III. DES DÉBATS EN SÉANCE PLÉNIÈRE VARIÉS, RICHES ET IMPORTANTS

Cette session d'automne 2019 de l'APCE a donné lieu à la discussion de plusieurs propositions de résolutions et de recommandations portant sur des sujets de préoccupation divers, mais importants et en phase avec l'actualité. Si les questions inhérentes à la défense des droits humains et de la démocratie ont logiquement accaparé une large part de l'ordre du jour, à travers des débats concernant aussi bien les lanceurs d'alerte que les institutions de médiateur en Europe ou les enjeux démocratiques au sein de certains pays, la protection des victimes - notamment celles d'attentats terroristes -, ainsi que la dimension inclusive de l'économie, le travail de mémoire à l'égard du patrimoine juif et la problématique des migrants ont également retenu la plus grande attention des parlementaires.

A. LA DÉFENSE DES DROITS DE L'HOMME, DE LA DÉMOCRATIE ET DE L'ÉTAT DE DROIT : UNE PRIORITÉ TOUJOURS AUSSI PRIMORDIALE

Justification même de l'existence de l'APCE, le dialogue entre représentants des États membres sur le respect des standards communs en matière de droits humains et de règles démocratiques est constamment entretenu à travers des focus particuliers sur des problématiques tantôt transversales, tantôt propres à des pays précis. En cet automne 2019, ce type de débats a concerné deux sujets transversaux très contemporains, à savoir la protection des lanceurs d'alerte et l'harmonisation du cadre juridique des médiateurs en Europe, ainsi que des situations plus spécifiques, à travers le bilan du dialogue post-suivi avec la Macédoine du Nord, l'appréciation du fonctionnement des institutions démocratiques en République de Moldova et, au titre d'un débat d'urgence, le contexte des dernières élections au conseil de la ville de Moscou.

1. Deux sujets de fond très actuels

La protection des lanceurs d'alerte et la défense des institutions d'intermédiation entre les pouvoirs publics et les citoyens constituent aujourd'hui deux enjeux démocratiques forts. Il n'est par conséquent pas étonnant qu'elles aient retenu l'attention de l'APCE pour ses travaux.

a) L'ambition d'améliorer la protection des lanceurs d'alerte en Europe

Lors de sa séance du mardi 1 er octobre 2019 matin, l'APCE a adopté, sur le rapport de M. Sylvain Waserman (Bas-Rhin - Mouvement Démocrate et apparentés) , au nom de la commission des questions juridiques et des droits de l'Homme, une résolution et une recommandation sur l'amélioration de la protection des lanceurs d'alerte en Europe.

En ouverture de la discussion générale, le rapporteur a estimé que l'émergence des lanceurs d'alerte était une question de droits fondamentaux qui repose sur la liberté d'expression mais aussi un fait de société dans un monde de réseaux sociaux et de nouvelles technologies de l'information, où chaque citoyen qui veut lancer une alerte peut techniquement le faire.

La question qui se pose est celle de l'impact et des conséquences auxquelles s'exposent ces lanceurs d'alerte. Leur protection devient un marqueur démocratique car ils constituent un véritable garde-fou démocratique pour des enjeux majeurs comme la lutte contre la corruption, les atteintes graves à l'environnement ou la question des libertés individuelles. C'est pour cette raison qu'ils doivent trouver leur juste place dans la société et bénéficier d'un bon niveau de protection.

L'APCE s'est saisie du sujet dès 2010 dans un rapport porté par M. Peter Omtzig (Pays-Bas - PPE/DC) ; de même, les travaux du Conseil de l'Europe ont largement inspiré la directive adoptée en avril dernier par le Parlement européen. Ainsi, le Conseil de l'Europe a joué son rôle d'inspiration du droit et de proposition pour des évolutions législatives.

M. Sylvain Waserman a souligné que son travail s'appuyait sur trois sources :

- en premier lieu, une large consultation des membres du Conseil de l'Europe pour constituer un état des lieux des législations en la matière, 27 pays ayant répondu via le centre européen de recherche et de documentation parlementaires (CERDP) ;

- en deuxième lieu, la tenue sur deux jours au Palais de l'Europe d'un événement intitulé « 48 heures Chrono sur les Lanceurs d'alerte », avec les regards croisés de près de 130 universitaires, journalistes, associations citoyennes ou des lanceurs d'alerte tels que M. Edward Snowden ;

- enfin, deux séries d'auditions sur le sujet par la commission des questions juridiques et de l'État de droit.

Le rapport soutient et promeut la directive européenne, étape majeure pour les évolutions législatives à venir, mais il pose surtout la question de l'étape d'après. À cet effet, il formule douze propositions, dont le rapporteur a livré quatre exemples.

Tout d'abord, le rapport préconise que chaque pays se dote d'une agence indépendante chargée d'accompagner les lanceurs d'alerte. Il s'agit ainsi d'avoir un interlocuteur fiable des instances judiciaires et, surtout, d'aider les lanceurs à savoir si la législation spécifique les concernant peut s'appliquer à leur cas particulier. Ces autorités indépendantes auraient vocation à constituer un véritable réseau européen.

Une autre proposition concerne les différentes évolutions législatives envisageables pour la protection des lanceurs d'alerte, notamment pour contrer les « procédures bâillons » qui visent à les étouffer au plan juridique. Est également proposée la création d'un fonds de soutien alimenté par le produit des sanctions pécuniaires infligées aux personnes ou organisations n'ayant pas respecté la législation en matière de lancement d'alerte, pour financer un soutien juridique à ceux qui feraient l'objet de procédures devant les instances judiciaires.

Parallèlement, il apparaît désormais nécessaire de faire évoluer le droit d'asile pour permettre aux lanceurs d'alerte de pouvoir y prétendre. Aujourd'hui les modalités de mise en oeuvre ne sont pas adaptées aux enjeux.

Enfin, le rapporteur a défendu sa conviction de l'utilité de favoriser l'émergence, dans la société civile, d'un écosystème favorable à l'accompagnement des lanceurs d'alerte, en s'appuyant notamment sur les réseaux associatifs et l'engagement citoyen. Il s'agit là de rompre l'isolement auquel chaque lanceur d'alerte est parfois confronté. Ce faisant, chaque parlementaire a un rôle essentiel à jouer pour que, dans les différents États membres, la protection des lanceurs d'alerte soit pleinement effective. Pour les accompagner dans cette démarche, l'annexe II du rapport propose un outil d'auto-évaluation de l'état d'avancement des législations nationales, en les passant au crible de trente critères et de trente questions ; cette logique d'auto-évaluation pourra peut-être faire émerger des pistes d'amélioration au sein des Parlements nationaux.

M. Sylvain Waserman a conclu sur son adhésion totale à la démarche d'amélioration continue, qui dépend de chacun. La protection des lanceurs d'alerte est un sujet sur lequel les travaux de l'APCE peuvent être éclairants.

