II. LE CONTRÔLE DU CONFINEMENT : UN ENJEU MAJEUR POUR LE DISPOSITIF DE SÉCURITÉ INTÉRIEURE

A. UNE MOBILISATION SANS PRÉCÉDENT DES FORCES DE SÉCURITÉ INTÉRIEURE

1. Un dispositif de contrôle d'une ampleur inédite

L'instauration d'un confinement sur l'ensemble du territoire national s'est accompagnée du déploiement d'un vaste dispositif de sécurité pour en contrôler le respect.

• 100 000 effectifs déployés sur le territoire national

En moyenne, 100 000 agents, dont 35 000 à 40 000 policiers et 60 000 à 65 000 gendarmes, sont affectés chaque jour, depuis la mi-mars, à cette tâche sur l'ensemble du territoire national. Les effectifs ont été portés, au maximum, à 160 000 agents à la veille des départs en vacances de printemps et au cours du week-end de Pâques, afin de limiter les mouvements de population interrégionaux.

Ces besoins importants en effectifs ont nécessité de mobiliser des agents au-delà des services de sécurité publique , traditionnellement affectés à la conduite de contrôles sur la voie publique.

Dans la police, si la majorité des effectifs déployés est issue de la sécurité publique, des compagnies républicaines de sécurité, des agents de la police aux frontières et des services de la police judiciaire ont également été chargés de conduire des contrôles d'attestation.

De la même manière, au sein de la gendarmerie, les unités judiciaires, les forces de gendarmerie mobile ainsi que les militaires de la garde républicaine ont été mobilisés en appui des brigades territoriales, dans le cadre d'un dispositif qui dépasse, selon le directeur général de la gendarmerie nationale, la mobilisation réalisée pendant la crise des « gilets jaunes ».

Afin de maximiser les ressources disponibles, plusieurs centaines d'élèves policiers et gendarmes ont également été déployés afin de renforcer les effectifs des unités de terrain.

La commission note que si elle a été facilitée par la baisse tant de l'activité judiciaire que des besoins en matière d'ordre public, cette mobilisation exceptionnelle a également nécessité une priorisation des missions, se traduisant notamment par un report du traitement des affaires judiciaires concernant les faits jugés les moins graves.

Enfin, ainsi que l'a rappelé le ministre de l'intérieur, les agents de police municipale, les agents de la ville de Paris en charge d'une mission de sécurité ainsi que les gardes-champêtres, autorisés, par la loi, à constater les infractions aux mesures de confinement 19 ( * ) , ont été pleinement impliqués dans le contrôle du confinement, sans toutefois que la commission n'ait pu obtenir, à ce stade, une estimation chiffrée de leur implication sur le terrain.

Des forces de sécurité intérieure mobilisées sur d'autres fronts

Sur le plan statistique, les services de police et de gendarmerie ont, depuis la mise en oeuvre des mesures de confinement, enregistré une nette diminution des crimes et des délits constatés.

Selon les données du service statistique du ministère de l'intérieur 20 ( * ) , les principaux indicateurs ont connu, entre les mois de février et mars 2020, de fortes baisses, de l'ordre de 45 % pour la plupart d'entre eux, une tendance qui, ainsi que l'ont précisé les directeurs généraux de la police nationale et de la gendarmerie nationale lors de leurs auditions, paraît se confirmer au mois d'avril.

Ces données statistiques se révèlent toutefois insuffisantes pour refléter l'évolution de la situation sécuritaire sur le territoire national.

De l'avis des personnes entendues par la mission de suivi, la baisse constatée des faits enregistrés pourrait en effet avoir été exacerbée par la dégradation des conditions de dépôt de plaintes depuis le début du confinement.

Cette observation semble en particulier s'appliquer aux violences conjugales et intrafamiliales , qui font l'objet d'une attention particulière des pouvoirs publics. En dépit d'une baisse conséquente du nombre de plaintes déposées, les services de police et de gendarmerie enregistrent en effet, depuis le début du confinement, une hausse significative de leurs interventions à domicile , de l'ordre de 30 % pour les services de la police nationale par rapport aux chiffres enregistrés à la même date l'an passé, et de 69 % pour les services de la gendarmerie nationale.

