III. LES 12 PROPOSITIONS DE LA COMMISSION DES LOIS : UN PLAN D'ACTIONS CONCRÈTES ET OPÉRATIONNELLES POUR LA SÉCURITÉ DES MAIRES

Par le lancement d'une consultation auprès des maires, votre commission a non seulement souhaité prendre la mesure des difficultés auxquelles sont confrontés les élus locaux dans l'exercice de leurs fonctions quotidiennes, mais également les interroger sur les évolutions qu'ils estimaient souhaitables pour leur permettre d'exercer leur mandat dans des conditions qui préservent leur sécurité et leur dignité.

Certaines des revendications et préoccupations soulevées à cette occasion paraissent recevoir une première réponse dans le projet de loi relatif à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique , déposé sur le bureau du Sénat le 19 juillet dernier. Ainsi en est-il du renforcement des prérogatives de police du maire ou encore du dispositif de protection fonctionnelle. Votre commission ne peut que s'en féliciter.

Les constats établis à l'issue de la consultation l'amènent toutefois à formuler un certain nombre de propositions complémentaires , qui poursuivent un double objectif : d'une part, mieux accompagner et mieux protéger le maire dans l'exercice de son mandat ; d'autre part, renforcer son autorité dans les territoires.

Ces mesures reflètent, toutes, des préoccupations soulevées par les élus dans leurs contributions.

Elles ne sauraient, bien entendu, apporter de solution miracle à une situation éminemment complexe. La situation vécue par les élus est en effet, plus largement, le reflet de l'évolution de notre société, au sein de laquelle le respect de l'autorité, sous toutes ses formes, ne cesse de s'éroder. Les maires en témoignent : il y a, au-delà de l'amélioration des conditions d'exercice des mandats locaux, un besoin impérieux de réhabiliter, par l'éducation et l'instruction civique, l'image et le rôle des autorités publiques .

Votre commission a néanmoins souhaité apporter, par des propositions précises et concrètes, une première réponse, rapide et opérationnelle, aux difficultés rencontrées, sur le terrain , par de nombreux maires.

A. ACCOMPAGNER ET PROTÉGER LE MAIRE DANS L'EXERCICE DE SON MANDAT

1. Garantir une protection fonctionnelle effective pour les maires et leurs adjoints
a) Élargir à l'ensemble des élus communaux le périmètre de l'assurance obligatoire pour couvrir les frais liés à la protection fonctionnelle

Il ressort de la consultation menée, d'une part, qu'une minorité de maires bénéficient, dans les faits, d'une protection juridique par leurs communes , d'autre part, que cette protection fonctionnelle se révèle plus particulièrement difficile à engager dans les petites communes.

Ce constat s'explique aisément : l'octroi de la protection fonctionnelle engendre en effet des coûts importants et difficilement prévisibles, susceptibles de grever les budgets de fonctionnement. Les petites communes sont d'autant plus exposées à des risques de dérives financières qu'elles disposent de budgets plus contraints, de nature à dissuader les élus concernés de solliciter l'octroi de la protection fonctionnelle et les conduisant parfois à contracter des assurances à titre individuel.

Certains élus ayant répondu à la consultation de votre commission indiquent ainsi ne pas avoir demandé de protection « pour ne pas dépenser de l'argent public », « de peur qu'on me reproche de "coûter" de l'argent à la commune » ou s'être « défendu seul car ça coûte moins cher à la commune ».

A l'instar des fonctionnaires et agents publics, la loi reconnaît pourtant aux maires et aux élus communaux les suppléant dans l'exercice de leurs fonctions un droit à bénéficier d'une protection soit lorsqu'ils font l'objet de poursuites pénales ou civiles , à condition que les faits qui leur sont reprochés ne constituent pas des fautes personnelles détachables de l'exercice de leurs fonctions 15 ( * ) , soit lorsqu'ils sont victimes d'agressions, de menaces ou d'outrages dans l'exercice ou du fait de leurs fonctions 16 ( * ) .

Cette protection leur est accordée par la commune ou, dans les cas où ils agissent en son nom et pour son compte, par l'État. Elle consiste principalement, pour la collectivité, à prendre en charge les honoraires d'avocats et les frais de justice et, le cas échéant, à réparer le préjudice subi.

Soucieux de renforcer l'effectivité de ce droit, le Gouvernement propose, dans le cadre du projet de loi relatif à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique 17 ( * ) , de fixer, dans la loi, une obligation pour les communes de contracter une assurance destinée à couvrir tous les coûts financiers engendrés par l'octroi aux maires de la protection fonctionnelle, avec un mécanisme de compensation par l'État pour les communes de moins de 1 000 habitants.

