VII. LES PRÉCONISATIONS DE LA COMMISSION

- L'expérience d'Ebola avait déjà permis de le constater : il est impératif de prendre en compte les spécificités africaines pour apporter une réponse à la crise du COVID, en s'efforçant de ne pas projeter sans les adapter les mesures prises dans d'autres régions du monde. Cet impératif s'applique d'abord pour l'analyse de la gravité de la crise sanitaire : le fait que les systèmes de santé soient sous-équipés et qu'il existe de fortes concentrations de population n'implique pas automatiquement une catastrophe sanitaire. Il s'applique également à la gestion de la crise : il serait contreproductif d'imposer des mesures qui « dramatisent encore le drame » comme ce fut le cas au début de la gestion de l'épidémie du virus Ebola. Il est notamment essentiel de travailler avec les communautés ; selon l'expression employée par Pierre-Marie Girard, directeur international de l'Institut Pasteur, devant la commission, « tout ce qui a trait aux comportements doit être accepté, adopté et adapté ». Il est également nécessaire de développer les réseaux de surveillance épidémiologiques à base communautaire qui complètent bien les systèmes de santé faibles . À cet égard, la commission se félicite que les projets financés par l'AFD et le ministère de l'Europe et des affaires étrangères comprennent un volet de sciences sociales permettant de travailler sur les représentations de la maladie, d'adapter les discours de prévention et de rendre les mesures plus acceptables ;

- Les banques de développement, parmi lesquelles l'AFD, doivent continuer à contribuer à la résilience des pays, notamment par le biais du renforcement des systèmes de santé , qu'il faut continuer à soutenir financièrement, et par un apport d'expertise, en étroite coopération avec les laboratoires locaux. À cet égard, le fait que l'AFD ait vu ses crédits en subventions augmenter depuis quelques années et que le CICID du 8 février 2018 ait prévu un renforcement de l'action de la France dans ce domaine permet d'espérer davantage de résultats à l'avenir ;

- Il est nécessaire de s'appuyer encore davantage sur les acteurs de terrain et les ONG locaux , capables d'intervenir au plus près du terrain dans les situations de crise alors que les autres acteurs sont plus ou moins paralysés. En particulier, les grandes ONG françaises représentent la France dans les régions les plus difficiles où les agences de développement ont de grandes difficultés à travailler, comme au Nord du Mali. L'augmentation des dons au sein de l'APD doit être ainsi portée pour une large part par des ONG, notamment françaises ;

- Dans la crise actuelle, il est impératif de maintenir la prise en charge des autres pathologies majeures en Afrique (Tuberculose, VIH , Sida) chacune d'entre elles étant à l'origine d'un nombre de morts annuelles sans commune mesure avec le coronavirus. Le relâchement dans cette lutte contre les grandes maladies est l'un des principaux dangers pour l'Afrique dans la crise actuelle.

- Il est nécessaire de redéfinir un cadre de financement public/privé soutenable pour l'Afrique . La crise du coronavirus vient aggraver une situation déjà très compromise en ce qui concerne la capacité à s'endetter des pays africains. Or, comme l'a souligné Rémy Rioux lors de son intervention devant la commission, « l'Afrique ne se développera pas qu'avec des dons ». L'afflux de capitaux privés au cours des dernières années avait constitué une bonne nouvelle pour le développement du continent, et il est nécessaire d'impliquer les acteurs privés dans la résolution de la crise actuelle pour qu'ils y contribuent tout en continuant à trouver sur le continent des conditions favorables pour investir. La solution à la crise de la dette de l'Afrique passe aussi par une meilleure intégration de la Chine aux mécanismes de discussions internationales sur ce sujet, en capitalisant sur l'avancée qu'a constitué la participation de ce pays au moratoire sur la dette ;

- L'AFD doit profiter de la crise pour continuer à améliorer ses méthodes d'intervention en les rendant plus agiles, en coopérant encore davantage avec les ONG et en innovant dans ses modes de financement pour pouvoir continuer à financer des projets sans aggraver l'endettement des pays africains. À noter que, dans son rapport du 10 juin 2020 sur «le pilotage des opérateurs de l'action extérieure de l'État», la Cour des comptes a estimé, après de nombreuses analyses allant dans ce sens faites par les rapporteurs de la Commission, que la stratégie de la banque de développement n'était pas assez contrôlée par l'Etat. Ainsi, selon la Cour, l'AFD tend à « développer sa propre vision de son déploiement, à définir sa propre stratégie et à agir avec une autonomie croissante ». « Dans ces conditions, le ministère de l'Europe et des Affaires étrangères peine à en orienter et à en contrôler l'action », estime-t-elle. Cette amélioration des méthodes de l'AFD et la création d'un nouveau modèle de développement pour l'Afrique doivent donc se faire en lien étroit avec le ministère de l'Europe et des affaires étrangères et le ministère des finances, et sous le contrôle régulier des commissions compétentes des deux assemblées ;

