D. UN SOMMET DES AUTOROUTES POUR DÉFINIR L'ÉQUILIBRE ÉCONOMIQUE ET FINANCIER DES CONCESSIONS

Au cours de ses travaux, la commission d'enquête a constaté que les sociétés d'autoroutes invoquaient régulièrement l'équilibre des contrats de concession pour refuser de prendre en charge tout nouvel investissement sans qu'une compensation leur soit accordée, par le biais d'une hausse tarifaire ou d'un allongement de la durée des concessions.

Or, si l'équilibre des contrats a bien été défini pour les nouvelles concessions, celui des concessions historiques n'est nulle part précisé, en raison , comme on l'a vu, de leur ancienneté et des nombreuses modifications apportées à leur périmètre et à leur durée.

En l'absence de définition de cet équilibre, qui met en regard les investissements réalisés et futurs avec les recettes perçues et prévisionnelles, il n'est pas possible d'évaluer, à un instant donné, l'évolution de la rentabilité des concessions par rapport à celle initialement prévue par les contrats.

Le constat d'une évolution favorable aux sociétés d'autoroutes - et donc d'un déséquilibre du contrat - pourrait pourtant permettre à l'État d'exiger des concessionnaires la réalisation de nouveaux investissements sans contrepartie financière .

Dès lors, il est indispensable que le Gouvernement prenne l'initiative d'organiser un sommet avec les sociétés concessionnaires, auquel participeraient l'Autorité de régulation des transports et des représentants du Parlement, pour définir l'équilibre économique et financier des concessions autoroutières historiques.

Comme il y a eu un Grenelle de l'environnement et un Ségur de la Santé en référence à l'implantation des ministères concernés, ce sommet pourrait être une « Défense des autoroutes » en référence à la localisation des services de l'État en charge des transports.

Proposition n° 23 : organiser un sommet des autoroutes réunissant les services de l'État et les sociétés d'autoroutes historiques, associant l'Autorité de régulation des transports et des représentants du Parlement, pour définir l'équilibre économique et financier des concessions autoroutières historiques.

E. SOUTENIR LES PRATIQUES VERTUEUSES SANS NOUVELLES AUGMENTATIONS TARIFAIRES

Le niveau de rentabilité des concessions doit être un argument pour le concédant au cours de la prochaine négociation des contrats de plan pour défendre certaines évolutions des contrats de concession, et cela sans qu'il soit nécessaire de prévoir aucune nouvelle hausse tarifaire, ni allongement de la durée des concessions 297 ( * ) .

Dans cette perspective, la commission d'enquête estime qu' un certain nombre de pistes devraient être approfondies.

1. Introduire des modulations tarifaires en faveur des véhicules propres et du covoiturage
a) Une priorité pour le trafic poids lourds

Les véhicules poids lourds constituent la première source d'émission de gaz à effet de serre sur l'autoroute. Si des mesures ont déjà été prises, elles ne concernent cependant pas dans l'ensemble les SCA historiques.

La directive Eurovignette 298 ( * ) , qui permet de moduler les tarifs poids lourds en fonction de leurs performances environnementales, ne s'applique en effet que sur les réseaux des nouvelles concessions .

Au surplus, elle fixe des limites à la modulation qu'elle prévoit. Elle interdit ainsi des écarts allant au-delà du simple au double entre les véhicules « propres » et les véhicules les plus polluants, définis selon la classification Euro des véhicules établie en fonction des émissions polluantes 299 ( * ) , ce qui conduit à un écart maximum de 30 % par rapport au tarif moyen et de 10 % entre les véhicules les plus et les moins performants .

Les poids lourds qui effectuent de longs trajets et sont donc fréquemment renouvelés atteignent généralement les niveaux 5 et 6 de la directive, c'est-à-dire sont parmi les moins polluants. Les seuils ne sont toutefois pas assez discriminants et l'écart de tarifs entre l'Euro 5 et l'Euro 6, qui est par exemple de 10 % sur l'A63, ne constitue pas une incitation suffisante au passage vers l'Euro 6.

Une tarification en fonction du niveau d'émissions polluantes ne doit pas uniquement concerner les nouvelles concessions. Le concédant pourrait ainsi négocier avec les SCA historiques la mise en oeuvre d'une modulation des tarifs en faveur des poids lourds « propres » . Un écart tarifaire plus significatif, de l'ordre de 30 %, pourrait être introduit.

