N° 289

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2019-2020

Enregistré à la Présidence du Sénat le 30 janvier 2020

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre
les hommes et les femmes (1) sur les travaux de la délégation à l'occasion
du 25 novembre 2019, «
Journée internationale pour l' élimination de la violence à l'égard des femmes »,

Par Mme Annick BILLON,

Sénatrice

(1) Cette délégation est composée de : Mme Annick Billon, présidente ; MM. Max Brisson, Mmes Laurence Cohen, Laure Darcos, Joëlle Garriaud-Maylam, Françoise Laborde, M. Marc Laménie, Mme Claudine Lepage, M. Claude Malhuret, Mmes Noëlle Rauscent et Laurence Rossignol, vice-présidents ; Mmes Maryvonne Blondin, Marta de Cidrac et Nassimah Dindar, secrétaires ; M. Guillaume Arnell, Mmes Anne-Marie Bertrand, Christine Bonfanti-Dossat, Céline Boulay-Espéronnier, Marie-Thérèse Bruguière, Françoise Cartron, MM. Guillaume Chevrollier, Roland Courteau, Mmes Chantal Deseyne, Nicole Duranton, Jacqueline Eustache-Brinio, Martine Filleul, M. Loïc Hervé, Mmes Victoire Jasmin, Claudine Kauffmann, Valérie Létard, Viviane Malet, Michelle Meunier, Marie-Pierre Monier, Christine Prunaud, Frédérique Puissat et Dominique Vérien.

AVANT-PROPOS

Après la libération de la parole des victimes de harcèlement et de violences sexuelles qui, dans le sillage de Metoo , avait marqué la période 2017-2018, l'année 2019 a été caractérisée par une prise de conscience croissante de la gravité des violences conjugales , fléau dont les trop nombreuses victimes sont des femmes et des enfants .

Ce tournant a été rendu possible par la publication du nombre de féminicides dans les médias, jour après jour depuis le début de 2019. Cette initiative militante d'un collectif Féminicides par compagnon ou ex , qui tient le décompte terrible depuis quelque trois années du nombre de femmes tuées par leur compagnon ou ex-compagnon, a permis, à chaque annonce, de donner un visage et un nom à des femmes qui seraient, faute d'une telle démarche, demeurées des statistiques anonymes.

La tragique régularité de ces mises à jour a révélé à nombre de nos concitoyens l'ampleur d'un phénomène longtemps occulté par les termes rassurants de « crime passionnel » ou de « drame conjugal » , euphémismes qui désormais appartiennent à un autre siècle. Parallèlement, le mot « féminicide » est entré dans le vocabulaire courant et dans le dictionnaire, à défaut d'être reconnu par le code pénal.

La délégation a souhaité s'inscrire dans cette prise de conscience en prenant l'initiative d'une tribune pour appeler à une large mobilisation des pouvoirs publics contre les violences conjugales .

Ce texte a été cosigné par 152 sénateurs et sénatrices , de tous les groupes - ce nombre élevé souligne la volonté de nos collègues de participer à cet engagement - et publié le 3 juillet 2019 par un grand quotidien national 1 ( * ) .

***

La délégation aux droits des femmes a tenu à faire en sorte que la date symbolique du 25 novembre, dédiée à la lutte contre les violences faites aux femmes , soit en cette fin d'année 2019 au coeur de l'actualité du Sénat .

Il lui a paru important de mettre en valeur la mobilisation de l'ensemble de l'institution contre la première des inégalités entre les hommes et les femmes, partout dans le monde et à tous les âges .

Rappelons qu'une résolution de l'Assemblée générale de l'Organisation des Nations unies datée du 17 décembre 1999 a fait de chaque 25 novembre la Journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes .

Le 25 novembre 2019 étant le vingtième anniversaire de cette initiative onusienne , cette journée particulière avait une signification spécifique pour notre délégation, qui célébrait elle aussi en 2019 son vingtième anniversaire 2 ( * ) , événement auquel elle a, le 10 octobre 2019, consacré une manifestation ayant permis de revenir sur vingt années d'engagement en faveur de l'égalité femmes-hommes 3 ( * ) .

Trois initiatives 4 ( * ) (sur les violences faites aux femmes en situation de handicap , les violences au sein des couples et les violences subies par les femmes dans les territoires en crise ) ont donc scandé la semaine du 25 novembre 2019 au Sénat.