Intervenant comme oratrice au nom du groupe PPE/DC, Mme Marie-Christine Dalloz (Jura - Les Républicains) a relevé qu'en France, le procès du Mediator montrait à lui seul l'importance de ces réveilleurs de conscience que sont souvent les lanceurs d'alerte. Malheureusement, si Mme Irène Frachon continue de mener une vie quasi normale, ce n'est pas le cas de la plupart des lanceurs d'alerte qui, dans leur majorité, se retrouvent sans emploi, embourbés dans des procédures judiciaires multiples, isolés et sans relais médiatique. C'est notamment le cas de ceux qui dénoncent les faits de corruption ou de fraude fiscale. Et dans certains pays, cela peut aller plus loin : emprisonnement arbitraire, pression sur la famille, torture voire assassinat.

De nombreux textes (directives de l'Union européenne, recommandations et résolutions du Conseil de l'Europe ou encore lois nationales) visent à protéger les lanceurs d'alerte mais en encadrant la procédure d'alerte. Dans tous ces textes existants ou en réflexion, il est mentionné que la protection s'applique aux personnes faisant un signalement d'actions ou d'omissions « constituant une menace ou un préjudice grave pour l'intérêt général ».

Or, il n'existe pas de définition juridique de la notion d'intérêt général. Celle-ci peut être interprétée, selon les systèmes de droit concernés, comme la somme d'intérêts particuliers ou comme une finalité, un intérêt supérieur à celui du simple individu. Mais qui décide de ce qui est bon pour tous ? Et de qui parle-t-on ? Ceci est un vrai débat.

Aujourd'hui, dans le domaine environnemental, la définition de l'intérêt général dépend beaucoup de qui en parle. De même, personne n'a défini le périmètre de communautés constituant l'intérêt commun dans les pays de common law . Par exemple, dans le domaine fiscal, où se situent les limites entre l'intérêt général et l'intérêt de la concurrence ?

Si les lanceurs d'alerte ne peuvent être protégés - comme c'est le cas dans la loi française - que s'ils se manifestent dans l'intérêt général, il conviendrait de tenter de trouver une réponse juridique claire. D'autant que dans plusieurs textes, le lanceur d'alerte, même s'il agit dans l'intérêt général, doit le faire en tenant compte de plusieurs restrictions (secret-défense, secret des affaires ou secret médical).

Dans ce contexte juridique complexe émerge la nécessité de réfléchir à un élargissement du droit d'asile aux lanceurs d'alerte, en particulier quand il est clair qu'ils sont en danger de mort dans leur pays d'origine ou de résidence. Les lanceurs d'alerte incitent au débat, à la réflexion, au libre arbitre, cette liberté de penser qui est le ciment de la culture démocratique. Le Conseil de l'Europe doit être au coeur de ce processus.

Mme Marietta Karamanli (Sarthe - Socialistes et apparentés) a jugé le sujet très important pour les démocraties et les États. La loi française du 9 décembre 2016 a justement donné une définition précise de ce qu'est un lanceur d'alerte, à savoir, aux termes de l'article 6 de la loi dite « Sapin II », « une personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d'un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d'un acte unilatéral d'une organisation internationale pris sur le fondement d'un tel engagement, de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice grave pour l'intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance ».

En un mot, le législateur a entendu protéger celles ou ceux qui dénoncent un fait portant atteinte à la loi mais aussi à l'intérêt général, de façon disproportionnée, et aux droits des personnes. Et ce cas de figure touche des domaines aussi variés que de l'environnement, de la santé, ou de l'alimentation.

Le Parlement européen a approuvé, le 16 avril 2019, une proposition de directive pour aller un peu plus loin en s'inspirant justement des travaux du Conseil de l'Europe.

Deux observations de fond, complémentaires aux constats et recommandations du rapport, méritent plus particulièrement d'être formulées.

S'agissant tout d'abord de la proposition, pertinente, de création d'une autorité indépendante dans chaque pays et d'un réseau de ces différentes autorités nationales, bon nombre des États de l'Union européenne et hors Union disposent déjà d'une structure nationale des droits de l'Homme, indépendante et non-juridictionnelle, de telles structures pouvant servir d'appui à un tel réseau.

Pour ce qui concerne les principes posés, le plus dur reste de devoir concilier le droit à la protection des lanceurs d'alerte avec d'autres droits, à l'image de la nécessaire conciliation entre la protection du secret des affaires, à savoir les informations qui sont secrètes et qui ont une valeur commerciale en raison du fait qu'elles sont secrètes, et le droit à lancer une alerte.

Dans de nombreux cas, des discussions peuvent survenir. Dans ces conditions, il semble pertinent de prévoir un suivi ad hoc sur la protection des lanceurs d'alerte, la législation applicable et les principes opérationnels.

Mme Nicole Trisse (Moselle - La République en Marche), présidente de la délégation française, a fait valoir que tout lanceur d'alerte, qu'il soit un individu, un groupe, une institution, joue un rôle capital dans les démocraties modernes : par la révélation désintéressée d'une information, d'un danger collectif ou d'une infraction grave, il enclenche le plus souvent un processus de régulation, de controverse et de mobilisation citoyenne bénéfique à l'intérêt général.

De William Mark Felt, alias « Gorge Profonde » dans l'affaire du Watergate, à Erin Brockovich s'agissant du scandale du chrome dans l'eau potable de Hinkley, en Californie, ou plus récemment d'Irène Frachon, ce médecin à l'origine des révélations sur le Mediator, à Edward Snowden, qui dénonça le système de surveillance généralisé des agences de renseignement américaines, qui ignore encore aujourd'hui l'existence de ces figures de défense des droits et du signalement des abus ou scandales en tous genres ?

S'ils agissent pour le bien commun, ces lanceurs d'alerte prennent de réels risques personnels au nom des causes qu'ils défendent. Ils mettent le plus souvent en péril leur situation professionnelle et financière, la tranquillité de leur vie privée et de leur famille, voire leur sécurité et leur image.

Le Conseil de l'Europe a, depuis plusieurs années déjà, pris fait et cause pour ces éclaireurs de l'opinion publique. L'APCE a voté plusieurs résolutions importantes à leur sujet, le Comité des Ministres a adopté une recommandation spécifique en 2015 et la Cour européenne des droits de l'Homme a développé une jurisprudence exigeante.

La récente proposition de directive sur la protection des personnes dénonçant des infractions au droit de l'Union européenne, adoptée le 19 avril 2019, a été largement inspirée par les acquis du Conseil de l'Europe sur les lanceurs d'alerte. Il faut y voir une illustration supplémentaire des apports de l'Organisation à l'Union européenne pour tout ce qui touche aux droits de l'Homme, à l'État de droit et à la démocratie.

Assez logiquement, la commission des questions juridiques invite les États membres du Conseil de l'Europe à s'inscrire dans les pas de la directive européenne, tout en retenant un champ d'application plus large. Cette incitation ne devrait pas réellement soulever de problème particulier pour les États membres de l'Union, dont certains - comme la France - ont mis en oeuvre des législations qui sont somme toute assez proches. Elle est en revanche plus ambitieuse s'agissant des États non-membres de l'Union européenne.

