B. QUEL MODE DE GESTION À LA FIN DES CONCESSIONS ?

La concession n'est pas le seul mode de gestion possible des autoroutes.

C'est pourquoi, il apparaît indispensable d'expertiser dès maintenant les solutions de gestion possibles, leur cadre juridique et les modalités de financement du réseau autoroutier.

1. Une réflexion à lancer sans tarder en regardant les différentes pratiques européennes
a) Aucune réflexion des services de l'État sur le futur mode de gestion

Lors des nombreuses auditions auxquelles elle a procédé, la commission d'enquête a interrogé les différents services de l'État sur l'état des réflexions relatives à la gestion des autoroutes françaises après l'échéance des contrats.

À sa grande déception, elle a constaté que cette réflexion était pour l'heure inexistante , alors même que les enjeux sont considérables et que la première concession historique - celle de Sanef - expirera dans moins de onze ans.

Il est donc grand temps que l'État prenne cette question à bras le corps et lance des travaux pour expertiser les différents modes de gestion envisageables des autoroutes et le cadre juridique à mettre en place pour éviter que ne se reproduisent les errements du passé .

Dans la mesure où il s'agit d'un réseau mature, plusieurs solutions devront plus particulièrement être explorées : le recours à de nouvelles concessions d'une durée moins longue et mieux encadrées, à des contrats de prestations de services, à la mise en place de régies intéressées ou encore à une gestion directe par l'État.

S'il décide de confier tout ou partie de l'exploitation du réseau autoroutier à des sociétés privées, l'État devra cette fois-ci s'attacher à définir précisément l'équilibre économique des contrats qu'il conclura avec elles, de sorte que le taux de rendement interne (TRI) dont elles bénéficieront soit raisonnable et ne conduise pas à l'apparition de nouveaux phénomènes de « surrentabilité » .

Proposition n° 34 : lancer sans tarder la réflexion au sein des ministères chargés des transports et de l'économie sur la gestion future des autoroutes actuellement sous concession.

b) Trois modes de gestion envisageables

Les deux principaux cadres possibles de gestion des autoroutes sont la gestion publique en régie et la gestion par un partenaire privé dans le cadre d'un contrat de concession .

S'y ajoutent des solutions intermédiaires de répartition des risques entre l'État et le secteur privé sous forme de contrats de partenariat .

Le graphique ci-dessous permet de mettre en lumière cette répartition des risques en fonction de l'option retenue :

- la régie publique , qui voit l'État porter les risques de financement, de travaux et de fréquentation de l'infrastructure ;

- la concession , grâce à laquelle l'État transfère ces trois risques à des opérateurs privés ;

- les contrats de partenariat , dont les modalités sont très variables, mais qui conduisent l'État à porter le risque trafic tout en transférant tout ou partie des autres risques aux opérateurs privés.

Source : Rapport du CGEDD « Analyse comparée des dispositifs de réalisation des infrastructures de transport », 2012 ; synthèse BCG

c) Ces trois modèles coexistent en Europe

Comme le montre l'étude comparative du secteur autoroutier européen établie à la demande de l'Autorité de régulation des transports (ART) 316 ( * ) par le cabinet Norton Rose Fulbright , ainsi que les réponses apportées par les missions économiques de la direction générale du Trésor aux questionnaires qui leur ont été adressés par le rapporteur, les trois grands modes de gestion présentés ci-dessus, qui ne sont pas exclusifs les uns des autres, sont actuellement pratiqués en Europe .

Typologie des modes de gestion des autoroutes dans six pays européens
(mode majoritaire en grisé)

Source : Norton Rose Fulbright, Étude comparative du secteur autoroutier européen, juin 2020

La gestion par des entreprises publiques et le recours à des marchés publics constitue le mode de gestion dominant en Allemagne ( 90 % du réseau ) et en Grande-Bretagne ( 78 % du réseau ).

La gestion dans le cadre de concessions de travaux publics et/ou de service public à péage est le mode de gestion dominant en Italie ( 87 % du réseau ) et en Espagne ( 80 % du réseau ).

