QUATRIÈME PARTIE
QUELLES PERSPECTIVES POUR LA GESTION DU RÉSEAU AUTOROUTIER HISTORIQUE ?

La commission d'enquête s'est attachée à analyser la situation des concessions autoroutières « historiques » pour déterminer dans quelle mesure l'État concédant était parvenu à gérer effectivement ses relations avec les sociétés concessionnaires dans l'intérêt des usagers et, au-delà, des finances publiques.

Certains des constats qu'elle a effectués l'ont conduite à formuler des propositions, en particulier pour renforcer les capacités d'expertise des services de l'État afin qu'ils soient en mesure de négocier dans de meilleures conditions avec les sociétés concessionnaires et d'assurer un suivi financier des travaux pour identifier d'éventuelles surcompensations 277 ( * ) .

Elle a également préconisé de donner à l'Autorité de régulation des transports (ART) les moyens de mettre en oeuvre des contrôles plus poussés, en particulier sur la rentabilité des concessions 278 ( * ) , sur les avenants aux contrats de concession existants et l'attribution des nouvelles concessions 279 ( * ) ainsi que sur les marchés passés par les sociétés concessionnaires 280 ( * ) .

Elle a par ailleurs invité l'État à procéder à certaines clarifications , par exemple en matière de définition des opérations compensables 281 ( * ) .

Au-delà, la commission d'enquête a également réfléchi à la façon dont la fin des concessions historiques devra être préparée et aux aménagements qui pourraient être négociés avec les sociétés concessionnaires.

Elle a également souhaité, dans une démarche plus prospective , ouvrir une réflexion sur la gestion des réseaux autoroutiers existants après cette échéance.

I. PRÉPARER LA FIN DES CONCESSIONS HISTORIQUES ET NÉGOCIER DES ÉVOLUTIONS CONTRACTUELLES ET TARIFAIRES

La durée résiduelle des concessions autoroutières historiques est comprise entre 11 ans pour Sanef et 16 ans pour ASF et AREA .

Autrement dit, ces concessions se trouvent aujourd'hui en moyenne à mi-parcours entre leur privatisation en 2006 et la restitution des infrastructures à l'État .

Dates de fin des contrats de concessions autoroutières « historiques »

Sanef

Escota

SAPN

Cofiroute

APRR

ASF

AREA

2031

2032

2033

2034

2035

2036

2036

Source : Autorité de régulation des transports (ART)

La poursuite des contrats de concession jusqu'à leur terme , qui constitue un choix raisonnable , ne signifie pas pour autant que l'État doive renoncer à poursuivre la démarche de rééquilibrage de ses relations avec les concessionnaires qu'il a initiée en 2014-2015.

Outre le fait qu'il doit s'assurer du maintien du haut niveau de qualité du réseau autoroutier jusqu'à ce que celui-ci lui soit remis à la fin des concessions, l'État doit également veiller à l'adaptation de ce réseau aux évolutions sociétales et à sa participation effective au renforcement de la lutte contre le réchauffement climatique.

Les perspectives financières des concessions , qui ne devraient être que faiblement impactées par les conséquences économiques de la crise sanitaire provoquée par la pandémie de Covid-19, devraient permettre de financer ces évolutions sans que l'usager ait à supporter des coûts supplémentaires.

A. L'IMPACT DE LA CRISE SANITAIRE DEVRAIT ÊTRE LIMITÉ

La crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19 a eu un impact immédiat sur le trafic autoroutier et l'arrêt des travaux a généré des coûts supplémentaires .

Toutefois, les conséquences économiques de cette situation exceptionnelle pour les SCA « historiques » devraient être limitées et leur bonne santé financière leur permettre de les supporter sans difficultés excessives .

1. La matérialisation du risque trafic

Comme rappelé supra , la crise économique de 2008-2009 s'est traduite par une chute significative du trafic autoroutier, entraînant un retard de dix ans sur les prévisions de trafic retenues lors de la privatisation, s'agissant du trafic poids lourds, plus sensible à la conjoncture économique 282 ( * ) .

Pour sa part, la crise sanitaire du début de l'année a entraîné une contraction drastique du trafic pendant le confinement , à compter de la mi-mars, nettement supérieure à celle observée en 2008-2009.

De fait, en 2008, le trafic sur le réseau concédé n'avait baissé que de 1 % par rapport à l'année précédente, malgré une chute de près de 20 % du trafic poids lourds entre 2007 et 2009 sur certains réseaux.

Le président pour la France des concessions d' Eiffage a indiqué, lors de son audition par la commission d'enquête, que pendant la période de confinement le trafic avait diminué de 80 % et remontait lentement depuis le début du déconfinement mais qu'il demeurait à - 25 % en juin 283 ( * ) .

De son côté, le directeur général du réseau Sanef a constaté un recul de 36,5 % sur les cinq premiers mois de 2020 par rapport à la même période de l'année 2019 et il anticipe une diminution du trafic de 5 % en 2021 par rapport à 2019.