La perspective d'une convention du Conseil de l'Europe sur le sujet, s'appuyant entre autres sur la recommandation du Comité des Ministres de 2015 mais également sur les propositions de l'Assemblée parlementaire, serait un signal fort au moment où l'Organisation célèbre son 70 ème anniversaire. Cette idée, comme les autres propositions du rapporteur, ne peuvent que recueillir l'assentiment.

Mme Nicole Duranton (Eure - Les Républicains) a acquiescé au fait que l'amélioration de la protection des lanceurs d'alerte partout en Europe est devenue un marqueur démocratique. Le Conseil de l'Europe s'est saisi de ce sujet, qu'on appelait alors les « donneurs d'alerte », depuis près de dix ans. Les recommandations formulées alors par l'APCE furent suivies en 2014 d'une recommandation du Comité des Ministres. Depuis, comme plusieurs États membres, la France s'est dotée en 2016 d'une législation permettant d'assurer la protection juridique des lanceurs d'alerte.

Rappelant à son tour la définition légale des lanceurs d'alerte en droit français, elle a observé qu'ils bénéficient d'une clause d'irresponsabilité pénale, n'étant exclus de ce régime de protection que les faits, informations ou documents couverts par le secret de la défense nationale, le secret médical ou le secret des relations entre un avocat et son client.

Des débats sont en cours aujourd'hui au niveau de l'Union européenne, en vue de l'adoption d'une proposition de directive sur la protection des personnes dénonçant les infractions au droit de l'Union. Cette proposition s'inspire des travaux qui avaient été menés par le Conseil de l'Europe. Or, le Sénat français avait adopté une résolution européenne sur cette proposition de directive : tout en approuvant globalement l'économie générale du texte, la Haute assemblée avait formulé plusieurs recommandations concernant notamment la précision juridique du dispositif, la notion de désintéressement du lanceur d'alerte, la graduation de la procédure ou encore le régime juridique de protection.

Une fois la proposition de directive adoptée par le Conseil et le Parlement européens, le rapporteur de l'APCE juge souhaitable l'élaboration d'une convention du Conseil de l'Europe sur cet enjeu. Cette idée est pertinente car le Conseil de l'Europe a tenu un rôle précurseur en la matière. À l'occasion de ses 70 ans, le lancement d'un tel travail constituerait un signal important en faveur de la vitalité des démocraties, partout en Europe.

M. Bernard Fournier (Loire - Les Républicains) a constaté que les lanceurs d'alerte jouent un rôle particulièrement important dans différents domaines comme la lutte contre la corruption, l'utilisation illégale de données personnelles ou encore les menaces sur la santé publique. Protéger les citoyens implique donc de protéger les lanceurs d'alerte, et ce partout en Europe.

L'APCE travaille sur cette question depuis 2010 et une directive européenne devrait être adoptée au plus tard en 2020, s'inspirant largement des résolutions du Conseil de l'Europe sur le sujet. La future directive européenne prévoit que la bonne foi du lanceur d'alerte est présumée. Elle prévoit également une immunité pénale et civile relative aux conditions d'obtention de l'information, ainsi qu'une protection contre toute forme de représailles.

Qu'en est-il pour les États qui ne sont pas membres de l'Union européenne ? À cet égard, l'adoption d'une convention du Conseil de l'Europe sur ce sujet permettrait de garantir une protection effective des lanceurs d'alerte partout en Europe. Elle pourrait reprendre les principales dispositions de la future directive européenne en y ajoutant plusieurs améliorations :

- en premier lieu, prévoir une protection particulière pour les personnes travaillant dans le domaine de la sécurité nationale ; il s'agit de mieux encadrer les poursuites pénales pour violation du secret d'État, ces dispositions existant déjà dans la loi française, ce qui montre que cela est possible sans remettre en cause la sécurité nationale ;

- en deuxième lieu, créer une agence spécialisée dans chaque pays pour assister les lanceurs d'alerte ; cette agence disposerait de moyens suffisants pour soutenir les lanceurs d'alerte et leur garantirait une protection juridique et financière qui bénéficierait également à leur famille ;

- enfin, la définition retenue par la proposition de directive européenne devra, à l'échelle nationale, être étendue pour inclure toute personne dénonçant des violations d'une loi ou d'un règlement, quel que soit le secteur concerné.

Dans l'attente d'une convention établie par le Conseil de l'Europe sur cette question, les États membres de l'Organisation qui ne sont pas membres de l'Union européenne, devraient adopter des législations s'inspirant de la future directive européenne et des résolutions de l'APCE.

M. Jacques Maire (Hauts-de-Seine - La République en Marche) s'est déclaré en phase avec les propositions du rapporteur, et notamment le lancement de négociations d'une convention du Conseil de l'Europe sur la protection des lanceurs d'alerte.

Il a rappelé s'être personnellement impliqué sur la situation des lanceurs d'alerte au niveau national à travers son rapport sur la lutte contre la délinquance financière, présenté en mars 2019 à l'Assemblée nationale française, puis s'est attardé sur un paradoxe : comment se fait-il que les plus grosses affaires de corruption, de fraude financière ou de fraude fiscale ne sortent pas par le biais des services des États ? Pourquoi les lanceurs d'alerte préfèrent-ils faire confiance à la presse plutôt qu'aux dispositifs juridiques prévus par les législations ? C'est le cas, par exemple, pour le scandale des Panama Papers, du DieselGate, des Luxleaks et d'autres.

Il faut bien le dire : malgré les législations récentes, les lanceurs d'alerte n'ont pas une confiance suffisante dans les États. Ils se sentent mieux protégés par la presse. Pour une personne qui ose lancer une alerte, combien hésitent ou renoncent. Il faut donc renforcer le statut et la protection des lanceurs d'alerte, comme le propose le rapport. Et ceci est urgent, y compris dans les États de l'Union européenne.

Il y a sans doute un point où il faut aller plus loin que la proposition de directive adoptée par le Parlement européen : il s'agit de la protection financière des lanceurs d'alerte. En général, ils perdent leur emploi et deviennent inemployables dans les entreprises du secteur dont ils viennent. Il n'y a pas non plus, en France par exemple, de tradition de rémunérer les lanceurs d'alerte, même quand ils permettent aux États de récupérer beaucoup d'argent. Dans le cas de l'affaire de la banque suisse UBS, par exemple, pour des faits similaires, la lanceuse d'alerte française Stéphanie Gibaud a obtenu du juge une indemnité symbolique de 3 000 euros alors qu'au même moment, son collègue Bradley Birkenfeld obtenait 75 millions de dollars de commissions en application de la loi américaine.

Par ailleurs, en France, à l'occasion de la « loi Sapin II » de décembre 2016, le principe d'une assistance financière pour les frais juridiques des lanceurs d'alerte a été censuré par le Conseil Constitutionnel. Or, la résolution débattue par l'APCE se limite à proposer un fonds de soutien juridique ; c'est utile mais très insuffisant. Il faut aller plus loin. Sans en venir à un système de chasseurs de primes, comme aux États-Unis, non conforme à notre culture et porteur d'effets pervers, on devrait pouvoir établir le principe d'un secours financier au profit des lanceurs d'alerte en difficulté. Il serait aussi envisageable de leur offrir la possibilité d'accéder plus facilement à l'emploi public pour leur permettre une réinsertion plus aisée par le travail.

