N° 11

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2019-2020

Enregistré à la Présidence du Sénat le 2 octobre 2019

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur les menaces et les agressions auxquelles sont confrontés les maires ,

Par M. Philippe BAS,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Philippe Bas , président ; MM. François-Noël Buffet, Jean-Pierre Sueur, Mme Catherine Di Folco, MM. Jacques Bigot, André Reichardt, Mme Sophie Joissains, M. Arnaud de Belenet, Mme Nathalie Delattre, MM. Pierre-Yves Collombat, Alain Marc , vice-présidents ; M. Christophe-André Frassa, Mme Laurence Harribey, M. Loïc Hervé, Mme Marie Mercier , secrétaires ; Mme Esther Benbassa, MM. François Bonhomme, Philippe Bonnecarrère, Mmes Agnès Canayer, Maryse Carrère, Josiane Costes, MM. Mathieu Darnaud, Marc-Philippe Daubresse, Mme Jacky Deromedi, MM. Yves Détraigne, Jérôme Durain, Mme Jacqueline Eustache-Brinio, MM. Jean-Luc Fichet, Pierre Frogier, Mmes Françoise Gatel, Marie-Pierre de la Gontrie, M. François Grosdidier, Mme Muriel Jourda, MM. Patrick Kanner, Éric Kerrouche, Jean-Yves Leconte, Henri Leroy, Mme Brigitte Lherbier, MM. Didier Marie, Hervé Marseille, Jean Louis Masson, Thani Mohamed Soilihi, Alain Richard, Vincent Segouin, Simon Sutour, Mmes Lana Tetuanui, Claudine Thomas, Catherine Troendlé, M. Dany Wattebled .

INTRODUCTION

« Synonyme d'écoute et de proximité,
l'institution du maire est l'une de nos principales réussites républicaines »

« L'insécurité ne sera combattue avec succès que si les maires se voient reconnaître de nouveaux pouvoirs »

Jacques Chirac, discours de Rennes du 4 décembre 1998

Mesdames, Messieurs,

Le 5 août 2019, le maire de Signes (Var), Jean-Mathieu Michel, perdait la vie dans l'exercice de ses fonctions , renversé par une camionnette après être intervenu pour mettre fin à un dépôt sauvage de gravats.

Cet évènement a mis en pleine lumière les violences auxquelles les élus locaux, et en particulier les maires, sont confrontés dans l'exercice de leur mandat. Elles se traduisent par des incivilités, des injures, des menaces et même des agressions physiques contre eux-mêmes ou leurs proches.

Longtemps considérés comme des personnages « intouchables » pour reprendre l'expression de l'historien Maurice Agulhon 1 ( * ) , les maires subissent aujourd'hui des atteintes physiques ou verbales que notre République ne saurait tolérer, car la commune est une petite république dans la grande . Notre démocratie doit la protéger. Elle doit protéger ses représentants.

Sur le terrain, la situation des maires rejoint celle d'autres représentants de l'administration confrontés à la violence de certains de nos concitoyens, comme les forces de l'ordre ou les sapeurs-pompiers 2 ( * ) . En raison de leur « double casquette » d'exécutifs de la collectivité et de représentants de l'État dans les territoires, les maires sont sans doute les plus exposés face aux agissements d'individus qui remettent en cause l'autorité de la puissance publique.

Pour autant, la quantification réelle des faits ainsi que le « ressenti » des maires sur cet état de fait restent difficile à déterminer. Elle est néanmoins devenue indispensable . Comme l'a souligné Jean-Marie Bockel, président de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, lors de son audition par la commission des lois, si de précédentes consultations d'élus locaux n'avaient pas fait « remonter » la question des violences, le décès de Jean-Michel Mathieu a, en définitive, été la « goutte d'eau qui a fait déborder le vase et a dévoilé une situation qui s'est installée et à laquelle, trop souvent, nous nous sommes, collectivement, habitués . » 3 ( * )

Aussi, votre commission des lois a-t-elle décidé de lancer une grande consultation des maires et des élus locaux bénéficiant d'une délégation de fonctions, en lien avec l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF) . Ouverte le 13 août dernier, la consultation s'est achevée le 15 septembre.

Cette consultation constitue un exercice inédit et surtout nécessaire . En témoigne le nombre de participants : 3 812 élus 4 ( * ) , représentant 10,90 % des communes de France, issus de la quasi-totalité des départements .

Elle était d'autant plus indispensable qu' il n'existait aucune donnée suffisamment précise pour prendre la mesure des violences physiques et verbales exercées à l'encontre des élus locaux.

En même temps qu'elle lançait son questionnaire, votre commission des lois a sollicité dès le 9 août dernier les ministres de l'intérieur, de la justice et de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités. Mais les réponses obtenues par la commission, parfois après relance, montrent que les données dont disposent les services de l'État sont trop incomplètes pour appréhender l'ampleur du phénomène .

Dans sa réponse, le ministère de l'intérieur fait état pour l'année 2018 de 361 maires ou adjoints au maire victimes d'atteintes volontaires à l'intégrité physique (AVIP) et de 178 victimes d'outrages à personne dépositaire de l'autorité publique . Le ministère de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales a repris ces chiffres, sans apporter d'éléments complémentaires.

Excluant les incivilités, ces données ne concernent que les faits signalés aux services de police et de gendarmerie. Elles ne permettent pas, non plus, d'examiner les circonstances des événements ni la sociologie des victimes. Elles justifient d'autant plus la démarche entreprise par votre commission.

Pour sa part, la ministre de la justice a déclaré ne pas être en mesure de communiquer de données statistiques, faute de pouvoir identifier les maires et élus communaux parmi les victimes d'infractions . Elle n'a pu faire état à la commission que de neuf affaires récentes diligentées pour violences volontaires, menaces ou dégradations au préjudice de maires, dont trois ont fait l'objet de condamnation.