Enfin, la gestion dans le cadre de contrats de partenariat , avec paiement de la rémunération par une entité publique est surtout pratiquée au Portugal , dont 63 % du réseau est géré de cette façon.

d) Des stratégies différentes en matière de financement

Les différentes modes de gestion sont financés soit par le budget de l'État, soit, en tout ou partie, par les usagers , sous forme de vignettes, d'abonnements ou de péages .

13 pays membres de l'Union européenne offrent un accès gratuit à leurs autoroutes qui sont financées par le budget de l'État. Le financement est assuré par les péages acquittés par les usagers dans les pays ayant majoritairement recours à la concession.

En cas de partenariat public-privé (Royaume-Uni ou Portugal) ou pour certaines concessions (Pologne), le risque trafic est supporté par l'État qui rémunère l'exploitant ou le concessionnaire mais des péages , qui sont alors perçus par l'État, peuvent toutefois être maintenus .

On note par ailleurs une généralisation progressive des péages pour les poids lourds. Le réseau routier fédéral allemand est ainsi en train d'évoluer d'un financement par les taxes vers un financement par les usagers. Depuis juillet 2018 un péage est applicable sur l'intégralité du réseau routier fédéral allemand (13 000 km d'autoroutes + 39 000 km de routes fédérales) aux poids-lourds de plus de 7,5 t. Les péages alimentent directement le budget du réseau routier fédéral. Le tarif kilométrique moyen (TKM) est calculé à partir des coûts engendrés relatifs à l'infrastructure, aux nuisances sonores et à la pollution de l'air.

En République tchèque , les véhicules particuliers et les véhicules de moins de 3,5 t doivent acquitter une vignette temporaire de 10 jours, 1 mois ou une année. Pour les véhicules poids lourds de plus de 3,5 t, des péages ont été instaurés en 2007. Ils sont calculés au kilomètre parcouru et varient en fonction du type de route empruntée (autoroute + nationale ; route de 1 ère catégorie), du nombre d'essieux, de la catégorie d'émission du véhicule et de l'heure du passage 317 ( * ) .

Les péages ne sont pas toujours proportionnels à la distance parcourue. Certains sont forfaitaires , quelle que soit la longueur du trajet (l'autoroute A8 de Milan vers les Lacs, par exemple, ou encore l'A12).

Sur certains réseaux nationaux, un abonnement est indispensable pour pouvoir emprunter l'autoroute, quelles que soient les distances effectivement parcourues. Pour rouler sur les autoroutes en Suisse , il est ainsi obligatoire de détenir une vignette autoroutière annuelle (40 francs suisses, soit 35 €).

L'accès au réseau autoroutier hongrois suppose également de souscrire un abonnement hebdomadaire, mensuel ou annuel , dont le coût varie en fonction du type de véhicule (environ 123 euros/an pour les VL et environ 570 euros/an pour les PL les plus gros, mais ne tient pas compte des distances effectivement parcourues.

Les péages des autoroutes concédées en France font l'objet d'une tarification en fonction de la distance parcourue . Sur les réseaux qui pratiquent cette méthode de calcul, les tarifs kilométriques moyens (TKM) vont, pour les véhicules légers, d'environ 0,0690 euro en Croatie (avec une majoration l'été) à environ 0,10 euro en Pologne et 0,1155 euro pour les autoroutes payantes en Espagne 318 ( * ) . En France, le TKM des concessions historiques se situe en 2020, pour la classe 1, entre 0,081 euro pour APRR et 0,109 euro pour AREA 319 ( * ) .

Les différents modes de financement des autoroutes européennes
en juillet 2020

Source : Toute l'Europe

2. Plusieurs pistes à explorer au regard des objectifs poursuivis

À première vue et sous réserve d'analyses complémentaires auxquelles il convient que les services de l'État procèdent rapidement, le modèle concessif apparaît le plus pertinent, dès lors que le cadre des relations entre l'État et les concessionnaires serait très nettement rééquilibré par rapport à la situation présente, dont les principales insuffisances ont été exposées en détail.

a) Les difficultés de la gestion en régie

Si la gestion en régie permet à l'État de percevoir les péages, si tant est qu'il soit décidé de les maintenir, elle risque de se heurter à des difficultés techniques et de financement.

