C. UN SUIVI JURIDIQUE ET FINANCIER PARTAGÉ ENTRE PLUSIEURS SERVICES DE L'ÉTAT

La négociation des avenants et des contrats de plan ainsi que le suivi juridique et financier des contrats de concession sont déterminants pour la protection des intérêts de l'usager et du concédant .

Plusieurs services de l'État interviennent en la matière mais le déséquilibre entre les moyens que l'État consacre à ces questions, au sein de plusieurs de ses services , et ceux dont disposent les sociétés concessionnaires reste préoccupant.

1. La gestion des contrats de concession associe plusieurs services de l'État

Le sous-directeur de la gestion et du contrôle du réseau autoroutier concédé de la DGITM, Fabien Balderelli, a indiqué, lors de son audition par la commission d'enquête, que l'essentiel de l'activité de la sous-direction « vise à garantir à l'usager un haut niveau de service », même si « les enjeux juridico-financiers, qui sont examinés avec le ministre de l'économie et des finances, sont importants . »

a) Un pilotage assuré par la DGITM avec des moyens qui paraissent limités

La DGITM dépend de la bonne volonté des sociétés concessionnaires à transmettre des informations . Dans une note au directeur du cabinet du ministre des transports de février 2014, que le rapporteur a pu consulter, elle indique ainsi que « l'accès à l'information du côté des concessionnaires est difficile » et que le dialogue avec les SCA est « intense et exigeant ».

En tout état de cause, il n'a pas été fait état devant la commission d'enquête de rétention d'informations par les concessionnaires à l'encontre de la DGITM, à la différence de ce qui a pu être noté en son temps par la Commission nationale des marchés 227 ( * ) .

(1) Des contrôles pour identifier les indus financiers

La DGITM procède aux contrôles financiers prévus par les cahiers des charges annexés aux conventions de concession.

En application de l'article 7 de ces cahiers des charges, la sous-direction évalue, tous les cinq ans et société par société , les éventuels indus financiers générés par le retard qui serait survenu dans l'exécution de travaux prévus et compensés au titre de précédents contrats de plan. En cas de décalage dans le temps entre l'échéancier de dépenses initialement contractualisés, la société concessionnaire est en effet redevable à l'État d'une compensation pour la part correspondante de la hausse des péages.

Depuis la négociation du plan d'investissement autoroutier (PIA), la sous-direction reçoit par ailleurs des informations relatives aux charges d'entretien et de renouvellement. Le rapport d'activité pour 2017 indique que l'État travaille à collecter et préciser ses données, notamment en vue de maintien en bon usage des ouvrages.

Les sociétés concessionnaires sont en outre tenues de lui fournir chaque année les comptes sociaux et consolidés (art. 35 des contrats de concession). L'étude de ces comptes permet à l'État concédant de suivre l'équilibre économique et financier des contrats et d'évaluer, dans le cadre de la négociation de contrats de plan, les compensations à accorder aux sociétés concessionnaires au titre de la réalisation de travaux supplémentaires.

L'État concédant se sert par ailleurs de ces données pour contrôler les investissements réalisés en matière d' entretien du patrimoine , ce qui permet de les mettre en regard des observations faites sur le terrain par les équipes techniques.

Les clauses de restitution des avantages financiers indus du fait d'un retard des travaux prévus par les contrats de plan

Depuis 2004, des clauses de restitution des indus ont été introduites à l'article 7 des cahiers des charges. Ces clauses, qui ne doivent pas être confondues avec un régime de pénalités de retard, prévoient la récupération des indus financiers perçus par les sociétés concessionnaires en cas de retard dans la réalisation des travaux , quelle qu'en soit la cause et indépendamment de l'application des dispositifs de pénalités (prévus à l'article 39 des cahiers des charges).

Le retard est calculé par rapport à l'échéancier prévisionnel de l'opération . Le décalage temporel d'une opération compensée financièrement à une date déterminée confère en effet mécaniquement au concessionnaire un avantage financier lorsque le décaissement est plus tardif que prévu . En cas de retard, la SCA est donc redevable à l'État d'une compensation au titre de l'avantage financier éventuel découlant du retard des opérations de construction ou d'élargissement.

Ces clauses sont asymétriques : le concessionnaire ne tire aucun avantage d'une réalisation anticipée des travaux par rapport à l'échéancier de référence et les pertes de recettes de péages qu'il subit du fait du retard de mise en service d'un équipement ne sont pas prises en compte.

À titre d'exemple, ASF est actuellement redevable de 80 millions d'euros (actualisés) à l'État du fait de retards dans la livraison d'investissements prévus dans le contrat de plan .

Les indus perçus sont capitalisés sur la base du coefficient d'actualisation défini dans les contrats, qui est en moyenne de l'ordre de 8 %. Ce taux d'actualisation élevé est, dans ce cas précis, un avantage pour l'État.

Le remboursement des indus est versé sur un compte provisionné qui sert au financement des infrastructures autoroutières , ce qui permet de les affecter à des projets d'investissements non prévus dans les contrats.

(2) Le choix de ne pas désigner de commissaire du gouvernement aux conseils des SCA

L'article 35.6 des contrats de concession prévoit la désignation d'un commissaire du gouvernement auprès des conseils d'administration ou de surveillance des SCA historiques.