Par ailleurs, si l'impact du confinement sur la délinquance de voie publique est, de l'avis des services de la police comme de la gendarmerie nationale, réel, d'autres formes de délinquance se sont en revanche développées.

Au cours des premières semaines du confinement, il a ainsi été constaté de nombreux vols de masques et autres dispositifs de protection sanitaire au sein de locaux médicaux et paramédicaux. Si aucune donnée statistique n'a pu être communiquée à la commission pour mesurer le phénomène, il semble que ces pratiques délictueuses aient été principalement conjoncturelles et soient désormais moins fréquentes compte tenu de l'amélioration des conditions d'approvisionnement des dispositifs de protection sanitaire.

Les services de sécurité alertent également sur la multiplication des actes de cyberdélinquance au cours des dernières semaines . Dans une note publiée en avril 2020, la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) fait état d' « une recrudescence des cyberattaques à l'encontre des entreprises et organismes publics », en France comme dans le reste du monde. Pour la direction générale de la police nationale, « la cyberdélinquance se montre particulièrement active en s'adaptant à ce contexte d'urgence qui lui est favorable », notamment en raison du développement exponentiel du télétravail, dans des conditions de sécurité qui ne sont pas toujours optimales.

Cette évolution des enjeux sécuritaires a nécessité, de la part des services de police et de gendarmerie, de faire preuve de réactivité et d'innovation pour apporter des réponses adaptées, tout en continuant à assurer la mission prioritaire de contrôle du confinement.

S'agissant en particulier de la prévention et de la lutte contre les violences intrafamiliales, le ministère de l'intérieur a élargi les modalités de signalement aux forces de sécurité intérieure, en élargissant le recours à la plateforme du 114, habituellement réservée au secours des personnes sourdes et malentendantes, en mettant en place un tchat dédié sur le portail de signalement des violences sexuelles ou sexistes et en organisant, avec le réseau des pharmaciens, une chaîne de signalement direct aux forces de sécurité.

En matière cyber, outre la conduite des enquêtes judiciaires, les forces de sécurité intérieure assurent également des activités de prévention à destination des entreprises et des particuliers.

• Une mobilisation forte des moyens technologiques

Au-delà du nombre d'effectifs mobilisés, l'ampleur du dispositif de contrôle réside également dans les moyens matériels déployés . Outre l'utilisation, dans certains cas, d'hélicoptères ou d'avions, le ministère de l'intérieur a multiplié le recours aux drones , à l'appui des équipes de terrain.

Déjà employés par les forces de l'ordre dans le cadre d'opérations de maintien de l'ordre public ou à des fins de surveillance de grands évènements, ces outils technologiques sont utilisés, en l'espèce, pour repérer, soit dans des espaces vastes, comme les plages, soit dans des zones difficiles d'accès, d'éventuels attroupements, de manière à orienter et cibler le déploiement des agents de terrain. Ils permettent également, ainsi que l'a indiqué la direction générale de la police nationale lors de son audition, de sécuriser des opérations de contrôle menés dans des quartiers difficiles. Enfin, de manière plus innovante, ils sont également exploités pour diffuser des messages de rappel des mesures de confinement auprès de la population.

Selon les données communiquées à la commission, entre le 24 mars et le 24 avril, il a été recouru à des drones dans le cadre de 535 missions réalisées par la police nationale, dont 251 missions de surveillance et 284 missions d'information de la population.

En complément, les équipes de contrôle se seraient également appuyées, afin d'orienter les patrouilles, sur les dispositifs de vidéo-protection des collectivités territoriales ainsi que sur les installations vidéo des réseaux SNCF et RATP.

Des assurances ont été apportées à la commission , tant par le ministre de l'intérieur que par les directeurs généraux de la police nationale et de la gendarmerie nationale au cours de leurs auditions, quant à l'impossibilité de procéder à des verbalisations sur la seule base des images d'un drone ou d'un système de vidéo-protection , l'intervention physique d'un policier ou d'un gendarme demeurant nécessaire en toute circonstance pour constater une infraction.