(1) Le produit des péages éventuels récupéré par l'État

La gestion en régie des autoroutes actuellement concédées, via des sociétés publiques, des établissements publics ou bien même des services de l'État comme c'est le cas pour le réseau autoroutier et routier non concédé , n'aurait pas pour objectif d'améliorer la qualité ou la sécurité des autoroutes françaises, dans la mesure où les prestations actuellement fournies aux usagers par les SCA sont très généralement considérées comme très satisfaisantes .

Une telle solution présenterait en réalité un unique avantage : permettre à l'État de récupérer pour lui-même les recettes des péages autoroutiers et éviter que de grands groupes privés ne bénéficient d'une rente à son détriment et à celui des usagers.

Il est à noter que le maintien du péage ne va pas de soi comme le montre la reprise de la gestion de plusieurs autoroutes par l'État espagnol 320 ( * ) .

Si elles étaient maintenues, les recettes de péage auraient naturellement vocation à être utilisées pour financer l'exploitation et la modernisation du réseau autoroutier , comme c'est le cas aujourd'hui. Mais il pourrait également être envisagé d'affecter les éventuels excédents à d'autres modes de transport que les autoroutes , ainsi que le préconisaient les promoteurs de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF) au début des années 2000. Le réseau routier et autoroutier non concédé, dont la modernisation a pris du retard, pourrait en particulier utilement bénéficier de crédits supplémentaires .

Une telle évolution supposerait toutefois une intervention du législateur pour modifier les dispositions de l'article L. 122-4 du code de la voirie routière, lequel prévoit actuellement que le péage ne peut être utilisé que pour couvrir des coûts limitativement énumérés et tous directement liés à l'exploitation du réseau autoroutier et aux investissements visant à le moderniser ou à le développer .

(2) L'expertise technique et financière inadaptée des services de l'État

Une exploitation en régie des autoroutes présenterait en outre des inconvénients importants .

En premier lieu, les sociétés d'autoroutes privatisées gèrent actuellement le réseau qui leur est concédé avec un professionnalisme incontestable , si bien que ces autoroutes ont été jusqu'à présent saluées comme particulièrement performantes , ce que confirme l'étude du cabinet Norton Rose Fulbright précitée.

Prévoir une gestion publique de tout ou partie de ce réseau conduirait l'État à se priver de l'expertise des groupes autoroutiers , expertise qu'ils ont confortée pendant les 15 à 20 ans pendant lesquels leurs filiales ont exploité leurs concessions actuelles , qu'il s'agisse des concessions historiques ou de concessions plus récentes.

Or, dans le même temps, l'expertise des services de l'État s'est spécialisée dans le contrôle de travaux dont ils n'assurent plus eux-mêmes la maîtrise d'ouvrage. Les ressources disponibles pour intervenir directement seraient manifestement insuffisantes pour remplir cette mission , comme en témoignent les difficultés à assurer un état satisfaisant du réseau non concédé.

De même, il paraîtrait difficilement envisageable que l'État assure lui-même la passation des très nombreux marchés de travaux, fournitures et services auxquels donne lieu l'exploitation des autoroutes, y compris les installations de service présentes sur les aires d'autoroutes.

Au total, confier la gestion des autoroutes à l'État n'apparaît donc guère comme la solution la plus adéquate pour garantir le maintien du niveau actuel d'entretien , et donc de sécurité , de ces infrastructures.

(3) Une incertitude quant à la pérennité du financement des autoroutes

Dans la mesure où les grands projets de développement autoroutiers appartiennent au passé et où l'État récupèrera, conformément aux cahiers des charges, des autoroutes en très bon état à l'issue des concessions en cours , les montants financiers à mobiliser en faveur des autoroutes pourraient diminuer sensiblement dans les décennies à venir .

Toutefois, pour que notre pays puisse conserver des infrastructures autoroutières d'excellent niveau, il faudra que les montants d'investissement annuels sur le réseau demeurent importants et soient financés soit par le produit des péages , soit par des crédits budgétaires , c'est-à-dire par l'usager dans le premier cas et par le contribuable dans le second.

