EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 24 juin 2020, la commission, présidée par M. Christian Cambon, président, a procédé à l'examen du rapport d'information de M. Jean-Pierre Vial et Mme Marie-Françoise Perol-Dumont.

M. Jean-Pierre Vial, co-rapporteur. - Monsieur le président, mes chers collègues, dès le début de la crise du coronavirus, ses conséquences sur la situation sanitaire en Afrique ont suscité les plus grandes inquiétudes en raison de la faiblesse des systèmes de santé des pays du continent. La Commission des Nations unies pour l'Afrique a estimé que la pandémie pourrait y tuer jusqu'à 300 000 personnes.

Nous avons donc souhaité, avec Marie-Françoise Perol-Dumont, entendre quelques-uns des grands acteurs de l'humanitaire et de l'aide publique au développement afin de faire le point sur la situation. Premier constat, la crise sanitaire n'a pas démarré aussi sévèrement que nous le craignons, même s'il est encore bien trop tôt pour faire un bilan définitif. Au 20 Juin 2020, L'Afrique comptait 287 385 cas confirmés de coronavirus et 7 708 morts. C'est seulement une petite partie des cas dans le monde. Toutefois, l'épidémie semble toujours en phase de croissance.

Plusieurs facteurs ont joué pour retarder la flambée : la jeunesse de la population africaine certes, mais aussi l'expérience d'autres épidémies comme celle du virus Ebola. Par ailleurs, il convient de mettre au crédit de nombreux pays africains une réaction rapide et énergique, là où certains analystes, rappelez-vous, évoquaient plutôt un probable effondrement des États.

Le Centre africain de contrôle et de prévention des maladies (CDC Africa), dont nous avons entendu le directeur, le Dr John Nkengasong, a notamment lancé une stratégie de coordination continentale dès la fin février. Grâce à ces efforts, le nombre de pays capables de réaliser des tests est passé en quelques semaines de 2 à 43. La France est aussi partie prenante du projet de production de tests rapides par l'institut Pasteur de Dakar dans le cadre de l'initiative Diatropix soutenue depuis 2018 par Mérieux. Le CDC Africa a aussi déployé début juin son partenariat pour accélérer les tests (PACT), que le docteur Nkengasong nous avait annoncé.

Marie-Françoise Perol-Dumont évoquera davantage les conséquences économiques de la crise mais je voudrais souligner un point à ce sujet : la baisse alarmante des transferts privés. La banque mondiale a signalé que la baisse risquait d'être de 23 % en 2020. Toute l'économie africaine sera affectée directement ou indirectement par cette chute des transferts, estimés en temps normal à 70 milliards de dollars, plus que l'aide publique au développement.

Je souhaiterais souligner que les ONG sont en première ligne face à cette crise. C'est notamment le cas de la Croix-Rouge française, qui joue un rôle de prévention, d'isolement et de triage des cas suspects, de surveillance épidémique à base communautaire, voire de renforcement des systèmes de santé. En outre, comme nous l'a indiqué le directeur général délégué de l'ONG humanitaire française Acted, les ONG sont également les acteurs les mieux placés pour instaurer des mesures de compensation aux restrictions de déplacements. En effet, pour les populations qui vivent de l'économie informelle, ces restrictions représentent un danger supérieur à celui du coronavirus. Or les ONG maîtrisent déjà bien les transferts monétaires ou de nourriture aux familles.

Les acteurs de terrain que nous avons entendus ont également tous souligné leur crainte de voir l'urgence sanitaire actuelle porter atteinte à l'ensemble des autres actions déjà en cours sur le continent. Ainsi, 75 % des programmes en cours d'Acted ont été affectés par des mesures de réorientation de fonds des bailleurs, subissant des décalages ou des annulations.