Par les trois thèmes abordés , ces séquences ont confirmé les constats opérés par l'Assemblée générale des Nations unies dans sa Déclaration du 20 décembre 1993 sur l'élimination de la violence à l'égard des femmes, qui soulignait « avec préoccupation que certains groupes de femmes, dont les femmes appartenant à des minorités, les femmes autochtones, les réfugiées , les femmes migrantes, les femmes vivant dans des communautés rurales ou reculées, les femmes sans ressources, les femmes internées, les femmes détenues, les petites filles, les femmes handicapées , les femmes âgées et les femmes dans des zones de conflit armé , sont particulièrement vulnérables face à la violence ».

***

Le lundi 25 novembre 2019, une proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution a été déposée pour appeler le Sénat à se mobiliser contre les violences faites aux femmes en situation de handicap . Ce texte a constitué l'aboutissement du travail réalisé par la délégation dans le cadre du rapport d'information Violences, femmes et handicap : dénoncer l'invisible et agir ! , présenté par Roland Courteau, Chantal Deseyne, Françoise Laborde et Dominique Vérien et adopté à l'unanimité le 3 octobre 2019.

La délégation a souhaité inscrire à son agenda cette question complexe et à bien des égards taboue après avoir été alertée par des témoignages concordants laissant présumer une exposition particulière des femmes en situation de handicap aux violences , des acteurs de terrain s'étant déclarés inquiets de la situation de ces « oubliées des politiques publiques de la lutte contre les violences faites aux femmes ».

Le rapport adopté le 3 octobre 2019 avait donc conclu, entre autres orientations, à la nécessité de prendre en compte le handicap dans l'ensemble des politiques publiques de lutte contre les violences faites aux femmes et, inversement, appelle à intégrer la dimension de l'égalité femmes-hommes à toutes les politiques du handicap .

La proposition de résolution déposée le 25 novembre 2019 par Annick Billon, présidente, et par les quatre co-rapporteurs, a été cosignée par 153 autres sénateurs de tous les groupes, soit un total de 158 assez considérable pour être souligné.

Adopté en séance publique le 8 janvier 2020 , ce texte est devenu la Résolution du Sénat pour dénoncer et agir contre les violences faites aux femmes en situation de handicap .

L' unanimité qui a caractérisé ce vote rappelle l'adoption, dans les mêmes conditions, le 14 mars 2019, de la proposition de résolution pour soutenir la lutte contre le mariage des enfants , les grossesses précoces et les mutilations sexuelles féminines , dont Annick Billon, présidente, avait pris l'initiative et qui avait été cosignée par 129 sénateurs .

Lors de la célébration du vingtième anniversaire de la création de la délégation, le 10 octobre, Gérard Larcher, président du Sénat, avait d'ailleurs mentionné la « capacité [de la délégation] à mobiliser notre institution pour défendre les droits des femmes face [aux] violences ».

***

Le deuxième événement organisé à l'occasion de la journée du 25 novembre se situait dans la logique du Grenelle de lutte contre les violences conjugales mis en place le 3 septembre 2019 par le Gouvernement pour réagir au nombre alarmant de « féminicides ». Ce processus a conduit, le 25 novembre 2019, à diverses annonces telles que l'ouverture sans interruption du numéro d'urgence 3919, la création de nouveaux postes d'intervenants sociaux dans les postes de police et de gendarmerie ou le renforcement de l'effort en matière d'hébergement des victimes de violences.

S'agissant des mesures législatives attendues , les conclusions du Grenelle concernent notamment la reconnaissance du phénomène de suicide forcé, la possibilité pour les professionnels de santé de lever le secret médical en cas de danger immédiat pour la victime ainsi que la suspension de l'autorité parentale des parents violents (sur ce dernier point, la délégation relève que le Gouvernement s'est déclaré défavorable aux amendements déposés en ce sens par certains de ses membres lors de la discussion de la proposition de loi visant à agir contre les violences au sein de la famille 5 ( * ) ; ces amendements ont donc été rejetés par le Sénat).