Or, les contraintes qui pèsent sur les finances publiques sont aujourd'hui telles que l'on peut légitimement s'interroger sur la pérennité des financements affectés à l'entretien du réseau autoroutier si l'État en reprenait la gestion en direct.

Le risque serait en effet que les autoroutes soient victimes d'arbitrages budgétaires défavorables , au risque d'entraîner une dégradation des infrastructures existantes , à l'instar de ce qu'ont connu au cours des dernières décennies tant le réseau ferré que le réseau autoroutier non concédé.

Après avoir rappelé que, « l'État peut toujours reprendre les autoroutes en régie s'il le souhaite, et s'il peut financer », Philippe Martin, président de la section des travaux publics du Conseil d'État, a ainsi constaté, lors de son audition par la commission d'enquête, que « la gestion directe et la construction des grandes infrastructures sont extrêmement coûteuses pour l'État , qui peine à trouver les financements » 321 ( * ) .

C'est la raison pour laquelle il considère qu' une reprise en régie ne serait pas nécessairement une bonne formule pour l'État : « La concession me semble un bon outil . Il ne me paraît pas incongru que les autoroutes soient gérées par des opérateurs privés . Le métier de concessionnaire suppose des savoir-faire financiers et techniques , notamment parce qu'il faut réaliser des travaux très lourds. La concession me semble donc un outil tout à fait approprié pour une bonne gestion du service public, à condition de bien s'en servir ».

(4) Une moindre incitation à une gestion rigoureuse

Une entreprise, qu'elle soit publique ou privée, obéit systématiquement à une logique de maximisation de ses profits , mais, dans le cas d'une structure publique, des pertes éventuelles sont souvent considérées comme moins dommageables car susceptibles d'être compensées par l'État.

Le gestionnaire public a donc une moindre incitation à mettre en oeuvre une gestion rigoureuse et à générer des gains de productivité qu'un gestionnaire privé. Un tel risque serait susceptible de se matérialiser si l'État devait assurer lui-même la gestion de ses autoroutes.

(5) Des enseignements à tirer de l'exemple espagnol

La mise en oeuvre de la politique très ambitieuse du gouvernement espagnol , qui a décidé la reprise en gestion publique directe en 2017 de plusieurs autoroutes dont les concessionnaires avaient été placés en liquidation, puis en 2019 et en 2020 de 552 kilomètres d'autoroutes dont les contrats de concession étaient arrivés à échéance tout en rendant gratuites, dans ces derniers cas, les portions concernées (ce qui impliquera un financement non plus par les usagers, mais par les contribuables), sera à surveiller de près dans les années à venir .

Cette expérience devrait en effet permettre de voir dans quelle mesure, et à quel coût, cette reprise en gestion publique directe aura permis de maintenir le bon niveau d'entretien de la part concernée du réseau autoroutier jusqu'alors concédée .

En Espagne, la gestion directe d'autoroutes par l'entreprise publique
Sociedad Estatal de Infraestructruras del Transporte
(« SEITT »)

La Sociedad Estatal de Infraestructruras del Transporte (« SEITT ») est une entreprise publique créée en 2005, détenue à 100 % par l'État espagnol, et qui a pour mission d'assurer la construction, l'exploitation, l'entretien et la maintenance d'infrastructures de transport terrestre nationales en Espagne.

Alors qu'elle se concentrait au départ principalement sur le secteur ferroviaire, ses missions ont été élargies aux autoroutes à partir de 2015 en raison des difficultés économiques rencontrées par plusieurs sociétés concessionnaires d'autoroutes espagnoles.

L'implication de la SEITT en matière autoroutière s'est accrue à partir de 2017 lorsque l'État lui a directement confié la gestion provisoire de huit concessions autoroutières résiliées à la suite de la liquidation des sociétés concessionnaires titulaires des contrats correspondants, lesquels auraient dû normalement expirer entre 2039 et 2065.

