D. LES PERSPECTIVES TECHNOLOGIQUES DES ÉNERGIES RENOUVELABLES DANS LES TERRES AGRICOLES

Le secteur des énergies renouvelables fait l' objet de nombreuses recherches , et présente donc des innovations technologiques dans la plupart des filières énergétiques que compte le secteur agricole .

Pour un point général sur la recherche en matière d'énergies renouvelables, un rapport récent de l'Office 84 ( * ) préconise de concentrer les investissements sur quelques technologies choisies et maîtrisées , en se positionnant sur des marchés mondiaux stratégiques et en prenant en compte le retour d'expérience des filières des batteries et des panneaux solaires .

1. L'enjeu du stockage de l'énergie, décisif pour les sources d'énergie intermittentes

Le stockage de l'énergie et en particulier de l'électricité est à développer compte-tenu de l'essor nécessaire des énergies renouvelables, dont certaines souffrent du défaut d'être intermittentes (éolien et solaire). La question dépasse le monde agricole. La seule gestion « intelligente » de l'énergie par l'association entre sources de production variables, sources de base (nucléaire), et sources d'appoint (hydraulique, centrales thermiques) ne sera pas suffisante dans le cas d'un taux d'insertion élevé d'énergies renouvelables, bien que souhaitable (idée de smart grids ). De même, le foisonnement , c'est-à-dire la répartition des installations sur le territoire dans des zones climatiques différentes, est souhaitable mais pas suffisant non plus. Dans tous les cas, le développement de ces sources d'énergie demandera une adaptation des réseaux de distribution.

L'électricité, par elle-même, ne se stockant pas, il est nécessaire de la transformer sous forme d'énergie de nature chimique, électrochimique ou mécanique. D'après Christophe Gégout, président de l'Alliance nationale de coordination de la recherche pour l'énergie (Ancre), « il va nous falloir développer des innovations de rupture en matière de stockage de l'électricité pour accompagner la montée en puissance des énergies renouvelables ». Notre collègue Angèle Préville, sénatrice, a consacré une note de l'Office à ce sujet 85 ( * ) .

Il faut toujours distinguer les problématiques de stockage de l'électricité de celles de stockage de la chaleur , cette dernière ayant un grand avenir face au défi de l'inter-saisonnier, qui va devenir de plus en plus crucial.

Différents modes de stockage existent, parmi lesquels les STEP 86 ( * ) , les batteries 87 ( * ) , l'air comprimé 88 ( * ) et l'hydrogène . Les technologies « power to gas » permettent de stocker l'électricité sous forme de gaz : il s'agit de produire, par électrolyse de l'eau (la molécule d'eau est cassée sous l'action de l'énergie électrique avec l'aide de métaux rares comme le platine), du dihydrogène - ou H 2 plus petite molécule existante plus communément appelée hydrogène - pouvant être stocké (ce qui peut poser des problèmes de sécurité), transporté, et ensuite utilisé dans différents usages : mobilité, hydrogène, ou production d'électricité par l'intermédiaire de piles à combustibles (PAC).

L'hydrogène pourrait aussi être utilisé comme un carburant propre pour les voitures sans émission de polluants, ni de CO 2 , puisqu' il se transforme au contact de l'oxygène simplement en électricité et en eau : c'est la mobilité hydrogène.

Il peut être relevé que l'Académie des technologies a rendu public en juillet 2020 un rapport sur l'hydrogène et qu'en 2014, l'Ademe, GRDF et GRTgaz avait produit une étude sur l'hydrogène et la méthanation comme procédé de valorisation de l'électricité excédentaire 89 ( * ) .

