• INTRODUCTION

Concept fondateur de la science économique, pilier du libéralisme moderne, mais parfois aussi source de tensions politiques et commerciales, ou menace pour les entreprises, la concurrence occupe une place centrale en matière de politique économique .

À rebours de plusieurs siècles d'histoire marqués par des réflexes protectionnistes, la préservation d'une concurrence libre et non-faussée entre agents économiques s'est imposée comme l'un des objectifs principaux de l'action économique de l'Union européenne . Contrairement à la politique commerciale ou la politique industrielle, la politique de concurrence se veut davantage « gardienne » qu'« interventionniste », dans le but d'assurer aux consommateurs - citoyens comme entreprises - que les prix pratiqués sur les marchés résultent d'une concurrence effective et que ces marchés sont accessibles à tous.

Il n'est pas de marché ni de sphère publique où la politique de concurrence ait acquis une place aussi importante que dans l'Union européenne. Orientée résolument dès ses débuts vers la constitution d'un marché intérieur unique, dépourvu de barrières aux échanges et reposant sur une concurrence libre et non faussée, la Communauté européenne a fait de la préservation de la concurrence l'un de ses piliers. Compétence exclusive de l'Union, la politique de concurrence menée par la Commission européenne est souvent décrite comme l'une des plus strictes au monde, se distinguant notamment par un principe général d'interdiction des aides publiques octroyées par les États membres à leurs économies.

Les principes simples du droit de la concurrence s'appliquent dans un monde de plus en plus complexe. Les secteurs traditionnels, tels que la distribution ou l'industrie, sont en effet bouleversés par des évolutions sociétales et technologiques qui redessinent la structure des marchés. La naissance d'une véritable économie digitale , en particulier, a rebattu les cartes en donnant naissance en quelques années à de nouveaux acteurs au pouvoir de marché désormais considérable, qui échappent en partie aux concepts et instruments historiques de la politique de concurrence. L'Union européenne ne semble pas pleinement outillée pour appréhender l'impact sur la concurrence de la gratuité des prestations, des avantages conférés par la détention de données, ou encore des effets de réseaux qui démultiplient l'importance des « géants du numérique ». En outre, l'intensification de la mondialisation et l'émergence de nouvelles puissances économiques, telles que la Chine ou l'Inde, étendent les marchés bien au-delà des seules frontières de l'Union. Sans remettre en question l'impératif de préservation de la concurrence au sein du marché intérieur, cette compétition globale et accrue entre blocs économiques interroge l'efficacité de l'action de la Commission européenne.

La rénovation des politiques européennes industrielle et commerciale, toutes deux progressivement dotées de nouveaux outils et d'ambitions renouvelées, semble indiquer que l'Europe a pris acte de ces évolutions économiques majeures. À l'inverse, la politique de concurrence n'a évolué qu'à la marge depuis les traités fondateurs. Son cadre juridique et sa pratique ne devraient-ils pas être repensés, pour s'adapter sans tarder au nouvel environnement économique ?

À l'heure où la crise économique liée à la pandémie de coronavirus met en lumière une demande accrue de souveraineté économique, d'autonomie stratégique de l'Union européenne , comment la politique européenne de concurrence peut-elle faire une place, sinon contribuer à ces objectifs ? Une meilleure articulation des politiques européennes est-elle possible ?

L'heure d'une réforme de la politique de concurrence pourrait bien être arrivée. Entre États membres, les lignes politiques évoluent : à la suite de plusieurs décisions significatives - comme le refus de la fusion entre Alstom et Siemens -, l'impulsion franco-allemande donnée en 2018 a rouvert le débat au plus haut niveau, tandis que certains États membres d'ordinaire attachés à leur tradition libérale sont désormais force de proposition. Les institutions européennes, elles aussi, prennent acte de cette dynamique : la commissaire européenne à la concurrence et vice-présidente de la Commission, Margrethe Vestager, a ainsi débuté son second mandat en annonçant qu'il était « temps d'actualiser les règles » de concurrence .

C'est dans ce contexte que le groupe de suivi « Stratégie industrielle de l'Union européenne » du Sénat, composé de membres des commissions des affaires économiques et des affaires européennes, a initié ses travaux sur la réforme de la politique de concurrence . Confié à MM. Alain Chatillon et Olivier Henno, le présent rapport s'est fixé pour objectif d'identifier les pistes d'évolutions possibles non seulement du droit, mais aussi de la pratique de la politique européenne de concurrence .

À l'issue de leurs travaux, après avoir procédé à une vingtaine d'auditions et s'être déplacés à Bruxelles à la rencontre des acteurs européens , les rapporteurs formulent douze propositions. Celles-ci s'articulent autour de quatre axes : opérer une cartographie de l'état concurrentiel des marchés ; mieux concilier concurrence et stratégie industrielle ; intégrer de nouveaux concepts liés au développement de l'économie digitale et mettre en oeuvre une évaluation de la politique de concurrence. Sur cette base, les commissions des affaires économiques et des affaires européennes ont adopté conjointement une proposition de résolution européenne , qui reprend les conclusions du présent rapport. Alors que la Commission européenne a publié le 17 juin dernier un livre blanc sur les subventions des pays tiers perturbant la concurrence équitable et soumet actuellement à consultation diverses options de réglementation, les présentes propositions pourront nourrir les débats et les positions défendues par le Gouvernement français auprès des institutions européennes.

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