II. DES NÉGOCIATIONS EUROPÉENNES INFLUENCÉES PAR LES POSITIONS SÉNATORIALES

1. Rappel sur les propositions de résolution européenne

L' article 88-4 de la Constitution permet au Sénat, comme à l'Assemblée nationale, de voter des résolutions sur les textes européens avant qu'ils ne soient adoptés par les institutions européennes et deviennent des directives, des règlements ou des décisions de l'Union.

À cet effet, le Gouvernement doit soumettre au Sénat tous les projets d'acte de l'Union européenne, dès leur transmission au Conseil de l'Union. Mais le Sénat peut également, de sa propre initiative, et depuis la révision constitutionnelle de 2008, se saisir de « tout document émanant d'une institution de l'Union » , par exemple un rapport, un livre vert ou un document préparatoire.

La commission des affaires européennes est chargée d'examiner systématiquement les projets d'acte de l'Union soumis au Sénat par le Gouvernement afin de déterminer ceux d'entre eux qui ont un enjeu important et soulèvent d'éventuelles difficultés. Elle peut prendre l'initiative d'une résolution européenne, qui est alors soumise à l'approbation de la commission compétente au fond, ou de la séance plénière du Sénat.

LA RÉSERVE D'EXAMEN PARLEMENTAIRE

Afin de garantir la possibilité de prendre en compte les résolutions des assemblées , des circulaires du Premier ministre ont mis en place une « réserve d'examen parlementaire » .

Ce mécanisme assure au Sénat (comme à l'Assemblée nationale) un délai de huit semaines pour manifester sa volonté de se prononcer sur un projet d'acte législatif européen. Lorsqu'une telle volonté s'est clairement manifestée, le Gouvernement doit éviter de prendre une position définitive au Conseil et, si nécessaire, doit proposer un report du vote du Conseil pour que la résolution puisse être prise en compte.

À titre d'illustration, sur la période allant du 1 er octobre 2019 au 30 septembre 2020, la commission des affaires européennes a été saisie de 852 textes européens et en a traité 795. Parmi ceux-ci, 402 (50,6 %) relèvent d'une procédure de levée automatique de la réserve parlementaire 12 ( * ) , sauf décision de la commission de les examiner dans un délai de 72 heures. Par ailleurs, 393 textes (49,4 %) se situent en dehors de cette procédure, dont 202 textes (25,4 % du total) ont été soit examinés en commission, soit traités en procédure écrite.

Ces différents chiffres sont récapitulés dans le tableau ci-après :

Textes traités sur la session 2019-2020

795

Procédure 72 h

Nominations

132

PESC

227

Virements

27

TVA

13

Fonds européen d'ajustement à la mondialisation

3

402

Levée tacite hors PESC

191

Procédures écrites/textes examinés en commission

202

393

Par une résolution européenne, le Sénat prend position sur un texte à l'intention du Gouvernement , en lui indiquant des objectifs à poursuivre pour la négociation au sein du Conseil.

Mais que fait le Gouvernement des résolutions européennes votées par le Sénat ?

Ce rapport démontre que les résolutions européennes du Sénat ont des conséquences directes sur les négociations conduisant à l'élaboration de la législation européenne, qui, du fait de l'applicabilité directe des règlements et de la transposition des directives, a des incidences évidentes sur la législation française.

2. Les suites données aux résolutions européennes du Sénat

Les suites données aux résolutions européennes votées par le Sénat ne sont pas encore nécessairement toutes connues , dès lors que l'état d'avancement des négociations varie d'un dossier à l'autre.

Surtout, les résolutions du Sénat peuvent connaître des suites d'autant plus favorables qu'elles sont mises en avant, voire soutenues par le Gouvernement au cours des négociations au Conseil.

Enfin, les suites données s'apprécient différemment selon le texte de la résolution elle-même qui peut porter sur un sujet plus ou moins circonscrit et sur un projet d'acte de nature législative ou non. Ainsi, certaines résolutions poursuivent un dessein plus général, par exemple lorsqu'il s'agit de se positionner dans un débat public. Il est dès lors logique que l'information sur leur suivi revête une dimension moins opérationnelle.

D'une façon quelque peu schématique, il est possible de classer les résolutions européennes du Sénat en trois catégories quant aux suites qu'elles ont reçues : une prise en compte complète, ou presque complète, une mise en oeuvre partielle et une absence de suites.

a) Le Sénat a été totalement ou très largement suivi dans près de 30 % des cas

Sur les dix-sept résolutions européennes analysées dans le présent rapport, cinq, soit plus de 29 % , c'est-à-dire dix-sept points de moins que l'année dernière, ont été prises totalement ou très largement en compte au cours des négociations, voire dans le texte européen définitif.

• Les positions défendues par le Sénat dans sa résolution européenne tendant à garantir, au sein de la politique agricole commune (PAC), le système d'autorisation préalable de plantation viticole jusqu'en 2050 ont été soutenues par les autorités françaises, qui les portent dans les négociations sur la réforme de la PAC, mais n'ont pas encore complètement prospéré.

Le 19 décembre 2019, la France a pris l'initiative d'une déclaration conjointe avec les ministres de l'agriculture d'Allemagne et d'Espagne sur les objectifs et les ambitions de la future PAC. Ce texte a notamment demandé la prolongation du régime des autorisations de plantation au-delà de 2030 de façon à offrir une perspective de long terme aux agriculteurs dans leurs choix d'investissements. Lors des négociations au Conseil, la France a obtenu que le système d'autorisation préalable de plantation viticole soit prolongé jusqu'au 31 décembre 2045. Elle en a d'ailleurs fait une ligne rouge dans la toute dernière phase des négociations et ce résultat peut être considéré comme un compromis, concédé par la présidence allemande du Conseil, avec les positions de l'Italie et de la Commission, qui étaient réticentes à une prolongation jusqu'en 2050. Le Parlement européen soutient, pour sa part, une extension jusqu'en 2050. Le premier trilogue sur le règlement « Omnibus » s'est tenu le 2 décembre 2020, mais un accord reste encore à trouver sur les autorisations de plantation, bien qu'il semble y avoir une convergence de vues entre le Conseil et le Parlement européen, la Commission demeurant encore réticente. Les discussions portent également sur l'évaluation à mi-parcours du dispositif, prévue pour 2023.

• La résolution du Sénat sur le mandat de négociation du nouveau partenariat Union européenne-Royaume-Uni peut être considérée, compte tenu de la difficulté de ces négociations ayant abouti à l'accord du 24 décembre 2020 et de la sensibilité politique du Brexit, comme ayant globalement été suivie d'effet.

L'accord de commerce et de partenariat permet la mise en place d'une zone de libre-échange entre l'Union européenne et le Royaume-Uni, garantissant l'absence de quotas et de droits de douane. En contrepartie, le Royaume-Uni s'engage à ce que l'octroi des aides États soit encadré par des principes communs, et à ce que le niveau de protection règlementaire applicable dans l'Union européenne avant la fin de la période de transition soit garanti en matière de normes sociales et environnementales. L'accord contient également une clause sur le prix du carbone et la mise en place par le Royaume-Uni d'un système de taxation du carbone équivalent à celui qui prévaut dans l'Union. Les autorités françaises, conformément à la position du Sénat, ont appelé l'Union à prévoir un mécanisme de mesures compensatoires efficaces et dissuasives. En matière de règles d'origine, la France a demandé à l'Union d'exclure toute demande de cumul étendu ou diagonal, qui assouplirait de façon transversale ces règles d'origine, et de s'en tenir au principe du cumul bilatéral. Ainsi, ce chapitre de l'accord apporte une protection contre le risque de voir le Royaume-Uni devenir une plateforme de réexportation. Les dispositions sur les contrôles sanitaires et phytosanitaires et les obstacles techniques au commerce sont conformes à la pratique européenne des accords commerciaux.

Comme le demandait le Sénat, le volet relatif à la pêche a été intégré à l'accord de commerce et de coopération. Il prévoit une période de cinq ans et demi pendant laquelle la continuité des accès aux eaux britanniques est garantie, avec une diminution progressive des quotas européens de 25 %. Après le 30 juin 2026, l'accès aux eaux et aux ressources reposera sur un régime de négociation annuel. En cas de remise en question des accès à l'issue de cette période, les parties peuvent adopter des mesures compensatoires. L'accord prévoit une clause de réexamen : si l'une des parties estime que l'accord ne permet pas un juste équilibre des droits et obligations, elle pourra engager une révision de l'accord, si nécessaire en menaçant de dénoncer son volet commercial. Au-delà de l'accès quantitatif relatif aux eaux et aux ressources, trois points ont été défendus : la prévisibilité dans la fixation des volumes de captures, sur la base de stratégies de long terme ; un socle de normes techniques communes dans la durée ; une gouvernance crédible et performante. Le maintien d'une répartition des futures possibilités de pêche selon le principe de la stabilité relative, et non de l'attachement zonal, défendu par le Royaume-Uni, a également été porté par la France.

Concernant les relations en matière de services financiers, l'Union européenne conserve son autonomie pour attribuer les décisions d'équivalence. La stabilité financière de l'Union a guidé les négociations, justifiant l'octroi de deux décisions d'équivalence avant la fin des négociations (sur les chambres de compensation et sur les dépositaires centraux de titres), soutenues par la France. En revanche, aucune décision d'équivalence n'a été octroyée en matière de trading , témoignant de la volonté de rééquilibrage du paysage financier européen au profit du continent, défendue par le Sénat. Un protocole d'accord sur la coopération en matière de services financiers est prévu pour être négocié d'ici fin mars 2021.

En matière de propriété intellectuelle, la France a défendu la protection des indications géographiques futures, mais ce sujet ne figure pas dans l'accord. Par conséquent, si la protection des indications géographiques existantes au 31 décembre 2020 est couverte par l'accord de commerce et de coopération, les futures indications géographiques protégées par l'UE ne seront pas reconnues par le Royaume-Uni.

La poursuite des échanges de données personnelles avec le Royaume-Uni pourra faire l'objet de deux décisions d'adéquation, l'une au titre du règlement général sur la protection des données (RGPD), et l'autre au titre de la directive police-justice, qui sanctionneront l'existence au Royaume-Uni d'un niveau de protection équivalent aux exigences du droit européen en matière de protection des données à caractère personnel.

Sur le changement climatique et l'environnement, la France a défendu l'inscription dans l'accord du principe de non-régression en matière environnementale. Le respect de l'accord de Paris et sa mention parmi les clauses essentielles ont également fait partie des objectifs de négociation français.

Pour ce qui concerne les transports, la clarification du positionnement des holdings susceptibles de contrôler à la fois un transporteur extérieur à l'Union européenne et un ou plusieurs transporteurs faisant partie de l'Union n'a pas figuré parmi les priorités défendues par les autorités françaises. En matière de transport routier de marchandises, l'accord autorise les opérations bilatérales, le transit et les retours à vide liés à ces opérations, permettant de maintenir l'efficacité des liaisons passant à la frontière Nord de la France. La question des zones franches ne faisaient pas partie des négociations européennes. Le statut du tunnel sous la Manche fait l'objet d'une négociation ad hoc , au cours de laquelle les autorités françaises défendent le maintien d'un régime unifié de sécurité afin de garantir la fluidité de la circulation. Le chapitre relatif à la sécurité aérienne prévoit des échanges d'informations entre l'agence européenne et son homologue britannique.

Sur la sécurité intérieure et la coopération judiciaire, l'accord crée un cadre inédit de coopération entre l'Union européenne et un pays tiers ; et met en place un partenariat approfondi avec Europol, allant jusqu'à la possibilité d'envisager un arrangement administratif permettant l'échange de données personnelles, et avec Eurojust. Le Royaume-Uni ne disposera cependant plus d'un accès direct et en temps réel aux bases de données de l'Union. La mention de la convention européenne des droits de l'Homme comme illustration de l'attachement des parties aux droits fondamentaux était une ligne rouge de la France, défendue avec succès. Bien que défendues par la France, les dispositions en matière d'asile et de migration n'ont pas été intégrées au mandat de négociation, ni à l'accord.

La France était favorable à l'intégration d'un volet relatif à la politique étrangère, de sécurité et de défense, sous réserve qu'il préserve l'autonomie de décision de l'Union européenne et de ses États membres. Cependant, l'accord ne prévoit aucun partenariat de la sorte. Les modalités de coopération en cette matière entre l'Union européenne et le Royaume-Uni ne sont par conséquent pas définies, et ce sujet pourra éventuellement faire l'objet de coopérations bilatérales entre la France et le Royaume-Uni.

L'accord prévoit un mécanisme général de règlement des différends, proche de celui de l'accord de retrait, qui offre la possibilité de conduire une procédure donnant lieu à l'arbitrage d'un panel dans des délais relativement brefs. Ce mécanisme a vocation à s'appliquer à l'ensemble de l'accord de partenariat, ainsi qu'aux accords additionnels. Plusieurs pans de l'accord échappent toutefois à l'application de ce mécanisme : le partenariat en matière de coopération policière et judiciaire, qui comprend un mécanisme de règlement des litiges spécifique, les différentes dispositions du level playing field , la coopération thématique (par exemple, la santé et la cybersécurité) ou encore les dispositions institutionnelles fondamentales. Les parties peuvent également adopter des mesures autonomes unilatérales dans certains domaines ( level playing field et pêche) pour compenser dans les meilleurs délais le non-respect, par l'une des parties, de ses obligations. Enfin, conformément à la ligne rouge britannique, l'accord ne fait aucune mention de la Cour de justice de l'Union européenne. En conséquence, et afin de préserver la compétence de la CJUE sur l'interprétation du droit de l'Union, toutes les références à cette dernière ont été supprimées de l'accord.

