponts d'un territoire au niveau départemental, et de sortir de la stricte logique de « maîtrise d'ouvrage », selon laquelle le propriétaire du pont doit en assurer l'entretien.

La mission recommande par conséquent la mise en place d'un schéma départemental permettant d'identifier, à l'échelle du territoire, les voies et les ouvrages à fort enjeu.

Un tel document ouvrirait la possibilité que les travaux de réparation des ponts fassent l'objet d'un cofinancement de la part de plusieurs collectivités compte tenu de leur importance et de leur intérêt à l'échelle du département.

Voilà, mes chers collègues, les principaux constats et propositions que nous souhaitions vous présenter ce matin.

M. Jean-François Longeot . - Malheureusement, le constat est dramatique. Les maires ne savent pas toujours qui est propriétaire de tel ou tel ouvrage. Cette mission aura permis de sensibiliser et d'informer les maires sur le sujet. Les maires de communes ayant un pont peu utilisé mais en mauvais état sont souvent démunis, face à un problème qui relève de l'ingénierie. Au-delà du volet financier, l'accompagnement technique des collectivités est fondamental. Des défauts d'entretien accumulés sur plusieurs années nous obligent à dépenser des moyens considérables ne serait-ce que pour colmater les brèches.

M. Patrick Chaize . - Je rejoins notre collègue Jean-François Longeot, qui conforte les conclusions de notre rapport. Une collectivité ne dispose pas forcément du recensement de ses ponts, souvent car elle n'a pas eu l'idée de le réaliser. Elle ignore généralement vers qui se tourner pour bénéficier d'un appui technique ou financier. Il faudrait donc pouvoir ouvrir et offrir une mutualisation de la gestion des ponts, en évitant les problématiques juridiques, de fonds de concours et de responsabilité que l'on connaît aujourd'hui.

M. Hervé Maurey , président. - Je voudrais revenir sur une des mesures que nous préconisons, en réponse à l'intervention de Jean-François Longeot : la mise en place de schémas départementaux pour identifier les flux de véhicules.

Les deux communes de Seine-et-Marne que nous avons visitées avaient chacune un pont totalement fermé à la circulation en raison du coût financier que représente leur remise en état. Mobiliser 1 million d'euros n'est pas évident pour une commune disposant d'un budget annuel de 3 millions d'euros, sachant que ces ponts ne relèvent pas de la compétence de l'intercommunalité. Aujourd'hui, environ 30 % des communes n'ont pas transféré la compétence « voirie » à l'intercommunalité et donc la gestion des ponts. D'ailleurs, la plupart ne souhaite pas le faire, et j'ai relevé, lors de notre déplacement en Seine-et-Marne, qu'il s'agissait d'un sujet sensible. S'agissant de ces deux communes, il n'y a sans doute pas besoin de reconstruire entièrement les deux ponts, mais il faudrait au moins en réhabiliter un et que le département s'implique dans ces travaux car il existe des flux routiers qui sont au minimum d'intérêt départemental.

Mme Éliane Assassi . - Je voudrais tout d'abord remercier la commission d'avoir créé cette mission d'information. Il faut reconnaître le travail rigoureux et minutieux du président et de nos rapporteurs. En participant à quelques auditions, j'ai pu constater combien le sujet était vaste et le danger latent. Un plan d'urgence s'impose, et je souscris par conséquent à l'idée de mettre en place un « plan Marshall ».

La proposition de prendre le relais des financements qui ont été utilisés pour les tunnels est intéressante, car elle permettrait de répondre à cette urgence.

Je suis aussi très intéressée par les propositions permettant de répondre aux attentes des collectivités territoriales, en particulier des petites collectivités. En ce sens, il existe déjà un vrai enjeu pour l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT).

Je suis également sensible à la proposition visant à créer un « coffre-fort numérique » pour archiver les données car, au cours des auditions, nous avons été alertés sur la problématique de la perte des données relatives à certains ouvrages.

En conclusion, je suis ravie du rapport qui nous a été présenté ce matin et je souscris totalement à ses constats et à ses propositions.