- La coordination des aides apportées à l'Afrique par l'ensemble des organisations internationales est toujours une difficulté majeure . Si des efforts particuliers ont été accomplis au Sahel avec l'Alliance Sahel, les problèmes de coordinations subsistent dans de nombreux pays. À cet égard, la banque mondiale donne en exemple le Rwanda, où le Gouvernement décide lui-même sur quel domaine d'intervention va se focaliser chaque bailleur. Il serait souhaitable d'arriver à une telle situation dans l'ensemble des pays concernés par l'aide internationale. Avec leurs compétences récemment accrues en matière d'aide à la gouvernance, l'AFD et Expertise France devraient particulièrement se focaliser sur cet aspect ;

- L'accès universel aux vaccins et aux traitements est une question extrêmement importante pour l'Afrique . La pandémie actuelle a mis en avant la dépendance de l'Afrique pour ses approvisionnements critiques. Les tests diagnostiques de Covid-19 étaient d'abord réservés aux nations occidentales. Sur ce plan, le risque est considérable pour les pays africains. Comme l'a souligné Amadou Sall, directeur de l'Institut Pasteur de Dakar, lors de son audition, les chefs d'État et les ministres de la santé des pays africains ont su s'exprimer d'une seule voix dès le début de la crise pour réclamer l'inclusion de l'Afrique dans les circuits de produits sanitaires. L'Afrique n'a pas les moyens de se retrouver au milieu d'une compétition internationale pour trouver des réactifs ou des vaccins . À tout le moins, Pierre-Marie Girard, directeur international de l'Institut Pasteur, a estimé qu'il était absolument essentiel qu'il y ait un prix différencié pour les médicaments et les vaccins au bénéfice de l'Afrique.

Si les partenariats avec l'Union européenne ou encore avec l'AFD sont importants, si le CEPI (Coalition for Epidemic Preparedness Innovations) a annoncé le 19 mars 2020 le financement d'un montant de 4,3 millions d'€ du projet de développement d'un vaccin contre le SRAS-CoV-2, projet porté par l'Institut Pasteur dans le cadre d'un consortium avec Themis et l'université de Pittsburgh / Center for Vaccine Research (CVR), il importe également de trouver des solutions locales, notamment dans le secteur de l'industrie du vaccin . Sans capacités locales, les problèmes d'approvisionnement se renouvelleront à chaque crise. Comme l'a indiqué Rémy Rioux : « l'Afrique ne peut pas attendre que d'autres fassent le vaccin » , et une production locale en Afrique reste essentielle . Rappelons que, sur la douzaine de vaccins utilisés couramment en Afrique, seul celui contre la fièvre jaune est produit sur le continent, par l'Institut Pasteur de Dakar.

De même, la recherche clinique de qualité est une réalité en Afrique. La mise en place d'essais cliniques s'appuie sur des centres d'excellence. Toutefois, selon un article publié par des chercheurs et directeurs d'institutions médicales africaines 1 ( * ) , les thématiques de recherche sont le plus souvent choisies par les organisations internationales qui la financent , même s'il est vrai que des chercheurs africains en sont membres.

En outre, en 2001, de nombreux pays africains avaient signé la Déclaration d'Abuja, les engageant à investir au minimum 15 % de leur budget dans la santé et au moins 2 % dans la recherche . Or, selon une évaluation effectuée 10 ans après par l'Union africaine et les Nations unies, cet objectif était loin d'être atteint dans la plupart des cas. De même, l'Union africaine a lancé en 2016 « le Tableau de bord de l'Afrique sur les financements nationaux pour la santé » permettant d'évaluer la performance des États africains en la matière à l'aune de 5 critères. À cet égard, la pandémie de Covid-19 peut constituer une occasion d'atteindre l'objectif d'Abuja. À cette fin, il apparaît notamment essentiel que des fonds africains public-privé soient mis en oeuvre pour financer la recherche biomédicale sur le continent .


* 1 Coronavirus : douze médecins appellent l'Afrique à mener la recherche, 06 juin 2020 à 14h47, Jeune Afrique

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