Mme Martine Wonner (Bas-Rhin - La République en Marche) a elle aussi considéré que les lanceurs d'alerte jouent un rôle central dans nos démocraties et que les dysfonctionnements qu'ils révèlent contribuent directement à leur vitalité. Edward Snowden a ainsi risqué sa vie pour améliorer celles des autres : grâce à ses révélations, le monde est un peu plus juste et un peu plus libre. Cependant, son éventuel accueil en France ne serait pas sans poser problème. La question est subtile, multiface et doit faire l'objet d'une plus grande réflexion.

Elle a ensuite souhaité que le rapporteur puisse préciser ultérieurement sa position quant à l'accueil de M. Snowden en France, notamment au vu des difficultés politiques et diplomatiques que cela poserait ; de ce point de vue, la possibilité d'opter pour une demande d'asile constitutionnelle plutôt que conventionnelle serait-elle une piste méritant d'être étudiée ? De même, elle a appelé le rapporteur à définir comment il envisageait le fonctionnement d'un système d'asile propre aux lanceurs d'alerte, notamment à l'échelle européenne, en prenant en compte les divergences politiques au sein du continent européen, qui pourraient mettre à mal le bon fonctionnement d'un tel système.

Lors du vote sur le texte de la résolution, l'APCE a adopté, moyennant un sous-amendement oral du rapporteur, un amendement déposé par Mme Isabelle Rauch (Moselle - La République en Marche) et plusieurs membres de la délégation française (amendement n° 3), visant à souligner la nécessaire évolution du droit d'asile pour les lanceurs d'alerte et à proposer qu'elle puisse faire l'objet d'une convention internationale sous l'égide du Conseil de l'Europe.

b) La recherche de normes communes pour les institutions de médiateur sur le continent

Au cours de sa première séance du mercredi 2 octobre 2019, l'Assemblée parlementaire a adopté, sur le rapport de Lord Richard Balfe (Royaume-Uni - CE), au nom de la commission des questions juridiques et des droits de l'Homme, une résolution et une recommandation sur la nécessité d'un ensemble de normes communes pour les institutions du médiateur en Europe.

En ouverture de la discussion générale, le rapporteur a rappelé que le Conseil de l'Europe et l'APCE ont toujours encouragé la création et le renforcement d'institutions de médiation, en particulier à travers la résolution 1959(2013). Les États membres qui ont mis en place ce type d'institutions doivent veiller à ce qu'elles remplissent un certain nombre de critères, en particulier en ce qui concerne leur indépendance.

Il n'existe pas de modèle standardisé de l'institution de médiateur. Certains examinent les cas de mauvaise administration et d'autres sont des défenseurs des droits de l'Homme.

Lord Richard Balfe a regretté que, ces dernières années, de nombreux médiateurs aient été confrontés à des menaces, y compris législatives. Certaines réformes ont visé à affaiblir leur institution, à pratiquer des coupes budgétaires injustifiées, ou à mener des audits et dresser des obstacles pour accéder aux informations nécessaires. Quelques médiateurs ont également fait l'objet d'attaques verbales de la part de responsables politiques, de même que du pouvoir judiciaire.

La commission des questions juridiques et des droits de l'Homme a souhaité promouvoir un ensemble de principes, en coopération étroite avec la Commission de Venise. Ceux-ci s'inspirent des Principes de Paris, relatifs au statut des institutions de défense des droits de l'Homme, adoptés par les Nations Unies en 1993. Parallèlement à la réflexion engagée à l'APCE, la Commission de Venise, a entamé la rédaction d'un recueil de principes relatifs à la protection et à la promotion de l'institution de médiateur, en coopération avec les principales institutions internationales, y compris le bureau du Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l'Homme. Ces principes dits « de Venise » ont finalement été adoptés le 15 mars 2019 et approuvés le 2 mai suivant ; ils peuvent jouer un rôle important en termes de normes minimales.

Les Principes de Venise insistent sur l'indépendance, l'objectivité, la transparence, l'équité et l'impartialité, au fondement des institutions de médiation. Ils se déclinent en vingt-cinq règles de base, afin d'accroître l'efficacité des médiateurs et d'aider les Parlements, les Gouvernements et les organismes publics à consolider ou établir, le cas échéant, ces institutions au service du renforcement de la démocratie, de la légalité et des droits de l'Homme.

L'APCE est donc invitée à souscrire aux Principes de Venise de la même manière qu'elle a souscrit aux principes pour l'État de droit établis en 2017. Il lui est également demandé d'inciter les Parlements et les Gouvernements nationaux à s'y référer systématiquement et à encourager tous les États membres de la Commission de Venise qui n'ont pas encore mis en place des institutions de médiateur classiques à le faire.

Le 5 septembre 2019, le Comité des Ministres a tenu un débat informel sur le rôle des médiateurs et des institutions nationales de défense des droits de l'Homme. En juin, le comité directeur pour les droits de l'Homme a approuvé un projet de recommandation sur le développement des institutions de médiateur, lequel exprime sa profonde préoccupation devant les conditions de travail difficiles de nombreux médiateurs et fait référence aux principes de Venise. Les Principes de Venise et ceux de Paris se complétant, il convient à présent de renforcer la coopération entre le Conseil de l'Europe et les Nations Unies.

M. André Vallini (Isère - Socialiste et républicain) a rappelé que le Conseil de l'Europe avait toujours soutenu la création de l'institution des médiateurs, dans la mesure où celle-ci apporte une protection supplémentaire aux citoyens et contribue à renforcer l'État de droit. Si la forme que prend cette institution peut varier d'un État à un autre, il est nécessaire que certains principes soient respectés pour en garantir l'indépendance et l'efficacité.

L'APCE est appelée à soutenir ces principes car tous les médiateurs ne bénéficient pas de garanties essentielles à leur mission. En effet, la montée de Gouvernements populistes, de plus en plus autoritaires, menace ces institutions et certains des États membres font peser sur leurs médiateurs des pressions tout en entravant leur action. Ils vont même jusqu'à refuser de leur communiquer les informations dont ils ont besoin pour remplir leur mission, réduire leur budget pour limiter leur capacité d'action ou les prendre publiquement à partie. En France, même, le Ministre de l'Intérieur a également publiquement critiqué les observations du Défenseur des droits sur l'usage d'armes non létales par les forces de l'ordre lors des manifestations de gilets jaunes.

Le statut des institutions de médiateur doit donc respecter certains principes clairs : une procédure de nomination rigoureuse et transparente, l'indépendance financière totale, un véritable pouvoir de contrôle sur pièces et sur place et un champ de compétences clairement défini. Ce n'est qu'à ces conditions que les institutions de médiateur pourront vraiment être utiles aux citoyens.