Elle assure aujourd'hui l'exploitation de ces sections avec ses propres personnels, avec ceux de sociétés concessionnaires qui lui ont été transférés et au moyen de marchés de travaux, de fournitures et de services.

Cette gestion des concessions résiliées ou venues à terme par la SEITT a été envisagée de manière provisoire pour une période de 4 ans. Le Gouvernement espagnol devra déterminer d'ici 2022 les modalités pérennes selon lesquelles il souhaite que ces infrastructures soient gérées.

Source : Norton Rose Fulbright, Étude comparative du secteur autoroutier européen, juin 2020

b) Des contrats de partenariat modifiant la répartition des risques

La troisième grande option à étudier pour la gestion future des autoroutes est la mise en place de contrats de partenariat, au titre desquels l'État percevrait les péages, supportant ainsi le risque trafic , et confierait, après mise en concurrence, l'exploitation et la maintenance des autoroutes à des sociétés privées, en contrepartie d'un loyer, lequel peut varier en fonction de la disponibilité de l'ouvrage et du respect par le partenaire privé des critères de performance définis dans le contrat.

Ce modèle est notamment pratiqué au Portugal , où le gestionnaire public Infraestructuras de Portugal perçoit une partie des péages d'usage des autoroutes , porte le risque trafic et délègue à des sous-concessionnaires privés la gestion opérationnelle des réseaux .

Une telle solution présente l'avantage principal de prévenir la « surrentabilité » dont profitent actuellement les sociétés concessionnaires d'autoroutes françaises, puisque les entreprises qui se verraient confier la gestion et l'entretien des autoroutes seraient rémunérées par des loyers fixes, indépendants de l'évolution du trafic.

Mais elle n'est pas sans risque budgétaire pour la puissance publique : en cas de baisses du trafic semblables à celles provoquées par la crise économique de 2008 ou la crise sanitaire de 2020, c'est l'État qui serait touché par les baisses des recettes de péages, tout en devant maintenir le paiement des loyers consentis aux sociétés chargées de l'entretien et de l'exploitation des autoroutes.

Le gestionnaire public Infraestructuras de Portugal délègue l'exploitation d'autoroutes dont il a la charge selon un système de « sous-concessions »

Au Portugal, l'entreprise publique Infraestructuras de Portugal (IP) est chargée, dans le cadre d'un contrat conclu avec l'État, de gérer l'ensemble du réseau routier et autoroutier national, à l'exception de la partie gérée dans le cadre de contrats de concession. IP est autorisée à déléguer à des opérateurs privés la gestion d'une partie du réseau dont elle a la responsabilité en recourant à des contrats de partenariat public-privé (PPP).

Les titulaires de ces contrats de « sous-concession » reversent à IP une partie du produit des péages qu'ils perçoivent auprès des usagers sur les sections d'autoroutes dont la gestion qui leur est confiée.

Source : Norton Rose Fulbright, Étude comparative du secteur autoroutier européen, juin 2020

c) De nouvelles mises en concession dans un cadre révisé en profondeur

La principale alternative à une reprise des autoroutes en régie consisterait à procéder à l'attribution de nouvelles concessions portant sur différentes portions du réseau autoroutier français à l'issue d'appels d'offres les plus ouverts possibles .

La mise en concurrence permet en effet de faire émerger des propositions vraiment compétitives en termes de qualité de service tout en assurant une modération tarifaire à même d'éviter les risques de « surrentabilité » grâce à l'insertion de clauses adaptées.

Telle est l'analyse que le président de la section des travaux publics du Conseil d'État, Philippe Martin, a exposé devant la commission d'enquête : « l'expiration des concessions à partir de 2031 représente pour l'État une réelle opportunité de reprendre la main en tant que concédant . Il pourrait le cas échéant conclure, après mise en concurrence, de nouvelles concessions équilibrées , portant sur des liaisons rationnelles en termes de desserte du territoire, et affichant des tarifs cohérents. Cela permettrait de recalculer l'équilibre économique global des concessions à partir du point zéro , et d'éviter peut-être aussi d'insérer certaines clauses figurant dans les concessions actuelles » 322 ( * ) .