Thierry Repentin, président d'ATMB et SFTRF, les deux sociétés concessionnaires tunnelières publiques, a d'ailleurs indiqué à votre rapporteur avoir fait des propositions dans ce sens à l'ASFA. Il est regrettable que cette initiative n'ait pas été soutenue par les autres SCA historiques.

Il convient en outre que l'État accompagne dans le même temps la transition vers des véhicules propres pour les transporteurs pour compte propre , qui ne disposent pas de flotte de véhicules et dépendent de leurs camions pour vendre leurs produits. Comme l'a indiqué Florence Berthelot, déléguée générale de la Fédération nationale des transports routiers (FNTR), lors de la table ronde d'associations d'usagers des autoroutes, les camions qui effectuent des trajets courts sont en effet souvent plus anciens et plus polluants 300 ( * ) .

Proposition n° 24 : accroître les réductions tarifaires pour les véhicules poids-lourds les plus performants écologiquement tout en accompagnant la transition vers ces véhicules pour les producteurs et commerçants de proximité.

b) Une différenciation tarifaire accrue pour les véhicules légers « propres » et le covoiturage

La loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte a modifié l'article L. 122-4 du code de la voirie routière pour préciser que « la différenciation dans les abonnements proposée par les concessionnaires d'autoroutes afin de favoriser les véhicules à très faibles émissions dont le poids total autorisé en charge est inférieur à 3,5 tonnes ainsi que les véhicules utilisés en covoiturage est mise en oeuvre sous la responsabilité des concessionnaires sans modification du rythme d'évolution des tarifs de péage et sans augmentation de la durée des concessions autoroutières ».

Les sociétés concessionnaires sont ainsi invitées à mettre en oeuvre des tarifs d'abonnements différenciés afin de favoriser les véhicules à très faibles émissions ainsi que les véhicules utilisés en covoiturage, mais la loi ne leur impose pas une obligation en la matière.

Il est pourtant hautement souhaitable que les SCA utilisent pleinement cette latitude en proposant des grilles de tarifs qui tiennent compte des véhicules les plus performants.

Alors que Vinci Autoroutes met en avant son « éco-autoroute » A19 et son projet « d'autoroute de l'environnement », qu'APRR souligne ses ambitions « d'autoroute durable » et que Sanef indique que la biodiversité est un sujet majeur dans sa politique en matière de responsabilité sociale d'entreprise (RSE), la mise en oeuvre de tarifs modulés apporterait un élément de cohérence supplémentaire dans la politique environnementale affichée par les groupes autoroutiers .

Les SCA historiques pourraient s'inspirer en la matière des initiatives mises en place sur le reste du réseau autoroutier.

Sur le réseau ATMB et SFTRF, les véhicules électriques bénéficient ainsi d'une réduction tarifaire de 80 %. De son côté, Atlandes a proposé au concédant d'introduire des modulations pour les véhicules fonctionnant au gaz, ce qui nécessite une modification du contrat de concession.

Concernant le covoiturage , quelques initiatives tarifaires peuvent être relevées, notamment des offres de télépéage dédiées sur les réseaux APRR et Vinci.

Dans la mesure où le covoiturage permet de limiter les émissions polluantes en réduisant le trafic, ces offres pourraient être étendues au travers de modulations tarifaires prenant en compte le nombre de personnes à bord du véhicule. Cette formule serait plus incitative pour le développement du covoiturage et avantageuse pour les familles .

Là encore, la situation financière des SCA permet de considérer que ces offres ne devraient pas faire l'objet de compensations.

Proposition n° 25 : demander aux SCA de mettre en oeuvre, sans compensation, des modulations tarifaires à destination des véhicules légers les moins polluants et fonctionnant aux carburants alternatifs ou recourant au covoiturage.

2. Tenir compte des trajets du quotidien

a) Conforter l'initiative d'abonnements réduits pour les trajets quotidiens

Le réseau autoroutier de liaison a été construit à une époque où le développement périurbain n'avait pas atteint son niveau actuel et où le recours à l'autoroute pour des trajets quotidiens entre le domicile et le lieu de travail était marginal.

Le président de l'association « A10 gratuite », dont le premier péage est situé à moins de 30 km de Paris 301 ( * ) , a mis en avant cette situation lors de son audition par la commission d'enquête 302 ( * ) . Il a ainsi indiqué que les coûts supportés par un salarié régulier pour ses trajets quotidiens domicile-travail peuvent atteindre 1 300 euros par an .