Les pays qui ne disposent pas de médiateur devraient sérieusement envisager d'y remédier et leurs parlementaires les encourager à le faire. Il s'agit d'un outil efficace, d'abord pour corriger les abus de pouvoir et les carences des administrations publiques, ensuite pour lutter contre les discriminations pour préserver les droits des usagers des services publics, et enfin - c'est le plus important - pour mieux protéger les citoyens dans nos démocraties et faire respecter l'État de droit.

M. Frédéric Reiss (Bas-Rhin - Les Républicains) a constaté que le médiateur est un mécanisme particulièrement répandu parmi les États membres du Conseil de l'Europe. Cependant, cette large diffusion du modèle de l'ombudsman, bien connu en Europe du Nord, fait presque oublier que ce mécanisme est relativement récent. Ainsi, en France, le médiateur de la République a émergé lentement à partir de 1973.

L'institution de médiateur modifie beaucoup d'habitudes et de pratiques, dans des États dans lesquels le juge semble être le seul à même de faire respecter la règle de droit. Cependant, pour s'en tenir toujours à la France, force est de constater que c'est une réussite, comme en atteste l'exemple du médiateur national du crédit, à l'écoute et à la disposition des entreprises françaises connaissant des difficultés de financement : très concrètement, ce sont 900 entreprises employant 11 000 personnes qui ont été sauvées, selon le rapport annuel de cette institution en 2017. De la même manière, la loi d'août 2018 pour un État au service d'une société de confiance a prévu des procédures de médiation rapides et sans frais dans le cas des litiges touchant à la protection sociale, par nature complexes.

Il reste que l'institution du médiateur, que l'on croyait confortée ou banalisée, est parfois menacée. Pas toujours de manière frontale ou visible mais par des moyens plus subtils, tels que les restrictions budgétaires, les audits injustifiés, les retards dans les nominations. En outre, la saisine du médiateur devrait être améliorée. Il faut le considérer comme un mode alternatif de règlement des conflits très efficace. À cet égard, permettre que la saisine du médiateur puisse avoir un effet suspensif sur les délais de saisine d'une juridiction renforcerait la place de la médiation dans les procédures en vigueur.

En définitive, M. Frédéric Reiss a déclaré soutenir pleinement l'ambition d'imposer des normes communes à l'ensemble des institutions assurant ce difficile office de la médiation. Les Principes de Venise pourront irriguer les futures institutions d'ombudsman, comme celles qui pourraient être chargées des questions liées à l'Internet, objet d'un prochain rapport devant l'APCE à Strasbourg.

2. Trois dossiers plus spécifiques justifiant une certaine vigilance

L'Assemblée parlementaire suit très attentivement les développements qui concernent la situation des minorités, des populations vulnérables et des citoyens dans les pays faisant l'objet d'un monitoring continu en matière de droits de l'Homme. Dans ce cadre, elle a débattu lors de cette session d'automne de trois dossiers concernant la Macédoine du Nord et la Moldavie, ainsi que les dernières élections municipales à Moscou. Le cas des Tatars de Crimée initialement inscrit lui aussi à l'ordre du jour, a quant à lui, été retiré en raison d'un report souhaité par la commission en charge de la préparation du rapport sur le sujet.

a) Le bilan du dialogue post-suivi engagé par l'APCE avec la Macédoine du Nord

En clôture des débats du 2 octobre 2019, l'Assemblée parlementaire a approuvé, sur le rapport de Mme Lise Christoffersen (Norvège - SOC) et M. Aleksander Pociej (Pologne - PPE/DC), au nom de la commission pour le respect des obligations et engagements des États membres du Conseil de l'Europe, une résolution sur le dialogue post-suivi avec la Macédoine du Nord.

En ouverture de la discussion générale, Mme Lise Christoffersen, co-rapporteure, a rappelé que la Macédoine du Nord a adhéré au Conseil de l'Europe en 1995 et participe, depuis 2000, à un dialogue post-suivi. Depuis lors, le pays est attaché à son intégration euro-atlantique, non sans obstacles. Parmi eux, le différend avec la Grèce a connu une percée en juin 2018 avec l'Accord de Prespa, signé par les deux pays.

De même, un accord d'amitié, de coopération et de bon voisinage a été signé avec la Bulgarie en 2017. Les accords de Przino, parrainés par l'Union européenne, ont finalement abouti à un changement de pouvoir en 2016 et à la mise en place d'un bureau du procureur spécial chargé d'enquêter sur des crimes de nature politique, découlant notamment de l'écoute illicite de conversations téléphoniques. Ce bureau a inculpé un grand nombre de personnes pour différentes formes de corruption : l'une d'elles est l'ancien Premier ministre, M. Gruevski, qui a fui le pays et s'est vu accorder l'asile en Hongrie.

Le monitoring effectué par les co-rapporteurs salue les projets ambitieux de réforme dans quatre domaines clés : le système judiciaire, les services de sécurité, l'administration publique et la lutte contre la corruption. Les autorités nationales coopèrent à cet effet avec le Conseil de l'Europe. Le cadre juridique concernant le fonctionnement des services de sécurité nationale a évolué et un suivi de leurs activités par une commission parlementaire présidée par l'opposition a été mis en place.

De même, des mesures ont été prises pour accroître l'indépendance du système judiciaire. Néanmoins, malgré des réunions de haut niveau, aucun accord n'a encore été trouvé sur une nouvelle loi sur le parquet. Dernièrement, cette question est devenue encore plus compliquée en raison d'une prétendue affaire d'extorsion de fonds, révélée par des médias italiens, impliquant trois hommes d'affaires et le bureau du procureur spécial, qui a conduit à la démission et à l'arrestation de la procureure spéciale elle-même ; peu après, cette dernière a également été destituée à l'unanimité par le Parlement.

La corruption demeure donc un problème grave, malgré une nouvelle législation et l'installation d'une nouvelle commission d'État pour la prévention de la corruption. Le groupe d'États contre la corruption (GRECO) signale en particulier la persistance de faits de corruption parmi les membres du Parlement, les juges, les procureurs et la police. Parallèlement, le système électoral doit être réformé et le comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) a appelé à une amélioration des conditions dans les prisons. Des initiatives ont toutefois été initiées dans la bonne direction. L'ECRI, quant à elle, a recommandé un renforcement de l'institution du médiateur.

Des développements positifs s'observent dans le domaine des médias mais le manque d'indépendance et le défaut de ressources financières restent des défis. Des progrès ont aussi été accomplis dans la lutte contre les discriminations, mais les relations interethniques restent fragiles malgré l'accord-cadre d'Ohrid. Il n'en demeure pas moins que la Macédoine du Nord a ratifié la convention d'Istanbul, qu'une loi anti-discriminations a été adoptée en incluant les personnes LGBTI et que la première marche des fiertés à Skopje s'est déroulée en juin 2019.