M. Hervé Maurey , président. - Concernant l'ingénierie, il est vrai que les communes ne sont pas toutes égales entre elles. Certaines communes arrivent à bénéficier d'une ingénierie, car elles sont situées sur un territoire où le département a mis en place une agence départementale technique qui permet d'apporter un appui ou, dans certains cas, l'intercommunalité est compétente en matière de voirie et bénéficie d'une expertise suffisante. Mais dans d'autres cas, les communes ne bénéficient d'aucune aide.

C'est pour cela que nous avons souhaité interroger le Gouvernement à propos de l'ANCT, afin de savoir si elle pourrait appuyer les collectivités territoriales en matière de gestion de leurs ouvrages d'art. Une réponse positive a été obtenue. Reste à voir comment cela se passera concrètement. Il faudra également assurer un lien avec le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema), qui n'est pas inclus dans l'ANCT. Celui-ci possède une réelle expertise, mais malheureusement ses moyens humains et financiers ont diminué ces dernières années.

M. Olivier Jacquin . - Vous plaidez pour une gestion des ponts planifiée à long terme, avec une offre d'ingénierie publique et des fonds mutualisés, vision dont on ne peut que se satisfaire. L'idée de réaffecter les crédits du fonds dédié aux tunnels donne une crédibilité particulière à vos propositions.

Je suis satisfait que la piste d'une gestion privée ou déléguée des ponts par des formules diverses et variées ait été écartée, alors qu'elle aurait été évoquée, sans aucun doute, en d'autres temps. Dans le cadre de l'examen du projet de loi d'orientation des mobilités, un amendement a été adopté par les députés à l'initiative de Joël Giraud, qui porte sur les concessions autoroutières : il propose de modifier le code des transports pour revoir la définition de l'autoroute, ce qui serait susceptible de faire rentrer dans le champ des concessionnaires autoroutiers des sections de route alimentant les autoroutes. Il y a donc une extension de la définition des concessions. Dans mon département, il existe un ouvrage d'art très important alimentant une autoroute, qui pourrait être concerné par cette approche.

Concernant la loi de 2014 adoptée à l'initiative de notre ancienne collègue Évelyne Didier, j'ai un exemple dans mon département : nous sommes en négociation avec Voies navigables de France (VNF), l'État et une commune à propos d'un ouvrage qui a été créé pour franchir un canal et remis à ladite commune qui ne peut le prendre en charge. Les premières réunions ont eu lieu et les discussions s'avèrent très longues et complexes pour savoir qui va payer quoi. L'État reconnaît que la commune ne peut pas le prendre en charge. Toutefois, il va être compliqué que VNF assume sa responsabilité.

M. Michel Dagbert , rapporteur . - Le point que vous soulevez souligne la nécessité de conventionner pour déterminer les modalités de gestion des ouvrages de franchissement. Il convient de trouver la clé de répartition entre l'opérateur et le maître d'ouvrage s'agissant de l'entretien de ces ponts. À ce jour, 17 000 ponts sont en attente de conventionnement, avec VNF, SNCF Réseau, ou l'État.

M. Hervé Maurey , président. - En complément de l'intervention d'Olivier Jacquin, je vous signale que le candidat pressenti pour la présidence de VNF sera auditionné prochainement par notre commission, en application de l'article 13 de la Constitution. Vous pourrez ainsi lui poser toutes les questions que vous souhaitez.

Concernant l'amendement de M. Giraud, nous avons été alertés avec le rapporteur Didier Mandelli sur le sujet. Il serait de nature à renforcer le pouvoir des sociétés concessionnaires d'autoroutes. Nous en avons parlé avec la ministre des transports lors d'un échange préparatoire à la commission mixte paritaire (CMP) et celle-ci en a plutôt minimisé la portée. Il devra être expertisé car, pour être franc, ce ne serait pas la première fois qu'un ministre minimise la portée d'un amendement en le présentant comme technique ou rédactionnel alors que ce n'est pas le cas. Au sein de notre commission, nous ne sommes pas des adeptes des concessions accordées aux sociétés d'autoroutes.

