N° 489

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2019-2020

Enregistré à la Présidence du Sénat le 3 juin 2020

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication (1) sur la situation des directeurs d' école ,

Par M. Max BRISSON, Sénateur, et Mme Françoise LABORDE, Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : Mme Catherine Morin-Desailly , présidente ; M. Max Brisson, Mme Catherine Dumas, MM. Jacques Grosperrin, Antoine Karam, Mme Françoise Laborde, MM. Jean-Pierre Leleux, Jacques-Bernard Magner, Mme Colette Mélot, M. Pierre Ouzoulias, Mme Sylvie Robert , vice-présidents ; MM. Alain Dufaut, Claude Kern, Mme Claudine Lepage, M. Michel Savin , secrétaires ; MM. Maurice Antiste, David Assouline, Mmes Annick Billon, Maryvonne Blondin, Céline Boulay-Espéronnier, Marie-Thérèse Bruguière, Céline Brulin, M. Joseph Castelli, Mmes Laure Darcos, Nicole Duranton, M. André Gattolin, Mme Samia Ghali, MM. Abdallah Hassani, Jean-Raymond Hugonet, Mmes Mireille Jouve, Claudine Kauffmann, MM. Guy-Dominique Kennel, Laurent Lafon, Michel Laugier, Mme Vivette Lopez, MM. Jean-Jacques Lozach, Claude Malhuret, Christian Manable, Jean-Marie Mizzon, Mme Marie-Pierre Monier, MM. Philippe Nachbar, Olivier Paccaud, Stéphane Piednoir, Mme Sonia de la Provôté, MM. Damien Regnard, Bruno Retailleau, Jean-Yves Roux, Alain Schmitz, Mme Dominique Vérien .

L'ESSENTIEL

Cinq points spécifiques aux directeurs d'école en France

- Un directeur d'école simultanément enseignant : le directeur d'école est essentiellement un professeur d'école qui exerce en plus de sa charge d'enseignement la mission de directeur. Ainsi, près de neuf directeurs d'école sur dix cumulent tâches de direction et charge de classe.

- Un pair parmi ses pairs : le directeur d'école ne dispose pas d'un statut particulier. Il s'agit d'un professeur des écoles, inscrit sur liste d'aptitude qui exerce les fonctions de directeur. En outre, il ne possède pas de pouvoir hiérarchique sur l'équipe pédagogique.

- Trois missions essentielles : la fonction de directeur d'école s'articule autour de trois axes : le pilotage pédagogique de l'école, les responsabilités relatives au fonctionnement de l'école, les relations avec les partenaires de l'école. Toutefois, derrière ces missions ainsi définies se cache une multitude de tâches.

- Une fonction qui attire moins : chaque année, après les demandes et avis de mobilité, près de 4 000 postes de directeur seraient vacants selon les syndicats, soit 9 % des écoles. D'ailleurs, 13 % des directeurs d'école indiquent ne pas avoir demandé à exercer cette fonction. Phénomène nouveau, les écoles rurales ne sont plus désormais les seules concernées. Certaines grosses écoles rencontrent également des difficultés pour trouver un directeur d'école. Celles-ci peuvent avoir la taille d'un petit collège et le directeur d'école est seul, alors qu'un principal bénéficie a minima d'un secrétariat.

- Une profession marquée par un profond malaise : près des deux tiers des directeurs d'école déclaraient en novembre 2018 avoir un moral moyen voire mauvais et plus de la moitié estime que leurs conditions de travail se sont dégradées ces dernières années. Près de 60 % des directeurs d'école seraient en burn-out , dont un tiers relevant du « burn-out » clinique.

Les mesures du ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse - prises dans l'urgence en novembre dernier en réponse à l'onde de choc qui a frappé les directeurs d'école du fait du suicide d'une de leurs collègues - ne répondent que très partiellement aux besoins des directeurs. De manière générale, l'ensemble des syndicats enseignants du premier degré et des associations représentant les directeurs d'école s'accordent pour dire que le statu quo des directeurs d'école n'est plus tenable, en matière de multiplication des tâches confiées, de manque de temps et de surcharge de travail.

Dans ce contexte, et en complément des auditions menées par les rapporteurs, la commission a souhaité donner la parole à plusieurs directeurs d'école, afin de recueillir leurs expériences et leurs besoins . Le compte rendu de la table ronde qui s'est tenue le 26 février est annexé au présent rapport.