Concernant le suivi de l'accord de retrait, la France a participé à toutes les réunions du comité mixte, instance principale de suivi et de décision de l'accord de retrait. La communication en direction des ressortissants britanniques qui résident en France a été renforcée au moment de l'ouverture de la plateforme numérique de demande des titres et en prévision de la fin de la période de transition.

• Les objectifs poursuivis par la résolution visant à améliorer la lutte contre la fraude aux financements européens dans le cadre des politiques de voisinage ont été soutenus par les autorités françaises et ont progressé dans les négociations.

Rappelons que, le 23 mai 2018, la Commission a présenté une proposition visant à modifier le règlement du 11 septembre 2013 relatif aux enquêtes effectuées par l'Office européen de lutte antifraude (OLAF), avec deux objectifs principaux : d'une part, permettre à l'OLAF d'adapter son travail à la création du Parquet européen, et, d'autre part, renforcer l'efficacité des enquêtes de l'OLAF. Le Conseil a adopté sa position sur ce texte le 4 décembre 2020, et le Parlement européen l'a adopté le 17 décembre suivant. Les dispositions relatives aux relations avec le Parquet européen s'appliqueront à partir de la date à laquelle le Parquet européen débutera ses enquêtes et poursuites, soit en principe au début de cette année. Pour ce qui concerne le nouvel instrument de voisinage, de développement et de coopération internationale (IVDCI), les négociations entre le Parlement européen et le Conseil devraient aboutir au cours du premier semestre 2021.

Au cours des négociations sur la révision du règlement OLAF, la France a appuyé la mise en place de nouvelles règles définissant la manière dont l'OLAF et le Parquet européen travailleront ensemble. Celles-ci comprennent notamment :

- des dispositions permettant à l'OLAF de rendre compte au Parquet européen de tous les cas qu'il considère comme relevant de la compétence de celui-ci, tandis que le Parquet informera l'OLAF des cas concernant des activités illégales portant préjudice au budget de l'Union européenne qui ne relèvent pas de son mandat ;

- une définition claire des rôles complémentaires des deux organes : l'OLAF se concentrera sur les mesures à prendre pour recouvrer les fonds détournés et sur les mesures administratives visant à protéger le budget contre la fraude, tandis que le Parquet européen se concentrera sur la conduite d'enquêtes visant à établir la responsabilité pénale.

Les autorités françaises ont également soutenu l'introduction de dispositions permettant de renforcer la manière dont l'OLAF peut mener ses propres enquêtes :

- des règles simplifiées pour les contrôles et inspections sur place afin de lui permettre d'exercer ses pouvoirs d'enquête de manière plus efficace et cohérente dans tous les États membres ;

- un accès aux informations relatives aux comptes bancaires par l'intermédiaire des autorités nationales compétentes ;

- le renforcement de la coopération entre l'OLAF et les autorités nationales compétentes avant, pendant et après une enquête.

Dans le cadre des négociations sur le règlement IVDCI, les autorités françaises soutiennent les dispositions visant à renforcer le contrôle de l'Union européenne sur les financements alloués dans le cadre de la politique extérieure de l'Union européenne, y compris sur les fonds alloués aux pays bénéficiaires de la politique européenne de voisinage. Par ailleurs, les autorités françaises se montrent vigilantes sur la place et le rôle de la comitologie et des États membres dans la gouvernance de cet Instrument.

• De nombreuses positions exprimées dans la résolution sur l'évaluation des technologies de santé ont connu des avancées au cours des négociations.

Dès le début des discussions, la France avait exprimé de fortes réserves sur la proposition de la Commission, qui avait d'ailleurs suscité des avis motivés au titre du contrôle de subsidiarité de la part de plusieurs parlements nationaux, dont les parlements allemand et français. Plusieurs dispositions importantes nécessitaient en effet des ajustements : le caractère obligatoire de la participation et de la reprise des travaux d'évaluation, la répartition des compétences, la base juridique, la gouvernance, le rôle de l'industrie et la nécessité de disposer de données robustes. Les autorités françaises ont souligné le lien étroit entre l'évaluation des produits de santé et les décisions de prise en charge des produits, ainsi que la négociation des prix, sujets relevant de la compétence nationale. À cet égard, les principes de reprise obligatoire des rapports conjoints d'évaluation clinique et de leur non-reproduction ont constitué des points particulièrement critiques pour la France tout au long des négociations.

De longues négociations sous présidence finlandaise du Conseil, aboutissant à un texte très éloigné des positions initiales de la Commission et du Parlement européen, notamment sur l'obligation des États membres d'utiliser les évaluations communes et sur le rôle de la Commission, ont permis de réduire les divergences au sein du Conseil. Les négociations se sont poursuivies sous les présidences croate puis allemande, sur plusieurs sujets : le caractère contraignant des évaluations, le rôle de la Commission, le champ des produits couverts, le cadre méthodologique et la base juridique. La présidence allemande a présenté une nouvelle rédaction du règlement fin décembre 2020. Les négociations continueront sous présidence portugaise.

Dans sa résolution, le Sénat a souhaité que le règlement précise que les États membres « utilisent » et non « appliquent » les évaluations cliniques communes et qu'ils soient autorisés à effectuer une évaluation clinique complémentaire s'ils estiment que certaines études objectives et fiables n'ont pas été prises en compte ou que les études prises en compte n'ont pas été faites dans les conditions de transparence et d'indépendance prévues. Il s'agirait également que les résultats des évaluations cliniques communes ne puissent préjuger du résultat de l'évaluation globale faite par un État membre. Les autorités françaises ont défendu ces positions et obtenu satisfaction afin que le cadre méthodologique défini au niveau européen ne s'impose pas aux États membres, ni aux évaluations nationales. De surcroît, elles souhaitent que, pour plus de clarté, soit précisé dans le texte que les résultats des évaluations cliniques communes ne sauraient préjuger du résultat de l'évaluation globale faite par un État membre.

Par ailleurs, le Sénat a demandé que le règlement soit pris, non seulement sur le fondement de l'article 114 du TFUE, relatif au marché intérieur, mais aussi de l'article 168, portant sur la santé publique ; que le champ des technologies à évaluer en commun soit, dans un premier temps, limité pour permettre la mise en place de pratiques garantissant la qualité des évaluations ; et que les technologies de santé émergentes à un stade peu avancé de leur développement et pouvant avoir une incidence majeure sur la santé des patients soient bien prises en compte.

Au cours des négociations, les autorités françaises ont soutenu l'introduction d'une double base légale, avec l'ajout d'une référence à l'article 168 qui permet de rappeler les compétences nationales. En particulier, l'article 168, paragraphe 7, prévoit que « l'action de l'Union doit être menée dans le respect des compétences des États membres en ce qui concerne la définition de leur politique de santé, ainsi que l'organisation et la fourniture de services de santé et de soins médicaux. Ces compétences incluent l'allocation des ressources notamment financières affectées aux soins ». La base juridique du texte pourrait effectivement être finalement élargie à l'article 168, même si le service juridique du Conseil est plutôt favorable à une seule base juridique, à savoir l'article 114.

Pour ce qui concerne le champ des évaluations, les autorités françaises ont proposé de le réduire dans un premier temps aux nouveaux médicaments anti-cancer, en excluant les extensions d'indication, tout en introduisant une certaine flexibilité, en fonction notamment de la charge de travail des agences d'évaluation. Ces questions restent en cours de négociation, mais le champ des produits couverts devrait être fixé par aire thérapeutique et être adapté en fonction de la charge de travail du groupe de coordination et de l'arrivée sur le marché de produits particulièrement innovants.

À ce stade, des avancées ont donc été obtenues, qui vont sans le sens de la résolution sénatoriale. Le caractère non-contraignant des évaluations pourrait faire l'objet d'un relatif consensus au Conseil. Le rôle de la Commission a été réduit au profit d'un groupe de coordination réunissant les agences des États membres.

Au cours de son audition, le secrétaire d'État l'a confirmé : « Pour l'instant, un consensus se dégage au Conseil sur le refus d'une évaluation trop contraignante et sur le maintien de la subsidiarité nécessaire, pour que nos politiques de remboursement ne soient pas remises en cause et pour que nous puissions continuer de les déterminer au niveau national ». Il a ajouté : « Quant à la nécessité de produire un texte législatif suffisamment précis pour ne pas laisser trop de marges de manoeuvre à la Commission sur de tels enjeux, nous y sommes favorables. La confiance n'exclut en effet pas le contrôle. Je crois à l'Europe de la santé, mais cela ne signifie pas qu'il faut européaniser toutes les politiques de santé. Concentrons-nous sur quelques actions structurantes comme l'acquisition de vaccins et de matériel médical, ou bien encore l'harmonisation de certaines données. Initialement, l'Allemagne, l'Espagne et la France ne savaient pas recenser les cas de Covid de manière harmonisée, ce qui nuisait aux comparaisons qu'il fallait établir ».

Les négociations restent ouvertes sur : les modalités de publication du rapport d'évaluation et ses conséquences juridiques, la formalisation de la contribution de la Commission au titre de son rôle de vérification des procédures, les modalités de vote au sein du groupe de coordination, la répartition entre législation primaire et législation secondaire, et la gestion et la prévention des conflits d'intérêt. Les autorités françaises sont notamment favorables à un nombre limité d'actes de mise en oeuvre et à ce que la description des éléments méthodologiques soit limitée à des principes généraux, plusieurs dispositions du règlement étant de nature méthodologique et évolutives, par conséquent appelées à être actualisées par le groupe de coordination.

• La résolution du Sénat sur la lutte contre la cybercriminalité , qui couvrait de nombreux sujets, a connu des développements très positifs.

Sur les ressources financières nécessaires à la lutte contre la cybercriminalité, la proposition de règlement établissant le Fonds pour la sécurité intérieure, présentée par la Commission au titre du cadre financier pluriannuel 2021-2027, couvre plusieurs aspects de la sécurité tels que la lutte contre le terrorisme et la radicalisation, la criminalité organisée, la cybercriminalité ou encore la protection des victimes. Les autorités françaises sont restées vigilantes, au cours des négociations, sur la prise en compte des enjeux de lutte contre la cybercriminalité et sur la nécessité de disposer d'un fonds souple et facilement mobilisable permettant de financer des équipements innovants.

Pour ce qui concerne le retrait des contenus terroristes en ligne, un accord a été trouvé, le 10 décembre dernier, entre le Parlement européen et le Conseil. Ce texte de compromis préserve les points de vigilance des autorités françaises : la suppression effective des contenus à caractère terroriste dans le délai d'une heure après leur publication, l'effet exécutoire et transfrontière des injonctions de retrait, le libre choix, par les États membres, de l'autorité compétente pour émettre les injonctions de retrait, et l'existence de mesures préventives imposées aux plateformes.

Sans avancée concrète depuis 2017, les débats sur les défis posés par le chiffrement ont repris récemment à la faveur des travaux du coordinateur européen de la lutte contre le terrorisme, M. Gilles de Kerchove, et des DG HOME et JUST de la Commission. Ce travail a abouti à une résolution du Conseil sur le chiffrement. Un consensus s'est dessiné pour préserver les capacités d'investigation des services répressifs malgré cette technologie, tout en garantissant une approche respectueuse des droits fondamentaux. Cette réflexion pourrait ouvrir la voie à des travaux législatifs à venir sur ce sujet.

Le rôle d'Europol dans la lutte contre la cybercriminalité devrait être renforcé par la récente proposition de révision de son mandat. L'objectif est de mieux prendre en compte les menaces émergentes et de renforcer les moyens de l'agence pour y faire face, par exemple en améliorant la coopération avec les pays tiers. De même, les autorités françaises soutiennent le développement de l'EU IRU 13 ( * ) . Par ailleurs, la France soutient également le projet de Laboratoire d'innovation au sein d'Europol, porté par le Conseil. Ce laboratoire aurait pour mission de surveiller les développements technologiques et de conduire l'innovation dans le domaine de la sécurité intérieure, contribuant ainsi à renforcer la coordination des acteurs de ce domaine et éviter de doublonner les structures existantes. Il convient désormais de rendre ce Laboratoire opérationnel. Le centre européen de lutte contre la cybercriminalité (EC3), interne à Europol, serait un partenaire majeur du Laboratoire. Enfin, la révision du mandat d'Europol devrait également donner lieu à un assouplissement du régime d'échange de données avec les parties privées. Il est en effet primordial d'assurer un bon niveau de coopération avec les grandes plateformes pour mieux prévenir, détecter et lutter contre les contenus illicites.

Sur la coopération judiciaire et pénale, l'Union européenne, dans les négociations sur le deuxième protocole à la convention de Budapest du Conseil de l'Europe relatif à l'accès à la preuve électronique, cherche à harmoniser les pratiques et à garantir la compatibilité avec son droit interne et la protection des droits fondamentaux. Un projet complet devait être finalisé en février 2021 pour consultations puis, après la procédure interne au Conseil de l'Europe, le texte devrait être ouvert à la signature en novembre prochain, à l'occasion du 20 e anniversaire de la convention de Budapest.

Pour ce qui concerne la collecte des données, les propositions de règlement et de directive sur l'accès transfrontière aux preuves électroniques permettraient d'instaurer un pouvoir direct de réquisition judiciaire transfrontière à destination des fournisseurs de services Internet, ce qui présenterait un intérêt opérationnel majeur compte tenu de l'importance prise par l'accès aux éléments de preuve électronique dans le cadre des enquêtes transnationales. Selon M. Clément Beaune, « ce règlement évitera des délais de prescription ou d'ajournement de l'enquête. Il est un élément très puissant d'intégration des pouvoirs d'enquête à l'échelle européenne. Éric Dupont-Moretti est très engagé sur ce point et souhaite avancer au plus vite sur la question de la preuve électronique, tout en respectant la protection des données et l'indépendance de l'autorité judiciaire dans chaque État. J'espère que le règlement aboutira rapidement, avant même le début de la présidence française ».