M. Olivier Jacquin . - Je suis absolument opposé à ces concessions. À première vue, c'est très bien présenté. D'ailleurs, lors de l'une des premières auditions auxquelles le rapporteur du projet de loi d'orientation des mobilités nous a proposé de participer, l'association des sociétés françaises d'autoroutes (ASFA) a défendu une idée similaire à celle du présent amendement. C'est dévastateur. Je voudrais le mettre en perspective avec un amendement proposé par le député Jean-Baptiste Djebbari, mais refusé par l'Assemblée nationale, qui était extrêmement intéressant : il proposait, lorsque les concessions arriveront à leur terme, de mobiliser les recettes des autoroutes pour les infrastructures de transports.

M. Guillaume Chevrollier . - Merci aux rapporteurs pour ce travail. La mission pointe plusieurs sujets de préoccupation des élus locaux sur le recensement, la planification de l'entretien et la planification du budget d'investissement nécessaire pour réhabiliter les ouvrages, et elle aborde la question de la clarification de la compétence pour assurer ladite prise en charge.

Je voudrais vous interroger sur la place des nouvelles technologies : comment les exploiter pour optimiser et faciliter le recensement des ponts et la planification des investissements ?

Ma seconde question concerne les besoins d'ingénierie : est-ce que le Cerema est suffisamment identifié par les collectivités locales comme une structure d'expertise pouvant contribuer au recensement des ouvrages et à la planification de l'entretien ? Sachant que le Cerema a vu cette année son budget diminuer de 5 millions d'euros par rapport à l'année dernière.

M. Patrick Chaize . - Les nouvelles technologies sont des solutions intéressantes, sauf qu'en raison de leur coût, elles sont et devront être réservées aux grands ouvrages d'art, qui ne représentent pas la majorité des ouvrages concernés dans le cadre de nos travaux. Néanmoins, des expérimentations utilisant ces nouvelles technologies (capteurs, drones, etc.) ont lieu. Elles permettent d'avoir un suivi permanent et continu de l'état des ponts, de la charge qu'ils supportent ou encore de l'impact des conditions environnementales. À court terme, je n'imagine pas une généralisation de l'utilisation de ces technologies sur l'ensemble des ponts pour des raisons de coût financier.

Concernant le Cerema, il n'est pas assez mobilisé et connu. L'ANCT peut être un relais pour apporter une compétence, en parallèle du Cerema, afin d'accompagner les collectivités, sous réserve qu'il dispose des moyens humains et financiers suffisants.

M. Hervé Maurey , président . - S'agissant de l'utilisation des nouvelles technologies, j'ai eu l'occasion de rencontrer une société qui développe un système de pose de capteurs et de suivi. Un contrat annuel permet de suivre la vie du pont. En Italie, des contrats ont été conclus sur ce vol. Mais je rejoins Patrick Chaize : cela représente un coût annuel inenvisageable pour les petits ponts.

Concernant le Cerema, je regrette qu'il ne fasse pas partie de l'ANCT. La voie d'un format réduit de l'ANCT a été retenue en raison de la crainte d'une nouvelle réorganisation du Cerema, susceptible de « traumatiser » plusieurs centaines d'agents. Or, de mon point de vue, il y avait une vraie logique à intégrer le Cerema.

M. Benoît Huré . - Merci pour la qualité du travail, qui s'inscrit dans nos missions d'expertise à l'égard des collectivités et de l'État. Les communes et les intercommunalités ont pris conscience de la problématique que vous évoquez. En raison des sommes à engager, la réparation des ponts est souvent reportée. Parfois, il est plus facile de mettre un panneau « tonnage limité ».

Après des discussions avec des responsables techniques de différentes collectivités, il m'a été indiqué que les études environnementales préalables à la mise en oeuvre de travaux près des milieux aquatiques - qui sont d'ailleurs les mêmes pour un fleuve que pour un ruisseau intermittent coulant que l'hiver - peuvent représenter plus de 30 % du coût total des travaux. Il faut également ajouter la lourdeur administrative des dossiers. En raison de la récurrence de ces questions, je souhaiterais qu'il soit possible d'avoir une approche pragmatique : ne pourrait-on pas, pour des questions d'urgence, alléger un certain nombre d'études ? L'année dernière, j'ai assisté à un chantier où le représentant de la police de l'eau lui-même était un peu gêné de venir sur le chantier. Je souhaiterais expertiser les coûts de ces évaluations et que soit mise en place une boite à outils plus utile.