Sujet récurrent du débat public depuis de nombreuses années, le dossier des directeurs d'école stagne . Il a resurgi à l'occasion de l'examen du projet de loi pour une école de la confiance début 2019, avec l'adoption d'une disposition par le Sénat - supprimée par la suite en commission mixte paritaire - visant à renforcer leurs prérogatives. À cette occasion, Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale, avait déclaré « la fonction de direction d'école est essentielle et je la soutiens très fortement. Elle devra être valorisée davantage dans le futur. Il est possible que cela implique des évolutions structurelles profondes ; il faut en discuter. Le sujet important de la direction d'école doit être traité avec sérénité, dans le cadre d'une vision systémique et en donnant toute sa place au dialogue social » . Un groupe de travail a été mis en place en octobre 2019. Toutefois, l'avancée des travaux a pris du retard en raison du télescopage avec le projet de réforme des retraites - et la promesse d'une revalorisation du salaire des enseignants - puis de la pandémie qu'a connue la France.

La crise de Covid-19, la fermeture des écoles puis la mise en place d'un protocole sanitaire strict dans le cadre de leur réouverture ont montré le rôle essentiel du directeur d'école, à la fois dans l'animation pédagogique, et dans des fonctions organisationnelles et administratives, en partenariat avec les maires, les préfets et les autorités académiques. Leurs responsabilités se sont encore accrues, posant plus que jamais la question des moyens juridiques et outils administratifs dont ils disposent.

Dans ce contexte, la commission note avec intérêt le dépôt récent d'une proposition de loi portée par leur collègue députée Cécile Rilhac et signée par les membres du groupe de la majorité gouvernementale. Elle y voit une volonté des deux chambres d'avancer sur le dossier des directeurs d'école.

Issues des auditions des rapporteurs, des échanges qu'elle a pu avoir avec des directeurs d'école, et des remontées d'informations dont ses membres ont été destinataires dans leurs départements respectifs, la commission présente 16 préconisations, centrées autour de quatre besoins : un besoin de cadre administratif, un besoin de temps, un besoin de formation et un besoin de redéfinition des tâches.

Les préconisations de la commission de la culture

Mettre fin à un système de responsabilités accrues sans réels cadres administratifs pour agir

- Créer un emploi fonctionnel pour les directeurs d'école, s'accompagnant d'une revalorisation de leur régime indemnitaire

- Inscrire la relation entre directeur d'école et inspecteur de l'éducation nationale dans une logique partenariale de co-pilotage et de co-responsabilité

Un besoin de temps

- Revoir les temps de décharge accordés, en créant une strate commune aux écoles de 1 à 3 classes, et en accordant un temps de décharge supplémentaire aux écoles de 4 à 7 classes

- Limiter les effets de seuils d'une baisse brutale du temps de décharge du fait de la fermeture d'une classe, en prévoyant une période de transition d'un an minimum

- Sanctuariser les jours de décharge pour les écoles de petite taille, en les prévoyant à l'avance, en concertation avec le DASEN, et en assurant de manière prioritaire le remplacement de tout enseignant absent le même jour dans l'école en question

- Disposer d'un temps de décharge supplémentaire aux périodes les plus chargées de l'année, pris en concertation entre le directeur d'école et le DASEN

- Penser la demi-décharge sur l'année scolaire plutôt que sur la semaine et inverser la notion de décharge pour les écoles de grande taille, avec un directeur d'école en charge d'enseignement à partir de 8 classes, et non plus un enseignant chargé de tâches de direction

Un besoin de formation

- Prendre en compte dans la formation initiale l'ensemble des facettes du métier de directeur d'école

- Instaurer un ou deux ans après la prise de poste un nouveau temps d'échanges obligatoire afin de répondre aux questions pratiques nées des premiers retours d'expérience

- Réserver l'accès aux postes de direction d'écoles de grande taille à des directeurs disposant déjà d'une certaine expérience professionnelle

- Développer les échanges entre pairs, en mettant en place dans chaque circonscription académique plusieurs directeurs d'école référents pouvant répondre rapidement aux questions que se posent leurs pairs

- Renforcer la formation continue, par une formation obligatoire sur les aspects du métier de directeur d'école tous les cinq ans

Revoir les tâches confiées aux directeurs d'école

- Établir une nouvelle nomenclature des tâches et responsabilités, notamment en matière de sécurité, afin de définir précisément celles qui relèvent du directeur d'école et celles relevant de la collectivité locale

- Pour les écoles de 8 classes et plus, mettre en place une aide administrative, sous la forme d'un contrat de droit public de trois ans renouvelable une fois, bénéficiant d'une formation initiale conséquente pour être immédiatement opérationnel ainsi que d'une formation continue dans la perspective de sa reconversion professionnelle en fin de contrat

- Redonner du sens aux tâches exercées

- Procéder à une « chasse aux doublons »