On observe de ce fait un report massif sur le réseau secondaire aux abords de certaines grandes agglomérations, report qui se traduit par une accidentalité plus élevé, des phénomènes de congestion et donc une pollution accrue, enfin une dégradation accélérée de la voirie nationale.

Dans le prolongement de la crise des « gilets jaunes », la ministre des transports Élisabeth Borne a obtenu des concessionnaires qu'ils mettent en place des réductions tarifaires sur les trajets domicile-travail pour les travailleurs pendulaires, sans compensations tarifaires ou allongement des concessions. Les abonnés peuvent ainsi bénéficier d'une réduction de 30 % dès lors qu'ils font plus de dix allers-retours par mois sur la même section d'autoroutes.

Si cette initiative doit être saluée, les effets constatés un an et demi plus tard sont particulièrement décevants. Un million d'abonnés étaient attendus lors de la présentation de cette offre, en janvier 2019. En juillet 2020, ils n'étaient que 100 000 à avoir souscrit un abonnement pour bénéficier de cette réduction.

Les concessionnaires ont peu communiqué sur cette offre. Surtout, le geste commercial n'était sans doute pas suffisant au regard des sommes en jeu.

Comme l'a indiqué Élisabeth Borne lors de son audition par la commission d'enquête, la réduction par abonnement octroyée en janvier 2019 est « le seul cas où les sociétés concessionnaires ont fait un geste sans contrepartie, et elles peuvent peut-être aller plus loin » 303 ( * ) . Ces réductions devraient être augmentées jusqu'à 50 % sur certaines sections .

L'objectif initial d'un million d'abonnés ne doit pas être perdu de vue et la communication à destination du grand public sur les réductions doit être renforcée .

Enfin, les frais d'abonnement, qui s'élèvent en moyenne à 2,50 euros, peuvent être dissuasifs. Ils devraient être supprimés en cas de souscription à l'offre réduisant les coûts des trajets quotidiens.

Proposition n° 26 : accélérer le déploiement d'une offre d'abonnement sans frais pour les trajets domicile-travail garantissant des réductions tarifaires comprises entre 30 et 50 %.

b) Soutenir la demande de gratuité du diffuseur de Dourdan (A10) pour les usagers locaux

Pour des raisons historiques 304 ( * ) , le tronçon de l'A10 entre Allainville et La Folie-Bessin au niveau du raccordement de la RN 118 proche des Ulys fait l'objet d'un péage alors que le tronçon Dourdan - La Folie-Bessin est emprunté quotidiennement par des usagers locaux qui rejoignent ainsi brièvement des usagers en transit qui empruntent l'A11 et l'A10.

La suppression du péage pour les déplacements locaux est réclamée depuis des années par les usagers réguliers 305 ( * ) qui estiment que la stabilisation du tarif au kilomètre et les formules d'abonnement préférentielles à destination des usagers empruntant régulièrement le diffuseur de Dourdan ne constituent pas une réponse suffisante, motif pour lequel une partie de ce trafic se reporte sur le réseau routier avec des conséquences préoccupantes en matière d'accidentalité et de congestion

La commission d'enquête considère que l'État serait fondé à demander cette suppression sans qu'il puisse être considéré que l'équilibre économique et financier de la concession de Cofiroute est mis en cause, et donc sans compensation.

Au-delà, d'autres situations locales d'utilisation quotidienne de brèves sections à péage en zone péri-urbaine pourraient faire l'objet d'un examen.

Proposition n° 27 : examiner la possibilité de revenir sur des péages péri-urbains pénalisant pour les trajets du quotidien, en particulier le diffuseur de Dourdan (A10) pour les usagers locaux.

3. Inciter les SCA à accompagner le verdissement des autoroutes

Dans le prolongement du PIA et de la loi d'orientation des mobilités du 24 décembre 2019, le concédant devrait conditionner la signature des prochains contrats de plan des SCA au respect de normes écologiques accrues .

Même si la loi d'orientation des mobilités (LOM), qui consacre l'obligation pour les concessions autoroutières d'intégrer des améliorations pour « verdir » leurs investissements, n'est applicable qu'aux nouvelles concessions autoroutières construites après son entrée en vigueur, le concédant ne saurait renoncer à appuyer cette démarche sur le réseau historique 306 ( * ) .

a) Accélérer l'implantation de bornes de recharge électriques

Eu égard à l'essor des véhicules électriques qui permet de réduire la pollution atmosphérique, il est indispensable d'accélérer l'implantation de bornes de recharge.