J'ai entendu que 30 % des communes n'avaient pas transféré la compétence voirie aux intercommunalités. Est-ce que nous ne pourrions pas montrer le chemin en étant incitatifs sur la réalisation d'un tel transfert ? Par expérience, quand les communes les plus réticentes à transférer la compétence voirie y ont été forcées, elles ne veulent plus reprendre cette compétence par la suite, en raison des bénéfices tirés de « l'effet de masse Dans certains cas, la défense des petites communes passe aussi en leur montrant en chemin. Il y a des économies à faire.

M. Michel Dagbert , rapporteur . - C'est un crève-coeur pour un certain nombre d'élus de transférer la compétence voirie au niveau intercommunal. Compte tenu de la technicité nécessaire, des montants en jeu et de la responsabilité de celui qui est en charge de l'ouvrage, ce transfert de compétence va se faire naturellement. Il n'est pas utile de s'accrocher à l'exercice d'une compétence si elle pose des difficultés en termes de responsabilité et en matière technique et financière.

Concernant l'ingénierie, le Cerema est plutôt bien identifié par les départements compte tenu des compétences qu'ils possèdent, comme l'illustre par exemple les travaux de l'association professionnelle des directeurs généraux adjoints en charge de la voirie qui participe à des colloques et des études nationales voire internationales. Par contre, les communes et les intercommunalités méconnaissent le Cerema et on se demande d'ailleurs s'il pourra faire face à un fort afflux de demandes et répondre aux sollicitations, ses moyens ayant été réduits ces dernières années.

M. Patrick Chaize , rapporteur . - Concernant le transfert de compétence voirie, il faut ajouter que certaines intercommunalités n'en veulent pas non plus ! Il ne peut pas y avoir de généralisation en la matière.

M. Hervé Maurey , président . - Je comprends qu'une intercommunalité n'ait pas envie de récupérer une compétence très coûteuse. Lorsque cette question a été évoquée avec les maires de Seine-et-Marne, ils étaient hostiles à un tel transfert, y compris ceux qui n'arrivaient pas à financer la reconstruction de leurs ponts, car ils avaient le sentiment de perdre une compétence importante, contribuant une nouvelle fois à la diminution de leur pouvoir.

M. Benoît Huré . - S'agissant de l'impact du coût des mesures environnementales quand il est procédé à des travaux, il faut arrêter d'avoir des sujets tabous. Il faut avoir le courage d'aborder les questions et justifier les solutions retenues si elles sont justifiables.

M. Michel Dagbert , rapporteur . - Dans les préconisations, il est demandé de bâtir un référentiel allégé pour les collectivités territoriales par rapport aux référentiels nationaux appliqués aux ouvrages.

La mission n'a pas abordé les problématiques spécifiques liées à l'eau mais il est évident qu'il ne faut pas venir mettre des entraves disproportionnées par rapport à la nature de l'ouvrage, au trafic supporté et aux potentialités financières de la collectivité.

M. Patrick Chaize , rapporteur . - C'est un sujet qui a été identifié mais n'a pas été intégré dans les propositions car il constitue une remise en cause de la loi sur l'eau.

M. Michel Dagbert , rapporteur . - Je pense qu'il faut éviter les commissions travaillant en tuyaux d'orgue. Il faut de la transversalité. La délégation aux collectivités a reçu récemment les préfets expérimentateurs à qui sera offerte la possibilité de déroger à certaines règlementations lorsque l'analyse permet de constater qu'il est possible de mettre en place un dispositif plus léger. C'est peut-être par cette voie que la solution sera trouvée.