S'il va dans le bon sens, le dispositif proposé se révèle, de l'avis de votre commission, incomplet . En limitant le périmètre de l'assurance obligatoire aux seuls maires, et non aux autres élus pourtant bénéficiaires de la protection fonctionnelle, le texte du Gouvernement réduit en effet l'utilité même du mécanisme assurantiel.

Il est, bien entendu, possible que les communes les plus grandes aillent, d'elles-mêmes, au-delà de l'obligation prévue par la loi, comme certaines le font d'ailleurs d'ores et déjà, pour couvrir l'ensemble des autres élus municipaux susceptibles de bénéficier de la protection fonctionnelle.

Eu égard à leurs contraintes budgétaires, il est en revanche probable que les communes les plus petites se contentent de l'assurance obligatoire prévue par le législateur, ce qui ne les prémunira, en réalité, que partiellement contre le risque financier lié à la mise en oeuvre de la protection fonctionnelle, alors même qu'elles éprouvent le plus de difficulté à supporter le coût d'une protection.

Forte de ces constats, votre commission recommande d' élargir le périmètre de l'assurance obligatoire qu'il est prévu de créer afin qu'elle couvre l'ensemble des bénéficiaires de la protection fonctionnelle .

b) Attribuer systématiquement la protection fonctionnelle aux élus victimes de violences, de menaces ou d'outrages

Il ressort également des résultats de la consultation que certains maires renoncent à faire jouer leur droit à la protection fonctionnelle en raison soit des difficultés à l'obtenir auprès du conseil municipal, soit de la complexité à constituer un dossier .

Certains témoignages recueillis sont, à cet égard, éclairants. Un élu municipal, agressé dans le cadre de ses fonctions, indique ainsi : « Le maire et la majorité du conseil municipal n'ont pas levé le petit doigt pour me défendre car mon agresseur était le beau-frère d'une conseillère proche du maire ». Un maire explique également : « Je n'ai pas ressenti de soutien de la part de mon conseil municipal. ». D'autres évoquent la « lourdeur administrative » de la procédure, « trop compliquée à mettre en place » ou de « démarches non souhaitées car complexes, et qui engendreraient davantage de difficultés avec les administrés ».

La procédure d'octroi de la protection fonctionnelle se révèle en effet relativement lourde, contraignante et source d'insécurité pour les élus.

En l'état du droit, un élu qui souhaite bénéficier de la protection fonctionnelle doit en solliciter l'attribution auprès de la commune. Il appartient au conseil municipal d'apprécier la situation et de décider, lorsque les conditions légales sont réunies, de la lui accorder.

Bien que l'octroi d'une protection constitue une obligation pour la collectivité, le conseil municipal dispose, y compris lorsque l'élu est victime, d'un pouvoir discrétionnaire qui lui permet d'apprécier l'opportunité d'accorder sa protection en fonction de la gravité des faits et de définir, le cas échéant, les modalités appropriées pour accorder la protection de l'élu. Il conserve ainsi la possibilité de refuser d'apporter son aide financière ou de n'assurer qu'une prise en charge partielle des frais engagés, pour des motifs d'intérêt général.

De manière à surmonter les obstacles avancés par les élus, votre commission propose de simplifier la procédure d'octroi de la protection fonctionnelle, lorsque celle-ci est demandée à raison de faits de violences, de menaces ou d'outrages. Plutôt que de renvoyer la décision à une délibération du conseil municipal, l'attribution de la protection serait de droit à la demande de l'élu , sauf délibération contraire motivée du conseil municipal dans un délai de trois mois.

En inversant, de ce fait, la charge de la preuve, cette modification du cadre légal permettrait d'assurer l'effectivité pratique du droit à la protection fonctionnelle pour les élus victimes et de limiter le refus d'assistance aux seules situations pour lesquelles une préoccupation d'intérêt général dûment motivée pourra être apportée.

2. Diffuser à l'ensemble des parquets des orientations fermes de politique pénale en cas d'agressions d'élus locaux

Le traitement judiciaire des agressions commises à l'encontre des maires et des élus communaux fait l'objet, dans les contributions adressées à votre commission, de nombreuses critiques.

Deux griefs sont plus particulièrement formulés à l'encontre des autorités judiciaires.

Plusieurs témoignages font tout d'abord état d'une incitation des services de police nationale ou de gendarmerie nationale à ne pas porter plainte, voire d'un refus de prendre la plainte . Le maire d'une commune de moins de 1 000 habitants déclare ainsi : la « gendarmerie m'a déconseillé [de porter plainte] prétextant que le procureur ne prendrait pas ce fait étant donné l'encombrement de la justice ». Un autre indique n'avoir pas porté plainte « car la gendarmerie n'a pas souhaité prendre [sa] plainte : pas de vagu e ».