Selon l'Association des sociétés françaises d'autoroute, seules 130 aires de service sont actuellement pourvues de bornes de recharge électriques sur le réseau concédé, pour un total de 307 bornes . Or ce nombre est amené à décroître rapidement . Izivia, filiale à 100 % du groupe EDF, a en effet décidé, en février 2020, de fermer, pour raisons de sécurité, 189 des 217 bornes de recharge rapide de son réseau Corri-Door sur autoroute et compte n'en remplacer qu'une toute petite partie, soit un quart au maximum.

L'arrêté du 2 janvier 2019 307 ( * ) impose certes un principe de continuité du service pour les aires de service équipées de bornes de recharge, sauf motif sérieux et légitime. Mais il ne fixe pas de nouvelles obligations d'implantation pour les aires qui n'en sont pas actuellement équipées. Dans ce dernier cas, il se contente d'exiger, dès lors que la réalité du besoin est établie, que les concessionnaires étudient la faisabilité technique de l'aménagement de bornes de recharge électriques.

L ' implantation de bornes de recharge électriques constitue un enjeu majeur pour les prochaines années. Les SCA doivent donc favoriser leur installation par les sous-concessionnaires sur les aires de leurs réseaux.

Proposition n° 28 : accélérer le déploiement de bornes de recharge électriques sur les aires d'autoroutes pour accompagner le développement des mobilités propres.

b) Accompagner le covoiturage et les transports collectifs

Le développement du covoiturage doit être encouragé. Deux voies dédiées ont ainsi été ouvertes en mai 2020 sur des tronçons des autoroutes A1 et A6A en Île-de-France.

L'aménagement de voies réservées aux véhicules partagés et aux transports collectifs doit être poursuivi. Il doit figurer dans les prochains contrats de plan après identification des sections pour lesquelles cette démarche est justifiée.

Cette adaptation du réseau existant devrait être considérée comme relevant de la modernisation normale des infrastructures et donc être mise en oeuvre sans compensation .

Pour faciliter le recours aux véhicules partagés afin de limiter la congestion urbaine, des places de parking réservées supplémentaires doivent être construites.

Proposition n° 29 : inciter les SCA à mettre en oeuvre sans contrepartie des aménagements permettant le développement du covoiturage et des transports collectifs.

4. Encourager les SCA à relever leur participation au financement de l'AFITF

Dans le cadre de la négociation du protocole de 2015, les SCA « historiques » ont accepté de contribuer au financement de l'Agence de financement des infrastructures des transports de France (AFITF) sur les 20 prochaines années 308 ( * ) .

Au vu de la rentabilité que les concessions historiques vont dégager d'ici leur échéance, une augmentation du montant de cette participation devrait être négociée .

Proposition n° 30 : négocier une augmentation de la participation des sociétés concessionnaires historiques au financement de l'AFITF


* 297 Désormais subordonné à un vote du Parlement - Voir II infra .

* 298 Directive 1999/62/CE du Parlement européen et du Conseil, du 17 juin 1999, relative à la taxation des poids lourds pour l'utilisation de certaines infrastructures.

* 299 La norme Euro vise à normaliser et réduire les émissions de particules fines (PM) et d'oxyde d'azote (NOx) des véhicules qu'elle répartit entre six classes en fonction de leur niveau d'émission.

* 300 Table ronde d'associations d'usagers des autoroutes, le 16 juillet 2020.

* 301 Comme indiqué plus haut, cette autoroute a été construite par Cofiroute dans une zone qui était alors très peu urbanisée.

* 302 M. Jean-Claude Lagron, président de l'association « A10 gratuite », lors de la Table ronde d'associations d'usagers des autoroutes, le 16 juillet 2020.

* 303 Audition de Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire, le 24 juin 2020.

* 304 Il s'agit d'un réseau construit et géré par Cofiroute.

* 305 Voir l'intervention M. Jean-Claude Lagron, président de l'association « A10 gratuite » lors de la Table ronde d'associations d'usagers des autoroutes, le 16 juillet 2020.

* 306 L'article L. 122-4 du code de la voirie routière fait ainsi obligation aux nouvelles concessions de prévoir un nombre de places de parkings de covoiturage ou de bus, un déploiement de stations d'avitaillement en carburants alternatifs et la mise en place d'une tarification différenciée selon les niveaux d'émissions des véhicules.

* 307 Arrêté du 2 janvier 2019 portant modification de l'arrêté du 8 août 2016 fixant les conditions d'organisation du service public sur les installations annexes situées sur le réseau autoroutier concédé.

* 308 Voir Deuxième partie.

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