Souhaitant entendre sur les violences conjugales le point de vue d' interlocuteurs rarement sollicités sur ce sujet, la délégation a rassemblé, le 26 novembre 2019, des représentants des cultes et des courants philosophiques dont la réflexion avait été absente du Grenelle . Compte tenu de sa date, cette table ronde a permis aux intervenants de réagir aux annonces rendues publiques la veille par le Gouvernement.

Comme l'a fait observer Annick Billon, présidente, en ouvrant ces échanges, il s'agissait, sur ce sujet, d'une réunion « sans précédent » alors que ces institutions sont régulièrement sollicitées « lorsque le Parlement débat de sujets concernant la famille ou la bioéthique » et que, par les contacts privilégiés qu'elles entretiennent avec de nombreuses personnes, hommes et femmes, de générations très diverses, leur point de vue sur les violences au sein des couples, « fléau qui [...] n'est ni une question de milieu, ni une question de culture », est important.

Cette initiative peut être rapprochée du colloque organisé avec la Conférence des responsables de cultes en France, en mai 2015, en amont de la COP 21, sur Le climat : quels enjeux pour les religions ?

La table ronde du 26 novembre 2019, unanimement appréciée et d'une rare richesse, a confirmé une détermination partagée , commune à tous ces acteurs, de faire avancer la lutte contre ces violences .

***

La troisième manifestation ayant marqué la célébration au Sénat de la journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes a consisté en une table ronde, le jeudi 28 novembre 2019, sur les violences faites aux femmes dans les territoires en crise .

Cette réunion, inscrite à l'ordre du jour de la délégation à la demande de Claudine Lepage, vice-présidente, s'inscrivait à la suite du rapport d'information de la délégation intitulé Pour que le viol et les violences sexuelles cessent d'être des armes de guerre , publié en décembre 2013 6 ( * ) dans un contexte encore très marqué par la guerre en ex-Yougoslavie et dominé par la tragique actualité des viols de guerre en République centrafricaine.

Six ans après la première réflexion conduite sur ce sujet particulièrement grave, on ne saurait dire que la situation des victimes se soit réellement améliorée ni que cette barbarie, qui s'attaque à des proies de tous âges, ait régressé . Ce constat fait ressortir à la fois la triste constance des violences faites aux femmes partout dans le monde, et le courage admirable des acteurs qui s'engagent contre de tels fléaux .

À cet égard, la délégation ne peut que rappeler l'action exemplaire de Denis Mukwege , lauréat du prix Nobel de la paix 2018, qui a consacré sa vie à soigner les femmes mutilées par les violences sexuelles.

Ce combat montre l' imbrication de toutes les formes de violences faites aux femmes et toutes les manifestations des inégalités entre les hommes et les femmes : comme l'a souligné le Dr Mukwege lors d'une conférence prononcée le samedi 30 novembre 2019 à l'Hôtel de Ville de Paris 7 ( * ) , l'utilisation du viol comme arme de guerre a pour racine « le mépris dont les femmes ont été victimes au cours des siècles ». Qu'il s'agisse du temps de paix ou des périodes de guerre, les violences sexuelles subies par les femmes sont liées à un enseignement séculaire de l'infériorité de la femme.

Au constat de l'utilisation du viol comme arme de guerre à des fins de « nettoyage ethnique », observée en ex-Yougoslavie et en RDC, il a estimé que la situation en Iraq avait ajouté le fléau de l'esclavage sexuel dont témoignait, entre autres manifestations, la vente de Yézidies, telles des « marchandises » sur un « étal de marché ». « Où est notre humanité ? », s'est-il interrogé.

Attirant l'attention du public sur le rôle de la tradition , M. Denis Mukwege a appelé à remplacer les « théologies misogynes » par des « théologies de l'estime de la femme » : nul mieux que lui ne pouvait faire le lien entre la table ronde du 26 novembre et celle du 28 novembre 2019 .

Parmi ses conclusions, le Dr Denis Mukwege a plaidé pour que les « souffrances indescriptibles » des femmes victimes de ces viols, « nos soeurs, nos mères, nos filles », soient mieux connues grâce à un travail de plaidoyer dont il a souligné l'importance. Telle est, entre autres ambitions, l'objet de ce recueil, dont la publication a été autorisée à l'unanimité par la délégation le 30 janvier 2020, sous l'intitulé 25 novembre 2019 : la lutte contre les violences faites aux femmes au coeur de l'agenda du Sénat .