Or, en Afrique, le COVID n'est qu'une urgence parmi d'autres. Sur le plan sanitaire, le SIDA, la tuberculose et le paludisme font toujours des centaines de milliers de morts chaque année. L'ONU a indiqué le 11 mai que le nombre de décès causés par le VIH pourrait doubler en Afrique subsaharienne (soit 500 000 morts annuels de plus) si l'accès des malades aux traitements était perturbé par la pandémie liée au coronavirus.

Il y a selon moi plusieurs leçons à tirer de cette crise. Tout d'abord, les contaminations sont toujours en hausse malgré un démarrage lent. Il faut donc s'inscrire dans la durée : la lutte a plus ressemblé à un sprint en Europe, c'est davantage un marathon en Afrique.

Il faut encore davantage travailler avec les acteurs de terrain, les laboratoires africains, les Instituts Pasteurs - et arrêter l'hémorragie des experts techniques qui sont essentiels - mais aussi les ONG. L'AFD doit d'ailleurs mieux travailler avec celles-ci. Certains acteurs de terrain estiment que l'agence, en devenant une banque de développement très puissante, s'est un peu éloignée d'eux. Or, ce sont bien les grandes ONG françaises qui sont le visage de la France dans les zones de crise.

Il faut cependant mettre au crédit de l'AFD l'annonce que nous a faite Rémy Rioux, lors de son audition, d'une nouvelle initiative sur le thème du soutien au secteur privé africain. Le tissu des PME africaine est en effet l'un des grands espoirs de développement pour l'Afrique et la crise le met en péril directement. Nous devrons suivre cette initiative de près pour en évaluer les résultats.

Je laisse maintenant la parole à ma co-rapporteure, Marie-Françoise Perol-Dumont.

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, co-rapporteure. - Si les effets sanitaires de la pandémie en Afrique apparaissent pour le moment sous contrôle, il n'en va pas de même des effets économiques, dont la gravité est certaine. Le Fonds monétaire international (FMI) a ainsi évoqué « une menace sans précédent pour le développement », avec un recul attendu du PIB de 1,6 % en 2020, phénomène sans précédent depuis la seconde guerre mondiale. L'Union africaine prédit la perte de 20 millions d'emplois.

Un autre aspect est l'explosion de la dette. Depuis plusieurs années, le poids de la dette africaine, dont la Chine détient à elle seule 40%, empêche déjà de nombreux États africains d'investir dans certains secteurs dont, justement, les systèmes de santé. La dette africaine devrait atteindre 64 % en 2020 : c'est une proportion très élevé pour des économies pauvres. Face à ces constats, nous pouvons nous féliciter de la décision du G20, le 15 avril dernier, de reporter d'un an les échéances du service de la dette dues par 40 pays africains, soit un montant de 20 milliards de dollars. Pour la France, l'effort porte sur un milliard d'euros. En revanche, il n'y a pas de moratoire sur les dettes privées, même si des discussions sont en cours.

Ce moratoire est-il suffisant ? C'est assez peu probable. Le docteur Nkengasong, directeur du Centre africain de prévention et de contrôle des maladies, nous a indiqué que l'Union africaine aurait besoin de 600 millions de dollars rien que pour appuyer les efforts des pays dans la gestion de la crise sanitaire. Beaucoup de pays risquent en outre de se trouver incapables de payer à la reprise des échéances en 2021. Il conviendrait donc d'annuler au moins une partie de la dette détenue par les investisseurs publics. Cela parait plus difficile à envisager pour les créanciers privés, qui pourraient alors sanctionner les pays. Les banques de développement comme l'AFD estiment qu'il est nécessaire d'examiner individuellement la situation de chaque pays afin de tenir compte des capacités réelles de remboursement, des efforts accomplis et de la nécessité de préserver un accès futur aux marchés privés.

Plus généralement, il apparaît nécessaire de redéfinir un cadre de financement public/privé soutenable pour l'Afrique. Rémy Rioux l'a souligné, « l'Afrique ne se développera pas qu'avec des dons ». Il est nécessaire d'impliquer les acteurs privés dans la résolution de la crise actuelle pour qu'ils y contribuent tout en continuant à trouver sur le continent des conditions favorables pour investir.

