B. ADAPTER LES STRUCTURES DE REPRÉSENTATION DES POPULATIONS AMÉRINDIENNES ET BUSHINENGES

La volonté de mieux prendre en compte les intérêts des populations amérindiennes et bushinenges s'est très tôt traduite par une reconnaissance du rôle joué par les autorités coutumières et traditionnelles .

1. Consolider les autorités coutumières et traditionnelles

Dès la départementalisation, l'organisation traditionnelle et coutumière a subsisté aux côtés de l'administration et des collectivités mises en place par la République : chefs et grands chefs coutumiers du côté des Amérindiens, capitaines et Gran Man pour les Bushinenges. L'objectif initial était de permettre à l'administration à l'époque du territoire de l'Inini 85 ( * ) de disposer de représentants chargés de l'application de certaines mesures. Aujourd'hui, les autorités coutumières et traditionnelles sont chargées de représenter le village, qui ne doit pas être confondu avec la commune, et leur rôle peut s'articuler avec celui du maire. Les contours de leur mission sont toutefois largement indéfinis, ceux-ci pouvant d'ailleurs différer suivant les communautés.

Les fonctions des autorités traditionnelles et coutumières sont donc souvent tributaires des personnalités qui les assument et du contexte dans lequel elles s'exercent . Comme l'indique Bruno Apayou, vice-président du collège bushinenge du grand conseil coutumier, ils sont à la fois « juge, policier et autorité spirituelle » dans leur village 86 ( * ) . Les chefs coutumiers interviennent notamment dans les domaines relevant habituellement de la sphère étatique ou de la compétence des maires. Une certaine concurrence entre élus locaux et chefs coutumiers peut ainsi parfois être observée. Dans les territoires où la population coutumière est nombreuse, il pourrait donc être de bonne administration d'organiser son association , organisant ainsi la coexistence de deux légitimités .

La commune d'Awala-Yalimapo a par exemple mis en place une commission mixte rassemblant des élus, des personnes désignées par les autorités coutumières et des représentants des familles. Cette commission donne des avis sur les projets de la commune. Comme l'indiquait au cours du déplacement le maire d'Awala-Yalimapo, Jean-Paul Fereira, il s'agit par ce moyen « d'appréhender le territoire dans sa réalité ».

Proposition n° 31 :  Associer les autorités coutumières à la prise de décision publique dans les communes.

Nommées selon les usages reconnus par la coutume, les autorités coutumières et traditionnelles voient par la suite leur désignation reconnue par l'autorité administrative 87 ( * ) . L'attribution d'indemnités aux autorités traditionnelles et coutumières ne relève pas d'une obligation juridique . Les indemnités sont librement consenties, hier par le département de Guyane 88 ( * ) et aujourd'hui par la collectivité territoriale de Guyane. La base législative fondant la compétence de la collectivité territoriale de Guyane pour attribuer des indemnités se situe à l'article L. 7124-18 du code général des collectivités territoriales, qui dispose que « la délibération de l'assemblée de Guyane fixant le montant des indemnités versées aux autorités coutumières et traditionnelles et les modalités d'attribution est soumise à la consultation du grand conseil coutumier ». Les membres du grand conseil coutumier, lors de leur audition par la délégation de la commission des lois, ont indiqué craindre pour la pérennité des indemnités des autorités coutumière au vu des réflexions actuelles sur l'évolution statutaire de la Guyane. Ils souhaiteraient que le paiement de ces indemnités soit désormais assumé par l'État.

Par ailleurs, les chefs coutumiers rencontrés ont à plusieurs reprises indiqué que le lien avec la population était essentiel à leur mission. Selon Amaipoti, grand man de la communauté Wayana, « sans voiture ni pirogue, les chefs coutumiers ne peuvent exercer leurs fonctions ». Faciliter leurs déplacements au sein de communes souvent vastes pourrait passer par une réflexion sur le remboursement de leurs frais lorsqu'ils vont à la rencontre de la population .

Proposition n° 32 : Faciliter les déplacements des chefs coutumiers dans l'exercice de leur mission.

2. Permettre au grand conseil coutumier de répondre au mieux aux attentes de la population

Le souci de renforcer la place accordée en Guyane aux populations amérindiennes et bushinenges s'est traduit par la transformation dans la loi n° 2017-256 du 28 février 2017 de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique , dite loi EROM , du conseil consultatif des populations amérindiennes et bushinenges (CCPAB) en un grand conseil coutumier 89 ( * ) .

Le grand conseil coutumier des populations amérindiennes et bushinenges (GCCPAB) a dorénavant pour objet d'assurer la représentation des populations amérindiennes et bushinenges et de défendre leurs intérêts juridiques, économiques, sociaux, culturels, éducatifs et environnementaux. Il constitue un organe consultatif dont les possibilités de saisines ont été élargies. Sa prise en charge financière et matérielle est assurée par l'État. Il est composé de représentants des autorités coutumières et traditionnelles. Il lui appartient désormais de constater la désignation des autorités coutumières et traditionnelles et de la notifier au représentant de l'État et au président de la collectivité territoriale de Guyane.