L'enjeu est de finaliser les négociations sur ces textes qui constitueraient un dispositif supplémentaire de lutte contre le terrorisme, dans les meilleurs délais, en veillant à préserver leur efficacité opérationnelle. Sur la conservation des données, il convient de rappeler que les décisions de la CJUE rendues à la suite de l'arrêt Tele2 ont sensiblement affecté les capacités opérationnelles des services judiciaires et d'investigation des États membres. Or, la conservation des données est essentielle dans la prévention et la répression des infractions, notamment de terrorisme. Les autorités françaises disent explorer les voies juridiques permettant de préserver les capacités opérationnelles des services, en lien avec les États membres.

L'extension au terrorisme du champ de compétences du Parquet européen, institué sous la forme d'une coopération renforcée réunissant 22 États membres, a été envisagée dans une communication de la Commission du 12 septembre 2018, avec pour perspective 2025. À moyen terme, l'enjeu est naturellement de tout mettre en oeuvre pour que le Parquet européen débute ses activités dans les délais prévus et monte en puissance de façon à devenir pleinement opérationnel et à démontrer sa valeur ajoutée en matière de protection des intérêts financiers de l'Union. La démonstration de son efficacité apparaît comme la condition du passage à une nouvelle étape de son développement, permettant éventuellement l'extension de son champ de compétence à la lutte contre le terrorisme et les formes graves de criminalité, perspective que la France appelle de ses voeux. En l'état, la centralisation au Parquet européen des affaires transfrontalières de cybercriminalité n'a pas été évoquée.

Enfin, sur les relations en ce domaine avec le Royaume-Uni, le secrétaire d'État a indiqué que « l'accord post-Brexit du 24 décembre prévoit un dialogue régulier en matière de cybersécurité et un engagement à poursuivre la coopération euro-britannique dans les enceintes internationales. Nous devons continuer de travailler à établir une coopération digne de ce nom avec le Royaume-Uni, en matière de sécurité et de défense, dans le respect des règles. Nous y oeuvrons ».

b) Le Sénat a été partiellement suivi dans plus de la moitié des cas

Sur les dix-sept résolutions européennes devenues définitives entre le 1 er octobre 2019 et le 30 septembre 2020, neuf, soit 53 %, n'ont été que partiellement prises en compte , soit parce que le Gouvernement n'a pas nécessairement partagé les positions du Sénat, soit, le plus souvent, parce que des divisions au Conseil ont conduit à des compromis éloignés des résolutions sénatoriales.

• Les positions exprimées par le Sénat dans sa résolution sur les enfants privés de tout lien avec leur parent européen à la suite d'un enlèvement commis par leur parent japonais n'ont été que partiellement reprises.

La question avait retenu l'attention internationale en 2019 après que la Chancelière Angela Merkel, le Président Emmanuel Macron et le Président du Conseil italien Giuseppe Conte se furent entretenus sur cette question douloureuse avec le Premier ministre japonais Shinzo Abe. À l'occasion de sa première visite officielle au Japon, les 26 et 27 juin 2019, le Président de la République a évoqué avec le Premier ministre japonais les « situations inacceptables » vécues par des enfants binationaux et leurs parents français.

Plusieurs actions ont été menées, qui vont dans le sens de la résolution européenne du Sénat.

Le 31 janvier 2020, lors de la deuxième réunion du comité mixte institué par l'accord de partenariat stratégique entre l'Union européenne et le Japon de 2018, l'Union a invité le Japon à améliorer son cadre juridique et l'application effective de celui-ci afin de garantir le respect des décisions judiciaires et de ses engagements internationaux, en particulier la convention relative aux droits de l'enfant et la convention sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants, dite convention de La Haye, auxquelles le pays est partie. L'Union a également insisté sur la nécessité de garantir l'intérêt supérieur de l'enfant et de respecter les droits de visite accordés aux parents.

Une plainte a également été déposée en 2020 auprès du Conseil des droits de l'Homme des Nations unies par des parents lésés, arguant que le Japon violait ces deux conventions.

Le 8 juillet 2020, le Parlement européen a adopté une résolution sur l'enlèvement parental international et national d'enfants de l'Union européenne au Japon afin d'alerter sur la recrudescence de cas d'enlèvements d'enfants par l'un des deux parents au Japon, appeler les autorités japonaises à mettre en oeuvre les règles internationales en matière de protection des enfants et à faire évoluer la législation japonaise afin de reconnaître la garde partagée.

En revanche, plusieurs points de la résolution européenne du Sénat n'ont pas été pris en compte, tels que l'établissement d'une liste européenne de pays ne se conformant pas aux obligations qui leur incombent en vertu de la convention de La Haye ou l'amélioration de l'accès des ressortissants européens et japonais à une information claire, transparente et objective en matière de droit de la famille.

• Le Sénat a également été en partie suivi sur ses deux résolutions relatives au cadre financier pluriannuel (CFP) 2021-2027 de l'Union européenne et au plan de relance .

On rappellera que le plan de relance européen a fait l'objet d'un accord lors du Conseil européen extraordinaire du 17 au 21 juillet 2020. Il se compose : d'une part, d'un instrument européen de relance, Next Generation EU , doté de 750 milliards d'euros (390 milliards de dotations et provisionnement de garanties et 360 milliards de prêts), destiné à rehausser pendant trois ans les programmes européens et financé par un emprunt européen permis par un rehaussement du plafond de ressources propres de l'Union ; d'autre part, du CFP 2021-2027 d'un montant de 1 074 milliards d'euros.

La résolution du Sénat avait approuvé l'économie générale de la proposition de plan de relance européen, qui reprenait les propositions de l'initiative franco-allemande du 18 mai 2020. Selon le SGAE, dont la fiche de suivi est plutôt succincte sur ce sujet pourtant important, les autorités françaises se sont attachées à défendre ce plan au cours des négociations et se félicitent de l'accord, qualifié d' « historique », conclu le 21 juillet 2020.

Pour la période 2021-2027, l'enveloppe de la PAC s'inscrirait en augmentation de 1,5 % en valeur par rapport à la période 2014-2020 : 291,1 milliards d'euros seront alloués au premier pilier et 95,7 milliards au second pilier, dont 8,2 milliards au titre de Next Generation EU (soit au total 386,8 milliards d'euros). Cette présentation mérite néanmoins d'être nuancée, car tout dépend de la base de référence choisie, alors que plusieurs propositions de budget de la future PAC se sont succédé depuis juin 2018. Au surplus, ces estimations ont été réalisées en euros courants, sans prendre en compte l'impact de l'inflation. Le think tank Farm Europe met en avant, pour sa part, une diminution des moyens de la PAC 2021/2027 à hauteur de 10,2 %, en euros constants par rapport à la période 2014/2020, en dépit de l'amélioration intervenue in fine grâce à l'accord du 21 juillet 2020 entre les chefs d'État ou de gouvernement sur le plan de relance et le CFP 2021/2027.

Les autorités françaises se sont également attachées à défendre les montants initialement proposés par la Commission pour le Fonds européen de défense et le programme spatial. L'objectif a été atteint pour le programme spatial, qui bénéficie de 13,2 milliards d'euros et connaît une hausse de 1,9 milliard d'euros par rapport au précédent CFP, en euros constants. En revanche, le résultat est décevant pour le Fonds européen de la défense. Le nouveau CFP lui affecte 8 milliards d'euros, en euros courants. C'est certes une première étape importante pour développer et renforcer la base industrielle et technologique de défense européenne, dans un domaine qui était auparavant essentiellement intergouvernemental, mais le montant obtenu est très en-deçà des 13 milliards d'euros initialement proposés par la Commission européenne et défendus par la France.

Par ailleurs, la suppression des rabais, qui figurait parmi les objectifs tant des autorités françaises que du Sénat, n'a pas abouti au cours des négociations.

Au cours de son audition, le secrétaire d'État a précisé que « le plan de relance doit être déboursé au cours des trois prochaines années, soit pendant la première partie du cadre budgétaire. Sur ces trois années, le cumul de ses crédits et de ceux du CFP représente un doublement du budget ordinaire de l'Union européenne par rapport à la période précédente en niveau annuel. Cet effort européen était nécessaire face à la crise que nous traversons. Je n'en souligne pas moins son caractère très ambitieux et significatif. Je crois que cela correspond aux priorités que vous exprimiez ».

En revanche, il a reconnu l'échec par rapport à l'objectif de réduire les rabais dont bénéficient certains États membres : « L'accord européen n'a pas permis de réaliser l'ambition commune du Sénat et du Gouvernement de baisser le taux de perception des droits de douane qui sont une forme - disons-le - de rabais pour certains pays, notamment la Belgique et les Pays-Bas. [...] Nous n'avons pas non plus réussi à mettre un terme au rabais, tout court, pour cinq pays. Je le regrette. Nous avons mené ensemble un combat gagnant, essentiel, qui, j'en suis convaincu, marquera l'Europe durablement, au-delà de cette crise : celui de la dette commune et de la capacité de relance européenne. Comme si c'était une forme de contrepartie, le maintien des rabais n'a pas été le combat gagnant de cette fois-ci - mais je crois qu'il peut l'être la prochaine fois ! Le débat sur les ressources propres sera aussi une occasion de remettre en cause l'ensemble du système de financement, et de ses aberrations, dont font partie les rabais. Cela prendrait effet après 2027, mais se prépare très en amont, dès aujourd'hui ».

Sur le plan de relance, M. Clément Beaune a indiqué que « nous finalisons notre plan de relance national, qui doit aussi être notifié formellement au niveau européen. Nous associons à ce travail, via le SGAE et en lien avec la ministre Jacqueline Gourault, les collectivités territoriales qui sont autorités de gestion des fonds européens, pour définir précisément les lignes directrices de ce plan. J'espère que, concrètement, de manière sonnante et trébuchante, les fonds européens du plan de relance arriveront dès le mois de mai en France et dans les autres pays européens. Ce n'est pas encore acquis, car nous devons nous assurer que les 39 parlements nationaux concernés dans les 27 États membres ratifient la décision sur les ressources propres. Ce processus, qui dure en période ordinaire deux ans, doit être mené en cinq mois. C'est long, et c'est très court par rapport à l'habitude ! [...] Les 13 % [des fonds du plan de relance] correspondent au préfinancement qui a l'avantage de pouvoir être décaissé dès que la ratification par les 27 est faite. La Commission a évidemment besoin, pour aller sur les marchés emprunter l'argent nécessaire au plan de relance, que les 27 aient achevé cette ratification. En attendant, elle se prépare en temps masqué, en quelque sorte. Mais le financement lui-même ne peut se faire qu'après cette ratification, qu'on espère au mois de mai ou début juin. Dès la ratification acquise, même si tous les plans de relance nationaux n'ont pas été validés, la Commission peut assurer le préfinancement, c'est-à-dire décaisser ces fameux 13 % de l'enveloppe totale de 750 milliards d'euros, et notamment des 390 milliards d'euros de subventions. Pour la France, cela représente un montant d'environ 5 milliards d'euros. Cet argent, la Commission ne l'affecte pas. Elle le verse aux autorités nationales en fonction des enveloppes auxquelles elles ont droit. Nous avons démarré le plan de relance avant ce versement, celui-ci vient, d'une certaine façon, en remboursement. Nous avons déjà dépensé 11 milliards d'euros... ». Le secrétaire d'État a expliqué que ces 5 milliards d'euros « sont défalqués des quelque 45 milliards d'euros que la France touchera [...]. En principe, en 2021, nous toucherons plus d'un tiers de l'enveloppe totale. Nous discutons avec Jacqueline Gourault pour que, dans la partie du plan de relance national de 100 milliards d'euros qui est territorialisée et, parfois, contractualisée avec les régions, on indique à ces dernières - c'est une exigence de leur part comme de l'Union européenne - ce qui relève du financement européen et du financement national. Certes, c'est une question de présentation - du point de vue économique, l'important est que nous recevions les 40 milliards d'euros d'argent européen. Cela permettra aux régions de savoir ce qui provient de l'Europe, en complément des fonds de cohésion, à travers le plan de relance européen ».

• Le Sénat a n'a été que partiellement suivi sur sa résolution sur le Fonds européen de la défense , si l'on en croit la fiche de suivi du SGAE, ici aussi incomplète faute de développements sur les dispositions de la résolution relatives aux objectifs du Fonds et sur les enjeux de sa gestion opérationnelle.

Après un accord partiel en avril 2019, qui, à ce stade, n'incluait pas les points sur les dispositions budgétaires et sur l'association d'États tiers, le mandat de négociation du Conseil sur le règlement instituant le Fonds européen de défense a été validé en COREPER, le 30 septembre 2020. Un accord avec le Parlement européen a été trouvé en trilogue, le 14 décembre suivant, puis adopté au COREPER du 18 décembre. Cet accord valide le montant négocié lors du Conseil européen de juillet 2020 et l'ouverture à la participation aux programmes du Fonds pour les États membres de l'Association européenne de libre-échange (AELE), qui sont également membres de l'Espace économique européen (EEE).

Au cours des négociations sur le règlement de ce Fonds, la France a soutenu les préconisations formulées dans la résolution européenne du Sénat, en particulier celles sur l'objectif général et sur les objectifs spécifiques. Après l'accord partiel de 2019, la France a veillé à ce que les points sur lesquels un accord avait été trouvé ne soient pas rouverts et que les négociations se concentrent sur les points ouverts sans introduire de nouvelles dispositions.

