II. LA PRISE EN COMPTE DE L'IDENTITÉ CULTURELLE : RÉPONDRE À LA QUESTION COUTUMIÈRE

A. UNE HÉTÉROGÉNÉITÉ SOCIO-CULTURELLE MARQUÉE, DONT LA RICHESSE DOIT ÊTRE RECONNUE EN ÉVITANT L'ÉCUEIL DU COMMUNAUTARISME

1. Une population riche et diverse

Si la Guyane est un territoire si spécifique, elle le doit d'abord à sa population. Cette dernière se caractérise en effet par une forte diversité et une constante mobilité des communautés frontalières .

La population guyanaise est composée de plusieurs groupes . La Guyane ayant en effet de tout temps constitué une terre d'immigration, aujourd'hui y coexistent Créoles, Bushinenges, Amérindiens, Hmongs mais également métropolitains et populations issues de l'immigration plus récente.

Les Hmongs, arrivés il y a 40 ans en Guyane, travaillent la terre et sont extrêmement respectueux des institutions françaises. Accueillant les représentants de la commission des lois à Javouhey dans leur communauté, ils se sont montrés très reconnaissants de ce que la France leur avait apporté. Seules deux attentes ont été exprimées : disposer de plus de terres pour pouvoir étendre leurs cultures agricoles, et que l'ensemble des Hmongs présents sur le sol guyanais puissent acquérir la nationalité française. La commission a bien conscience que les seuls Hmongs qui n'ont pas pu se voir attribuer la nationalité sont ceux qui n'ont pas une connaissance jugée suffisante de la langue française. Elle estime toutefois qu'ils ont largement démontré leur attachement à la France ainsi que leur contribution au développement de la Guyane, notamment par leur insertion, leur sens patriotique, et leurs activités économiques, et qu'il devrait être accédé à leur demande.

Cérémonie d'hommage aux Hmongs morts pour la France

Source : commission des lois du Sénat

Proposition n° 29 : Faciliter l'acquisition de la nationalité française par les Hmongs présents depuis quarante ans sur le territoire.

2. La prise en compte de chaque culture sans accepter le communautarisme

La diversité de la société guyanaise constitue à l'évidence une richesse, mais l'hétérogénéité socio-culturelle comporte des risques de tensions inter-ethniques . La reconnaissance et le respect de l'identité de chacun, dans ses spécificités, sont donc fondamentaux 83 ( * ) .

« Ici, on se tolère », « les gens se côtoient, mais ne se mélangent pas », « il ne faudrait pas grand-chose pour déclencher une crise », « les gens n'élisent pas une miss Guyane, mais une miss Hmong, une miss Brésil, une miss Haïti, etc. », « les tensions interethniques sont sous-jacentes à de nombreux sujets », « le risque, c'est évidemment celui de bouffées violentes », « le communautarisme est le seul sujet qui peut empêcher la Guyane de décoller ». Ces citations, entendues au fur et à mesure du déplacement en Guyane, proviennent de toutes les parties du territoire, de la part de tous types d'acteurs.

Chaque groupe de population en Guyane dispose en effet d'une identité marquée et d'une culture bien identifiée. La question qui se pose aujourd'hui en Guyane est celle de la manière de faire un construire le vivre ensemble avec cette diversité des cultures .

La situation est jugée particulièrement tendue dans l'Ouest guyanais .

Les rapporteurs en sont convaincus, permettre la conciliation des différentes identités doit être une priorité pour faire vivre l'unité guyanaise .

Des actions sont d'ores et déjà mises en oeuvre par les collectivités territoriales . La collectivité territoriale de Guyane tente ainsi de développer une identité et une culture guyanaise pour éviter la fragmentation de la société . À titre d'exemple, une maison des cultures et des mémoires sera inaugurée à la fin du premier trimestre 2020, tandis que la collectivité lutte pour faire reconnaitre le carnaval guyanais par l'Unesco. À Mana, le maire Albéric Benth a mis en avant la nécessité de composer avec les différentes cultures dans la conduite de l'action publique. Les collectivités ont par exemple accepté de fermer temporairement des groupes scolaires en vue de les « désenvoûter » à la suite de crises collectives de Baclou 84 ( * ) .