Il n'en demeure pas moins que, si la vidéo-protection est de longue date encadrée par la loi, tel n'est pas le cas de l'usage de drones civils par les forces de sécurité intérieure 21 ( * ) . L'extension toujours plus large du recours à ces équipements, dont témoigne l'usage qui en est fait depuis plusieurs semaines, appellera l'engagement d'une réflexion quant aux conditions du recours à ces outils et de traitement des données collectées .

2. Des revendications fortes de renforcement de la protection des agents

Interrogés par la mission de suivi, les syndicats représentatifs de la police nationale se font l'écho, depuis le début du confinement, de l'inquiétude des personnels sur le terrain quant à l'insuffisance des moyens de protection sanitaire mis à leur disposition dans le cadre des opérations de contrôle.

Il semble, à cet égard, que les difficultés initiales d'approvisionnement rencontrées par le ministère de l'intérieur, à l'instar d'ailleurs de toutes les administrations de l'État, connaissent une certaine amélioration. Lors de son audition devant la commission le 16 avril, le ministre de l'intérieur s'est voulu rassurant, indiquant qu'au 15 avril 2020, 60 millions de masques avaient été commandés depuis le début de la crise par le ministère, dont 9 millions réceptionnés et 4 millions répartis dans les unités. D'autres types d'équipements de protection auraient également été déployés, en particulier des lunettes et des visières de protection.

Parallèlement, les collectivités territoriales multiplient, en plusieurs points du territoire, les dons de plusieurs milliers de masques aux forces de sécurité pour renforcer leurs capacités de protection.

En dépit de ce déploiement de moyens nouveaux et des prévisions de dotations complémentaires à venir, aucune évolution de la doctrine d'emploi n'est à ce jour envisagée. Ainsi que l'a rappelé le ministre de l'intérieur devant la commission, il continue d'être demandé aux forces de l'ordre de ne recourir aux masques que dans les situations de contact avec une personne présentant des symptômes ou lorsque des risques particuliers sont identifiés.

Il est évident que les difficultés d'approvisionnement ont, dans un premier temps, pu justifier des mesures de régulation dans l'usage des dispositifs de protection, et expliquent sans doute à elles seules la position adoptée par le ministère de l'intérieur. Pour autant, le maintien de cette doctrine, alors même que le ministère de l'intérieur indique que ses stocks sont en cours de reconstitution et reconnaît l'exposition particulière des agents au risque de contagion 22 ( * ) , suscite l'incompréhension.

Sur le plan opérationnel tout d'abord, la mise en oeuvre de cette doctrine se révèle peu aisée, car elle présuppose qu'un agent sur le terrain pourra déceler, en amont d'un contrôle, un risque potentiel de contagion, alors même que certaines personnes porteuses du virus sont réputées asymptomatiques.

Ensuite, le choix de ne pas développer le port du masque paraît peu cohérent avec les intentions désormais affichées par le Gouvernement de généraliser, à compter du 11 mai prochain, le port de masque dans certains espaces comme les transports en commun voire, plus généralement, sur la voie publique.

La commission n'exclut pas qu'au-delà des arguments scientifiques avancés par le ministre, la réticence à faire évoluer la doctrine continue d'être justifiée par des lenteurs dans la livraison des commandes et la distribution, en tous points du territoire, des protections. Le fait que la direction générale de la police nationale encourage, ainsi qu'elle l'a indiqué à la mission de suivi, les services à développer des moyens alternatifs ou complémentaires, comme l'achat de visières ou de masques « grand public », semble d'ailleurs aller dans ce sens.

Si tel était le cas, il paraît urgent que les autorités ministérielles fassent preuve de transparence à cet égard et intègrent, dans les prévisions de déploiement, les stocks complémentaires de dispositifs de protection proposés et fournis par les collectivités territoriales.

Pour la commission, il est en tout état de cause évident que, compte tenu des avis encore partagés et mouvants de la doctrine scientifique sur l'efficacité du masque, l'incertitude doit plaider pour un équipement plus systématique en masques ou visières de protection des personnels qui sont au contact quotidien du public.

3. Un confinement dans l'ensemble respecté, mais dont le contrôle se heurte à des difficultés en certains point du territoire

Il ressort des travaux conduits à ce jour par la mission de suivi que le confinement est, dans l'ensemble, correctement respecté par la population même si, ainsi que l'a rappelé le ministre de l'intérieur lors de son audition, un certain relâchement a pu être constaté à l'issue du premier mois de confinement.

