Lecture d'un passage du prologue du livre Résistante de Jacqueline Fleury par Laurence Rossignol, vice-présidente de la Délégation aux droits des femmes

C'est pour moi une émotion et un honneur de lire devant vous toutes et tous ces premières lignes de Résistante .

Je vous ai rencontrée l'hiver dernier, chère Jacqueline Fleury, et j'ai aussitôt acheté votre livre... juste avant la fermeture des librairies en raison du confinement !

« Chaque nuit, je vois vos visages. Chaque nuit, j'entends vos voix. Chaque nuit, je vous sens, là, près de moi. Yvonne, Germaine, Geneviève, Andrée, Marguerite... Mes soeurs de combat, mes compagnes des ténèbres, vous n'êtes plus de ce monde, mais vous m'accompagnez, à tour de rôle. Comme toi, maman, qui es toujours à mes côtés, chaque minute qui passe et me rapproche de toi .

« Que diraient mes six petites-filles, mes sept arrière-petites-filles si elles vous voyaient comme je vous vois, si elles vous entendaient comme je vous entends ? Elles qui pénètrent de plain-pied dans ce XXI e siècle dans lequel les luttes des femmes occupent une place majeure... Se souviendront-elles que lorsque nous sommes entrées dans la Résistance contre l'occupant nazi, nous n'avions pas le droit de vote - nous ne l'obtiendrons qu'en 1944 - ni même la possibilité d'ouvrir un compte en banque sans l'autorisation de notre conjoint - nous ne le pourrons qu'en 1965 ?... Nous nous sommes engagées pour la liberté, nous avons été déportées dans les camps pour cela, et nous n'avions pas les mêmes droits que les hommes... »

(Applaudissements)

I. Témoignage de Jacqueline Fleury

1. L'engagement dans la Résistance :
comment devient-on résistant ?

Échange avec Laure Darcos, vice-présidente de la délégation

Laure Darcos , vice-présidente . - Je m'associe aux propos de ma collègue Laurence Rossignol : c'est un grand honneur que vous nous faites, chère Jacqueline Fleury, en étant présente ici aujourd'hui.

Dès 1941 - vous êtes encore lycéenne - vous commencez à effectuer des missions par l'intermédiaire d'un de vos professeurs membre de la Résistance. Comment, concrètement, s'est passé cet engagement ? Comment devient-on résistant ? Pouvez-vous également nous expliquer en quoi consistaient vos missions ?

Jacqueline Fleury . - Ma famille maternelle avait beaucoup souffert entre 1914 et 1918. Mon grand-père était resté déporté pendant toute la durée de la guerre ; ma mère avait été emprisonnée avec sa belle-mère et sa petite soeur. La famille a tout perdu, le département de l'Aisne ayant subi très durement tous les combats.

Au début de la Seconde Guerre, lorsque les Allemands ont pénétré sur le territoire national, pour nous - pour ma mère en particulier - ce fut un drame ; voir revenir l'ennemi était un événement inacceptable. J'avais entendu les récits de ma mère, nous étions en quelque sorte préparés...

Mon professeur de lettres et de latin-grec, très tôt résistante, notamment dans le réseau Résistance , m'a demandé de lui rendre quelques services très particuliers : porter des lettres, aller à Paris chercher des renseignements... Puis, très vite, j'ai été en contact avec une amie entrée dans le grand mouvement Défense de la France - il publiait un journal qui allait avoir une grande importance, particulièrement dans les régions de Paris et de Lyon. Je suis donc devenue membre de ce mouvement, m'occupant du transport et de la diffusion du journal dans la région parisienne, aux usines Renault... C'était dangereux et il y a eu en 1943 beaucoup d'arrestations. J'ai alors rejoint mon frère dans le réseau de renseignement Mithridate .

Laure Darcos, vice-présidente . - Comment ce professeur a-t-il décelé en vous la capacité à prendre un tel engagement ?

Jacqueline Fleury . - Comme je n'aimais guère le latin et le grec, ma mère m'a fait donner des leçons particulières et m'accompagnait chez ce professeur ; il y a eu un contact entre ces deux femmes, qui sont devenues ensuite de très grandes résistantes.

Laure Darcos , vice-présidente . - Comment se passaient vos missions ? Comment circuliez-vous pour diffuser le journal ?

Jacqueline Fleury . - Habitant Versailles, j'empruntais les rares trains de banlieue ainsi que le métro - celui-ci s'arrêtait en cas d'alerte : je me souviens avoir parcouru tous les tunnels à pied entre Concorde et Saint-Lazare, où l'on espérait trouver un train. Les wagons n'étaient pas chauffés l'hiver, et j'ai beaucoup souffert du froid.

Laure Darcos , vice-présidente . - À quels moments avez-vous eu peur ?

Jacqueline Fleury . - J'ai souvent eu peur, c'était le lot de tous les résistants. Peur d'être arrêtée par la police française, ou pire, par la Gestapo, présente dans toutes les gares parisiennes.

Laure Darcos , vice-présidente . - La plupart des membres de votre famille étaient résistants : vos parents, votre frère...

Jacqueline Fleury . - Mon frère a été très tôt résistant - sa contribution était précieuse, car il parlait l'allemand couramment ! Il a essayé, comme bien des gens, de gagner l'Angleterre et la France libre, mais l'un de ses amis du réseau CND-Castille 14 ( * ) lui a dit : « C'est important d'avoir sur le terrain, en France, des personnes parlant allemand ».

Laure Darcos , vice-présidente . - Au sein de votre famille, partagiez-vous des renseignements, ou chacun avait-il ses missions et son réseau ?

Jacqueline Fleury . - Chacun avait ses missions. Lorsque j'ai rejoint le réseau Mithridate , je devais trouver à la maison un endroit pour émettre, ce qui n'était pas facile. Nous accueillions aussi chez nous des personnes recherchées par la Gestapo - ce qui représentait un effort considérable, car ces personnes étaient autant de bouches supplémentaires à nourrir, en ces temps si difficiles...

Laure Darcos . - Après la guerre, vos enfants, puis vos petits-enfants, vous ont-ils posé des questions, ou leur avez-vous parlé spontanément de cette période ?

Jacqueline Fleury . - Mes fils me posaient beaucoup de questions, ma fille aussi, qui m'accompagne cet après-midi. Ce ne sont pas des sujets faciles...

Laure Darcos . - Des femmes déportées m'ont dit combien il était difficile d'expliquer cette expérience.

Je vous remercie très chaleureusement pour votre témoignage.


* 14 CND : « Confrérie Notre-Dame ».

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