I. LA SPÉCIFICITÉ DE LA SITUATION DES DIRECTEURS D'ÉCOLE

A. LE DIRECTEUR D'ÉCOLE, UN PAIR PARMI SES PAIRS

À la différence des personnels de direction de l'enseignement secondaire, qui constituent un corps de personnel de direction dédié 1 ( * ) , le directeur d'école primaire ne dispose pas d'un statut particulier . En effet, en application de l'article 1 er du décret n° 89-122 du 24 février 1989 relatif aux directeurs d'école « la direction des écoles maternelles et élémentaires de deux classes et plus est assurée par un directeur d'école appartenant au corps des instituteurs ou au corps des professeurs des écoles ».

Devenir directeur d'école

En application des articles 5 et 7 du décret n° 89-122 du 24 février 1989 relatifs aux directeurs d'école « nul ne peut être nommé dans l'emploi de directeur d'école s'il n'a été inscrit sur une liste d'aptitude ». Pour être inscrit sur cette liste d'aptitude, un professeur des écoles doit avoir deux ans de services effectifs, au 1 er septembre de l'année scolaire au titre de laquelle la liste d'aptitude est établie.

En outre, et contrairement aux personnels de direction de l'enseignement secondaire et des personnels de direction de l'enseignement primaire privé, le directeur d'école n'est pas le supérieur hiérarchique des autres enseignants ou professeurs des écoles. Ce dernier reste l'inspecteur de l'éducation nationale (IEN). Le directeur d'école se trouve ainsi dans cette position ambiguë de responsable du fonctionnement de l'école pour de nombreux interlocuteurs (parents d'élèves, mairie, intervenants extérieurs,...) - c'est ainsi vers lui que se tournent naturellement les parents en cas de problème avec un enseignant - et pour l'équipe pédagogique qui voit souvent en lui une « personne ressource » sans toutefois l'être juridiquement.

Comme l'explique l'un des représentants de syndicat auditionné, également directeur d'école : « dans une même journée, on peut nous demander de prendre une décision en tant que « chef », mais nous rappeler quelques heures plus tard que l'on n'est pas le supérieur hiérarchique des professeurs d'école ».

Le directeur d'école peut faire l'objet d'une mise à l'écart par le reste de l'équipe pédagogique - d'un ostracisme pour reprendre l'expression de M. Georges Fotinos. Ainsi, un quart des directeurs d'école interrogés lors d'une enquête de novembre 2018 2 ( * ) indique sentir une mise à l'écart de la part des autres personnels. Les directrices se disent plus souvent victimes d'ostracisme que les directeurs (24,5 % pour les femmes, contre 20 % pour les hommes).

En tant que directeur d'école, le professeur des écoles bénéfice d'une indemnité et de bonifications qui varient en fonction du nombre de classes. Les directeurs d'écoles situées en REP et REP + bénéficient d'une bonification particulière.

Calcul de l'indemnité et de la bonification des directeurs d'école

La compensation financière des directeurs d'école repose sur trois primes :

- L'indemnité de sujétions spéciales (ISS) qui varie en fonction du nombre de classes : elle est d'environ 150 euros par mois pour les écoles de 1 à 3 classes, et de 183 euros pour les écoles de plus de 10 classes. Les directeurs d'école en REP bénéficient d'une majoration de 20 % et ceux en REP + de 30 % ;

- La bonification indiciaire (BI), qui attribue des « points », également en fonction de la taille de l'école : + 40 points, soit 188 euros par mois pour les directeurs d'écoles de plus de 10 classes ;

- La nouvelle bonification indiciaire (NBI), d'un montant de 38 euros environ, quelle que soit la taille de l'école.

Ainsi, un directeur d'une école de plus de 10 classes hors REP touche une indemnité mensuelle légèrement supérieure à 400 euros. Elle est de 260 euros pour un directeur d'une école de 2 à 4 classes hors REP.

En outre, la fonction de directeur d'école est l'une des fonctions particulières qui ouvre accès à l'inscription au tableau annuel d'avancement pour l'accès au grade de la classe exceptionnelle des professeurs des écoles.


* 1 Mise en place sous sa forme contemporaine par le décret n° 88-343 du 11 avril 1988 portant statuts particuliers des corps de personnels de direction d'établissements d'enseignement ou de formation relevant du ministre de l'éducation nationale et fixant les dispositions relatives aux emplois de direction et à la nomination dans ces emplois.

* 2 Le moral des directeurs d'école en 2018, Georges Fotinos et José-Mario Horenstein, Casden, Novembre 2018, 7 365 répondants.

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