En conclusion, la co-rapporteure a souligné que la commission de suivi notait des progrès importants, en particulier avec l'adoption de la nouvelle législation relative à l'indépendance du pouvoir judiciaire et à la lutte contre la corruption. Les forces politiques en présence ont démontré leur capacité à trouver des compromis tout au long d'une série de crises politiques graves. Le Parlement travaille et il n'y a pas de boycott de l'opposition. Pour autant, le dialogue post-suivi avec la Macédoine du Nord doit se poursuivre, en le centrant sur les institutions démocratiques, l'indépendance du pouvoir judiciaire, la lutte contre la corruption, l'amélioration du système électoral et les droits des minorités.

M. Aleksander Pociej, autre co-rapporteur, a pour sa part souhaité insister sur deux enjeux : d'une part, sa conviction que l'accord de Prespa, signé en 2018 avec la Grèce, est une voie essentielle pour l'avenir de la Macédoine du Nord ; d'autre part, l'importance de renforcer le système judiciaire du pays et de tout mettre en oeuvre pour le rendre complètement indépendant.

Intervenant au nom du groupe PPE/DC, Mme Marie-Christine Dalloz (Jura - PPE/DC) a salué la qualité du travail très documenté de la commission du monitoring sur la situation en Macédoine du Nord. Si les avancées sont nombreuses, notamment avec l'accord de Prespa, il est néanmoins nécessaire de poursuivre le dialogue avec la commission de suivi. Deux points sont à cet égard essentiels :

- premièrement, le fonctionnement de la Commission nationale électorale et la base électorale, dont les inscriptions sur les listes électorales, sont trop souvent contestés par les électeurs. Ce premier problème, constaté personnellement lors des missions d'observation électorales dans ce pays, est à mettre en corrélation avec la délicate question du recensement de la population. En effet, le dernier recensement en Macédoine du Nord date de 2002, il y a dix-sept ans. Il apparaît nécessaire de mieux connaître les populations Roms et albanaises, pas dans une optique statistique, mais dans l'intérêt du fonctionnement réel de la démocratie. Pour cette raison, la prévision d'un recensement en 2020 doit se concrétiser impérativement ;

- deuxièmement, la situation dans les prisons demeure inquiétante. Si l'on ne peut que se réjouir que la Banque de développement du Conseil de l'Europe ait financé la reconstruction de la prison d'Idrizovo, beaucoup reste à faire. Il serait donc utile que le travail de la commission du monitoring soit transmis avec les rapports du CPT aux représentants des États membres de l'Union européenne qui débattront, le 15 octobre au Conseil des affaires générales, du processus d'adhésion de la Macédoine du Nord à l'Union.

Il est clair que cette perspective européenne constitue pour la Macédoine du Nord un accélérateur pour la mise en oeuvre des réformes économiques. Cependant, le dialogue engagé au Conseil de l'Europe est plus important, en aidant la Macédoine du Nord dans les réformes touchant à l'État de droit, aux droits de l'Homme et à la démocratie.

S'exprimant au nom du groupe ADLE, M. Jacques Maire (Hauts-de-Seine - La République en Marche) a tenu à saluer l'Accord de Prespa du 17 juin 2018. M. Zaev a montré, à l'occasion de cette décision difficile, une dimension et la qualité d'un véritable homme d'État. Sur place, le 27 janvier 2019, le jour même où le Parlement grec a ratifié l'accord, il était palpable que le changement de nom est désormais clairement accepté par la population, qui apprécie la fin de cette mise à l'écart de la communauté internationale.

La Macédoine du Nord est désormais concentrée sur son programme de réformes, impatiente d'une ouverture des négociations avec l'Union européenne. Les difficultés sont connues et elles ont été rappelées : la lutte contre la corruption et la criminalité organisée, la réforme de la justice et, bien sûr, celle des services de renseignement et de l'administration publique.

Les réformes initiées par le Gouvernement dans le but d'améliorer l'indépendance du système judiciaire méritent d'être saluées. Reste malgré tout la question des élections, et notamment celles des listes électorales. Le recensement ne peut plus être différé de longues années, malgré sa sensibilité politique.

L'actualité montre néanmoins que la situation n'est pas toujours satisfaisante. La poursuite pour faits de corruption contre la procureure spéciale chargée d'enquêter depuis 2015 interpelle à cet égard. De ce fait, le groupe ADLE soutient les recommandations de la commission du monitoring mais il pense qu'il convient d'aller plus loin. La Macédoine du Nord franchit des étapes dans de nombreux domaines mais elle ne le fait ni assez vite, ni assez fortement, et cela malgré l'engagement de ses dirigeants.

Le contexte local ne facilite pas l'adoption des textes. L'opposition ne boycotte pas les institutions, à la différence d'autres pays de la région, mais la réforme de l'organisation judiciaire nécessite deux tiers des voix au Parlement, ce qui entraîne des négociations à la baisse. Il faut mettre également l'accent sur les changements de comportements et la mise en oeuvre effective des réformes. Il est donc temps de réfléchir à une implication plus directe du Conseil de l'Europe dans la conduite des réformes à travers le monitoring, bien sûr, mais aussi en impliquant d'autres institutions de référence, comme la Commission de Venise ou le GRECO. Cette préconisation est importante pour le démarrage, dès que possible, des négociations d'adhésion à l'Union européenne, objectif central de la Macédoine du Nord pleinement partagé à l'APCE.

b) L'évaluation du fonctionnement des institutions démocratiques de la Moldavie

Le 3 octobre 2019, l'APCE a examiné, sur le rapport de Mme Maryvonne Blondin (Finistère - Socialiste et républicain) et M. Egidijus Vareikis (Lituanie - PPE/DC), au nom de la commission pour le respect des obligations et engagements des États membres du Conseil de l'Europe, une résolution sur le fonctionnement des institutions démocratiques en République de Moldova.

En ouverture du débat, Mme Maryvonne Blondin, co-rapporteure, a souligné le caractère inhabituel, sur le fond et la forme, du rapport examiné par l'Assemblée parlementaire. Ce dernier a en effet été inscrit à l'ordre du jour à la suite de la crise politique et constitutionnelle de juin 2019 et vise à examiner les réformes attendues, après des accords politiques hors du commun trouvés à l'issue de trois mois d'errance gouvernementale, constitutionnelle et judiciaire.

En février 2019, un Parlement divisé, sans majorité claire, a été élu. Le 7 juin, la Cour constitutionnelle jugeait que le délai de formation d'une majorité parlementaire avait expiré, appelait à la convocation de nouvelles élections parlementaires et décidait de la suspension du Président de la République ; une série de décisions qui, selon la Commission de Venise, ne remplissaient pas les conditions requises. Après les dérives de la Cour Constitutionnelle soutenant le parti démocrate vaincu, et devant l'instabilité et l'insécurité grandissantes, une coalition inattendue s'est mise en place entre le parti socialiste du Président Dodon, pro-russe, et le Bloc ACUM, pro-européen, formé par le parti de Maia Sandu et de Andrei Nastase. Ces deux formations politiques, pourtant antagonistes, signaient un « accord politique temporaire sur la désoligarchisation de la Moldavie » et s'engageaient résolument à dépolitiser le pays ainsi qu'à lutter contre la corruption et le blanchiment d'argent.