Mélangé au CO 2 issu d'activités industrielles (ce qui permet de valoriser du CO 2 ), dans le processus de méthanation , procédé utilisé par Berthelot dès 1869, il se transforme en méthane de synthèse ou « syngas » 90 ( * ) qui peut être injecté dans le réseau de gaz. La méthanation est en effet un processus de production de méthane de synthèse (CH 4 ) à partir de dihydrogène (H 2 ) et de monoxyde de carbone (CO) ou de dioxyde de carbone (CO 2 ) en présence d'un catalyseur, cette conversion catalytique étant appelée « réaction de Sabatier ». Il s'agit d'un outil de valorisation de l'électricité excédentaire 91 ( * ) qui est à développer. GRTgaz a installé à Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône) le démonstrateur Jupiter 1 000 qui utilise l'électrolyseur McPhy a commencé à injecter sa production d'hydrogène dans le réseau de gaz le 20 février 2020 et devrait injecter de manière imminente du méthane de synthèse grâce à des technologies de capture de CO 2 élaborées par Leroux & Lotz Technologies et au réacteur de méthanation d'Atmosta. Dans le futur, les progrès des catalyseurs nécessaires à la méthanation devraient permettre une production de méthane optimisée et à plus grande échelle.

D'autres technologies de stockage de l'énergie sont encore à l'état de simples pistes : supercondensateurs, turbomachines, piles à combustible à oxyde solide (« Solid Oxide Fuel Cell ») qui permet de consommer une grande variété de combustibles contenant un mix d'hydrogène et de carbone (gaz naturel, gaz de houille, biogaz...), batteries rechargeables à flux (« Redox Flow »), vaporeformage 92 ( * ) ...

2. Le couplage de la méthanation avec la méthanisation

La méthanation , processus de production de méthane de synthèse à partir de dihydrogène et de monoxyde de carbone ou de dioxyde de carbone en présence soit d'un catalyseur (méthanation catalytique) soit de microorganismes (méthanation biologique), est un outil de conversion de l'électricité en cours de développement. Dès lors qu'on vise à produire du biogaz, il est pertinent de coupler la méthanisation avec la méthanation afin de valoriser le CO 2 issu de la méthanisation et de stocker de l'énergie (un méthaniseur produit de l'ordre de 50 % de biogaz et 50 % de CO 2 ).

Des pistes innovantes existent dans plusieurs pays et la France n'est pas en retard, comme en témoigne le cas de MéthyCentre , premier démonstrateur « power to gas », couplé à de la méthanation, implanté sur notre sol 93 ( * ) , en cours de construction par Storengy (filiale d'Engie) dans un projet auquel participe le CEA-Liten et qui est soutenu par l'Ademe via les investissements d'avenir et la région Centre-Val de Loire réunissant plusieurs partenaires industriels, technologiques, agricoles et publics 94 ( * ) .

Le projet MéthyCentre a pour objectif de démontrer la faisabilité technique et économique de la méthanation qui permet d'obtenir du gaz d'origine renouvelable, substituable au gaz d'origine fossile. Il s'agit de coupler une unité de méthanisation à une installation de méthanation. Le procédé de méthanisation produit un biogaz, composé environ à 50 % de méthane, et 50 % de dioxyde de carbone. Ce dioxyde de carbone peut à nouveau être valorisé en étant injecté avec de l'hydrogène dans un réacteur de méthanation qui réalise la synthèse catalytique du méthane 95 ( * ) .

Grâce à l'utilisation combinée de la méthanisation et de la méthanation ( power to gas ), MéthyCentre mettra à disposition des consommateurs du méthane renouvelable (gaz naturel) et de l'hydrogène à partir de 2021. Les matières organiques valorisées par méthanisation proviendront d'exploitations agricoles situées autour du site, en Indre-et-Loire et en Loir-et-Cher. Le méthane produit sera injecté dans le réseau de gaz local pour répondre aux besoins domestiques (chauffage, eau chaude sanitaire, cuisson) et industriels (chaleur, chimie) ainsi que les besoins en carburant des transports. L'hydrogène sera proposé pour les véhicules ou livré en bonbonnes.

Le couplage méthanisation-méthanation

Source : Storengy.