I. LES TRAVAUX DE LA DÉLÉGATION À L'OCCASION DE LA JOURNÉE INTERNATIONALE POUR L'ÉLIMINATION DE LA VIOLENCE À L'ÉGARD DES FEMMES

A. UNE PROPOSITION DE RÉSOLUTION POUR DÉNONCER ET AGIR CONTRE LES VIOLENCES FAITES AUX FEMMES EN SITUATION DE HANDICAP DÉPOSÉE LE 25 NOVEMBRE 2019

Annick Billon, présidente de la délégation, Chantal Deseyne, Roland Courteau, Françoise Laborde et Dominique Vérien ont souhaité prendre l'initiative d'une proposition de résolution faite dans le cadre de l'article 34-1 de la Constitution, pour tirer les conclusions du rapport Violences, femmes et handicap : dénoncer l'invisible et agir ! 8 ( * ) adopté à l'unanimité par la délégation le 3 octobre 2019.

Ce texte a donné lieu le 21 novembre à un échange de vues au sein de la délégation 9 ( * ) , qui a invité ses auteurs à le déposer à la date symbolique du 25 novembre.

Les violences faites aux femmes en situation de handicap ont fait l'objet d'un groupe de travail dédié dans le cadre du Grenelle de lutte contre les violences conjugales 10 ( * ) , qui a débouché sur des annonces concrètes en ce domaine.

La proposition de résolution a été discutée en séance publique le 8 janvier 2020 et adoptée à l'unanimité par le Sénat .

Il était important que la délégation prenne toute sa part dans ce débat et qu'elle rappelle aussi son intérêt précoce et son apport spécifique à cette question particulièrement grave .

La ministre a d'ailleurs salué cette « initiative transpartisane et consensuelle, sur un sujet longtemps tabou mais qui devient prégnant dans notre société ». 11 ( * )

La délégation tient à saluer le fait que, parmi les dix orateurs s'étant exprimés dans la discussion générale au titre des groupes politiques, sept d'entre eux étaient des membres de la délégation aux droits des femmes : Claude Malhuret (Les Indépendants), Dominique Vérien (UC), Chantal Deseyne (Les Républicains), Roland Courteau (SOCR), Françoise Laborde (RDSE), Loïc Hervé (UC) et Nicole Duranton (Les Républicains) 12 ( * ) . En outre, la présidente Annick Billon a bénéficié d'un temps de parole institutionnel de dix minutes, ce qui a contribué à renforcer la visibilité de la délégation dans cette circonstance.

La résolution reprend les axes forts des recommandations du rapport de la délégation, qu'il s'agisse de la nécessité de mieux connaître le phénomène par des études régulièrement actualisées, d'intensifier la formation et la sensibilisation des différents acteurs susceptibles d'être au contact de femmes en situation de handicap victimes de violences, de renforcer l'autonomie professionnelle et financière de ces femmes et de progresser dans leur accès aux soins , notamment gynécologiques, ainsi que dans l'accessibilité de la chaîne judiciaire et des lieux d'hébergement d'urgence .

Lors de la discussion en séance, la plupart de ces thèmes ont d'ailleurs été mis en exergue par les différents orateurs.

Annick Billon a fait valoir que « les violences peuvent être à la fois la cause et la conséquence du handicap » car, « si le handicap accroît pour une femme ou une fille le risque de subir des violences, inversement il peut aussi être la conséquence des violences subies ». Elle a également souligné le constat inquiétant selon lequel « les violences qui menacent les femmes en raison de leur handicap ne leur laissent aucun répit », pouvant être le fait « de l'entourage institutionnel ou familial ».

Enfin, elle a appelé à une mobilisation de moyens substantiels pour garantir une prise en charge adaptée des victimes quels que soient les territoires : « les moyens humains et financiers doivent être déployés dans tous les territoires pour prévenir, former, informer, accompagner et soigner. Je précise bien dans tous les territoires : en France métropolitaine et dans les outre-mer, dans les grandes villes et dans les territoires ruraux, car la violence n'a pas de frontière ».

Pour sa part, Dominique Vérien a insisté sur le besoin de statistiques afin de mieux appréhender les violences faites aux femmes en situation de handicap, et donc de mieux les combattre : « Il nous faut donc des chiffres, car comment construire une politique publique sur un sujet dont on ne maîtrise ni la fréquence, ni l'ampleur, ni les différentes dimensions, qu'elles soient psychologiques sexuelles, conjugales ou économiques ? ».