Pour ce qui concerne les moyens, la France a soutenu une enveloppe conséquente dédiée à ce Fonds. Ainsi qu'il a été exposé précédemment, les chefs d'État ou de gouvernement se sont accordés, lors du Conseil européen de juillet 2020, sur un montant bien inférieur, à hauteur de 8 milliards d'euros courants pour la période 2021-2027, confirmé par l'accord du 10 novembre 2020 sur le CFP entre le Conseil et le Parlement européen. Sur cette question, M. Clément Beaune a indiqué : « Nous visions un peu plus de 10 milliards d'euros, jusqu'à 13 milliards d'euros même, et nous avons fini à 8 milliards en euros courants. C'est moins que ce que nous aurions souhaité, mais il faut le prendre comme une étape essentielle. Pour avoir assisté à la négociation budgétaire en détail, je peux vous dire que peu d'États en faisaient une priorité - mais aucun État n'en contestait le principe. Il faudra faire vivre ce fonds pour montrer son utilité. Il témoigne en tous cas, en matière d'Europe de la défense, d'une avancée absolument cruciale, depuis quatre ou cinq ans, dans un domaine longtemps tabou ». Il a rappelé le contexte de ces négociations : « Je ne crois pas que nos principaux partenaires, et notamment l'Allemagne, manquent d'ambition sur ce sujet. Simplement, nous n'avons pas le même rapport à l'Europe de la défense et à l'autonomie stratégique, ni à nos armées. Cela dit, l'engagement allemand à l'extérieur, y compris au Sahel, a progressé, même si ce n'est pas sur les mêmes missions que nous. Même remarque pour des pays qu'on aurait pu estimer extrêmement loin de nos préoccupations de sécurité et d'engagement militaire, comme l'Estonie, la Suède ou la République tchèque, qui ont rejoint la force Takuba. Il y a un vrai mouvement européen en termes de prise de responsabilités et d'engagement financier. Je ne dis pas que c'est suffisant, ni qu'on doit s'arrêter là, mais nous avons là une sorte de boîte à outils budgétaire et stratégique très importante. Le contexte est marqué par la nouvelle administration américaine, le Brexit et la transition politique en Allemagne. Ces trois facteurs créent quelques turbulences, et nous aurons un Conseil européen, les 25 et 26 février prochains, où, à notre demande, la question de la défense sera abordée de nouveau. L'enjeu central sera de réaffirmer le concept d'autonomie stratégique, qui a fait l'objet d'un Conseil franco-allemand de défense et de sécurité, co-présidé par le Président de la République et la chancelière Angela Merkel, vendredi dernier ».

La France a défendu le maintien du ratio entre les crédits alloués à la recherche (un tiers du budget total) et ceux alloués au développement capacitaire (deux tiers). Cette répartition a été actée, de telle sorte que 2,651 milliards d'euros sont consacrés à la recherche, et 5,302 milliards au développement. Au cours de son audition, le secrétaire d'État a rappelé que certains projets en faveur de la défense européenne depuis 2017 « ne sont pas tous conçus à 27 et il y a des projets industriels franco-allemands, dont vous connaissez les difficultés. Les Allemands avaient l'habitude de coopérations, en matière de défense, entre industries allemandes, tandis que les Français avaient une habitude de coopération avec les Britanniques. Nous avons fait le pari, historique, de prendre un virage stratégique absolument nécessaire, alors que le Brexit se profilait, en construisant des coopérations industrielles militaires avec l'Allemagne. C'est difficile, long. Il y aura des tensions, des blocages... Il y en a eu, mais on les a toujours levés. [...] Il ne s'agit pas de saper la capacité d'engagement de l'armée française, mais de renforcer, par l'Europe, la capacité à acheter européen, à développer du matériel militaire européen. Nous ne pouvons le faire que si nous lançons une coopération qui sera longue et difficile, mais qui est indispensable avec l'Allemagne ». Il a précisé : « Le FEDef pourra financer, typiquement, des projets bilatéraux tels que le système de combat aérien du futur (SCAF) ou le char du futur. D'ailleurs, ces projets associent déjà certains autres pays européens, l'Espagne notamment, pour l'avion du futur. L'appel à projets sera lancé courant 2021, la sélection et les premiers décaissements sont prévus au cours du premier semestre 2022 - sous présidence française de l'Union européenne, donc. Au-delà de ces coopérations spécifiques avec l'Allemagne, il nous appartient de présenter d'autres projets. La France est bien placée pour ce faire puisque nous avons des projets en cours, capacitaires et de recherche. Le FEDef fait donc partie des nouveaux outils européens sur lesquels nous aurons les meilleurs taux de retour, d'un point de vue budgétaire ».

Sur l'association d'États tiers, il est prévu que les États membres de l'AELE qui sont également membres de l'EEE, à savoir l'Islande, le Liechtenstein et la Norvège, pourront participer au programme dans les mêmes conditions que les États membres. Sur la discussion avec le Royaume-Uni, le secrétaire d'État a considéré que « ce pays n'a pas souhaité que nous l'ayons dans le cadre de la négociation de l'accord post-Brexit, mais c'est un sujet qui est devant nous. Nous pourrons avoir des coopérations spécifiques avec lui, mais, s'il souhaite bénéficier d'outils budgétaires européens, cela ne pourra se faire qu'en échange de contributions et en respectant nos règles de décision. Il ne s'agit pas de faire du cherry picking ou de l'Europe à la carte et de profiter des avantages sans subir les contraintes ».

Enfin, au sujet de la gestion opérationnelle, en s'appuyant sur le retour d'expérience du Programme européen de développement industriel dans le domaine de la défense, la France a défendu l'importance du rôle des États membres dans la gouvernance, ainsi que les conditions d'association d'États tiers.

• Les positions exprimées par le Sénat dans sa résolution visant à lutter contre la fraude sociale transfrontalière et améliorer la coopération européenne en matière de lutte contre la fraude aux prestations sociales ont été, en majorité, prises en compte au cours des négociations.

Les négociations sur la révision des règlements de coordination de sécurité sociale ont été nombreuses sous présidence allemande, au second semestre 2020. Elles se sont concentrées sur plusieurs sujets, dont la législation applicable qui comprend la question de la notification préalable du détachement auprès de l'organisme de sécurité sociale de l'État d'envoi. M. Clément Beaune a estimé, au cours de son audition, que « l'exigence de notification préalable de production d'un certificat doit être la plus stricte possible et les quelques cas de dérogation doivent rester limités. C'est sur ce dernier point que la négociation achoppe. Les États membres du centre et de l'est de l'Europe souhaitent, en effet, que les dérogations s'appliquent à l'ensemble des voyages d'affaires et pour une durée allant jusqu'à trente jours, ce qui nous paraît « fraudogène » au plus haut degré ». Les négociations ont amené à évoquer la question de la numérisation des procédures entre organismes de l'État d'envoi et ceux de l'État d'accueil. La Commission a évoqué la mise en place du système d'échange électronique d'informations sur la sécurité sociale (EESSI) par les États membres. La France défend le principe de procédures strictes de manière à lutter contre la fraude au travail détaché en matière de protection sociale et considère que la numérisation des procédures peut aider en ce sens. Elle a rappelé que la numérisation de la procédure de notification préalable apparaît comme une voie de sortie aux discussions et doit être envisagée dès lors que les exigences posées par les règlements peuvent ainsi être vérifiées à travers la notification faite par l'employeur (ou le travailleur indépendant). Elle soutient donc la dématérialisation des démarches et se satisfait de la gouvernance déjà mise en place, qui ne justifie pas de confier davantage de pouvoirs à la Commission sur ce point. La solution numérique soulève néanmoins de nombreuses questions techniques quant à sa faisabilité et à son coût, ainsi que celle du régime applicable pendant la période de transition avant que la numérisation ne soit opérationnelle. La France a appelé à une mise en place opérationnelle de l'EESSI et souligné l'apport et les attentes envers l'Autorité européenne du travail (AET) pour garantir un marché concurrentiel et limiter les risques de fraudes au détachement. L'élaboration d'un accord de coopération entre l'AET et la commission administrative pour la coordination des systèmes de sécurité sociale est inscrite au programme de travail de l'Agence pour 2021 avec la constitution d'un groupe de travail composé d'experts nationaux en droit du travail et/ou de la sécurité sociale chargés d'élaborer cet accord. L'accord de coopération permettra de clarifier les relations entre les deux instances en cas de demande de médiation relevant à la fois du droit du travail et du droit de la sécurité sociale.

La création d'un numéro de sécurité sociale européen n'ayant pas vocation à remplacer les numéros de sécurité sociale nationaux, qui était au coeur de la résolution européenne sénatoriale, n'a pas été discutée au cours des négociations sur la révision des règlements de coordination des systèmes de sécurité sociale. Le Gouvernement partage le constat des difficultés posées par l'existence de nombreux numéros de sécurité sociale et mécanismes nationaux (identification et enregistrement), notamment les obstacles rencontrés à la fois par les personnes assurées de prouver leur identité à des fins de sécurité sociale dans des situations transfrontalières et par les organismes de sécurité sociale pour déterminer l'identité des personnes. Le secrétaire d'État s'est dit « favorable » au numéro de sécurité sociale européen « car il offre un symbole fort d'appartenance et qu'il constitue le seul outil sérieux pour conserver une liberté de circulation, pour encadrer le détachement et pour lutter contre la fraude ». En effet, la France soutient un numéro de sécurité sociale européen, en plus du ou des numéros de sécurité sociale nationaux existants, qui faciliterait l'exercice des droits en matière de sécurité sociale en cas d'établissement ou de déplacement dans un autre État membre. Elle y voit plusieurs avantages : une simplification des procédures permettant aux particuliers et travailleurs de prouver leur identité aux fins de la sécurité sociale et une plus grande efficacité des procédures pour les institutions et prestataires de service dans la vérification d'identification à des fins de sécurité sociale, en matière de lutte contre la fraude et les abus et pour améliorer la transparence des prestations et des droits en matière de sécurité sociale. Le numéro de sécurité sociale européen devrait être délivré a minima non seulement à chaque citoyen européen, mais aussi à tout ressortissant hors Union européenne établi de manière légale sur le territoire d'un État membre et donc bénéficiant de la protection sociale de cet État sans forcément disposer de la citoyenneté de celui-ci. Il pourrait prioritairement constituer la preuve de la couverture sociale des travailleurs détachés, actuellement attestée par le formulaire A1 utilisé pour les travailleurs détachés, et couvrir les prestations de maladie, de maternité et paternité, les pensions de vieillesse, le chômage, les prestations familiales, ainsi que les accidents du travail et maladies professionnelles. À plus long terme, le numéro de sécurité sociale européen pourrait être utilisé comme un identifiant commun à l'ensemble des administrations nationales et faciliter les démarches pour de nombreux autres services (questions fiscales et sociales, emploi, éducation, permis de conduire, ouverture de compte en banque, location d'un appartement, etc.), comme cela se fait aux États-Unis par exemple. Toutefois, sa création soulèverait alors des questions en termes de faisabilité et de coûts, notamment informatiques, dans la mesure où cela impliquerait une révision en profondeur des systèmes informatiques existants de la part de nombreux autres services, extérieurs à la sphère de la protection sociale.

En matière de lutte contre la fraude à la prestation sociale transfrontalière, un rapport annuel sur la fraude est présenté à la commission administrative pour la coordination des systèmes de sécurité sociale. Par ailleurs, la France participe activement au comité de pilotage du Réseau européen pour la lutte contre la fraude sociale transfrontalière, qui promeut l'échange de bonnes pratiques, la préparation de rapports et notes, ainsi qu'une conférence annuelle. Les derniers travaux ont ainsi porté sur l'authentification et la falsification des formulaires A1.

Enfin, le secrétaire d'État a rappelé que le sommet social prévu à Porto, le 8 mai prochain, sous présidence portugaise du Conseil de l'Union « sera l'occasion de fixer les priorités de l'agenda européen en matière sociale. Le risque tient à ce que nous en restions à une déclaration d'intentions. Nous exerçons une pression amicale sur la présidence portugaise pour que ce sommet soit l'occasion de renforcer un certain nombre de droits très concrets, qu'il s'agisse des travailleurs des plateformes, de la réforme du salaire minimum européen ou bien encore de la poursuite de la réforme du détachement ».

• Le SGAE a rédigé une fiche très complète et riche d'informations sur la résolution européenne sur le programme de travail de la Commission européenne pour 2020 . Cette fiche montre que le Sénat a obtenu partiellement satisfaction sur les nombreuses positions qu'il avait adoptées dans sa résolution qui, sur le premier programme de travail de la Commission von der Leyen, avait une portée programmatique.

Le SGAE rappelle d'abord les différentes initiatives prises tout au long de l'année 2020 pour chacune des six priorités politiques de la Commission - étant entendu que la gestion de la crise sanitaire a sensiblement perturbé l'exécution de son programme de travail initial : un Pacte vert pour l'Europe, une Europe adaptée à l'ère du numérique, une économie au service des personnes, une Europe plus forte sur la scène internationale, une promotion de notre mode de vie européen et un nouvel élan pour la démocratie européenne.

Puis la fiche de suivi aborde la prise en compte, par ces différents textes et les négociations auxquelles ils ont donné lieu, des positions sénatoriales.