Philippe Martin estime que le modèle concessif est un modèle robuste qui a fait ses preuves : « si la fin des concessions est une opportunité pour l'État, la conclusion de nouvelles concessions ne me paraîtrait nullement incongrue . La concession est en effet un mode de gestion des services publics vieux de plus d'un siècle, parfaitement connu et reconnu, consacré par une directive européenne de 2014 ».

Si l'État devait faire le choix, entre 2031 et 2036, de recourir à nouveau au système de la concession pour exploiter, entretenir et moderniser ses autoroutes, des évolutions très substantielles seraient néanmoins nécessaires afin d'éviter que les erreurs commises en 2006 ne se reproduisent .

(1) Retenir des durées de concession raisonnables

Lorsque les concessions autoroutières « historiques » arriveront à échéance, entre 25 et 30 ans se seront écoulés depuis la privatisation de 2006 , ce qui est manifestement beaucoup trop long .

Si une telle durée pouvait être justifiée lorsqu'il fallait consentir de lourds investissements pour construire de nouvelles sections d'autoroutes, le caractère mature du réseau actuel (il l'était d'ailleurs déjà en 2006) change fortement les choses .

En effet, l'enjeu principal consiste dorénavant à entretenir et à exploiter le réseau existant, même si des aménagements nouveaux, plus limités, peuvent être envisagés.

C'est ce qui a conduit Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la relance, à plaider devant la commission d'enquête « pour une durée plus courte [des contrats de concession] avec une clause de rendez-vous réguliers » 323 ( * ) .

De fait, comme il le relevait lors de son audition, « la nature des contrats et des risques qui y sont adossés doit évoluer . Il n'y a plus de risque construction, mais d'autres enjeux ont émergé - transition écologique, nouvelles mobilités - qui constituent des risques moins importants ». Qui dit risques moins importants dit retour sur investissements plus rapide .

C'est pourquoi la durée des concessions sur le réseau « historique »doit être réduite et ne pas dépasser une durée raisonnable qui permette de motiver le concessionnaire et le conduise à un investissement suffisant dans la gestion et surtout l'entretien du réseau concédé.

Il convient en outre d'éviter l'organisation d'appels d'offres trop rapprochés qui mobilisent les services de l'État et génèrent des coûts importants .

Une durée de 15 ans serait susceptible de répondre à l'ensemble de ces préoccupations.

Tel est d'ailleurs le point de vue de Bruno Le Maire qui a indiqué à la commission d'enquête que « s'il n'y a pas besoin d'investissements massifs à court ou moyen terme , une durée de quinze ans avec une clause de rendez-vous tous les cinq ans paraît raisonnable ».

Proposition n° 35 : limiter à quinze ans la durée des futures concessions autoroutières portant sur le réseau existant et ne nécessitant pas de travaux importants.

(2) Prévoir des clauses de revoyure pour ajuster la rentabilité

Il est en outre indispensable que les contrats de concession prévoient une vérification dans la durée de la qualité des travaux et des points de situation réguliers sous forme de clauses de revoyure tous les cinq ans de nature à éviter l'apparition d'une rente autoroutière.

Ces clauses permettraient de vérifier la bonne exécution du contrat et de réduire les tarifs des péages ou la durée de concession en cas de « surrentabilité ».

Ce système existe déjà en Italie, puisque les contrats de concession d'autoroutes italiens contiennent désormais une annexe intitulée « plan économique et financier » qui détermine l'équilibre économique de la concession pour une durée de cinq ans .

Une révision quinquennale de ces plans économiques et financiers permet d'ajuster les conditions de rémunération des concessionnaires en tenant compte des écarts entre les niveaux de trafic projetés et effectifs sur la période écoulée ainsi que des nouveaux investissements à réaliser au cours des cinq années suivantes.

Devant la commission d'enquête, Bruno Le Maire a lui aussi considéré qu'une révision périodique de l'équilibre économique des contrats devrait être recherchée à l'avenir, puisqu'il estimait, à raison, qu' « il est impératif pour les prochaines concessions de prévoir de pouvoir réévaluer le taux de retour sur investissement cible pour que le concessionnaire ne bénéficie pas d'une surrentabilité . D'où ma proposition de clause de rendez-vous tous les cinq ans qui permet de réévaluer ce taux de retour ».