M. Didier Mandelli . - Je vous félicite pour le travail réalisé et vos préconisations, qui démontrent tout l'intérêt de la mission. L'exemple cité de Sainte-Radegonde-des-Noyers, commune vendéenne, illustre la complexité de la situation. Cette commune a un pont écluse - soit un ouvrage hydraulique - qui est très ancien. Il régule l'eau dans une partie du marais poitevin. Il a été fragilisé à l'occasion de la tempête Xynthia. La complexité réside dans le fait que ce pont est à la limite de deux communes, deux départements et deux régions différentes. Cet ouvrage à vocation hydraulique permet par ailleurs d'éviter aux véhicules l'empruntant de faire 20 kilomètres supplémentaires.

Dans le cadre de l'examen du projet de loi d'orientation des mobilités, le sujet a été abordé avec la mission. Des discussions sont menées avec le ministère ainsi qu'avec l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf) sur le programme de mise en sécurité des tunnels et j'espère que le travail de la commission permettra au Gouvernement et à l'Afitf d'intégrer le financement nécessaire pour les dix ans à venir en prenant en compte tous les besoins, même s'ils sont nombreux (fluvial, route, etc.). Ce rapport devra servir de socle pour ces travaux.

Mme Angèle Préville . - Je vous remercie à mon tour pour ce panorama complet, très éclairant, et les propositions intéressantes et pertinentes que vous avez formulées, en particulier s'agissant du financement. Je vous félicite pour cette idée, ainsi que pour vos préconisations sur le schéma départemental.

Élue locale, j'avais été frappée par le reclassement de la voirie départementale, initiée pour des raisons budgétaires. Pourtant, nous avons au sein des services départementaux des agents techniques experts de ces sujets. Pensez-vous les mobiliser dans le cadre du schéma départemental ?

S'agissant des ponts construits entre 1950 et 1970, je suis effarée de constater la différence entre tout ce qui a pu être fait par le passé et tout ce que nous sommes incapables de conforter ou de garder en état aujourd'hui. Il y a un véritable manque d'investissement dans nos infrastructures.

M. Patrick Chaize , rapporteur . - S'agissant des moyens et compétences, ils dépendront de chaque département, des agents et de leur expérience. Nous ne pouvons pas fixer de règle générale, c'est pourquoi nous avons souhaité inciter au développement de schémas départementaux.

Il est vrai que les moyens ne sont plus les mêmes que par le passé, notamment parce que, aujourd'hui, les départements doivent également investir dans des domaines qui n'existaient pas auparavant, comme le numérique. Néanmoins, il faut prendre conscience de la durée de vie des ouvrages et de leur nécessaire renouvellement - c'est d'ailleurs la raison pour laquelle nous préconisons une gestion patrimoniale incluant des provisions pour le renouvellement.

M. Hervé Maurey , président . - Il est évident que tous les départements n'auront pas la même capacité à apporter une assistance en ingénierie aux communes. C'est un choix qui appartient aux collectivités.

Mme Évelyne Perrot . - Avez-vous abordé dans le rapport le sujet de l'obligation d'entretien des rives situées près des ponts ? Il faudrait notamment que les riverains débarrassent tout ce qui risquerait d'être emporté en cas de crue, car ce sont des choses qui viennent ensuite buter contre les piliers des ouvrages et les fragilisent.

M. Hervé Maurey , président . - Nous n'avons pas abordé directement le sujet, mais nous avons évoqué les conséquences des risques climatiques sur l'état des ponts.

M. Guillaume Gontard . - Je tiens également à vous remercier pour les mesures précises et très concrètes que vous avez formulées. Il est important de réaliser les travaux de maintenance.

J'ai rencontré le syndicat des scaphandriers, qui ont dénoncé le manque d'entretien des ouvrages, qui rend leurs interventions de plus en plus difficiles et dangereuses. Avec une maintenance régulière, cela n'arriverait pas, et effectués plus régulièrement, les travaux seraient également moins importants. Je trouve donc très positif de proposer que les coûts d'entretien puissent être assurés grâce au budget dédié à l'investissement.

Par ailleurs, les GPS orientent parfois les camions vers des ponts qui ne sont pas prévus pour un passage intensif de tels véhicules, ce qui contribue à dégrader les ouvrages. Avez-vous formulé des propositions sur ce sujet ?

