C. UNE PRISE DE CONSCIENCE DES ENJEUX ÉCOLOGIQUES DE L'ALIMENTATION

Depuis plusieurs années, le système alimentaire français est classé comme le plus vertueux des pays développés selon le Food Sustainability Index . Ce classement international 68 ( * ) montre que la France est en pointe en termes de durabilité de son alimentation comparativement aux autres pays . Il serait pourtant erroné d'en tirer un argument pour minorer l'ampleur des transformations à lui apporter, car, dans sa configuration actuelle, le système alimentaire français n'est pas plus soutenable que les autres sur le plan environnemental.

1. Les systèmes alimentaires sont fortement impliqués dans le réchauffement global

Au niveau mondial, le GIEC estime que les activités agricoles expliquent 13 % des émissions de CO 2 , 44 % des émissions de méthane (CH 4 ) et 81 % de celles de protoxyde d'azote (N 2 O) sur la période 2007-2016, ce qui représente 23 % du total des émissions de gaz à effet de serre (GES) d'origine anthropique 69 ( * ) . Les émissions agricoles ne représentent cependant qu'une estimation basse des émissions du système alimentaire dans son ensemble, car ce dernier génère aussi des émissions en amont (notamment pour produire les engrais) et en aval (au niveau de la transformation, de la distribution et de la consommation). Au cours de la dernière décennie, des outils méthodologiques reposant sur l'analyse du cycle de vie ont été développés pour tenter de mesurer l'empreinte carbone cumulée tout au long de la chaîne de valeur de l'alimentation. Une récente étude de l' Institute for climate economics (I4CE) 70 ( * ) estime ainsi à 13,8 Gteq CO 2 , les émissions totales de la demande alimentaire mondiale en 2010, ce qui représente 28 % des émissions mondiales tous secteurs confondus, avec cependant, soulignent les auteurs, de fortes marges d'erreur. À elles seules, les émissions générées par la consommation de produits de l'élevage représenteraient 62 % des émissions de la consommation alimentaire mondiale.

Dans le cas de la France, l'Ademe s'est associée à divers partenaires dans le cadre du programme Agribalyse pour développer les outils nécessaires au chiffrage des émissions de GES de l'alimentation du « champ à l'assiette », en incluant aussi les émissions générées par les importations alimentaires. Il apparaît que l'empreinte carbone de l'alimentation française s'élève à 163 Mt d'eqCO2, soit 24 % de l'empreinte carbone des ménages en France 71 ( * ) . L'analyse détaillée de l'empreinte carbone du système alimentaire français 72 ( * ) montre que c'est l'amont du système alimentaire qui génère le plus d'émissions de gaz à effet de serre (GES) : la production agricole représente en effet à elle seule les deux tiers de l'empreinte carbone totale du système alimentaire. Plus des trois quarts (77 %) des émissions agricoles de GES sont par ailleurs liées à deux causes :

- la production animale. Le méthane (CH 4 ) produit par la fermentation entérique des ruminants et les effluents d'élevages représentent 44 % des émissions agricoles ;

- la fabrication et l'usage d'engrais azotés de synthèse. Ces derniers produisent en effet du protoxyde d'azote (N 2 O). Cela représente plus du tiers (34 %) des émissions.

Il faut noter que ces émissions de N 2 O sont elles-mêmes très fortement liées à l'élevage, car plus de la moitié des céréales et des oléoprotéagineux produits en France servent à nourrir les animaux d'élevage 73 ( * ) . Au total, en agrégeant les émissions de méthane et celles de protoxyde d'azote associées à la production de nourriture pour l'élevage, les produits animaux sont à l'origine d'environ 60% des émissions de GES de l'agriculture.

L'analyse détaillée de l'empreinte carbone « produit par produit » conforte cette analyse globale : les aliments végétaux (légumes, fruits, céréales, légumineuses) ont, quasi systématiquement, un impact CO 2 par kilogramme de produit plus faible que les produits animaux (viande, lait). En outre, parmi ces derniers, l'impact carbone de la viande de ruminants apparaît significativement plus fort que celle du porc, de la volaille, des oeufs et du lait.