Proposition n° 36 : introduire des clauses de revoyure tous les cinq ans pour les futures concessions autoroutières afin de prévenir la réapparition d'une rente autoroutière.

(3) Prévoir un partage des gains

Si le réseau historique devait faire l'objet de nouvelles concessions à l'échéance des concessions actuelles, il serait indispensable de définir préalablement un cadre juridique à partir d'un équilibre économique qui ne lèse pas le concédant.

Les innovations contractuelles introduites dans les contrats des concessions passées depuis 2001 pourraient ainsi être reprises et complétées .

Plusieurs clauses de partage des gains ont été introduites dans les contrats des nouvelles concessions établis depuis 2001 . Leur article 24 comporte ainsi une clause de partage des gains de financement tandis que leur article 30 prévoit un partage des fruits de la concession 324 ( * ) .

(a) Des clauses de partage des gains d'exploitation

Dans les contrats des nouvelles concessions (à l'exception de ceux d'Alis et Adelac qui ne comportent pas de telles clauses), il est prévu que les concessionnaires versent, chaque année et à compter de la mise en service de l'autoroute, une redevance annuelle calculée en fonction de leur chiffre d'affaires .

Cette redevance n'est versée qu'à partir de la septième année suivant la mise en service complète de l'autoroute pour Alicorne, et le sera à partir de 2062 pour Albéa, soit 4 ans seulement avant la fin de la concession . Ce seuil est par ailleurs fixé en valeur absolue pour Arcour et se déclenche dès que le chiffre d'affaires hors taxe cumulé depuis le début de la concession atteint 1,5 milliard d'euros .

Atlandes est sur ce point un cas particulier, dans la mesure où il s'agit de l'un des seuls contrats portant sur l'aménagement d'un ouvrage routier déjà existant, l'ancienne route nationale 10. L'article 24.2 du contrat de concession prévoyait en conséquence le versement par les propriétaires de cette société d'une contribution de 400 millions d'euros à l'État avant même le démarrage du projet, correspondant à la reprise de l'infrastructure existante .

(b) Des clauses de partage des gains de refinancement

Afin de pallier les insuffisances observées dans les contrats des concessions historiques au regard de l'optimisation financière à laquelle procèdent les sociétés concessionnaires, les futurs contrats de gestion du réseau existant devraient comporter des clauses de partage des gains de refinancement similaires à celles qui existent actuellement dans cinq des contrats des nouvelles concessions.

La rédaction de ces clauses pourrait s'inspirer de celle qui figure dans le contrat d'Atlandes (A63). Celle-ci stipule que le concessionnaire soumet au concédant pour accord tout projet de modification du plan de financement, y compris des montants, des conditions financières et des échéanciers. Le concédant peut, dans ce délai, s'opposer à toute modification envisagée qui lui paraîtrait de nature à compromettre la bonne exécution du contrat de concession, son silence valant décision de refus

Le gain financier obtenu au travers d'un refinancement du fait d'une baisse des taux d'intérêt est calculé sur la base du nouveau modèle financier servant au refinancement. Le mécanisme de partage des gains de refinancement est fonction du taux de rentabilité interne nominal annuel prévisionnel des actionnaires.

Le contrat d' Atlandes précise ainsi que, si le TRI est inférieur à 12 %, ce qui est le cas dans tous les contrats historiques, la part du concédant est réduite au montant permettant d'atteindre ce TRI. Cette clause a permis à l'État de bénéficier du refinancement de sa dette mis en oeuvre par Atlandes lors de l'exercice 2015. Atlandes lui a reversé à ce titre 247 millions d'euros .

Votre rapporteur considère que l'introduction de telles clauses est indispensable, sans qu'il ne soit par ailleurs nécessaire de prévoir une obligation contractuelle de refinancement .