Nicole Duranton a elle aussi pointé le manque de statistiques et plaidé pour améliorer la situation dans ce domaine : « Il est nécessaire de mieux relier les indicateurs de “ violence ” et de “ handicap ” dans la prise en charge institutionnelle et légale des victimes, afin d'obtenir des bases statistiques qualifiant et quantifiant mieux les faits ».

Chantal Deseyne a souligné l'importance de l'autonomisation économique des femmes en situation de handicap pour les soustraire aux violences, déplorant à cet égard la « surdiscrimination dans l'emploi » des femmes handicapées : « Ces femmes sont d'autant plus fragiles et vulnérables qu'elles se trouvent bien souvent dans une situation de dépendance économique : elles ont du mal à poursuivre des études, à trouver un emploi et à évoluer dans leur carrière professionnelle ». « Le renforcement de l'autonomie professionnelle est l'un des facteurs clés pour prévenir et lutter contre les violences faites aux femmes en situation de handicap », a-t-elle conclu.

Dans le même esprit, Claude Malhuret a mis l'accent sur l'urgence d'améliorer l'accès à l'éducation des personnes en situation de handicap et de favoriser l'inclusion de ces personnes , et notamment des femmes autistes : « De nombreux témoignages font part des difficultés d'accès à l'éducation, pour ces femmes, dès le plus jeune âge (...). L'accès à l'éducation est un pilier de notre République (...) Il est important de mettre ici en lumière la situation, dans le milieu du travail, des femmes atteintes d'autisme, dont les témoignages appellent à l'urgence d'un meilleur dépistage ».

Roland Courteau a rappelé son engagement contre les violences faites aux femmes, qu'il a qualifié de « fil conducteur de son parcours d'élu ». Il a déploré le tabou qui entoure les violences faites aux femmes en situation de handicap et qui tend à marginaliser toujours plus ces victimes : « Deux adjectifs ont émergé des témoignages que nous avons entendus au cours de notre travail : “ oubliées ” et “ invisibles “. Il faut y ajouter “ inaudibles ”, car à toutes les violences que subissent ces femmes, s'ajoute la violence qui résulte d'une parole presque toujours mise en doute, au nom de leur handicap, comme si leur identité pouvait être réduite à celui-ci ».

Il a souligné que la formation des professionnels était un facteur décisif d'une prise en charge efficace des femmes handicapées victimes de violences, notamment pour favoriser la libération de la parole : « Pour révéler les violences subies, les femmes doivent pouvoir se tourner vers des professionnels formés. Dans le cas des personnes en situation de handicap, une formation insuffisante des professionnels peut déboucher sur de graves écueils. Plus particulièrement, la méconnaissance des symptômes du psychotrauma par de nombreux praticiens conduit des professionnels à passer à côté d'une situation de violence ».

Loïc Hervé a également souhaité mettre l'accent sur la formation des professionnels : « Les différentes lacunes que j'ai relevées aujourd'hui nous conduisent à recommander un renforcement de la formation et de la sensibilisation des acteurs de la chaîne judiciaire aux problématique du handicap ».

Françoise Laborde a centré son intervention sur la question de l'accès aux droits et de la citoyenneté , rappelant l'importance de « considérer les personnes en situation de handicap non comme des “ objets de soin ”, mais comme des “ sujets de droit ” ». Elle a notamment déploré l'accès aux soins encore très insuffisant des femmes en situation de handicap - particulièrement s'agissant de la prévention des cancers gynécologiques - alors qu'il s'agit pourtant d'une « condition nécessaire à leur dignité ». « L'accès aux soins et aux dépistages des cancers féminins est un droit qui ne peut être enlevé aux femmes en situation de handicap », a-t-elle affirmé, en concluant « qu'il est de notre devoir de garantir la citoyenneté à laquelle les femmes en situation de handicap aspirent légitimement ».

La discussion en séance de la proposition de résolution a également été l'occasion de mettre en perspective les propositions du Gouvernement dans le cadre du Grenelle de lutte contre les violences conjugales .