Sur le premier semestre 2020, le trafic sur le réseau Vinci est en baisse de 32 % par rapport à 2019 , essentiellement du fait de la diminution du trafic des véhicules légers , et de 21 % en juin 284 ( * ) .

De manière générale, les premières estimations publiées par l'ART concluent à une perte de trafic d'au moins 9 % sur l'année 2020.

L'état d'urgence sanitaire a ainsi confirmé que la gestion et l'exploitation des concessions autoroutières n'étaient pas des activités sans risque. Les mois de juillet-août se sont cependant traduits par un rétablissement du trafic à un niveau proche de celui observé les étés précédents .

L'absence d'usagers étrangers a en effet été compensée sur la plupart des sections par une hausse des trajets domestiques , en particulier du fait d'un report des usagers du train vers la voiture .

Sur le réseau Vinci, le trafic est seulement en baisse de 2 % en juillet 2020 par rapport à son niveau de juillet 2019.

Pour autant, les futures variations du trafic restent difficiles à anticiper au vu des possibles évolutions de la situation sanitaire qui n'apparaît pour l'heure toujours pas stabilisée, et de ses éventuelles conséquences, plus ou moins durables, sur les modes d'exercice des activités économiques .

Ainsi, Sanef indique n'avoir retrouvé début juillet que 60 % des trajets domicile-travail , sans doute en lien avec la persistance du télétravail.

De leur côté, les nouvelles concessions seront inégalement touchées. Atlandes, qui gère l'A63, est très dépendante du trafic poids lourds . Elle considère, par exemple, que la reprise de celui-ci dépendra de l'évolution de la situation et des mesures sanitaires dans la péninsule ibérique.

2. Des coûts générés par l'arrêt des travaux

Les travaux en cours sur le réseau autoroutier ont dû être interrompus pendant deux mois en raison du confinement. Cette suspension pourrait engendrer des retards de mise en service , notamment sur le grand contournement ouest de Strasbourg ainsi que des coûts supplémentaires pour les SCA.

Lors de son audition par la commission d'enquête, le ministre délégué chargé des transports a évalué le surcoût entre 200 et 300 millions d'euros environ pour les sociétés concessionnaires 285 ( * ) .

Ce surcoût provient en partie de la mise en place des mesures barrières sur les chantiers - mesures prévues dans un guide de bonnes pratiques diffusé début avril par l'Organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics (OPPBTP). D'autre part, les mesures de chômage partiel ne permettent pas de couvrir tous les frais relatifs à un arrêt de chantier.

Des mesures d'urgence ont été décidées dans le cadre de l'ordonnance du 25 mars 2020 286 ( * ) afin d'assouplir les conditions de passation des marchés soumis au code de la commande publique . Un certain nombre de dérogations sont ainsi prévues, parmi lesquelles la possibilité de prolonger « d'une durée suffisante » les « délais de réception des candidatures et des offres dans les procédures en cours » , de s'écarter du formalisme prévu par le code de la commande publique pour la sélection des candidats, ou encore de prolonger un contrat si l'organisation d'une procédure de mise en concurrence ne peut être mise en oeuvre.

L'article 6 de l'ordonnance prévoit également que le titulaire du marché ne peut se voir appliquer de pénalités lorsqu'il est dans l'impossibilité d'exécuter tout ou partie de celui-ci. Cette disposition interdit aux concessionnaires de faire supporter par les entreprises concernées une partie des conséquences financières des retards ainsi générés.

Pour autant, elle ne saurait permettre au concessionnaire de bénéficier de surcompensations en cas de retard d'entrée en service de travaux qui font l'objet d'une compensation par voie d'augmentation tarifaire. Il est donc indispensable qu'un suivi rigoureux soit mis en place par la DGITM afin que les usagers ne soient pas lésés.

Proposition n° 17 : s'assurer que les retards de travaux résultant de la crise sanitaire ne se traduisent pas par une surcompensation tarifaire.

3. Les sociétés d'autoroutes restent bénéficiaires en 2020

Les conséquences de la crise des « gilets jaunes » sur les recettes des concessions autoroutières ont été très limitées, contrairement à ce qu'avaient alors pu évoquer certains concessionnaires.

Sur les réseaux APRR et Sanef, le chiffre d'affaire réalisé a ainsi été supérieur au prévisionnel en 2018 et légèrement inférieur en 2019.

L'impact a été plus important sur le réseau Vinci. Le chiffre d'affaires réalisé par ASF en 2018 est ainsi inférieur de près de 60 millions d'euros au prévisionnel, ce qui n'a pas empêché ASF de dégager une marge nette de 36 % en 2018.

Pour ce qui est des conséquences de la crise sanitaire sur le trafic autoroutier, la perte de recettes pour les SCA en 2020 est estimée à 2 milliards d'euros par l'ART. Lors de son audition, le secrétaire d'État chargé des transports a évoqué , de son côté, un manque à gagner de 2 à 2,5 milliards d'euros.