Comme évoqué précédemment, de nombreux élus, regrettant l'absence de réponse pénale ou la faiblesse des sanctions infligées, appellent par ailleurs à une réaction plus systématique et plus ferme de la justice aux agressions qu'ils subissent.

Témoignages de maires :
sanctionner plus systématiquement et plus fermement les agressions
à l'encontre des élus

« Donner plus de poids à la parole du maire, car la non poursuite des agresseurs est due à l'absence de témoins des faits. Il faut que les agresseurs soient réellement poursuivis et lourdement condamnés. Le maire, comme d'ailleurs le gendarme, n'est plus respecté car l'impunité fait loi. »

« Il est nécessaire que la justice soit plus réactive et plus sévère. Les délinquants n'ont peur de rien sachant que les condamnations sont bien souvent inexistantes ».

« Faire en sorte que les dépôts de plainte soient plus systématiquement et plus rapidement instruits par les services de police et donnent lieu rapidement à une réponse pénale autre que le « classement sans suite », la plupart du temps par manque de moyens. »

« Relire le Traité des délits et des peines de Cesare Beccaria ! Notre code pénal fourmille (et le mot est faible) de sanctions... lorsque des infractions sont constatées, même les "peines" les plus légères devraient être appliquée "promptement" et de manière "certaine" ! Il n'y a que de cette manière qu'elles deviendront dissuasives... alors... peut-être... les agressions, menaces et outrages se feront plus rares. »

« Des sanctions plus lourdes et le non classement sans suite quand il s'agit d'élus de la République. »

« Sensibiliser les magistrats pour que lors des instances judiciaires les sanctions soient exemplaires ».

Interrogée par votre commission, la garde des sceaux n'a pas été en mesure de communiquer les statistiques relatives aux suites judiciaires données aux faits d'agressions, de menaces ou d'outrages signalés aux forces de police et de gendarmerie ou ayant donné lieu à une plainte. Cette absence de données statistiques est d'autant plus regrettable qu'elle traduit un manque de suivi, par les autorités judiciaires , de ces comportements de violences qui ne sauraient être tolérés dans notre démocratie.

Alors que les services de police et de gendarmerie constatent une augmentation des plaintes enregistrées pour atteintes volontaires à l'intégrité physique à l'encontre de maires ou de maires-adjoints 18 ( * ) , il est, au demeurant, surprenant qu'aucune circulaire générale de la garde des sceaux n'ait à ce jour été publiée afin de donner des instructions pour le traitement pénal de ces actes.

À l'instar des textes récemment diffusés en réaction aux agressions commise à l'encontre de certains représentants de l'ordre public, fonctionnaires de police et fonctionnaires de l'administration pénitentiaire notamment, votre commission estime urgent qu'une instruction ou une dépêche de la Garde des sceaux soit adressée aux parquets afin de donner des directives de réactivité et de fermeté en cas d'agressions commises à l'encontre de maires ou d'élus locaux.

Ces orientations de politique pénale pourraient utilement recommander :

- le recueil de plaintes plutôt que l'établissement de simples mains courantes ou de renseignements judiciaires ;

- une réponse pénale systématique et ferme ;

- le recours à des sanctions à caractère pédagogique (stages de citoyenneté par exemple), de nature à inciter une réflexion chez les auteurs d'infraction et à rappeler les valeurs républicaines ;

- l'utilisation de mesures de publicité de la sanction , en particulier la peine d'affichage ou de diffusion de la décision.

3. Renforcer l'assistance des services de l'État à l'égard des élus communaux
a) Adresser aux préfectures des consignes claires pour mettre en place un dispositif d'accompagnement systématique des maires agressés

Parmi les contributions recueillies par votre commission, de nombreux maires victimes d'agression font état de leur sentiment de solitude et indiquent n'avoir reçu, à cette occasion, aucun appui des services de l'État. Le maire d'une commune moyenne déclare ainsi : « Quand j'ai été menacée de mort, je suis allée voir le préfet pour lui demander quelle protection il allait mettre en place. Non seulement il n'a mis en place aucune protection mais en plus il m'a dit que le mieux serait que je démissionne!!!! J'avais été élue maire par notre équipe municipale après le suicide de notre maire... ».