La vie politique et sociale du pays a subi de profonds changements depuis la chute du Gouvernement du Parti démocrate, la fuite de son leader Vladimir Plahotnuic, et l'élection d'un nouveau chef de parti Pavel Filip -ancien Premier ministre, qui s'est engagé à rejoindre les rangs de l'opposition parlementaire - mais aussi la fuite de l'homme d'affaires Ilan Shor, chef du parti Shor, condamné dans le scandale de la fraude bancaire de 2014 et néanmoins élu au Parlement en février 2019. Le pays vit donc, actuellement, une période de transition démocratique. Il faut souligner que le transfert de pouvoirs s'est effectué de manière pacifique, grâce à la résilience dont ont fait preuve les Moldaves dans cette période incertaine.

Le peuple moldave attend beaucoup du Gouvernement, et en premier lieu l'amélioration de ses conditions de vie et de ses espoirs pour le futur, alors que le pays se vide de ses habitants. La majorité actuelle reflète, aujourd'hui, l'état de la société moldave dans ses composantes diverses, et traduit le choix exprimé par les électeurs. Un nouvel accord politique vient juste d'être signé entre les deux partis pour fixer les priorités à moyen et long termes. Des élections locales doivent se tenir le 20 octobre, sous l'observation du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux. Il ne faut pas oublier que l'annulation des élections municipales à Chisinau, en juin 2018, avait été l'un des facteurs déclencheurs de cette période chaotique. Ces élections locales seront un test démocratique pour le pays.

Lors de leur déplacement sur place, les co-rapporteurs ont constaté une détermination très forte à rétablir la confiance des citoyens dans la vie politique et dans la justice, éradiquer les mécanismes de corruption quels qu'ils soient et ainsi, rétablir le dialogue avec les partenaires internationaux.

La Première ministre Mme Maia Sandu, avec l'aide du Conseil de l'Europe et de l'Union européenne, a lancé des réformes ambitieuses et courageuses, en premier lieu dans le domaine de la justice : sans justice indépendante, point d'État de droit. Les réformes entreprises visent à assainir le système judiciaire et à le prémunir des politiques affairistes. Les mesures prises visent aussi à s'attaquer à des dysfonctionnements emblématiques des institutions, à commencer par le scandale bancaire, non élucidé à ce jour. Des enquêtes diligentes et approfondies doivent être menées, et le nouveau Parlement moldave entend prendre toute sa part à ce processus avec la création de plusieurs commissions d'enquête.

Évoquant les réformes lancées par le nouveau Gouvernement, Mme Maryvonne Blondin a plus particulièrement cité l'abolition du système électoral mixte qui avait été critiqué par la Commission de Venise et le retour à un système électoral proportionnel, la révocation des hauts fonctionnaires qui n'auraient pas exercé leurs fonctions de manière neutre, le renouvellement des membres de la Cour constitutionnelle, du Conseil supérieur de la magistrature et du parquet, la modification des règles de sélection du procureur général, sujet particulièrement sensible. Des contacts et des coopérations ont d'ores et déjà été établis par les autorités moldaves avec le Conseil de l'Europe pour soutenir ces réformes.

La Commission de Venise, qui a joué un rôle décisif avec son avis de juin 2019, doit adopter très prochainement un avis portant sur le projet de loi sur la réforme de la Cour suprême de justice et du parquet. Le GRECO a publié dernièrement ses recommandations pour prévenir la corruption parmi les juges, les procureurs et les parlementaires qui devront adopter un code de conduite afin d'accroître la transparence. Il apparaît souhaitable, à présent, que le Gouvernement et le Parlement moldaves ratifient la convention d'Istanbul.

Des résistances demeurent à l'égard de la réforme du système judiciaire dans son ensemble, y compris dans la formation des juges. La révocation du mandat de l'ensemble des membres du Conseil supérieur de la magistrature par une assemblée générale extraordinaire des juges pose de sérieuses questions. Dans le même temps, l'opération d'assainissement des institutions ne doit pas se transformer en chasse aux sorcières. Pour toutes ces raisons, s'il faut se féliciter du chemin emprunté par les autorités moldaves, l'APCE doit poursuivre son monitoring dans cette période sensible d'un pays « à la croisée des mondes », comme le souligne Mme Josette Durrieu dans un récent ouvrage sur le pays.

Intervenant au nom du groupe PPE/DC, M. Frédéric Reiss (Bas-Rhin - Les Républicains) a salué la qualité du travail de la commission du suivi, lequel restitue la réalité de la situation actuelle de la République de Moldavie. Indiquant avoir passé, comme membre du groupe d'amitié France-Moldavie de l'Assemblée nationale, une semaine dans cette jeune République née après la chute du mur de Berlin, il a souligné avoir constaté que la coalition entre le bloc ACUM et le parti socialiste était déterminée à éradiquer l'influence néfaste des oligarques et à lutter contre la corruption qui, depuis trop longtemps, gangrène le pays.

Le jeune Parlement actuel ne manque pas de bonnes intentions et sait qu'il n'a pas d'expérience. Mais lorsqu'on entend une députée moldave affirmer : « la démocratie ne peut être forte que si nous nous battons pour elle chaque jour », on ne peut qu'être confiant pour l'avenir du pays.

Les prochaines élections locales, où l'un des enjeux sera la mairie de Chisinau, vont être capitales : si la coalition actuelle passe cette épreuve avec succès, alors l'optimisme sera de mise. Néanmoins, le pays est asséché financièrement ; aussi, la création d'un Conseil économique auprès du Parlement est une bonne initiative. De même, la mise en oeuvre de l'Accord d'association avec l'Union européenne, le respect des recommandations du Fonds monétaire international (FMI) ou, encore, la nomination d'un nouveau directeur du système douanier, vont dans le bon sens.

Quant à la Transnistrie, ce fameux conflit gelé, une évolution encore peu perceptible pourrait déboucher sur une réunification après que les deux rives du Dniestr se soient, malheureusement, écartées. M. Jean-Claude Mignon, lorsqu'il présidait l'APCE, n'avait pas ménagé ses efforts pour mettre fin à ce conflit. Aujourd'hui, la France et d'autres pays sont prêts à contribuer à un règlement global, pacifique et durable, qui ne pourra être que fondé sur la souveraineté et l'intégrité territoriale de la République de Moldavie.

Le Gouvernement moldave actuel affiche clairement ses priorités : l'intégration européenne, la lutte contre la corruption avec la réforme du système judiciaire et la défense des droits de l'Homme, avec une prochaine ratification de la convention d'Istanbul. Il doit persévérer et faire preuve d'audace pour offrir un avenir meilleur à cette jeunesse moldave qui le mérite.

En tout état de cause, le groupe PPE/DC soutient pleinement l'excellent travail des deux co-rapporteurs de la commission du suivi.

M. Jacques Le Nay (Morbihan - Union Centriste) a relevé que le travail des co-rapporteurs présentait avec beaucoup de précisions la situation institutionnelle et politique en Moldavie. La crise qui s'est ouverte en juin 2019, lorsque la Cour constitutionnelle a décidé de dissoudre le Parlement, puis de suspendre temporairement le Président de la République, aurait pu avoir des conséquences désastreuses ; fort heureusement, les Moldaves ont su faire preuve de sang-froid et gérer pacifiquement cette crise.