3. L'amélioration de la performance par l'usage du numérique et d'autres nouvelles technologies comme l'intelligence artificielle dans l'agrivoltaïsme

Les progrès autour de l'agrivoltaïsme sont un exemple probant des innovations technologiques qui entourent la production d'énergie dans le secteur agricole. En réalisant une co-production de deux activités sur le même sol , à savoir une production énergétique et une production alimentaire , l'agrivoltaïsme est une innovation en soi . Les panneaux solaires, positionnés en hauteur, apportent une protection aux cultures agricoles tout en produisant de l'énergie verte. Cela crée une synergie entre la production agricole et la production électrique .

Ces panneaux photovoltaïques, à l'inverse des panneaux sur toiture, sont le plus souvent dynamiques et mobiles à plus ou moins 90 ° : en position d'ombrage maximum, les plantes sont protégées d'un excès de soleil. Les panneaux peuvent également s'effacer afin d'apporter un ensoleillement maximum, ou se positionner à l'horizontale pour préserver la température au sol. Ils peuvent avoir un recours important au numérique et à d'autres nouvelles technologies comme l'intelligence artificielle .

La filiale de Sun'R nommée Sun'Agri développe ainsi des projets agrivoltaïques avec des panneaux photovoltaïques intelligents. Un algorithme permet d'orienter les panneaux afin d'optimiser dynamiquement la croissance de la plante par photosynthèse. Plusieurs modèles existent : des modèles agronomiques permettant de décrire l'assimilation photosynthétique des plantes sous ombrage fluctuant, des modèles de comportement hydrique, des prévisions météorologiques, et des modèles d'optimisation du positionnement des panneaux permettant de calculer la trajectoire optimale des panneaux au cours de l'heure et de la journée 96 ( * ) . Ces structures sont dotées de trackers , permettant l'inclinaison intelligente des panneaux afin de laisser passer un maximum de lumière disponible à la culture en période de photosynthèse. Le cas de l'entreprise Ombrea peut aussi être cité.

4. D'autres démarches innovantes

Depuis dix ans, des recherches sont engagées sur la récupération et la valorisation de la chaleur fatale 97 ( * ) produite par les panneaux photovoltaïques , ce qui constitue un usage méconnu de ces panneaux 98 ( * ) . L'entreprise Base Innovation s'est ainsi spécialisée sur ce créneau à destination du marché du séchage, qui concerne surtout le fourrage pour les agriculteurs, mais aussi le séchage du bois ou de boues de stations d'épuration.

D'autres innovations, encore à l'étude, entourent la production d'énergie dans le secteur agricole, à l'image du couplage d'éoliennes et de panneaux photovoltaïques afin de pallier l'intermittence de ces énergies qui pourraient vraisemblablement être complémentaires, ou de l'installation d'un électrolyseur à la base d'un système photovoltaïque ou d'une éolienne , qui est l'une des pistes récentes d'innovations technologiques au stade amont.

La méthanisation fait aussi l'objet d'innovations technologiques autre que la méthanation : le projet Trackyleaks a ainsi développé une méthode de détection et de quantification par caméra infrarouge des fuites de méthane des digesteurs, dans le but de conforter la pertinence environnementale des unités de méthanisation. L'Ademe estime que l'automatisation des torchères, se déclenchant en amont des soupapes de sécurité, apparaît comme une perspective réaliste d'innovation technologique pour optimiser l'impact environnemental de la méthanisation et pourrait faire l'objet d'une étude technico-économique.

L'identification de nouvelles sources d'énergie ou de nouveaux modes de conversion de l'énergie pourra peut-être faire partie des futures innovations.