La proportion du nombre de verbalisations prononcées semble le confirmer. Au 23 avril, 15,5 millions de contrôles avaient été effectués et 915 000 procès-verbaux d'infractions dressés, soit un taux d'infractions de 5,9 %.

Tant le ministre de l'intérieur que les directeurs généraux de la police nationale et de la gendarmerie nationale assurent que les contrôles sont, depuis le début du confinement, conduits avec la même intensité sur l'ensemble du territoire national . Faute de données plus précises sur la répartition géographique des contrôles réalisés, il n'a pas été possible à la commission de confirmer cette affirmation.

En revanche, il lui a été indiqué que les conditions d'exercice des contrôles pouvaient se révéler plus complexe dans certaines zones.

À cet égard, le directeur général de la police nationale a indiqué que si les faits constatés d'outrages, de rébellions et de violences sur les policiers connaissaient une baisse à l'échelle nationale, les agents étaient en revanche, dans certains quartiers, de plus en plus régulièrement confrontés à des attroupements hostiles au confinement lors des opérations de contrôle .

Lors de son audition par la mission de suivi, le directeur général de la gendarmerie nationale a quant à lui fait état d'une augmentation sensible des agressions tant verbales que physiques à l'encontre des gendarmes, de l'ordre de 73 %, avec, s'agissant des agressions physiques, une forte augmentation en outre-mer de 241 % Une telle évolution, si elle est mécaniquement induite par la hausse importante du nombre de contrôles réalisés sur la voie publique par rapport à la pratique habituelle, est également le reflet d'un contact parfois conflictuel dans le cadre des opérations de contrôle.

Hors de ces contrôles, la multiplication des incidents en plusieurs points du territoire suscite des inquiétudes quant à une potentielle dégradation de la situation en matière d'ordre public et à ses conséquences sur le respect du confinement . Depuis l'accident survenu le 18 avril à Villeneuve-la-Garenne, dans le département des Hauts-de-Seine, au cours duquel un jeune homme à moto a été blessé après avoir percuté un véhicule de police, plusieurs villes, en particulier de la région parisienne, ont été le théâtre d'incendies et de violences, notamment dirigées à l'encontre des forces de police.

Pour l'heure, le ministère de l'intérieur indique que les incidents, dont les causes sont à ce stade difficiles à établir, demeurent circonscrits. Selon le directeur général de la police nationale, leur nombre serait en diminution par rapport à la période précédant le confinement.

Pour la commission, de telles difficultés doivent donner lieu à une réponse ferme de la part du Gouvernement. Il importe également qu'elles ne se traduisent pas par un relâchement du confinement et des contrôles, dont les conséquences, sur le plan sanitaire, pourraient être dramatiques . À cet égard, la commission a pris acte des déclarations récentes du directeur général de la police nationale, qui, à la suite de révélations dans la presse concernant la diffusion de consignes locales invitant à limiter les contrôles dans certains quartiers à l'approche du ramadan, a rappelé la nécessité d'intervenir « en tout point du territoire ».


* 19 Article L. 3136-1 du code de la santé publique.

* 20 Note Conjoncture n° 55, Interstats, avril 2020.

* 21 L'usage des drones civils est encadré par deux arrêtés du 17 décembre 2015. Ces arrêtés ne prévoient toutefois aucune règle spécifique quant à l'usage, par les forces de sécurité intérieure, de ces équipements à des fins de surveillance. Il y est seulement précisé que « les aéronefs qui circulent sans personne à bord utilisés pour le compte de l'État dans le cadre de missions de secours, de sauvetage, de douane, de police ou de sécurité civile, peuvent évoluer en dérogation aux dispositions du présent arrêté lorsque les circonstances de la mission et les exigences de l'ordre et de la sécurité publics le justifient ».

* 22 Il peut, à cet égard, être rappelé la demande formulée par le ministre de l'intérieur de voir reconnaître le covid-19 en tant que maladie professionnelle pour les policiers et gendarmes, à raison de leur exposition particulière au risque de contagion. Cette demande n'a toutefois pas abouti.

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