Selon Claude Malhuret, « les conclusions et les mesures dévoilées lors du Grenelle contre les violences conjugales constituent une avancée, qui doit être poursuivie ».

Pour sa part, Roland Courteau s'est interrogé sur la pertinence de certaines annonces , s'agissant par exemple de la « formation en ligne certifiante s'adressant aux professionnels des établissements et services médico-sociaux » dont il a déploré le « manque d'ambition » par rapport à un « réel apprentissage », plus adapté selon lui à « la complexité et la sensibilité de la question ».

Présentant les mesures envisagées par le Gouvernement pour renforcer la prévention des violences dans le secteur médico-social , Sophie Cluzel a fait valoir que « La plus grande vigilance [serait] exigée des autorités de contrôle sur l'identification et le traitement sans délai des violences ».

Elle a par ailleurs indiqué qu'il serait rappelé « à l'ensemble des établissements et services médico-sociaux la nécessité absolue du respect de l'intimité et des droits sexuels et reproductifs des femmes accompagnées ».

En matière de santé , la ministre a indiqué son souhait « d'assurer une fluidité et une accessibilité du parcours de santé, de renforcer la prévention - une tumeur détectée chez une femme vivant dans un établissement médico-social est en moyenne dix fois plus grosse que celle d'une femme suivie en ville [...] - et la coordination des soins », ainsi que de « favoriser au maximum le droit commun et le libre choix ».

Le débat sur la proposition de résolution relative aux violences faites aux femmes en situation de handicap a été marqué par un grand consensus , comme en témoigne la conclusion de la ministre : « Vous pouvez donc compter sur le Gouvernement pour se tenir aux côtés de la chambre haute chaque fois que se présentera l'occasion de faire avancer la cause qui nous réunit aujourd'hui, celle des femmes en situation de handicap, qui sont des citoyennes à part entière ».

Ce consensus a été renforcé par l' adoption de ce texte à l'unanimité , qui constitue par ailleurs un symbole fort de la capacité de la délégation à mobiliser le Sénat .

Compte tenu de la sensibilité d'un sujet de surcroît longtemps demeuré tabou, on ne peut que saluer ce résultat.


* 1 Cette tribune, intitulée Féminicides : où est la grande cause du quinquennat ? se situait le 7 juillet 2019 au cinquième rang des 100 articles les plus lus sur le site de Libération .

* 2 Les deux délégations parlementaires aux droits des femmes ont été créées par la loi n° 99-585 du 12 juillet 1999.

* 3 Voir le recueil des actes de l'événement ayant marqué cette commémoration : Rapport d'information fait au nom de la délégation par Annick Billon, Laurence Cohen, Marta de Cidrac, Loïc Hervé, Françoise Laborde et Laurence Rossignol sur la célébration du vingtième anniversaire de la création de la délégation aux droits des femmes du Sénat (n° 148, 2019-2020).

* 4 Les comptes rendus de ces trois séquences sont annexés au présent volume.

* 5 Loi n° 2019-1480 du 28 décembre 2019.

* 6 Rapport d'information fait au nom de la délégation aux droits des femmes par Brigitte Gonthier-Maurin (n° 212, 2013-2014).

* 7 Conférence de Denis Mukwege, prix Nobel de la Paix, à l'Hôtel de Ville, le 30 novembre 2019, dans le cadre d'un événement organisé par la Fédération protestante de France avec le soutien d'Anne Hidalgo, maire de Paris. Cette manifestation a été évoquée dès le début de la table ronde du 26 novembre 2019 par le président de la Fédération protestante de France , qui y a convié la délégation. Qu'il en soit chaleureusement remercié.

* 8 Rapport d'information fait au nom de la délégation aux droits des femmes par Roland Courteau, Chantal Deseyne, Françoise Laborde et Dominique Vérien (n° 14, 2019-2020).

* 9 Voir le compte rendu de cet échange de vues en annexe du présent rapport.

* 10 Les travaux du Grenelle se sont déroulés sur la période du 3 septembre 2019 au 25 novembre 2019.

* 11 Voir le compte rendu de la séance publique du 8 janvier 2020 en annexe du présent rapport.

* 12 Les trois derniers orateurs étaient Michelle Gréaume (CRCE), Xavier Iacovelli (Ratt. LaREM) et Pascale Gruny (Les Républicains).

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