Devant la gravité de cette crise sanitaire mais surtout économique, l'AFD et Expertise France ont réagi assez rapidement. L'AFD a lancé le 2 avril le projet « COVID 19, santé en commun », avec 150 millions d'euros de dons et 1 milliard de prêts très concessionnels pour soutenir les pays africains. L'AFD doit d'ailleurs s'inspirer de sa réponse à cette crise pour continuer à rendre ses méthodes d'intervention plus agiles et plus rapides, à coopérer encore davantage avec les ONG et à innover dans ses modes de financement. Le défi est en effet de continuer à financer des projets sans aggraver l'endettement des pays africains. À noter que, dans son rapport du 10 juin dernier sur « le pilotage des opérateurs de l'action extérieure de l'État », la Cour des comptes a estimé l'AFD tend à « développer sa propre vision de son déploiement, à définir sa propre stratégie et à agir avec une autonomie croissante». L'amélioration des méthodes de l'AFD doit donc aller de pair avec un meilleur contrôle et une meilleure évaluation de l'action de l'agence.

Expertise France a également eu une action efficace en mettant en place une plateforme d'assistance sanitaire afin d'appuyer les politiques menées par les ministères de la santé et les autorités sanitaires. L'agence a aussi développé une plate-forme d'assistance économique pour aider les pays à mettre en oeuvre les plans des institutions internationales.

Je voudrais enfin aborder la question de l'accès de l'Afrique aux vaccins et aux traitements. La pandémie actuelle a mis en avant la dépendance de l'Afrique pour ses approvisionnements critiques. Les chefs d'État des pays africains ont su s'exprimer d'une seule voix dès le début de la crise pour réclamer l'inclusion de l'Afrique dans les circuits de produits sanitaires. Il faut les soutenir dans cette démarche. L'Afrique n'a pas les moyens de se retrouver au milieu d'une compétition internationale pour trouver des réactifs ou des vaccins. Il importe aussi de trouver des solutions locales, sinon les problèmes d'approvisionnement se renouvelleront à chaque crise. Rappelons que, sur la douzaine de vaccins utilisés couramment en Afrique, seul celui contre la fièvre jaune est produit sur le continent, par l'Institut Pasteur de Dakar.

De même, la recherche clinique de qualité est une réalité en Afrique. Toutefois, les thématiques de recherche sont le plus souvent choisies par les organisations internationales qui la financent et pas toujours en accord avec les priorités africaines.

Il convient enfin de conditionner davantage notre aide à l'effort budgétaire en matière de santé accompli par les pays eux-mêmes. Rappelons qu'en 2001, de nombreux pays africains avaient signé la Déclaration d'Abuja, les engageant à investir au minimum 15 % de leur budget dans la santé. Or, cet objectif est loin d'être atteint. La pandémie de Covid-19 doit ainsi constituer un coup de semonce pour inciter les Gouvernements africains à atteindre l'objectif d'Abuja ! Je vous remercie.

M. Jean-Marie Bockel. - Dans les zones récemment pacifiées au Sahel, l'AFD et la coopération française en général devaient prendre tout de suite le relais pour éviter un retour des troubles. Comment l'AFD a-t-elle poursuivi son engagement dans cette région pendant la période de la crise du coronavirus ?

M. Jean-Pierre Vial, co-rapporteur. - En matière de continuité sécurité-développement, il y a eu des améliorations mais un ambassadeur nous disait encore récemment qu'il y avait une multitude d'acteurs mais pas assez de coordination !

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, co-rapporteure. - Ce sujet nous a beaucoup préoccupés dans notre travail sur la future loi relative à la solidarité internationale : ce ne sont pas les moyens mais l'organisation et la synchronisation des actions qui font défaut.

La commission adopte le rapport d'information

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