Les élus revendiquent, dans leur grande majorité, un renforcement concret du soutien de l'État, en particulier des préfectures. Parmi les propositions formulées figurent, à titre d'exemple, la création d'une « hotline réelle » entre l'État et la commune, ou encore la « mise en place d'un service juridique gratuit spécifique à ce type d'agression au service des élus ». Un maire relève également que « chaque maire devrait être en mesure d'informer la Préfecture à l'aide d'un mail personnel en cas d'agressions, menaces ou outrages à son encontre pour bénéficier d'un soutien direct de l'État ».

Forte de ces constats, votre commission estime nécessaire que des consignes claires soient données, par voie de circulaire , à l'ensemble des préfectures et sous-préfectures pour qu'un dispositif d'accompagnement systématique des maires soit mis en place par les services préfectoraux en cas de signalement d'un cas d'agression à l'encontre d'un élu local.

Il est souhaitable que cet accompagnement comprenne non seulement une assistance à l'élu dans le cadre de l'engagement de ses procédures judicaires , mais également une assistance psychologique et, le cas échéant, quand la nature des faits dont il a été victime le justifient, la mise en place d'un dispositif de sécurité.

Cette circulaire pourrait également utilement rappeler leur obligation de signalement au parquet , en application de l'article 40 du code de procédure pénale, de l'ensemble des faits d'agressions, de menaces ou d'outrages commis à l'encontre d'élus dont ils auraient connaissance.

b) Accompagner les maires dans l'exercice de leurs pouvoirs de police

Outre le besoin de soutien en cas d'agression, certains élus se disent démunis dans l'exercice de leurs fonctions et font état d'un besoin plus général de formation et d'assistance juridique, en particulier pour la mise en oeuvre de leurs pouvoirs de police.

Certaines réponses à la consultation témoignent, à cet égard, d'un certain désarroi des élus face à des responsabilités dont ils ne connaissent pas l'ampleur et qu'ils ne savent pas mettre en oeuvre.

Témoignages de maires : un besoin accru de formation

« Les maires des petites communes n'ont pas la compétence requise pour faire respecter les lois et règlementations et ne peuvent être assistés par des professionnels. Il leur faudrait une "bible" (base de données) où il y aurait tous les exemples de procédures et démarches pour chaque cas particulier ».

« L'on parle beaucoup du pouvoir de police du maire, inapplicable. Après avoir lu, aux éditions la vie communale, la 5e édition "le maire et son pouvoir de police", il manque un interlocuteur (préfecture, sous-préfecture) pour nous aider à la mise en oeuvre des procédures ».

« Je trouve qu'il m'est difficile de savoir quel acte je peux verbaliser, comment le faire, manque d'un guide pratique pour les communes rurales ».

« Il y a un manque important de formation pour les nouveaux maires. On ne connait pas le cadre juridique, on ne sait pas jusqu'où on peut aller et comment sanctionner. Bref sans information concrète, on ne fait rien. Ne pourrait-on pas avoir un site internet GRATUIT où on aurait les formulaires, les explications pour mettre des amendes (Vert, Blanc ou Orange!!). Faire une base de données où l'on pourrait échanger sur des sujets et voir comment les autres maires ont réglé leurs problèmes... Faire un vrai réseau. »

« Disposer en premier lieu d'une formation obligatoire et financée pour assurer une mise en oeuvre juste des pouvoirs de police . »

Votre commission estime que deux propositions concrètes permettraient de satisfaire les attentes des élus.

La formation des maires pourrait, en premier lieu, être renforcée en s'appuyant sur les services du Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) . La compétence de celui-ci se limitant aujourd'hui à la formation des agents territoriaux, cette proposition nécessiterait de modifier ses missions par voie législative.

En second lieu, il apparaît souhaitable que les services de l'État mettent à disposition des maires une documentation complète sur l'étendue et l'exercice de leurs pouvoirs de police , sous la forme par exemple de mémentos juridiques et pratiques. Cette documentation pourrait utilement être accompagnée de modèles d'actes (arrêtés de police, procès-verbaux, etc.) de nature à leur garantir une certaine sécurité juridique dans la mise en oeuvre de leurs prérogatives. Votre commission observe que certaines préfectures sont d'ores et déjà habituées à cette pratique. Il s'agirait de s'assurer de sa généralisation sur tout le territoire.


* 15 Art. L. 2123-34 du code général des collectivités territoriales.

* 16 Art. L. 2123-35 du même code.

* 17 Article 30 du projet de loi modifié par lettre rectificative.

* 18 Selon les informations transmises par le ministère de l'intérieur, 361 maires ou maires-adjoints ont été victimes d'atteintes volontaires à l'intégrité physique en 2018, dont 211 de menaces ou de chantage et 145 de violences physiques. Ces chiffres sont augmentation de 9 % par rapport à l'année 2018, et de 13,5 % par rapport à 2017.

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