Lors de son audition, M. Balderelli, sous-directeur de la gestion et du contrôle du réseau autoroutier concédé, a indiqué que « cette possibilité n'est pas utilisée à ce jour » 228 ( * ) . Il a fait valoir que les contrats prévoient que les sociétés concessionnaires communiquent au concédant tous les dossiers transmis ou remis aux administrateurs, ainsi que les documents transmis aux actionnaires à l'occasion des assemblées générales, transmission qui est effective.

Dès lors que la communication des documents est effective, le rapporteur considère que la présence d'un commissaire du gouvernement n'est effectivement pas nécessaire .

b) Un travail interministériel associant plusieurs services de l'État

Si la DGITM joue le rôle central au sein des services de l'État en matière de suivi des concessions autoroutières, la gestion des questions juridico-financières est partagée avec le ministère de l'économie et des finances.

Il a en effet été indiqué au rapporteur que le travail interministériel réunit la DGITM, la DGCCRF et la Direction générale du Trésor (DG Trésor), via des échanges dématérialisés ou à l'occasion de réunions interministérielles (RIM) . Une RIM est ainsi systématiquement organisée avant la saisine de l'ART ou du Conseil d'État sur des avenants autoroutiers .

(1) L'analyse de l'équilibre économique par la Direction générale du Trésor

Lors de son audition par le rapporteur, le sous-directeur des politiques sectorielles de la Direction générale du Trésor du ministère de l'économie et des finances a précisé que l'un des adjoints du bureau « Économie des réseaux » de la sous-direction suit l'équilibre économique des concessions autoroutières .

Sa mission est d'apporter une contre-expertise sur les questions d'équilibre économique des concessions et de leurs avenants, et en particulier d'analyser les taux de rendement interne (TRI) des différents projets d'avenants . Il prend également position sur les hypothèses macroéconomiques ou fiscales (impôt sur les sociétés) sur lesquels ces avenants sont construits.

Il apparaît que la sous-direction n'est pas systématiquement saisie de chaque projet d'avenant, même si elle regarde en principe toutes les opérations présentant un enjeu significatif. Elle a ainsi travaillé sur le plan de relance autoroutier (PRA) et sur le plan d'investissement autoroutier (PIA).

(2) L'examen des modifications des tarifs de péages par la DGCCRF

Les questions concernant d'éventuelles modifications des tarifs de péages relèvent quant à elles de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF).

Celle-ci instruit en outre les grilles d'augmentation annuelles des tarifs 229 ( * ) .

(3) Des contributions ponctuelles de la Direction des affaires juridiques de Bercy

Quant à la direction des affaires juridiques (DAJ) des ministères économiques et financiers, qui est le conseil juridique des directions « métiers » du ministère de l'économie et des finances, sa directrice, Laure Bédier, a précisé au rapporteur qu' aucun de ses agents ne suit spécifiquement les concessions autoroutières ni ne notifie à la Commission européenne les mesures relatives auxdites concessions.

Ce n'est en effet que lorsqu'elle est sollicitée sur une question juridique spécifique que la direction procède à une analyse. Tel a par exemple été le cas fin 2014 sur la possibilité d'introduire dans les contrats de concession en cours une clause dite « de bonne fortune ».

2. Des sociétés concessionnaires dotées de moyens sans commune mesure

De leur côté, les sociétés concessionnaires disposent d'un nombre de collaborateurs sans commune mesure pour protéger leurs intérêts dans les négociations des avenants et des contrats de plan avec l'État et le suivi des contrats, sans compter les nombreux conseils auxquels elles ne manquent pas de faire appel.

Il n'apparaît pas pour autant que ces sociétés aient tenté de recruter des collaborateurs de la DGITM chargés du suivi des autoroutes 230 ( * ) .

La stabilité dans la durée des équipes des SCA historiques et de leurs conseils leur confère une mémoire sans commune mesure avec celle des services de l'administration dont les agents sont régulièrement soumis à des obligations de mobilité administrative.

Il en résulte un déséquilibre dans les négociations entre le concédant et les concessionnaires, déséquilibre de nature à fragiliser la position de l'État .

Dans une note interne du ministère de l'environnement et des transports du 26 mai 2015, dont le rapporteur a pu prendre connaissance, la DGITM indiquait ainsi que les discussions avec les SCA sont « difficiles dans la mesure où les sociétés surestiment manifestement le coût unitaire des opérations », ce qui démontre clairement, si besoin est, que les SCA se sentent en position de force.

L'affirmation de Pierre Coppey, président de Vinci Autoroutes, selon laquelle le rapport de force entre concédant et concessionnaire est « extrêmement déséquilibré au bénéfice de l'État » 231 ( * ) semble donc difficile à admettre d'un point de vue strictement matériel.

Comme on le verra plus loin, la création de l'ART et le contrôle qu'elle effectue sur les projets d'avenants ont toutefois permis, au moins sur ce point, de rétablir une forme d'équilibre plus protectrice des intérêts du concédant .


* 227 Voir infra .

* 228 L'État est en revanche représenté dans les conseils des deux sociétés tunnelières à capitaux majoritairement publics.

* 229 Voir § D ci-après.

* 230 De tels recrutements, susceptibles de générer des conflits d'intérêts, seraient en tout état de cause soumis au contrôle de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) qui a repris en la matière les compétences de la commission de déontologie de la fonction publique.

* 231 Audition de M. Pierre Coppey, président de Vinci Autoroutes, le 23 juin 2020.

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