2. Les systèmes alimentaires sont fortement impliqués dans le déclin de la biodiversité

La question des impacts du système alimentaire sur la biodiversité est de mieux en mieux documentée. Parmi les travaux d'ampleur les plus récents, on peut citer celui sur des données de captures d'insectes réalisées en Allemagne depuis 1989 74 ( * ) : il révèle une baisse spectaculaire et inquiétante de 76 % du nombre des insectes volants. Une autre étude, consistant en une méta analyse de 73 études réalisées à l'échelle mondiale, parue en 2019 75 ( * ) , confirme à la fois l'ampleur des pertes de biodiversité enregistrées dans la période récente (40 % des espèces d'insectes ont disparu au cours des dernières décennies dans le monde) tout en soulignant le lien étroit entre ces pertes et les pratiques agricoles intensives. Les pertes d'habitat (liées à la conversion à l'agriculture intensive de zones naturelles, notamment forestières, ou de zones agricoles jusqu'alors exploitées de manière extensive) apparaissent comme étant la principale cause du déclin de la biodiversité, devant les pollutions liées à l'utilisation d'intrants chimiques ou le changement climatique.

Cette hiérarchisation des causes est utile pour éclairer la réflexion sur les liens entre alimentation et biodiversité. Il est en effet fréquent de pointer d'abord, sinon exclusivement, les effets négatifs de la pollution agricole sur la biodiversité (utilisation de pesticides, de fertilisants ou de méthodes de protection des semences) . Ces effets sont réels et massifs. Toutefois, avant l'utilisation intensive d'intrants, il semble que ce soit la destruction des habitats naturels qui exerce l'effet majeur. Sans même parler de la déforestation ou des destructions de zones humides, le simple fait de convertir de vastes parcelles à la monoculture suffit à éliminer toutes les espèces non adaptées à ce paysage simplifié à l'extrême.

Il est nécessaire enfin de souligner un autre aspect important des liens entre alimentation et biodiversité : il concerne plus spécifiquement la biodiversité des sols, qui est constituée à la fois de micro-organismes et d'insectes. M. Jean-François Soussana, vice-président de l'Inrae, lors de son audition par la délégation, a alerté sur l'état extrêmement détérioré des sols, indispensables à l'agriculture et à l'alimentation : « Nous vivons aux dépens d'une banque du sol qui est en train de perdre son capital. » 76 ( * ) Restaurer ce capital suppose l'abandon des pratiques agricoles nuisibles pour les sols et la vie qu'ils abritent et leur remplacement par des pratiques culturales moins agressives, basées sur la diversification des cultures et l'adoption de rotations plus longues, la gestion raisonnée des résidus de cultures et des bords de champs, l'implantation de couverts d'intercultures ou encore le raisonnement des interventions phytosanitaires.


* 68 Il croise trois séries d'indicateurs : les performances nationales en matière de réduction des gaspillages alimentaires et des déchets, la durabilité des pratiques agricoles et les performances nutritionnelles.

* 69 GIEC, Special Report: Special Report on Climate Change and Land, 2019

* 70 Lucile Rogissart, Claudine Foucherot, Valentin Bellassen, Estimer les émissions de gaz à effet de serre de la consommation alimentaire : méthodes et résultats, I4CE, Février 2019

* 71 Barbier C., Couturier C., Pourouchottamin P., Cayla J-M, Sylvestre M., Pharabod I, L'empreinte énergétique et carbone de l'alimentation en France, Club Ingénierie Prospective Énergie et Environnement, Paris, Iddri, Janvier 2019. Ce résultat est sensiblement supérieur aux seules émissions agricoles. D'après le dernier rapport neutralité carbone de 2019 du Haut conseil pour le climat, le secteur de l'agriculture comptait pour 19 % des émissions en 2018 (86 MtCO2e).

* 72 Barbier C. et alii, op. cit.

* 73 Afterres 2050, version 2016, p.30.

* 74 Hallmann CA, Sorg M, Jongejans E, Siepel H, Hofland N, Schwan H, et al. (2017) More than 75 percent decline over 27 years in total flying insect biomass in protected areas. PLoS ONE 12(10)

* 75 Francisco Sánchez-Bayoa, Kris A.G. Wyckhuys, Worldwide decline of the entomofauna: a review of its drivers, Biological Conservation, Volume 232, April 2019

* 76 Délégation à la prospective du Sénat, 17 octobre 2019.

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