M. Hervé Maurey , président . - S'agissant des navigateurs, les rapporteurs proposent effectivement la mise en place d'un système d'information géographique (SIG) pour rendre l'information disponible.

Quant à la dégradation des piliers, qui va croissante à mesure que l'on repousse les travaux, c'est hélas une vérité générale en matière de voirie. En 2017, lors de nos travaux sur les infrastructures routières et autoroutières, des experts nous avaient prévenus : si on ne met pas un euro dans les infrastructures aujourd'hui, on en mettra dix dans dix ans... D'où l'intérêt d'entretenir et d'anticiper.

Si le budget dédié à la maintenance des ponts de l'État - environ 45 millions d'euros par an en moyenne depuis 10 ans - n'augmente pas, le nombre de ponts en mauvais état aura doublé dans dix ans, et probablement triplé dans vingt ans. À titre de comparaison, en Allemagne, le budget d'entretien des principaux ponts est passé de 450 millions d'euros en 2016 à 780 millions d'euros prévus pour 2020, soit environ 1 % de la valeur à neuf des ponts investi chaque année. Les experts préconisent entre 0,5 % et 0,8 %, l'OCDE recommande même 1,5 %, et nous sommes à 0,2 % ! Nous avons un problème de sous-entretien chronique.

Mme Pascale Bories . - Je m'interroge sur la banque de données que vous avez évoquée : qui sera chargé de sa gestion ? Les services du ministère ? Le Cerema ? L'Agence nationale pour la cohésion des territoires ? Il serait d'ailleurs intéressant d'étendre ce principe aux barrages.

Le carnet de santé des infrastructures prévu dans le schéma départemental est une initiative très intéressante, mais le schéma s'appliquera-t-il à tous les ponts, même ceux dont la gestion n'est plus assurée par le département ? Allez-vous inciter à un recensement obligatoire, afin d'assurer que l'alerte sur l'état d'un pont puisse être donnée en cas de besoin ?

Je rebondis enfin sur l'amendement Giraud, évoqué tout à l'heure. Pour ma part, j'y suis très favorable : les élus de mon territoire demandent depuis des années la création d'un nouveau pont entre les deux autoroutes du sud de la France, une liaison est-ouest à Avignon baptisée la « voie LEO ». Or, le ministère ayant une nouvelle fois repoussé aux calendes grecques son investissement dans le projet, nous recherchons donc des financements privés. Un nouvel exemple de désaffection de l'État...

M. Patrick Chaize , rapporteur . - Il nous a semblé opportun que l'institut des rues, des routes et des infrastructures pour la mobilité (Idrrim), déjà chargé de l'observatoire national de la route, soit également chargé de cette nouvelle base de données.

S'agissant du schéma départemental, il n'implique pas un transfert de compétences : seulement, compte tenu de son expertise, il nous a paru pertinent que le département soit chargé de l'agrégation des données au sein du schéma, quel que soit le gestionnaire des ponts.

Mme Nadia Sollogoub . - Je suis très heureuse d'avoir participé à ces travaux sur un sujet cher aux territoires. Les élus ont beaucoup apprécié d'être interrogés sur ce sujet dans le cadre de l'enquête que nous avons menée auprès des collectivités territoriales.

Lors de l'audition de Voies navigables de France (VNF), ses représentants ont fortement insisté sur le fait que leur métier était la voie d'eau et que, par conséquent, ils ne s'occuperaient pas des ponts. La négociation risque d'être compliquée.

Par ailleurs, la loi sur l'eau, bien que très vertueuse, a considérablement complexifié le petit entretien courant, au point d'échapper aux élus locaux. Pourquoi ne pas profiter de ce rapport pour proposer un assouplissement de l'application de cette loi ? Ce serait une grande avancée pour les agents de terrain.

M. Patrick Chaize , rapporteur . - Un paragraphe du rapport porte sur cette question.

M. Hervé Maurey , président . - Sans remettre en cause la loi sur l'eau, il est important de montrer que toutes les normes, si vertueuses soient-elles, peuvent avoir des conséquences pratiques difficiles à gérer.