Pour autant, les conséquences économiques de la crise sanitaire pour les sociétés « historiques » devraient être limitées, celles-ci restant bénéficiaires en 2020. Dès lors, comme le relève l'ART, la crise sanitaire ne devrait pas remettre en cause l'équilibre économique des concessions.

Les études prévisionnelles transmises au concédant par les SCA en juillet 2020, que le rapporteur a pu consulter, concluent toutes à une reprise de la croissance du chiffre d'affaires à compter de 2022, avec des variantes selon les réseaux.

Plus particulièrement, Sanef a indiqué à la commission d'enquête que son chiffre d'affaires pour 2020 devrait reculer de 24 % par rapport à celui de 2019.

Quant à Vinci Autoroutes, son chiffre d'affaires s'est contracté de 46 % au deuxième trimestre 2020, générant une baisse de 27 % sur l'ensemble du premier semestre.

Ces perspectives impliquent une vigilance particulière du concédant. Il convient en effet d' éviter toute compensation qui pourrait être demandée par les sociétés concessionnaires au nom de l'imprévision. Cette théorie, définie par le Conseil d'État en 1916 287 ( * ) , peut en effet justifier, au nom de l'intérêt général qui commande la poursuite de l'activité d'un co-contractant de l'État, une compensation partielle des conséquences d'un évènement imprévisible et temporaire, étranger à la volonté des parties lorsque celles-ci sont menacées par ces conséquences 288 ( * ) .

Aucun élément ne permet raisonnablement de considérer que tel pourrait être le cas. L'ART souligne ainsi qu' il « est loin d'être certain qu'une baisse de trafic de quelques mois implique un bouleversement de l'équilibre économique sur l'ensemble de la concession » 289 ( * ) .

Données financières des SCA historiques en 2019

Résultat net (en millions d'euros)

Dividendes (en millions d'euros)

ASF + Escota

933

1398

APRR + AREA

584

1510

Sanef + SAPN

385

452

Cofiroute

373

398

Total

2275

3758

Source : Frédéric Fortin, expert en fusion acquisition et en finances d'entreprise, à partir des comptes publiés des sociétés

Quoiqu'il en soit l'ART indique qu'elle sera vigilante à ce qu'il n'y ait pas de compensation tarifaire « démesurée » pour cause de fait nouveau.

Proposition n° 18 : rappeler que la situation financière des concessions historiques ne saurait justifier une compensation, même partielle, des conséquences de la crise sanitaire car la poursuite de leur activité n'est pas menacée.

La perspective d'un futur plan de relance autoroutier a été écartée par le ministre de l'économie lors de son audition par la commission d'enquête. Le rapporteur ne peut que se féliciter du fait que les prochains contrats de plan ne soient pas l'occasion de prévoir des compensations majorées liées à de nouveaux investissements. Un plan de relance autoroutier mis en place dans l'urgence pourrait en effet aboutir à une mauvaise évaluation , car trop rapide, de l'utilité socio-économique des projets.

En parallèle, les souplesses en matière de passation des marchés de travaux introduites par l'ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020 ne doivent pas conduire à une diminution de l'effectivité de la concurrence dans ce secteur.

Proposition n° 19 : veiller à ce que l'effectivité de la concurrence en matière de travaux ne soit pas réduite par les souplesses temporaires introduites par l'ordonnance du 25 mars 2020 pour simplifier les procédures en raison de la crise sanitaire.


* 277 Voir Troisième partie, III.

* 278 Voir Troisième partie, III.

* 279 Voir Troisième partie, III.

* 280 Voir Troisième partie, II.

* 281 Voir Troisième partie, III

* 282 Voir Deuxième partie.

* 283 Audition de M. Philippe Nourry, président des concessions autoroutières d'Eiffage en France, le 1 er juillet 2020.

* 284 Comptes semestriels 2020 publiés au 31 juillet 2020.

* 285 Audition de M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d'État chargé des transports, le 2 juillet 2020.

* 286 Ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020 portant diverses mesures d'adaptation des règles de passation, de procédure ou d'exécution des contrats soumis au code de la commande publique et des contrats publics qui n'en relèvent pas pendant la crise sanitaire née de l'épidémie de Covid-19.

* 287 CE 30 mars 1916, Compagnie générale d'éclairage de Bordeaux.

* 288 Les contrats des SCA récentes comportent une clause dite de « fait nouveau » qui permet d'envisager une compensation par voie tarifaire en cas de bouleversement de leur équilibre économique. Cette compensation est subordonnée à la réunion de trois conditions : un fait nouveau imprévisible à l'entrée en vigueur du contrat, un fait extérieur aux parties et une compensation nécessaire pour permettre à la SCA d'exécuter ses obligations.

* 289 Contribution de l'ART sur l'impact de la crise sanitaire sur les transports transmise en mai 2020 à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page