Sur le Pacte vert pour l'Europe, les autorités françaises ont cherché à ce que les priorités du Pacte servent de lignes directrices pour les plans de relance des États membres dans le contexte de la crise, la relance économique devant être une opportunité pour faire évoluer les structures économiques et permettre à l'Union européenne d'atteindre ses objectifs au titre de l'accord de Paris. Elles ont également salué l'adoption du nouvel objectif de réduction nette des émissions de gaz à effet de serre d'au moins 55 % d'ici à 2030 au niveau européen. L'atteinte de cet objectif nécessitera des mesures cohérentes avec le Pacte vert, telles que le renforcement du marché carbone européen (ETS) avec un prix minimum du carbone, la mise en place d'un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières de l'Union européenne d'ici au 1 er janvier 2023 et l'adaptation de la réglementation des aides d'États aux objectifs climatiques. La France a soutenu ces positions tout au long des négociations au Conseil lors de l'examen du projet de loi européenne sur le climat. Les autorités françaises ont également soutenu les mesures et initiatives liées à l'énergie prévues dans le Pacte. C'est notamment le cas de l'initiative sur les rénovations dans le secteur du bâtiment à des fins d'efficacité énergétique, de la rénovation de bâtiments publics (hôpitaux, parc scolaire, EHPAD, universités, logement social et étudiant), des maisons individuelles et immeubles collectifs, et de l'aide au financement d'une filière professionnelle performante dans ce domaine. La rénovation thermique des bâtiments est d'ailleurs une composante importante du plan de relance français. Pour ce qui concerne les mesures sur l'intégration du système énergétique, par exemple la transformation d'électricité renouvelable en gaz, les autorités françaises estiment nécessaire de combiner les mesures les plus rentables, dont celles qui permettent une consommation efficace de l'énergie, telles que l'électrification directe des usages (mobilité individuelle, électrification des procédés industriels, chaleur dans les bâtiments), la promotion de l'économie circulaire et de la valorisation de la chaleur fatale, le développement des énergies renouvelables thermiques et le développement du biogaz. Les autorités françaises considèrent que le développement de l'hydrogène doit tenir compte de l'efficacité énergétique des usages et de la réduction effective des émissions de gaz à effet de serre, la production d'hydrogène devant, dans la mesure du possible, intervenir à proximité du lieu de consommation par électrolyse de l'eau à partir d'une électricité issue d'énergie renouvelable ou décarbonée. Cette position a été réaffirmée dans les conclusions du Conseil du 14 décembre 2020 sur le potentiel de l'hydrogène. Par ailleurs, la France considère que l'éolien offshore constitue une source d'énergie essentielle, grâce à une coopération régionale entre les États membres, notamment dans le cadre de la coopération sur l'éolien en mer du Nord. La France est également attentive à ce que l'Union européenne accentue ses efforts pour réduire son empreinte environnementale, en particulier sur les questions de déforestation importée, ainsi que pour préserver et restaurer la biodiversité. L'économie circulaire, les substances chimiques, et plus particulièrement les micro-plastiques, les perturbateurs endocriniens et les nanomatériaux devront faire l'objet de mesures ambitieuses pour un environnement non-toxique. L'économie bleue et la bio-économie, qui incluent la préservation des écosystèmes, sont des voies de relance et développement durable en particulier pour les régions ultrapériphériques, et les pays et territoires d'outre-mer (PTOM) y sont particulièrement sensibles. Les autorités françaises sont globalement satisfaites des stratégies européennes pour la biodiversité à l'horizon 2030 et « De la ferme à la table » et soutiennent les objectifs qui leur sont assignés. Elles regrettent toutefois que certains objectifs portés par la France n'aient pas été repris, par exemple sur l'étiquetage nutritionnel sur le modèle du Nutriscore, la réduction de l'utilisation des produits phytosanitaires et des risques associés, ainsi que la réduction de l'utilisation des antibiotiques en élevage.

Sur la réforme de la PAC, la France défend l'idée que cette politique doit participer à faire de l'Union européenne une des principales puissances agricoles mondiales, assurant un approvisionnement sûr et répondant à de hauts standards sanitaires et environnementaux, tout en maintenant des coûts raisonnables et compétitifs, et qu'elle doit participer également à la vitalité des zones rurales, y compris dans les régions ultrapériphériques, et à l'intégration européenne. Bien que ce compromis ne prenne pas en compte l'ensemble des demandes françaises, les autorités se disent satisfaites de l'équilibre trouvé au Conseil agriculture et pêche d'octobre 2020, qui constitue à leurs yeux une bonne base de discussion pour les trilogues. Les autorités françaises soutiennent plusieurs amendements du Parlement européen, en particulier sur des outils de gestion des marchés.

Enfin, la France a défendu un financement accru pour la transition écologique et salue le renforcement de l'objectif de dépenses à 30 % pour le climat et l'ajout d'un objectif pour la préservation de la biodiversité dans le CFP 2021-2027. Elle porte également l'inclusion du respect de l'accord de Paris dans les éléments essentiels des futurs accords commerciaux et en cours de négociations.

Pour ce qui concerne une Europe adaptée à l'ère numérique, les autorités françaises, attachées à l'objectif d'autonomie stratégique de l'Union européenne, ont soutenu les conclusions du Conseil sur la cybersécurité, ainsi que, sur la base de l'Acte de cybersécurité de 2019, la création d'un cadre européen de certification de cybersécurité. Elles ont également soutenu les objectifs du centre cyber de maintenir et développer en Europe les capacités technologiques et industrielles en matière de cybersécurité. Pour aller vers plus de transparence de l'intelligence artificielle, les autorités françaises se sont positionnées pour assurer un level playing field éthique, en l'inscrivant dans des modèles de gouvernance démocratiques. L'évaluation des applications d'intelligence artificielle doit également veiller à ce qu'elles ne portent pas atteinte aux droits des individus (protection de leurs données personnelles, non-discrimination, fiabilité, etc.). La France poursuit l'objectif de mieux réguler les plateformes dans le respect de la liberté d'expression, avec une attention à la lutte contre les contenus à caractère terroriste et propageant la haine en ligne. Elle salue la publication récente des propositions de Digital Services Act (DSA) et Digital Markets Act (DMA), présentées par la Commission en décembre 2020, qui sont globalement alignées avec les priorités françaises sur le renforcement de la responsabilité des plateformes dans la diffusion de contenus et produits illégaux ou encore la régulation ex ante , en vue d'une régulation des plateformes numériques structurantes. Pour autant, les autorités françaises se disent mobilisées pour améliorer le DSA sur de nombreux points, notamment pour aller au-delà du sujet des contenus illégaux. En effet, la plus grande partie de l'activité de modération des plateformes repose sur leurs conditions générales d'utilisation (CGU) ; or, les CGU peuvent prohiber la diffusion de contenus qui ne sont pas nécessairement illicites, par exemple sur la désinformation, éventuellement au mépris de la liberté d'expression. Dès lors, les autorités françaises souhaiteraient que le texte appréhende l'ensemble de la fonction de modération, sans se limiter aux seuls contenus illicites. Ensuite, le texte traite les places de marché numériques comme toutes les autres plateformes avec la mise en place d'obligations asymétriques, alors que les autorités françaises considèrent que ces acteurs devraient être soumis, quelle que soit leur taille, à des obligations spécifiques au regard des problèmes qu'ils soulèvent comme la vente de produits dangereux, la contrefaçon ou encore le manque d'information et d'effectivité des droits des consommateurs. Dans ces domaines, elles souhaiteraient que les places de marché électroniques prévoient des mécanismes préventifs adéquats et puissent être tenues responsables en cas de détection de produits dangereux ou de défaillance grave des vendeurs qu'elles accueillent. Enfin, le contrôle prévu par le DSA reste très centralisé dans le pays où la plateforme a son siège, alors que les autorités françaises souhaiteraient un aménagement de ce principe afin que le régulateur de l'État de l'utilisateur dispose de davantage de prérogatives et de marges d'intervention, ne serait-ce qu'en raison des spécificités de langue ou d'appréciation de la teneur des contenus. Cet aménagement du principe du pays d'origine assurerait une implication appropriée des autorités compétentes du pays de destination pour viser une efficacité opérationnelle maximale.

Les autorités françaises sont favorables au contenu des discussions sur la 5G, sans altérer les compétences des États membres en matière de sécurité et de défense nationale ni les capacités des services répressifs et de renseignements nationaux. Elles disent veiller à la préservation des capacités d'interception légales des services répressifs dans le contexte de la mise en place de la 5G. La France note que la stratégie européenne des données reste muette sur les enjeux de protection des données sensibles détenues par les entreprises, par exemple sur la loi de blocage à l'échelle européenne, l'hébergement des données sensibles, la transparence sur la localisation des données et leur exposition potentielle aux législations extraterritoriales. Or, la faiblesse de l'offre européenne en matière de cloud pousse les entreprises et administrations à se tourner vers des offres extra-européennes, avec un risque de soumission des données européennes à des juridictions de pays tiers. C'est pourquoi les autorités françaises soutiennent le développement d'infrastructures cloud à l'échelle européenne. Elles développent avec l'Allemagne le projet Gaia-X qui ambitionne de devenir une place de marché fédérant à la fois des offreurs cloud et des utilisateurs souhaitant partager leurs données dans un cadre sécurisé, transparent et ouvert. Ce projet est complémentaire à la stratégie nationale de cloud souverain : il vise à créer une place de marché pour l'ensemble des données des utilisateurs et débloquer ainsi un potentiel de marché inexploité dans des conditions de concurrence équitables entre offreurs. L'offre souveraine, prévue uniquement pour les données sensibles et hors du cadre de la coopération judiciaire, pourra s'y insérer et viser ainsi un marché plus large, au-delà des frontières nationales, en s'inscrivant dans un futur projet important d'intérêt européen commun (PIIEC).

Enfin, les autorités françaises soutiennent la dérogation à la directive ePrivacy et en souhaite une adoption rapide afin de permettre la prévention et la détection des abus pédosexuels en ligne. Une telle dérogation serait de nature à répondre temporairement, sur ce sujet particulier, à la demande du Sénat de trouver des solutions aux défaillances persistantes concernant l'accès aux métadonnées et les modalités de recueil du consentement, dans l'attente d'une législation pérenne.

Sur une économie au service des personnes, la France a fait de l'introduction d'une référence à la recommandation du Conseil pour la zone euro l'une de ses priorités dans les négociations sur la Facilité pour la reprise et la résilience (FRR) afin que les plans nationaux de relance puissent contribuer à renforcer la convergence des économies des 19 États membres. La France a également salué la proposition de la Commission d'introduire les Objectifs de développement durable dans le Semestre européen afin de renforcer sa dimension environnementale, mais rappelle qu'il s'agit d'abord d'un instrument de coordination des politiques économiques et que le processus ne doit pas être alourdi. Son programme national de réforme pour 2020 permet d'assurer le suivi de neuf de ces dix-sept objectifs, ciblant spécifiquement ceux présentant un lien avec la coordination des politiques économiques. Le plan national de relance français, en cours de préparation, devrait répondre à l'ensemble des critères d'éligibilité prévus par le règlement portant création de la FRR.

Pour ce qui concerne la fiscalité, la France considère essentiel le développement par l'Union européenne d'une politique fiscale favorable à la compétitivité de l'économie européenne et préservant les recettes publiques. À ce titre, les autorités françaises défendent l'adoption d'un régime définitif en matière de TVA, même si elles restent très réservées sur la proposition concernant les taux et ont rappelé leur soutien au principe d'un allongement de la liste positive existante de biens et services pouvant bénéficier de taux réduits, par rapport à une liste négative énumérant uniquement ceux qui en seraient exclus. La France, qui soutient la poursuite des travaux pour la réforme des règles de la fiscalité internationale au sein de l'OCDE, a oeuvré pour que la Commission entame au plus tôt les travaux relatifs à la taxation des activités numériques. Par ailleurs, les autorités françaises considèrent que les travaux à venir relatifs à la directive ACIS devront tenir compte des règles issues des travaux de l'OCDE sur l'imposition minimale. Toutefois, elles ont rappelé que les objectifs étant différents - l'OCDE est favorable à l'introduction d'une imposition minimale effective des multinationales, et l'ACIS vise l'harmonisation des règles de l'assiette de l'impôt -, les travaux de mise en oeuvre par le droit européen des résultats issus des négociations à l'OCDE devront faire l'objet d'une directive distincte de la directive ACIS. Les autorités françaises se sont ralliées au compromis trouvé sur le champ et les modalités des échanges automatiques d'informations appliqués aux plateformes numériques. Enfin, sur le report de l'entrée en vigueur du paquet TVA sur le commerce électronique, la France a rappelé l'enjeu politique et financier que représente ce sujet dans le renforcement du recouvrement de la TVA et la lutte contre la fraude en matière de commerce électronique.

Pour ce qui concerne une Europe plus forte sur la scène internationale, plusieurs sujets étaient, là aussi, visés par la résolution du Sénat. La France avait notamment présenté, en novembre 2019, un non paper sur l'élargissement, qui avait inspiré la communication de la Commission du 5 février suivant. Ce document repose sur quatre principes : association graduelle et incitative, conditions rigoureuses, bénéfices concrets aux populations et réversibilité, accompagnés d'une gouvernance spécifique dans laquelle le Conseil aurait un rôle renforcé. Lors des discussions sur les cadres de négociations pour l'Albanie et la Macédoine du Nord, la France a cherché à ce que cette nouvelle méthodologie soit intégrée aux documents, dont la dernière version reprend l'essentiel des objectifs français de négociation. Par ailleurs, la France soutient la perspective européenne des Balkans occidentaux, mais estime que la relation entre l'Union européenne et cette région ne doit pas se limiter à l'élargissement, mais aussi porter sur des coopérations concrètes déjà prévues.

À l'Organisation mondiale du commerce (OMC), la France soutient la poursuite d'un triple objectif : rendre efficace la fonction de négociation, améliorer le fonctionnement de l'institution et mettre à jour les règles multilatérales permettant de mieux appréhender les enjeux actuels, du développement durable à la lutte contre les pratiques distordantes. La modernisation des règles de l'OMC devra comprendre une nouvelle approche du traitement spécial et différencié, un encadrement des questions d'égalité des conditions de concurrence et la prise en compte du développement durable.