M. Jean-Marc Boyer . - Je souhaite revenir sur la compétence en matière de voirie, largement transférée aux intercommunalités. Il me semble que, lors du Grand Débat, les élus ont largement exprimé leur sentiment de dépossession et de perte de pouvoir. Certes, ce transfert est généralement guidé par des choix financiers, mais il est nécessaire de trouver un équilibre entre mutualisation à visée économique et responsabilité des élus locaux.

M. Hervé Maurey , président . - Nous ne préconisons pas et nous n'obligeons pas le transfert de compétences ! Si les communes préfèrent gérer seules leurs ponts, sans bénéficier des moyens qui peuvent exister au niveau intercommunal ou départemental, c'est leur choix.

Au début des travaux de la mission, nous nous sommes interdit de proposer des mesures obligatoires qui créeraient des contraintes réglementaires ou entraîneraient un coût pour les collectivités locales. À l'époque, un journaliste qui m'interrogeait m'avait d'ailleurs dit que la solution était simple, qu'il suffisait d'obliger les communes à faire un diagnostic. Y'a qu'à, faut qu'on... Un diagnostic simple coûte environ 5 000 euros par pont. Alors lorsqu'un élu vient me dire qu'il y a 80 ponts sur sa commune...

Il n'y a donc, dans notre rapport et nos propositions, aucune volonté d'imposer des transferts de compétence ou des mutualisations.

M. Frédéric Marchand . - J'ajoute ma voix au concert de louanges, car j'ai apprécié la méthode adoptée pour nos travaux et la qualité des auditions que nous avons menées.

J'insiste sur l'importance du coffre-fort numérique, qui, en devenant un référentiel pour tous les services de navigation qui orientent parfois les camions de façon anarchique, permettra d'améliorer la visibilité.

Toutes les propositions formulées dans le rapport satisfont les maires des petites communes.

M. Michel Vaspart . - Nous solliciterons certainement beaucoup l'ANCT et le Cerema : espérons qu'ils seront capables de gérer cette soudaine affluence de demandes...

Comme pour beaucoup de missions sénatoriales, les propositions sont très intéressantes. Mais, concrètement, que fait-on pour donner corps à ce travail de fond ? Allez-vous solliciter le gouvernement ? Envisagez-vous le dépôt d'une proposition de loi ? Il faut aller plus loin.

M. Hervé Maurey , président . - Le rapport sera remis à la ministre des transports et, en fonction du retour donné par le gouvernement à nos propositions, nous aviserons. Nous pouvons également demander un débat en séance au titre de notre mission de contrôle.

M. Patrick Chaize , rapporteur . - Nous avons mené nos réflexions, formulé nos propositions. Maintenant, nous devons travailler sur la concrétisation.

M. Hervé Maurey , président . - Nous avons anticipé la fin des travaux de la mission. La commission a adopté un amendement du rapporteur Didier Mandelli lors de l'examen du projet de loi d'orientation pour les mobilités, qui pose le principe de la participation de l'État à l'entretien des ponts. Cet élément figure désormais dans le rapport annexé au projet de loi.

M. Michel Vaspart . - Il faut absolument casser l'idée que les missions et rapports restent dans les tiroirs, car le travail mené est généralement remarquable. Je compte sur vous, monsieur le président, pour insister sur ce point lors de la conférence de presse !

M. Jean-Paul Prince . - Merci pour ce beau travail.

Pour ma part, la démolition d'infrastructures comme des barrages au nom de la continuité écologique me semble poser problème. Nous devons être très vigilants à assurer une bonne gestion hydraulique au pied des infrastructures. En effet, lorsqu'il n'y a plus d'eau au pied d'un pont sur pilotis... il s'écroule, comme cela a été le cas à Tours avec le pont Wilson ! Les conséquences des actions menées au nom de la continuité écologique doivent être soigneusement étudiées, car elles affectent les infrastructures, mais également le patrimoine.

M. Michel Dagbert . - C'est une question que nous n'avons pas expertisée, mais il faudra effectivement assurer la bonne gestion des bassins hydrauliques.

La commission de l'aménagement du territoire et du développement durable autorise la publication du rapport.

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