Ces modifications traduisent la consécration législative des autorités coutumières et traditionnelles des populations amérindiennes et bushinenges .

Au cours de ses rencontres avec les autorités coutumières, la délégation de la commission des lois a pu constater que l'institution du grand conseil coutumier doit encore être consolidée , en répondant à deux thématiques principales.

En premier lieu, les modalités de prise de décision interrogent. Préalablement à chaque réunion du grand conseil coutumier, les chefs coutumiers rassemblent généralement leurs observations pour les transmettre au grand conseil 90 ( * ) . Les autorités coutumières rencontrées souhaitent cependant qu'en retour le grand conseil coutumier puisse davantage rendre compte de ses décisions . Lors de son audition par la délégation de la commission des lois, le grand conseil coutumier a indiqué avoir un lien permanent avec les autorités coutumières 91 ( * ) qu'il voudrait pouvoir renforcer.

Les membres de la délégation considèrent que les modalités d'une association plus étroite de l'ensemble des chefs coutumiers aux décisions du grand conseil coutumier relèvent de la décision de ce dernier et qu'il est important d' assurer la participation et la bonne information de l'ensemble de la population sur les délibérations du grand conseil.

Comme l'ont indiqué les autorités coutumières de Maripasoula, le grand conseil coutumier rassemble en effet des groupes qui gagneraient à se connaître davantage. Cette instance de représentation s'inscrit pleinement dans les institutions de la République et c'est ainsi qu'elle utilisera tout son potentiel au service des populations qu'elle représente .

Afin de resserrer les liens entre leur institution et la population, les membres du grand conseil coutumier estiment qu'il est nécessaire de leur allouer davantage de moyens d'action . Ces moyens supplémentaires, qui concernent tant l'enveloppe financière attribuée que le personnel affecté au fonctionnement du grand conseil coutumier, leur permettraient d'assurer un meilleur fonctionnement de leur institution 92 ( * ) . Par ailleurs, à l'inverse des membres du conseil économique, social, environnemental, de la culture et de l'éducation de Guyane, les membres du grand conseil coutumier exercent leurs fonctions à titre gratuit et ne bénéficient ni d'autorisations d'absence, ni de crédits d'heure.

Les membres du grand conseil coutumier ont particulièrement insisté sur le fait qu'ils souhaiteraient se rendre plus fréquemment dans les villages afin de dialoguer avec la population 93 ( * ) . La délégation considère que le lien de représentation qui unit le grand conseil aux habitants de villages amérindiens et bushinenges ne pourrait que se distendre si cette demande n'était pas suffisamment prise en compte.

Proposition n° 33 :  Renforcer l'adéquation des moyens du grand conseil coutumier à ses missions.

En second lieu, le grand conseil coutumier, institution relativement récente, ne dispose aujourd'hui que d'un rôle consultatif . Ainsi, à Maripasoula, les chefs coutumiers ont indiqué que « le grand conseil coutumier ne prend pas de réelle décision. Mais il sert de relais aux attentes de la population auprès des institutionnels, et c'est très positif ». Christophe Pierre, vice-président du collège amérindien du grand conseil coutumier, a indiqué aux membres de la délégation qu'il s'agissait d'un « canal visant à articuler le fonctionnement d'une société traditionnelle et centenaire voire millénaire avec celui de la société actuelle ».

Certaines populations coutumières souhaitent obtenir un droit de véto sur les sujets qui les concernent. Sans aller nécessairement jusque-là, car ces décisions concernent généralement également d'autres populations, il pourrait être envisagé de renforcer le poids des avis du grand conseil coutumier . Le système en vigueur en Nouvelle-Calédonie constitue un exemple : dans un nombre limitativement énuméré de domaines, la délibération du Sénat coutumier est soumise à la délibération du Congrès qui, s'il n'adopte pas un texte identique à celui adopté par le Sénat coutumier, transmet son texte à ce dernier qui délibère à nouveau. Le dernier mot appartient au Congrès 94 ( * ) . Il pourrait également être envisagé d'obliger la collectivité territoriale de Guyane à une seconde délibération en cas d'avis défavorable du grand conseil coutumier.

Le grand conseil coutumier revendique également l'obtention de la personnalité morale. Accéder à cette demande ne se justifierait toutefois que par un changement de la nature du grand conseil coutumier pour en faire un opérateur ou une autorité administrative indépendante.

Proposition n° 34 :  Engager une réflexion en vue de renforcer le poids des avis du grand conseil coutumier.