Sur les questions de voisinage, de développement et de coopération, les autorités françaises, dans les négociations sur le règlement IDVCI soutiennent le maintien, comme le demandait le Sénat, d'un équilibre financier adéquat entre les voisinages Sud et Est, ainsi que des objectifs ambitieux en matière de migrations et de protection du climat et de la biodiversité. Par ailleurs, elles promeuvent la mise en oeuvre d'un partenariat renforcé avec le voisinage Sud, qui contribuerait aux exercices lancés dans le cadre du Sommet des deux rives en Méditerranée occidentale et permettrait d'affermir l'Union pour la Méditerranée, en alimentant un agenda axé sur le développement de coopérations concrètes sur des problématiques d'intérêt commun (réformes, gouvernance démocratique, climat et environnement, migrations, biodiversité, numérique, culture et patrimoine, etc.), avec une attention particulière portée à l'espace sahélo-saharien dans la lutte contre le terrorisme et les trafics. De surcroît, les autorités françaises soutiennent le Partenariat oriental en tant qu'enceinte de dialogue politique et d'approfondissement des liens économiques et culturels entre l'Union européenne et ses partenaires. Dans le cadre de réflexions sur l'avenir du Partenariat oriental, la France a défini, au titre de domaines prioritaires de coopération, l'action climatique, la jeunesse, la lutte contre les inégalités, en particulier les inégalités entre les femmes et les hommes, et la connectivité. Sur la gouvernance de la politique extérieure de l'Union européenne prévue dans le règlement IDVCI, les autorités françaises estiment que le rôle des États membres dans le pilotage doit être préservé, voire renforcé. L'Union doit être en mesure de réagir rapidement et de façon souple aux crises extérieures. Les positions sénatoriales en la matière ont été globalement satisfaites. Dans le cadre des négociations post-Cotonou, les accords d'association existants avec les pays d'Afrique du Nord ne seront pas remis en cause par des négociations, distinctes, sur des coopérations thématiques panafricaines, les migrations par exemple.

S'agissant de la promotion de notre mode de vie européen, la France accueille favorablement et soutient la nouvelle stratégie de sécurité intérieure pour l'Union, présentée par la Commission en juillet dernier, ainsi que les trois plans d'actions (lutte contre les trafics d'armes, contre les abus sexuels sur les enfants et contre les trafics de drogues). Les autorités françaises ont néanmoins fait savoir que certaines thématiques, notamment la lutte contre la criminalité environnementale et les atteintes à la santé publique, auraient mérité d'apparaître plus explicitement dans la stratégie. Par ailleurs, la France est favorable à une harmonisation des conditions d'application des normes les plus importantes de lutte contre le financement du terrorisme, par la transformation des directives existantes en règlement. Ces objectifs sont en ligne avec les conclusions de la conférence No money for terror , organisée, à Paris, les 25 et 26 avril 2018, qui avait réuni 70 pays et 20 organisations internationales, au cours de laquelle le Président de la République avait appelé à la constitution d'une « coalition de Paris » capable de lutter contre le financement du terrorisme. Il avait mis l'accent sur cinq priorités : l'instauration d'un cadre légal et opérationnel en vue du recueil et du partage d'informations financières, la lutte contre l'anonymat par le renforcement de la transparence des flux financiers et leur traçabilité, la maîtrise des risques liés aux innovations technologiques financières, le soutien technique aux États vulnérables et la sanction des États récalcitrants dans le cadre de la coopération internationale, et le renforcement de la légitimité, de l'autorité et des moyens du Groupe d'action financière (GAFI). Sur les combattants terroristes étrangers (CTE), un protocole a été mis en place pour les intégrer dans le système d'information Schengen (SIS). Pour autant, les récentes propositions de la Commission visant à conférer à Europol un rôle en matière d'insertion des CTE dans le SIS ne sont pas partagées par les autorités françaises pour diverses raisons (absence de plus-value, difficultés de respect de la règle du tiers service, charge de travail supplémentaire liée au contrôle de la qualité des données). En vue de la mise en oeuvre de l'interopérabilité des systèmes d'information européens, un comité stratégique de haut niveau de suivi de ces systèmes d'information a été mis en place en France, au sein du ministère de l'intérieur, auquel participent les directions générales parties prenantes à l'application des nouvelles réglementations européennes en la matière. La fin de l'année 2023 est toujours considérée comme la date d'entrée en opération de l'interopérabilité, mais reste tributaire de l'entrée en service des bases de données nouvelles, notamment du système entrée/sortie (SES) et d'ETIAS, dans l'ensemble de États membres. La pandémie a parfois retardé les travaux dans certains États membres, et la Commission a repoussé de deux mois l'échéance pour le SES (mi-mai 2022), mais maintenu la mise en opération d'ETIAS à fin 2022. La France, à ce stade, respecte les échéances. Concernant le pacte sur la migration et l'asile, il est important de maintenir une dynamique de négociation vers une réforme ambitieuse et globale de la politique européenne d'asile et de migration fondée sur un juste équilibre entre solidarité, responsabilité, coopération renforcée avec les pays tiers. La France, depuis plusieurs années déjà, appelle à une réforme d'ampleur de l'espace Schengen, l'absence de contrôle aux frontières intérieures ne pouvant exister que si la protection des frontières extérieures de l'Union est assurée de manière efficace. Les autorités françaises militent donc pour des mécanismes d'évaluation Schengen renforcés, assortis de sanctions en cas de défaillance grave, des procédures frontalières permettant une gestion fluide et efficace des flux migratoires et une politique européenne de retour effective et durable. Le rôle et le pilotage de Frontex doivent être considérablement renforcés.

Enfin, en vue d'un nouvel élan pour la démocratie européenne, l'adhésion de l'Union européenne à la convention européenne des droits de l'Homme demeure un objectif pour les autorités françaises. Plusieurs États membres les ont soutenues sur la définition des règles internes avant la reprise des négociations avec le Conseil de l'Europe. Les autorités françaises ont sollicité et oeuvré pour une meilleure coordination des États membres en vue des négociations avec les pays non membres. Elles disent demeurer vigilantes de manière à ce que les négociations permettent de préserver l'autonomie du droit de l'Union européenne et la compétence exclusive de la Cour de justice de l'Union européenne pour l'interpréter, ainsi que pour contrôler les actes de la politique étrangère et de sécurité commune. Sur la conférence sur l'avenir de l'Europe, le mandat du Conseil adopté en juin 2020, avec le soutien de la France, a inscrit parmi ses principes directeurs l'importance du rôle des parlements nationaux et aussi prévu leur participation à l'organisation de cette conférence, comme le réclame la résolution du Sénat. En revanche, aucune information n'est apportée sur les suites à donner au premier rapport annuel de la Commission sur l'État de droit, sur la lutte contre les différentes formes de discriminations, sur le nouvel « agenda du consommateur » ni sur la mise en place d'un « carton vert ».

• Le Sénat a partiellement obtenu satisfaction sur sa résolution sur la modernisation de la politique européenne de concurrence , qui, il est vrai, intervenait très en amont, certains textes législatifs venant seulement d'être proposés par la Commission ou devant encore l'être.

Le SGAE, dans sa fiche de suivi, indique que, « à titre liminaire, les enjeux liés à l'amélioration des textes européens de concurrence, que la résolution du Sénat appelle de ses voeux, ont été discutés avec la Commission à plusieurs reprises en 2020 ». Les autorités françaises, avec l'Allemagne, la Pologne et l'Italie, ont appelé en 2020 à une modernisation du droit de la concurrence pour accompagner les objectifs de politique industrielle face aux défis de la mondialisation et mettre en place une régulation ciblée des plateformes numériques structurantes face aux enjeux liés à l'essor de l'économie numérique. Aussi la France soutient-elle les initiatives prises par la Commission, à savoir : la révision de sa communication sur la définition du marché en cause aux fins du droit communautaire de la concurrence de 1997 (marché pertinent), la publication du Livre blanc sur les subventions étrangères et le projet de règlement dit DMA ( Digital Markets Act ).

La France a indiqué à la Commission que ses propositions de réforme du droit européen de la concurrence, qu'elle lui a adressées en avril 2020, pourraient conduire à l'amélioration des outils existants, par des modifications ciblées des textes, notamment des règlements n° 1/2003 (antitrust) et n° 139/2004 (concentrations). Les autorités françaises ont notamment appelé l'attention de la Commission sur la nécessité de se doter d'un dispositif de contrôle des opérations de concentration sous les seuils actuels, lorsque ces opérations sont susceptibles de porter atteinte à la concurrence. Par ailleurs, les autorités françaises ont signalé à la Commission leur souhait d'une meilleure prise en compte, dans le cadre du contrôle des concentrations, de la concurrence internationale, en particulier si elle est exercée par des acteurs subventionnés par des États tiers qui disposent de capacités importantes de pénétrer rapidement les marchés européens. Enfin, la demande des autorités françaises d'une meilleure intégration des enjeux industriels dans l'appréciation d'une opération de concentration, ne fait pas, aujourd'hui, l'objet de propositions de la Commission, alors même qu'un recours accru aux engagements comportementaux, qui sont des remèdes réversibles, est susceptible de préserver la valeur des actifs en tenant compte d'éventuelles évolutions de marché défavorables. Quant au renforcement de la coopération entre la DG Concurrence et les DG sectorielles de la Commission, recommandé par les autorités françaises, il reste insuffisant même si des mesures sont en cours pour le numérique alors que le recours à une instance consultative indépendante au cours de l'instruction ne paraît pas envisagé.

À ce jour, le DMA est la seule proposition législative présentée par la Commission et concerne les pratiques déloyales dans le secteur numérique. Toutefois, plusieurs propositions relatives au droit européen de la concurrence ont été annoncées pour le premier semestre 2021, en particulier des lignes directrices sur l'utilisation de l'article 22 du règlement 139/2004 (renvoi par les autorités nationales de concurrence à la Commission des opérations de concentration inférieures aux seuils de contrôle mais qui paraissent susceptibles de porter atteinte à la concurrence), un règlement relatif au contrôle des subventions étrangères créant des distorsions de concurrence et une communication sur la délimitation des marchés pertinents.

Sur ce dernier point, le secrétaire d'État a précisé que « le Gouvernement a ainsi soutenu, dans l'esprit de votre résolution, [...] un projet de révision de la définition du marché pertinent, qui date de 1997. C'était l'un des points clefs de votre résolution. La définition n'était plus adaptée à la concurrence internationale, notamment chinoise, que nous vivons aujourd'hui ». Il a ajouté : « Le Sénat demandait l'actualisation de la définition du marché et la prise en compte de la concurrence potentielle future. Derrière ce terme se cache l'essentiel de l'enjeu. Nous l'avons vu sur le marché du ferroviaire, par exemple : si l'on regarde le marché actuel, ou des prévisions raisonnables sur 5, 7 ou 10 ans, la concurrence étrangère est assez faible. Mais, comme nous l'avons vécu pour les panneaux photovoltaïques, en quelques années, une concurrence non anticipée d'acteurs chinois ou autres peut balayer un marché européen. Il faut donc prendre en compte la dimension mondiale de la concurrence actuelle, et pas seulement le marché européen ou national. Nous continuons à porter avec vous cette exigence auprès de la Commission ».

Le projet de règlement DMA, publié le 15 décembre 2020, est discuté au sein du groupe concurrence du Conseil depuis le 14 janvier 2021. Ce texte prend partiellement en compte les positions exposées dans la résolution sénatoriale :

- sur la nécessité de disposer d'analyses sectorielles systématiques de l'état de la concurrence : le projet de règlement prévoit la possibilité pour la Commission de réaliser des enquêtes sectorielles dans les marchés numériques afin d'identifier les entreprises susceptibles d'être qualifiées de « contrôleur d'accès au marché » (gatekeeper) et d'examiner les nouvelles pratiques susceptibles d'être encadrées. Dans la mesure où la Commission prévoit d'associer les équipes de la DG COMP (concurrence), de la DG GROW (marché intérieur) et de la DG CONNECT (réseaux de communication, contenu et technologie), le texte répond au souhait d'intervention coordonnée de différentes directions générales pour de telles enquêtes. Il répond également à la demande d'identifier des acteurs systémiques ou quasi-monopolistiques et de lutter contre les acquisitions prédatrices. En revanche, il ne répond pas à la demande de réalisation de cartographies ex ante , régulièrement actualisées, de l'état de la concurrence sur le marché intérieur, à partir d'analyses sectorielles généralisées avant la fin de l'année 2020 ;

- sur l'indispensable enrichissement de la notion-clef de bien-être du consommateur : la base légale de la proposition de règlement, à savoir l'article 114 du TFUE, ne permet pas de prendre ou de modifier la règlementation existante en matière de concurrence ;

- sur l'allongement de l'horizon temporel afin de prendre en compte la concurrence potentielle future et sur l'urgence d'une actualisation de la définition du marché pertinent : pour les mêmes raisons juridiques, le projet de règlement ne couvre pas cette demande, mais celle-ci pourrait toutefois trouver satisfaction dans le projet de révision de la communication relative à la délimitation des marchés pertinents, qui débutera à la fin du premier semestre 2021 ;

- sur la nécessité de doter la Commission d'outils lui permettant de lutter efficacement contre les pratiques abusives d'entreprises extra-européennes : cette demande sera traitée avec la publication d'une proposition de règlement pour lutter contre les subventions étrangères provoquant des distorsions de concurrence, annoncée pour la fin du premier semestre 2021 ;

- sur le nécessaire renforcement de la flexibilité dans l'application du droit européen de la concurrence : si la proposition de règlement DMA prévoit la possibilité pour la Commission d'adopter des mesures conservatoires, comme demandé par le Sénat, mais la soumet à des exigences de preuve trop lourdes, elle n'apporte pas de réponse satisfaisante à la demande d'un recours accru aux engagements comportementaux ;

- sur l'intégration de nouveaux concepts d'analyse adaptés au numérique afin d'assurer un suivi préventif des comportements des acteurs : le projet de règlement répond à cette demande en permettant à la Commission d'analyser le pouvoir de marché et les pratiques des gatekeepers après les avoir définis à partir de critères précis. Il vise notamment à prévenir les acquisitions prédatrices ( killer acquisitions ) ;

- sur la nécessité d'une évaluation a posteriori et transparente des décisions prises en matière de concurrence : le projet de règlement n'apporte pas de réponse adéquate.