De manière générale, réfléchir à l'intégration de ces populations et à leur mieux-être implique de favoriser le dialogue entre tous par l'intermédiaire de médiateurs , de prendre en considération les langues et d'adapter l' éducation dispensée dans les écoles.

Dans le cadre des accords de Guyane, l'accord thématique « Communautés amérindiennes et bushinenges » prévoyait la mise en place d'un enseignement des langues autochtones et de l'histoire des communautés amérindiennes et bushinenges, ainsi que la création d'un module de droit des peuples autochtones à l'université de Guyane. L'université de Guyane a organisé un colloque intitulé « littérature, patrimoine culturel et mémoire d'Amazonie » le 14 novembre 2019. Ce type d'initiative doit être encouragé afin de développer et de diffuser la connaissance de ce qui constitue la Guyane.

En matière d'éducation, concilier apprentissage du français et reconnaissance des langues locales est bénéfique pour l'ensemble des publics. Favoriser l'apprentissage du français permet de développer une culture commune à l'ensemble de la population guyanaise . Sur le fleuve, et selon les informations recueillies par la délégation, les deux tiers de la population environ ne parlent pas français. Un besoin d'immersion linguistique se fait donc sentir dès la classe de maternelle car les enfants n'ont généralement pas l'occasion d'entendre parler français dans leur cercle familial. L'apprentissage ultérieur de la lecture en est rendu plus difficile, ce qui pénalise les enfants dans la suite de leur scolarité. Dans le même temps, il importe de ne pas nier les différentes cultures guyanaises . Pour ce faire, des écoles bilingues pourraient plus fréquemment être mises en place afin d'affirmer la reconnaissance de la richesse que constituent ces différentes cultures.

Un dispositif a d'ores et déjà été développé pour adapter l'enseignement aux spécificités et aux langues locales par la formation de médiateurs culturels et bilingues, aujourd'hui appelés intervenants en langue maternelle (ILM). Une quarantaine d'ILM supplémentaires ont été recrutés à la suite de la crise du printemps 2017. Un effort semble toutefois encore nécessaire, notamment en direction des communes de l'intérieur. Ce dispositif doit être largement étendu.

Proposition n° 30 :  Pour mieux concilier apprentissage du français et reconnaissance des langues locales à l'école :

1° Favoriser l'immersion linguistique en français dès la classe de maternelle ;

2° Recruter des intervenants en langue maternelle (ILM) pour les écoles situées à l'intérieur du territoire guyanais ;

3° Renforcer la mise en place d'écoles bilingues dès le primaire.


* 83 Cela est d'autant plus vrai que le taux de suicide des jeunes de l'intérieur du territoire est particulièrement élevé, supérieur de 10 à 20 fois à celui relevé dans l'Hexagone. Ces drames traduisent le mal-être profond de ces jeunes, en proie à un sentiment d'obligation de choisir entre deux mondes qui leur semblent inconciliables : celui de leurs parents et de leur village, et celui d'une modernité imposée de l'extérieur.

Voir, pour plus de précisions sur ce sujet, le rapport remis le 30 novembre 2015 au Premier Ministre , Suicide des jeunes Amérindiens en Guyane française : 37 propositions pour enrayer ces drames et créer les conditions d'un mieux-être , réalisé par notre ancienne collègue Aline Archimbaud et notre ancienne collègue députée Marie-Anne Chapdelaine. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante :

https://www.google.com/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=1&cad=rja&uact=8&ved=2ahUKEwjj58zwj4rmAhVU8uAKHWieCmEQFjAAegQIARAC&url=https%3A%2F%2Fwww.ladocumentationfrancaise.fr%2Fvar%2Fstorage%2Frapports-publics%2F154000882.pdf&usg=AOvVaw2QXzU0qKSdjbZHDtm-uCFL .

* 84 Selon une croyance traditionnelle, le baclou est un mauvais esprit capable de posséder une personne.

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