Sur le plan méthodologique, le présent rapport exploite les résultats d'une consultation en grandeur réelle, reposant sur les réponses volontaires des élus , et non d'un sondage auprès d'un échantillon représentatif des maires de France. En d'autres termes, ces résultats, tels qu'ils sont présentés, ne reflètent qu'une partie de l'état des violences à l'égard des maires. Ils ne prétendent pas non plus déterminer exactement les départements ou les catégories de communes dans lesquels des faits de violence morale, physique ou verbale à l'égard des maires seraient plus développés ou, à l'inverse, quasi-absents.

La consultation permet néanmoins de dresser une typologie des comportements malveillants , de recueillir des témoignages des élus locaux au plus près du terrain et d' examiner les suites données par les autorités .

Sur le fond, elle a donné à beaucoup de maires la possibilité de s'exprimer sur les violences subies et, pour certains d'entre eux, de rompre une certaine solitude dans l'exercice de leurs fonctions .

Le maire d'une commune rurale indique ainsi que les édiles sont « souvent seuls et démunis » face aux violences. De même, le maire d'une commune de moins de 1 000 habitants déclare : « j'ai le sentiment d'être seul et laissé en première ligne, sans moyens, pour faire respecter le droit et la sécurité ».

À partir de ces constats, votre commission propose un plan d'action de 12 mesures pour renforcer l'autorité des maires, conforter leurs moyens d'action et mieux les protéger dans l'exercice de leurs fonctions .

I. LA CONSULTATION : UNE EXPRESSION INÉDITE DE PLUS DE 10 % DES MAIRES DE FRANCE, ISSUS DE LA QUASI-TOTALITÉ DES DÉPARTEMENTS

A. UNE REPRÉSENTATION ÉQUILIBRÉE DES TERRITOIRES

La consultation a permis de couvrir une grande majorité du territoire français : les réponses recueillies émanent de 98 des 101 départements 5 ( * ) , ainsi que de la Nouvelle-Calédonie .

En moyenne, ont été collectées 39 réponses par département , mais l'ampleur de la participation est très inégale d'un territoire à l'autre 6 ( * ) .

Parmi les départements d'où provient le plus grand nombre de réponses, se trouvent la Haute-Garonne (119 réponses), la Gironde (97 réponses), l'Oise (96 réponses) et le Nord (92 réponses).

Les départements de Paris et de la petite couronne (Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis et Val-de-Marne) figurent parmi les départements ayant transmis le moins de réponses, de même que le Cantal, la Haute-Corse, la Creuse, la Lozère et la Mayenne (moins de 10 réponses).

Les territoires ultramarins sont également sous-représentés : outre les départements de Mayotte et de la Guyane, la Polynésie française, Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon n'ont pas participé à la consultation. La Guadeloupe, la Martinique, la Nouvelle-Calédonie et la Réunion ont quant à elles transmis moins de cinq réponses.

Répartition géographique des réponses à la consultation

Source : Commission des lois du Sénat, avec l'application Khartis 7 ( * )

Les réponses collectées assurent une représentation relativement équilibrée de l'ensemble des strates de communes .

Seules les communes de moins de 500 habitants sont sous-représentées. Les communes de 1 000 à 9 999 habitants présentent, au contraire, une légère surreprésentation.

Répartition des réponses à la consultation par strate de communes

Taille des communes

Proportion par rapport au nombre total de communes françaises (en %)

Proportion dans les réponses à la consultation (en %)

Différentiel constaté (en %)

0 à 499 habitants

52,6

36,7

- 15,9

500 à 999 habitants

19,1

21,1

+ 2

1 000 à 3 499 habitants

19,4

27,3

+ 7,9

3 500 à 9 999 habitants

6,2

10

+ 3,8

10 000 à 19 999 habitants

1,5

3

+ 1,5

20 000 à 99 999 habitants

1,2

1,8

+ 0,6

100 000 habitants et plus

0,1

0,2

+ 0,1

Source : Commission des lois du Sénat

Plus de 21 % des participants exercent leur mandat dans une commune disposant d'une police municipale ou intercommunale , ce qui traduit une légère surreprésentation de ce type de communes par rapport au reste du territoire national 8 ( * ) . Seuls 2,8 % des participants issus d'une commune de moins de 1 000 habitants disposent d'une police municipale.


* 1 Maurice Agulhon, Les Métamorphoses de Marianne , Flammarion, 2001, p. 169-183.

* 2 Le 2 avril 2019, une mission d'information a d'ailleurs été créée au sein de votre commission des lois concernant la sécurité des sapeurs-pompiers. Mme Catherine Troendlé, MM. Loïc Hervé et Patrick Kanner en sont les rapporteurs.

* 3 Audition du 24 septembre 2019, dont le compte rendu est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20190923/lois.html .

* 4 Dont 3 678 participants qui ont répondu en se connectant à la plateforme numérique du Sénat et 134 participants qui ont répondu par courriel ou par voie postale.

* 5 Seuls la Corse du Sud, Mayotte et la Guyane n'ont transmis aucune réponse au questionnaire.

* 6 Parmi les départements ayant participé à la consultation, le nombre de réponses est compris entre une seule et 119. Non représentée sur cette carte, la Nouvelle-Calédonie a transmis deux réponses.

* 7 Cette application a été développée dans le cadre d'un projet open source de Sciences Po - Atelier de cartographie.

* 8 Au niveau national, seules 13 % des communes sont dotées d'une police municipale. ( https://www.data.gouv.fr/fr/datasets/police-municipale-effectifs-par-commune/ ).

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