Au total, le projet de règlement répond favorablement aux attentes des autorités françaises d'une régulation asymétrique ex ante des plateformes. Les autorités françaises se disent attentives à ce que les négociations qui s'engagent confortent les positions contenues dans la résolution du Sénat auxquelles le projet de règlement apporte une réponse :

- la régulation devra cibler exclusivement un nombre restreint des plus grandes plateformes incontournables ;

- la Commission devra disposer de larges prérogatives : des pouvoirs d'enquête, y compris l'accès aux données et l'audit des algorithmes, la faculté d'adopter des mesures conservatoires et des décisions avec engagements ainsi que d'imposer des remèdes comportementaux et structurels.

Dans les négociations à venir, les autorités françaises porteront une attention particulière à ce que ce nouveau mécanisme soit suffisamment souple d'usage pour permettre à la régulation de s'adapter au rythme d'évolution très rapide des acteurs visés et de leurs pratiques et d'agir vite, dans le cadre d'une approche de remédiation sur mesure. Les autorités françaises veilleront enfin à la bonne articulation du règlement avec les autres branches du droit économique aux plans européen et national.

Comme l'a indiqué le secrétaire d'État lors de son audition par la commission des affaires européennes, le DMA poursuit l'objectif de « garantir que les marchés numériques restent innovants et ouverts à la concurrence et, surtout, que les relations commerciales avec les grands acteurs numériques, que chacun connaît, soient équitables », ajoutant : « Pour mémoire, en Europe, Google détient 97 % du marché du moteur de recherche : c'est un quasi-monopole ».

• Plusieurs des points d'attention du Sénat exprimés dans sa résolution sur la mobilité des professionnels de santé au sein de l'Union européenne sont partagés par les autorités françaises, mais les avancées sont réduites.

La finalité de la directive 2005/36/CE du 7 septembre 2005 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles est de faciliter la reconnaissance des qualifications professionnelles acquises dans un autre État membre pour permettre la libre circulation des professionnels exerçant des professions dont les conditions d'accès ou d'exercice sont réglementées. Les diplômes délivrés par les établissements des différents États membres sont listés à l'annexe V de la directive après que la Commission a vérifié que les conditions minimales de formation étaient bien remplies. Cette annexe est révisée régulièrement par le biais d'actes délégués, après consultation et sollicitation des État membres. Ceux-ci sont en contact permanent avec les représentants des professions visées, et le ministère de l'enseignement supérieur est également sollicité.

Pour les professions de santé, dont l'activité repose sur la relation avec le patient, la maîtrise de la langue du pays d'accueil est indispensable. Aucune autorisation d'exercer ne peut être délivrée sans maîtrise de la langue. Cependant, le contrôle de la maîtrise de la langue française n'intervient que s'il est nécessaire et doit être distingué de la reconnaissance des qualifications professionnelles. Ainsi, les qualifications professionnelles d'un candidat peuvent être reconnues comme telles par l'État dans lequel il souhaite travailler, mais ce candidat ne devrait pas pouvoir accéder à l'exercice effectif de la profession si sa maîtrise de la langue française est insuffisante.

La demande du Sénat d'une plus grande harmonisation des actes autorisés à la pratique pour chaque profession et d'une plus grande concordance entre les spécialités nationales et celles mentionnées à l'annexe V de la directive 2005/36/CE est partagée par les autorités françaises afin d'intégrer les évolutions des pratiques résultant de l'accroissement des connaissances et de l'évolution des techniques. Ainsi, la réforme des études du troisième cycle de médecine en France a conduit à la création de plusieurs spécialités, dont les diplômes ne sont, pour l'instant, pas inscrits à l'annexe V ; elles ne peuvent donc relever du dispositif de reconnaissance automatique des qualifications professionnelles. En l'état actuel de la législation européenne, seules les professions dont les diplômes sont mentionnés à l'annexe V font l'objet d'une harmonisation au titre des conditions minimales de formation, à savoir les professions de médecin, pharmacien, chirurgien-dentiste, sage-femme et infirmier. Des démarches pourraient être engagées en ce sens, sur proposition des autorités françaises délivrant ces diplômes, mais nécessitent l'approbation d'un nombre suffisant d'États membres pour aboutir. Les dispositions de reconnaissance des qualifications professionnelles sont en évolution permanente. Dans ce cadre, la Commission mène des études sur certaines professions, par exemple les infirmiers de soins généraux et les pharmaciens, consistant à élaborer une cartographie des conditions de formation et d'exercice dans l'ensemble des États membres en vue de valoriser les bonnes pratiques et d'envisager les évolutions réglementaires.

La directive (UE) 2018/958 du 28 juin 2018 relative à un contrôle de proportionnalité avant l'adoption d'une nouvelle réglementation de professions a pour objectif de garantir le bon fonctionnement du marché intérieur. Dans ce cadre, les réglementations nationales organisant l'accès aux professions réglementées ne doivent pas constituer un obstacle injustifié ou disproportionné à l'exercice de la libre circulation des travailleurs, de la liberté d'établissement et de la libre prestation des services. Les obligations en la matière ne sont pas nouvelles puisque des examens de proportionnalité étaient déjà requis, mais cette directive établit un cadre harmonisé de règles communes pour procéder à l'examen de proportionnalité des nouvelles mesures. Applicable depuis le 30 juillet 2020, ce nouveau cadre d'évaluation doit garantir la qualité du contrôle de la proportionnalité, renforcer les échanges avec les parties prenantes et les ordres professionnels et faire l'objet d'une information du public. Les nouvelles réglementations de professions seront envisagées en étroite coopération avec les ordres professionnels. En tout état de cause, elles devront toujours être destinées à protéger la sécurité des patients et à leur apporter des soins de qualité, en prenant en compte l'évolution des techniques et des connaissances.

La mise en oeuvre du mécanisme d'alerte prévu à l'article 56 bis de la directive 2005/36/CE telle que modifiée par la directive 2013/55/UE du 20 novembre 2013 a nécessité le développement de circuits sécurisés de transmission de l'information. Ce dispositif est désormais opérationnel. Des réunions ont déjà eu lieu avec les ordres professionnels concernés pour le présenter et répondre à leurs préoccupations, cet accompagnement pouvant se poursuivre en cas de besoin.

Quant à la carte professionnelle, introduite par la directive 2013/55/UE du 20 novembre 2013 modifiant la directive 2005/36/CE et le règlement (UE) n° 1024/2012 concernant la coopération administrative par l'intermédiaire du système d'information du marché intérieur (« règlement IMI »), elle constitue une autorisation d'exercice dématérialisée et, en tant que telle, établit que les qualifications professionnelles obtenues permettent d'exercer la profession dans l'État membre d'origine afin d'autoriser l'exercice de cette profession en France. Tirant les enseignements de l'expérience acquise en la matière, la Commission a proposé, au cours de la période 2019-2020, une évolution du règlement d'exécution 2015/983 afin que la carte professionnelle européenne, une fois validée par l'État membre d'accueil, puisse faire l'objet d'une prolongation par l'État membre d'origine pour simplifier les démarches.

• La position sénatoriale exprimée dans la résolution européenne tendant à préserver la souveraineté de l'Union européenne dans le domaine énergétique a été soutenue par les autorités françaises à Bruxelles.

Si, en matière de sanctions internationales, la France a toujours cherché à se coordonner avec ses partenaires, en particulier au sein du Conseil de sécurité des Nations Unies, force est de constater un désalignement de plus en plus marqué avec les États-Unis. Le récent durcissement du régime de sanctions applicables au projet de gazoduc Nord Stream 2, visé par la résolution du Sénat, en est une manifestation.

Le recours croissant par les États-Unis à des mesures de portée extraterritoriale est préjudiciable aux opérateurs français et européens, par leurs effets tant directs qu'indirects. Il est donc urgent de renforcer le cadre juridique et les outils européens pour construire une réponse économique crédible et concrète aux conséquences des diverses mesures extraterritoriales et autres mesures économiques coercitives prises par les États-Unis ou par d'autres États tiers.

Les autorités françaises disent avoir travaillé à élargir, avec leurs partenaires européens, le champ d'application du règlement dit « de blocage » de 1996 pour y ajouter le régime de sanctions américain à l'encontre de l'Iran. Elles sont également engagées dans la création d'INSTEX, avec l'Allemagne, le Royaume-Uni et plusieurs autres États, dont la Belgique et, prochainement, le Danemark ou encore la Norvège. Par ailleurs, elles maintiennent un dialogue exigeant avec l'administration américaine et l' Office of Foreign Assets Control (OFAC) américain, pour demander des précisions et lignes directrices, afin de lever les incertitudes pour les opérateurs économiques.

Les autorités françaises poursuivront ces efforts dans les mois à venir avec les États membres et les institutions européennes. Elles poursuivront leurs efforts dans le but de restaurer le dialogue politique avec les nouvelles autorités américaines sur l'extraterritorialité, grâce à une meilleure coordination sur les sanctions. Elles continueront également de travailler avec la Commission à la présentation de propositions concrètes pour renforcer les outils européens existants ou élaborer de nouveaux instruments juridiques, notamment un règlement visant à dissuader et contrer les actions coercitives des pays tiers, annoncé par la Commission pour 2021. Enfin, elles s'emploieront à mettre en place des moyens permettant de pallier l'absence de canaux financiers avec certaines juridictions frappées par des sanctions extraterritoriales, afin d'assurer le commerce et le soutien humanitaire. La mise en place d'INSTEX constitue une première réalisation concrète, qu'il conviendra d'approfondir, tout en poursuivant le renforcement du rôle international de l'euro.

c) Le nombre limité, quoiqu'en hausse, de résolutions européennes n'ayant reçu aucune suite ou presque

Dans trois cas , contre un seul sur la période couverte par le précédent rapport, une résolution européenne du Sénat n'a, au moins jusqu'à présent, connu aucune suite effective ou quasiment aucune.

• Le Sénat n'a pas obtenu satisfaction sur sa résolution européenne tendant à préserver la pérennité des compagnies aériennes immatriculées dans l'Union européenne, tout en garantissant les droits des passagers aériens , alors que sa résolution européenne et le Gouvernement poursuivaient le même objectif.

La propagation de la pandémie de Covid-19 s'est traduite par l'arrêt quasi-total et simultané du trafic aérien dans le monde. Nombre de passagers de ces vols annulés ne se sont pas vu proposer par les transporteurs aériens, confrontés à cette situation sans précédent, le choix entre un réacheminement vers leur destination finale ou le remboursement intégral du billet non utilisé, comme le prévoit le règlement (CE) n° 261/2004 du 11 février 2004 établissant les règles communes en matière d'indemnisation et d'assistance des passagers en cas de refus d'embarquement, d'annulation ou de retard important d'un vol. Selon ce règlement, en cas de remboursement, celui-ci est effectué en espèces, par virement bancaire électronique, par virement bancaire ou par chèque, ou, avec l'accord signé du passager, sous forme de bons de voyage et/ou d'autres services, mais le transporteur ne peut imposer une solution au passager.

Le 18 mars 2020, la Commission a publié des orientations interprétatives dont l'objet était de préciser comment certaines dispositions de la législation européenne relative aux droits des passagers s'appliquent dans le contexte de la crise sanitaire, notamment pour ce qui concerne les annulations et les retards. Toutefois, ces orientations interprétatives ne détaillaient pas la possibilité de procéder à des remboursements sous forme d'avoirs, se limitant à rappeler le principe selon lequel, « si le transporteur propose un bon, cette offre ne peut pas affecter le droit du passager d'opter plutôt pour un remboursement ». Les dispositions du règlement de 2004 ne couvrant pas les circonstances de cette crise sanitaire, leur mise en oeuvre pour le remboursement - dû sous sept jours en numéraire - des vols annulés du fait de la pandémie a rapidement posé un problème majeur de liquidités aux compagnies aériennes. Au cours de longues discussions avec la Commission, la France a contribué à une déclaration de 12 États membres sur ce sujet, lors de la réunion des ministres européens des transports du 29 avril 2020. Par cette déclaration, la France appelait la Commission à faire une proposition d'amendement temporaire du règlement de 2004 afin d'ouvrir la possibilité d'un remboursement des vols annulés par les compagnies aériennes sous la forme d'avoirs, remboursables à l'issue de la période de leur validité si ceux-ci n'étaient pas été utilisés par le passager.

Néanmoins, dans sa recommandation (UE) 2020/648 du 13 mai 2020 concernant des bons à valoir destinés aux passagers et voyageurs à titre d'alternative au remboursement des voyages à forfait et des services de transport annulés dans le contexte de la pandémie de Covid-19, la Commission a refusé de donner suite à une telle révision du règlement de 2004. Cette recommandation reconnaissait certes la possibilité pour les compagnies de proposer des avoirs, valables un an minimum, mais indiquait que cette faculté ne devait pas remettre en cause le droit du passager au remboursement selon le mode de son choix. La Commission recommandait que ces avoirs soient dès lors attractifs pour le passager, en respectant un certain nombre de critères, dont une grande flexibilité d'utilisation, et, surtout, qu'ils soient garantis contre le risque de faillite de la compagnie émettrice.

Il n'en demeure pas moins que cette crise sanitaire a démontré les limites du règlement de 2004. Il conviendra d'en tirer les conséquences lors de la révision de ce dernier, dont l'amorce remonte désormais à 2013.