Si, dans un contexte de baisse des taux, les sociétés sont incitées à se refinancer afin d'optimiser leurs coûts, il n'est pas pour autant opportun d'un point de vue économique que l'État intervienne dans la stratégie de refinancement de la dette de sociétés privées.

(c) Des clauses de modération tarifaire

Quant aux clauses dites de « péage endogène » , qui figurent dans les contrats des SCA historiques, elles ne sont pas suffisantes . Leur déclenchement est en effet considéré comme « possible » par l'ART dans son rapport quinquennal sur la rentabilité des concessions autoroutières mais « peu probable » (voir supra ).

Les clauses de modération tarifaires mises en place dans la dernière génération de contrats de concession prévoient une diminution des tarifs de péage lorsque l'apport en nature est remboursé grâce aux versements effectués au titre du partage des fruits de la concession et du partage des gains de refinancement.

La réduction des tarifs de péage est déterminée conjointement par le concessionnaire et le concédant de façon à produire un « effet économique équivalent » au partage des fruits de la concession et au partage des gains de refinancement. On trouve par exemple une telle clause dans le projet de cahier des charges (art. 24.4) de la future concession de l'autoroute A79 entre Sazeret (Allier) et Digoin (Saône-et-Loire).

(d) Revoir les seuils des clauses de plafonnement de la rentabilité

En tout état de cause, l es seuils de déclenchement des clauses de plafonnement de la rentabilité doivent impérativement être repensés et revus à la baisse dans les futurs contrats, dans la mesure où, selon l'ART, les clauses de durée endogène actuelles ont très peu de chance de jouer, voire sont difficilement modélisables.

Proposition n° 37 : encadrer l'équilibre des contrats de concession par des clauses de partage des gains d'exploitation et des gains de refinancement ainsi que des clauses de modération tarifaire, assorties d'une définition pertinente des seuils de déclenchement des clauses de plafonnement de la rentabilité.

(4) Calibrer les clauses de compensation fiscale et technique

Les contrats des nouvelles concessions n'ont pas repris les clauses de « neutralisation fiscale » introduites dans les contrats de concession historiques à la suite du protocole de 2015.

Ces clauses, qui figurent à l'article 32 des cahiers des charges des concessions historiques, prévoient que toute modification de la fiscalité spécifique aux sociétés d'autoroutes « de nature à dégrader ou améliorer l'équilibre économique et financier de la concession » est intégralement compensée .

Dans les contrats des concessions récentes, la formule antérieure a été conservée, de sorte que des compensations n'interviennent que lorsque les modifications fiscales « sont de nature à substantiellement dégrader ou améliorer l'équilibre économique de la concession ».

Dans l'intérêt de l'État, les futurs contrats de concession devraient reprendre cette formule qui est plus protectrice des deniers publics .

Quant aux clauses de neutralisation de la réglementation technique , qui figurent à l'article 31 des contrats de concession historiques, elles sont absentes des nouveaux contrats.

Là encore, les formulations figurant dans les nouveaux contrats de concession devraient être reprises dans le cadre des futures concessions après 2032 .

Proposition n° 38 : ne prévoir une compensation de la fiscalité spécifique que si les modifications sont de nature à substantiellement dégrader ou améliorer l'équilibre économique de la concession.


* 316 Norton Rose Fulbright, Étude comparative du secteur autoroutier européen , juin 2020.

* 317 Éléments transmis au rapporteur par les services économiques extérieurs du ministère de l'économie et des finances.

* 318 Éléments transmis au rapporteur par les services économiques extérieurs du ministère de l'économie et des finances

* 319 Données fournies par la DGITM.

* 320 Voir infra .

* 321 Audition de M. Philippe Martin président de la section des travaux publics du Conseil d'État, le 11 mars 2020

* 322 Audition de M. Philippe Martin président de la section des travaux publics du Conseil d'État, le 11 mars 2020.

* 323 Audition de M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la relance, le 16 juillet 2020.

* 324 Des clauses de partage des fruits de la concession ont été introduites en 2015 dans les contrats de concession des sociétés historiques mais leur seuil de déclenchement, très élevé, est défini en valeur relative et elles sont conditionnées aux résultats.

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