Cette dernière a illustré la faillite du système judiciaire, dont l'indépendance est sans cesse remise en cause. Des réformes sont nécessaires pour limiter le rôle de l'Exécutif dans le processus de nomination et de révocation des juges. Ceux-ci doivent être mieux rémunérés et mieux formés. Pour cela, l'assistance de l'Union européenne et du Conseil de l'Europe est nécessaire. La coalition au pouvoir doit prendre les mesures nécessaires pour répondre aux recommandations du GRECO dans ce domaine.

Mais les travers du système judiciaire ne sont que la conséquence d'une corruption particulièrement développée et du blanchiment de capitaux. En 2014, un milliard de dollars a disparu des comptes de trois grandes banques nationales. On se demande encore comment les services de l'État n'ont pas pu empêcher une telle fraude ! Pire encore, les investigations menées à la suite de ce scandale n'ont toujours pas permis d'établir quels sont les bénéficiaires de ces malversations. Il est clair que certains oligarques se sont enrichis au détriment de l'État moldave et de ses citoyens. Le Gouvernement actuel devra faire la lumière sur ce scandale.

En outre, pour retrouver la confiance des citoyens, il sera également nécessaire de garantir les règles d'équité lors des scrutins électoraux, notamment en matière de financement et d'accès aux médias. Ceci constituerait un pas décisif dans la lutte contre les oligarques et pour le renforcement des institutions démocratiques.

Enfin, en Transnistrie, une solution négociée passe par la mise en oeuvre des mesures de confiance définies dans le protocole de Berlin en 2016. Le Président Dodon souhaite faire du respect des droits de l'Homme et de la démocratisation de la région une priorité. Pour cela, il est nécessaire que les élections locales d'octobre puissent se dérouler dans les meilleures conditions. Le concours de la Russie sera aussi déterminant. Le retour des parlementaires russes au sein de l'APCE devrait permettre de faciliter le dialogue dans cette région.

c) La violation des droits démocratiques et la répression des manifestations en Russie lors des élections au Conseil de Moscou

Jeudi 3 octobre 2019, sur proposition du groupe ADLE, ratifiée par l'Assemblée parlementaire par 77 voix contre 33, l'APCE a tenu un débat d'actualité sur la violation des droits démocratiques et la répression des manifestations pacifiques en Fédération de Russie, dans le contexte des élections au Conseil de la ville de Moscou.

En introduction de ce débat, M. Martin Poliaèik (République slovaque - ADLE) , orateur désigné à cet effet par le groupe ADLE, a fait valoir que la Fédération de Russie avait mal appris sa leçon en matière de démocratie, en dépit des sept résolutions adoptées à son égard par l'Assemblée parlementaire au cours des cinq dernières années. Malgré l'échange de quelques prisonniers entre la Russie et l'Ukraine, de nouveaux faits très inquiétants ont marqué les élections locales à Moscou et à Saint-Pétersbourg.

De nombreux candidats de l'opposition ont été privés de leur droit de participer à des élections justes et démocratiques. Les commissions électorales de Moscou ont officiellement refusé d'enregistrer plusieurs candidats démocratiques aux élections au Conseil de la ville. De même, la procédure de vérification des signatures des candidats manquait de transparence.

Le droit de participer à des élections justes et démocratiques est un droit fondamental, qui garantit que tout pouvoir détenu par les représentants élus provient véritablement des citoyens. Le blocage de candidatures crée une situation dans laquelle ce droit des citoyens est violé. Dès lors, il est compréhensible que plus de 20 000 manifestants se soient rassemblés et aient réclamé la participation de candidats de l'opposition aux élections au Conseil de la ville de Moscou. Selon diverses sources, comme le Wall Street Journal, plus de 2 000 personnes auraient été arrêtées lors de ces manifestations, plus de cinquante personnes détenues étant mineures.

La raison pour laquelle le groupe ADLE a souhaité la tenue de ce débat d'actualité est l'absence de bonne volonté de la part des autorités russes. La Fédération de Russie doit remplir ses obligations d'État membre. Aussi, il est tout à fait inacceptable de constater des situations comme celle d'Ivan Podkopayev, âgé de 25 ans et condamné à trois ans de prison pour avoir participé aux manifestations de Moscou, de Danila Begletz, 27 ans, condamnée à deux ans de prison pour avoir participé à des manifestations, ou de Kirill Zhukov, 28 ans, condamné à trois ans pour avoir participé à des manifestations.

En conclusion, M. Martin Poliaèik a estimé que chaque pays membre du Conseil de l'Europe devrait pouvoir permettre à toutes les personnes qui le souhaitent de se présenter aux élections sans obstacle. Il a en outre défendu le droit des citoyens à protester avec dignité, comme des personnes qui souhaitent protéger la démocratie dans leur pays.

S'exprimant au nom du groupe ADLE, M. Bertrand Bouyx (Calvados - La République en Marche) a observé que la capitale de la Russie avait connu ces derniers mois un niveau de tension extrême autour des élections municipales qui se sont tenues le 8 septembre : des candidats empêchés de se présenter, des meneurs de l'opposition emprisonnés de manières répétées pour leurs appels à manifester, près de 2 700 manifestants arrêtés et enfin des peines allant jusqu'à cinq ans d'emprisonnement.

Le groupe ADLE condamne avec la plus grande fermeté la répression particulièrement violente qui a eu cours tout au long de l'été dans les rues de Moscou, en raison de son profond attachement à la liberté d'expression, à la liberté de manifester, à la liberté d'opinion, à la liberté de se présenter à des élections. Ces valeurs sont celles qui réunissent les membres de l'APCE au sein du Conseil de l'Europe. C'est justement pour permettre à ces valeurs de peser de tout leur poids qu'il a paru nécessaire de réintégrer la Russie au sein de l'Organisation. À l'instar du Président de la République française Emmanuel Macron, le groupe ADLE croit à cette « Russie européenne (...) à une souveraineté européenne c'est-à-dire à une Europe plus forte et qui donc doit se réinventer dans ce dialogue ». Le renouvellement de ce dialogue, au sein du Conseil de l'Europe, ne pourra se faire sans un suivi précis des engagements et des obligations de la Fédération de Russie.

Le dernier rapport par la commission pour le respect des obligations et engagements des États membres du Conseil de l'Europe sur ce sujet date de 2012. Il pointait déjà les défauts et la mise en oeuvre restrictive de lois essentielles pour le fonctionnement des institutions démocratiques et pour l'environnement politique, qui ont induit une détérioration des conditions nécessaires à un véritable pluralisme politique. Il semble aujourd'hui important de poursuivre ce type d'évaluation au sein de l'Assemblée parlementaire. Il s'agit en effet, ici, de travailler progressivement à réduire la défiance entre la Russie et l'Europe, de se poser en partenaires et de mettre en place un agenda commun notamment en matière de sécurité au niveau international.

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