* 84 Rapport « Les grandes tendances de la recherche dans le domaine de l'énergie nucléaire et des énergies renouvelables », n° 77 (2019-2020), cf. https://www.senat.fr/notice-rapport/2019/r19-077-notice.html

* 85 Cf. http://www.senat.fr/fileadmin/Fichiers/Images/opecst/quatre_pages/OPECST_2019_0009_note_stockage_electricite.pdf

* 86 Il s'agit de la technique la plus ancienne et la mieux maîtrisée, qui s'apparente à une sorte de barrage réversible : des stations de transfert d'énergie par pompage (STEP) pompent de l'eau d'un bassin vers un second situé plus haut, celui-ci pouvant servir à produire de l'électricité n'importe quand lors de l'ouverture des vannes. Elles font partie de la grande famille des modes de stockage hydrauliques de l'énergie, qui comprend également les barrages de lac ou d'écluses. Le stockage hydraulique utilise l'énergie mécanique potentielle de l'eau comme vecteur énergétique, cette énergie pouvant ensuite produire de l'électricité à la demande par turbinage. Leur rendement atteint 70 à 85 %. Ce stockage est de moyen-long terme et concentre à lui seul 99 % des moyens de stockage dans le monde.

* 87 Cette forme d'énergie électrochimique est aujourd'hui surtout représentée par les batteries au lithium, appelées ainsi parce que ce sont des ions de lithium qui transitent d'une électrode à l'autre dans l'électrolyte, leur potentiel de développement étant réduit car le lithium est rare et donc coûteux. Selon Hervé Desvaux, chercheur au CEA, « pour stocker ne serait-ce que deux jours de consommation électrique française, il faudrait disposer de 360 000 tonnes de lithium. Or la production mondiale annuelle de lithium n'excède pas 40 000 tonnes ». Une piste consisterait à utiliser le sodium à la place du lithium, une autre à améliorer la densité d'énergie des batteries au lithium, en remplaçant par exemple le graphite, dans lequel est fabriquée l'une des deux électrodes, par du silicium, ce qui permettait en théorie de multiplier la densité d'énergie par 12. L'Institut rayonnement-matière de Saclay (IRaMIS) travaille à ce projet et a réussi à multiplier par 4 la densité d'énergie des batteries.

* 88 La technologie CAES (de l'anglais « Compressed Air Electricity Storage ») consiste à comprimer de l'air dans un réservoir à très haute pression (jusqu'à 300 bars) puis à l'injecter avec du gaz dans une chambre de combustion où le tout fait fonctionner une turbine et un alternateur. Ce stockage est de court terme, de l'ordre de quelques heures.

* 89 Cf. https://www.ademe.fr/etude-portant-lhydrogene-methanation-comme-procede-valorisation-lelectricite-excedentaire

* 90 Le syngas peut aussi être obtenu par pyrogazéification (procédé de valorisation de déchets décomposant la matière en différentes molécules gazeuses en les chauffant à très haute température - entre 800 et 1 500°C, avec peu ou pas d'oxygène). Le démonstrateur Gaya installé par Engie en 2013 à Saint-Fons (Rhône) en est un exemple.

* 91 Cf. https://www.ademe.fr/etude-portant-lhydrogene-methanation-comme-procede-valorisation-lelectricite-excedentaire

* 92 Ce reformage à la vapeur est un procédé de production de gaz de synthèse (syngas) riche en hydrogène, grâce à une réaction d'hydrocarbures fortement endothermique en présence de vapeur d'eau, à l'instar du vaporeformage du méthane.

* 93 Il s'établit sur la commune d'Angé, en région Centre-Val de Loire dans le département du Loir-et-Cher.

* 94 Cf. https://methycentre.eu/projet/

* 95 Ce procédé a été présenté lors de l'audition du 19 mai 2020.

* 96 Cf. la présentation de Sun'Agri disponible sur https://sunagri.fr/le-concept-en-detail/

* 97 L'énergie dite « fatale » ou « de récupération » est la quantité d'énergie inéluctablement présente ou piégée dans certains processus ou produits, qui parfois et au moins pour partie peut être récupérée et/ou valorisée.

* 98 Cf. https://www.lesechos.fr/pme-regions/actualite-pme/base-innovation-valorise-la-chaleur-des-panneaux-photovoltaiques-998751

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