3. Renforcer l'association des populations amérindiennes et bushinenges à la prise de décision dans les domaines impactant leurs modes de vie

Les populations amérindiennes et bushinenges sont présents dans 45 % du territoire de la Guyane . À ce titre, elles souhaitent prendre part aux décisions qui impactent parfois lourdement leurs modes de vie, qu'il s'agisse des atteintes portées à la forêt ou de l'installation de sociétés d'exploitations minières. Outre le rôle du grand conseil coutumier en la matière, plusieurs initiatives ont été prises pour organiser l'association de ces populations à la prise de décision .

Dans le domaine minier par exemple, des représentants des communautés amérindiennes et bushinenges siègent au sein de la commission des mines, afin de leur permettre de suivre l'impact environnemental des projets miniers et de garantir leur consultation sur les projets aurifères 95 ( * ) .

De la même manière, le conseil d'administration de l'établissement public du parc amazonien de Guyane comprend cinq représentants des communautés coutumières 96 ( * ) . Au-delà et de manière plus générale, 44 % du personnel du parc amazonien de Guyane est recruté localement, ce qui permet un brassage culturel et une meilleure prise en compte des spécificités des populations amérindiennes et bushinenges vivant dans le parc 97 ( * ) . Par ailleurs, le parc a recruté de jeunes médiateurs issus du territoire, ce qui présente l'intérêt à la fois de former des jeunes et d'accueillir des volontaires en service civique, mais aussi de renforcer l'association des populations aux décisions prises par le parc.

La commission considère que ces initiatives vont dans le bon sens et doivent être étendues à tous les établissements publics dont les décisions sont de nature à affecter le mode de vie des populations amérindiennes et bushinenges. Cela pourrait notamment être le cas des deux unités territoriales de l'office national des forêts de Guyane.

Proposition n° 35 :  Inclure des représentants des communautés amérindiennes et bushinenges dans les organes décisionnaires des établissements publics en charge de décisions ayant un impact sur leurs modes de vie.


* 85 Ancienne subdivision de la Guyane créée en 1930, le territoire de l'Inini couvrait l'ensemble de la Guyane française à l'exception de la bande littorale. Transformé en arrondissement de l'Inini en 1951, il a définitivement été supprimé en 1969 avec la création de la majorité des communes guyanaises actuelles (décret n° 69-261 du 17 mars 1969 portant réorganisation administrative du département de la Guyane ).

* 86 Christophe Pierre, vice-président du collège amérindien, a précisé à la délégation que les autorités coutumières ne pouvaient s'envisager qu'en lien avec un territoire et en résonnance avec les autres chefs coutumiers, qui doivent la reconnaître.

* 87 Le grand conseil coutumier depuis 2017.

* 88 Délibération n° 30-88/CG du 11 avril 1988 relative aux indemnités à verser aux chefs coutumiers des populations tribales dans le département .

* 89 Cette mesure répond à une revendication de longue date du CCPAB, qui, chargé d'exprimer un avis sur tout projet ou proposition de délibération de l'État, et, avant la création de la collectivité territoriale de Guyane, du conseil régional ou du conseil général ayant un impact sur l'environnement, le cadre de vie et les activités culturelles des populations amérindiennes et bushinenges, réclamait une plus grande implication dans le processus décisionnel des politiques publiques du territoire.

* 90 Il a également été proposé d'organiser des réunions rassemblant tous les chefs coutumiers du Haut-Maroni, Amérindiens et Bushinenges, avant chaque réunion du grand conseil coutumier.

* 91 Grâce aux nouvelles technologies, notamment.

* 92 Selon l'article D. 7124-46 du code général des collectivités territoriales, « Les dépenses de fonctionnement du grand conseil coutumier sont prises en charge par l'État. Le secrétariat du grand conseil coutumier est assuré par les services du représentant de l'État en Guyane. »

* 93 L'article D. 7124-47 du code général des collectivités territoriales dispose que « Les membres du grand conseil coutumier exercent leurs fonctions à titre gratuit. Les frais de déplacement et de séjour supportés par les membres du grand conseil coutumier peuvent être pris en charge dans les conditions fixées par la réglementation applicable aux fonctionnaires de l'État. »

* 94 Article 142 de la loi n° 99-209 organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie.

* 95 Article 68-19 du code minier, tel que modifié par l'article 81 de la loi n° 2017-256 du 28 février 2017 de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique .

* 96 Articles 27 et 28 du décret n° 2007-266 du 27 février 2007 créant le parc national dénommé " Parc amazonien de Guyane " .

* 97 L'article 20 du décret n° 2007-266 du 27 février 2007 susmentionné indiquant : « La réglementation du coeur du parc national prend en compte les modes de vie traditionnels, notamment les pratiques cultuelles, de ces communautés d'habitants. »

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