• La résolution du Sénat demandant le renforcement des mesures exceptionnelles de la politique agricole commune (PAC), pour faire face aux conséquences de la pandémie de Covid-19, et l'affirmation de la primauté effective des objectifs de la PAC sur les règles européennes de concurrence n'a pas été prise en compte, ou quasiment pas.

Cette résolution comporte trois grands axes : les conséquences de la pandémie de Covid-19, l'affirmation de la primauté effective des objectifs de la PAC sur les règles européennes de la concurrence et le rappel des positions sénatoriales antérieures, exprimées dans trois résolutions européennes, sur les réformes en cours de la PAC.

Sur les mesures prises pour faire face à la crise liée à la pandémie de Covid-19, les dispositions prises par la Commission en faveur du secteur agricole et agroalimentaire se sont limitées à une enveloppe de 88,5 millions d'euros, portant sur un nombre réduit de secteurs, notamment certaines filières : la viande, les produits laitiers, les pommes de terre de transformation et l'horticulture. Pour la filière viticole, les mesures de confinement dans les principaux pays d'exportation sont venues s'ajouter aux effets des rétorsions américaines. Dans ces circonstances, début octobre 2020, la France, avec douze autres États membres, a demandé à la Commission la prolongation jusqu'au 15 octobre 2021 des mesures de crise dans le secteur viticole. La Commission a préparé un projet de texte à cet effet, qui devrait être adopté début 2021. La France a également demandé des assouplissements des contrôles PAC et invité la Commission à suivre attentivement la situation des marchés et à se tenir prête à envisager de nouvelles mesures de gestion des marchés et des crises en cas de besoin.

Pour ce qui concerne la phase finale des négociations sur la future PAC, les travaux en trilogues ont débuté en novembre 2020 et se poursuivront sous présidence portugaise du Conseil de l'Union européenne, avec l'objectif de dégager un accord entre les colégislateurs. Comme l'a dit le secrétaire d'État pendant son audition, « le chantier de fond n'est pas achevé. Il s'agit de l'adaptation des règles de concurrence à la politique agricole et aux négociations commerciales dans le secteur agricole ». Mais « notre conviction est que cette politique reste centrale ».

Les discussions se concentreront plus particulièrement sur :

- l'architecture environnementale (définition de l'éco-régime et seuil minimum de dépenses associé, le Parlement européen ayant retenu un seuil à 30 %, tandis que le Conseil a pris position pour 20 % avec une phase pilote de deux ans, et exigences en matière de conditionnalité des aides, en particulier à la diversité des cultures et aux infrastructures agro-écologiques) ;

- les définitions (prairie permanente et agriculteur véritable, en particulier) ;

- le plafonnement des aides directes et le paiement redistributif ;

- la définition et la gestion des aides couplées en lien avec les règles de l'OMC ;

- le cadre de performance sur la base d'indicateurs, le Parlement européen ayant rejeté l'apurement de performance fondé sur les réalisations ;

- les adaptations réglementaires prévues dans le règlement « Omnibus » (mesures de gestion des marchés, encadrement du secteur vitivinicole, indications géographiques, etc.).

Compte tenu du retard pris dans la négociation et du temps requis pour que les États membres établissent leurs plans stratégiques, qui doivent ensuite être approuvés par la Commission, deux années de transition sont prévues en 2021 et 2022, durant lesquelles les règles de la PAC actuelle continueront de s'appliquer.

La France fait valoir, au cours de ces négociations, que la PAC doit participer à faire de l'Union européenne une des principales puissances agricoles mondiales, assurant un approvisionnement sûr et répondant à de hauts standards sanitaires et environnementaux, tout en maintenant des coûts raisonnables et compétitifs. La PAC doit participer également à la vitalité des zones rurales, y compris dans les régions ultrapériphériques, et à l'intégration européenne. Bien qu'il ne prenne pas en compte l'ensemble des demandes françaises, les autorités françaises se disent satisfaites de l'équilibre trouvé au Conseil Agriculture et pêche d'octobre 2020. Dans les trilogues, les autorités françaises plaident pour que les négociations aboutissent rapidement afin de pouvoir préparer la mise en oeuvre de la future PAC au 1 er janvier 2023. Elles veillent à ce que les discussions ne dégradent pas les avancées obtenues et plaident pour que le compromis final tienne compte de leurs préoccupations, notamment en matière d'architecture environnementale (renforcement des règles de la conditionnalité, éco-régimes incitatifs, seuils minimaux de dépenses environnementales). La simplification de la mise en oeuvre, les souplesses de gestion financière et l'introduction d'un droit à l'erreur font également partie des priorités françaises, tout comme les dispositions relatives aux aides couplées en lien avec le développement des surfaces de protéines végétales, ainsi que celles relatives aux aides aux zones avec handicap naturel. Les autorités françaises se disent également vigilantes au maintien du budget du programme POSEI bénéficiant aux outre-mer et à la prolongation du système d'autorisations de plantations pour le secteur viticole. Le secrétaire d'État a d'ailleurs indiqué devant la commission que « notre mobilisation, appuyée par de nombreux parlementaires nationaux et européens, nous a permis d'obtenir, à la fin de l'année 2020, dans la dernière ligne droite des négociations avec le Parlement européen, le maintien du budget du [POSEI], si important pour l'agriculture de nos outre-mer, et qui a été remis en cause jusqu'à la fin de l'année dernière ».

Pour ce qui concerne la stratégie « De la ferme à la table » relevant du Pacte vert pour l'Europe, la France la soutient, de même que l'ambition environnementale qui y est associée. Elle plaide pour le renforcement de l'ambition économique qui doit compléter la stratégie et la mise en cohérence des différentes politiques européennes, notamment la politique commerciale, grâce à des objectifs affichés dans la stratégie. Les demandes françaises d'amélioration portent également sur le fait d'assurer des conditions de productions plus équitables entre les producteurs européens et ceux des pays tiers.

En matière de commerce international, sujet qui n'est pas directement traité dans le cadre de la réforme de la PAC, les autorités françaises partagent les préoccupations du Sénat. Elles insistent sur la nécessité de promouvoir une relation commerciale équilibrée et mutuellement bénéficiaire avec les principaux partenaires de l'Union européenne afin de favoriser les exportations françaises, tout en garantissant des règles de concurrence équitables, notamment en protégeant nos indications géographiques, et en promouvant nos normes sanitaires et phytosanitaires et nos standards environnementaux.

Si les accords commerciaux de l'Union européenne peuvent apporter une contribution à l'objectif d'une plus grande diversification des approvisionnements de l'Union et à la sécurisation juridique de ses relations commerciales, ce constat ne doit cependant pas nécessairement conduire l'Union à poursuivre la conclusion d'accords bilatéraux au même rythme que ces dernières années. Aussi le Gouvernement souhaite-t-il accorder la priorité au suivi et à la mise en oeuvre des accords commerciaux existants. Cette orientation s'est traduite par la création, en juillet 2020, du poste de directeur général adjoint chargé de l'application des règles au sein de la DG Commerce. La conclusion de nouveaux accords bilatéraux doit par ailleurs être cohérente avec les objectifs européens en matière de développement durable, notamment en faisant de la ratification et du respect des obligations juridiquement contraignantes de l'Accord de Paris un élément essentiel, en renforçant le caractère incitatif et contraignant des engagements des parties en matière de développement durable et en inscrivant le respect du principe de précaution. La France encourage également la mise en place de mesures dites « miroir » de façon à appliquer aux produits importés en provenance d'États tiers certains standards environnementaux et sanitaires européens de production. Enfin, les autorités françaises partagent la demande du Sénat d'améliorer la transparence sur les filières agricoles sensibles. Il est également nécessaire d'améliorer la transparence et la communication sur les concessions consenties par l'Union européenne dans le cadre de ses accords commerciaux et à l'OMC, et d'en faire un suivi global. Cela implique notamment une transparence accrue par catégorie de produits, sur la gestion et l'utilisation des contingents, y compris sur les produits des RUP. Ce meilleur suivi doit fournir une base pour les études d'impact ex ante et ex post sur les effets des accords commerciaux, avec des chiffrages sectoriels et régionaux fins.

Sur cette question des accords commerciaux, M. Clément Beaune a indiqué que « nous devons être aussi vigilants que possible. Nous devons être offensifs, car conquérir des marchés internationaux est aussi une condition de vie, ou de survie, de notre agriculture nationale, mais sans accepter des accords commerciaux qui ne respecteraient pas nos standards de qualité environnementale, alimentaire, de production, que ce soit dans le secteur agricole ou industriel. Sur l'accord le plus connu, avec le Mercosur, qui est sur la table de l'Union européenne depuis un peu plus d'un an, la position de la France est claire et elle n'a pas changé : l'accord existant n'est pas acceptable. Il faudrait le modifier sur la biodiversité et le respect de l'accord de Paris et de nos standards environnementaux, sanitaires et alimentaires ».

Pour autant, en dépit de ces assurances fournies par les pouvoirs publics français, l'écart avec les positions exprimées par les résolutions du Sénat porte sur l'économie générale même de la réforme de la PAC. Ce point est rappelé dans la dernière résolution. Plus précisément, le nouveau mode de mise en oeuvre entraîne un risque de renationalisation de la PAC, sur fond de distorsions de concurrence supplémentaires et de dumping social et environnemental. Or il n'a pas été remis en cause : les inquiétudes du Sénat demeurent entières.

Sur les règles de concurrence, les autorités françaises, au cours des négociations sur la réforme de la PAC, ont porté des évolutions du cadre règlementaire européen permettant de renforcer la position des agriculteurs dans la chaîne de valeur. Elles ont notamment soutenu les propositions visant à :

- rendre possible l'extension d'accords interprofessionnels permettant la constitution de fonds de mutualisation visant à prévenir et gérer les risques pour la santé animale, les risques phytosanitaires et les risques environnementaux et économiques ;

- permettre pour le secteur vitivinicole de demander l'extension d'accords interprofessionnels visant à déroger aux délais de paiements légaux pour les transactions de vins dans le cas de contrats pluriannuels, un tel cadre juridique applicable aux transactions de vins en vrac permettant de garantir le partage du coût de trésorerie entre la production et le négoce, lié à la durée de vinification et d'élevage des vins) ;

- intégrer les coûts de production dans les dispositions relatives au partage de la valeur ;

- renforcer l'encadrement des relations contractuelles dans le secteur du lait.

Mais les réticences de la Commission à changer le cadre juridique applicable demeurent très fortes : la résolution du Sénat plaide en faveur de mesures ambitieuses, seules capables de venir en aide à nos agriculteurs, en consacrant une exception de principe en faveur des organisations agricoles au droit commun de la concurrence, sur le modèle du Capper-Volstead Act américain du 18 février 1922. Or, un tel changement de paradigme n'est manifestement pas à l'ordre du jour.

• La résolution visant à adapter le régime de protection dont bénéficie le loup en application de la convention de Berne et de la législation européenne n'a pas connu de suite favorable à Bruxelles.

Le loup est une espèce protégée dans le cadre de la directive « Habitats ». Le déclassement du loup de l'annexe II à l'annexe III de la convention de Berne et de la directive « Habitats » était soutenu par les organisations professionnelles agricoles en France et certains députés européens. Les autorités françaises ont jugé cependant que le déclassement n'apportait pas de solution efficace.

En décembre 2016, la Commission avait décidé de maintenir en l'état les directives dites « Nature », à l'issue de l'évaluation réalisée. Elle avait considéré que la progression démographique du loup avait été rendue possible par la protection prévue par la directive « Habitats ». Selon elle, une modification trop précoce de son statut aurait pu remettre en cause cette amélioration. La France partageait ce point de vue. Toutefois, plusieurs États membres ne connaissent pas de progression de la population du loup. En outre, une modification du statut du loup ne se traduirait pas par une augmentation mécanique du nombre de spécimens susceptibles d'être prélevés annuellement, ce nombre étant fonction de l'état de conservation de l'espèce, et non de son statut de protection (stricte ou non). Ainsi, les marges de prélèvement ne seraient pas plus importantes dans l'hypothèse d'un déclassement du loup : le seuil de prélèvement resterait le même, dans la mesure où l'objectif environnemental visé porterait encore sur le bon état de conservation de l'espèce.

La question du déclassement du loup n'a pas été mise à l'ordre du jour du comité permanent de la convention de Berne depuis sa réunion de l'automne 2018. La proposition avait alors été faite par la Suisse. L'Union européenne, en raison d'une absence de majorité qualifiée, avait annoncé qu'elle n'était pas en mesure de se prononcer en cas de vote, ce qui avait conduit la Suisse à retirer sa proposition. Ni en 2019, ni en 2020, la Commission n'a proposé au Conseil de soutenir une proposition visant au déclassement du loup, ce que demandait la résolution sénatoriale.

Le succès n'a pas été plus grand sur les autres points de cette résolution. La Commission n'a pas manifesté l'intention de développer un processus d'évaluation réactif afin de permettre de modifier le statut de protection d'une espèce dans une région donnée, dès que le niveau de conservation souhaité est atteint, ni celle de procéder à une adaptation des annexes de la directive concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages, afin de prendre en compte la croissance du nombre de loups dans certains États membres ou certaines régions.

Le directeur général de l'environnement de la Commission a écrit à la Direction de l'eau et de la biodiversité, le 18 décembre 2020, pour rappeler que les tirs destructifs ne devaient avoir lieu qu'en dernier recours pour être conformes avec la directive « Habitats » et pour manifester son inquiétude vis-à-vis du récent relèvement du plafond de loups pouvant être détruits. Il considère que la population de 500 loups ne saurait être considérée comme viable et estime que « la condition de maintien du bon état de conservation de la population de loups ne semble pas remplie ».

En ce qui concerne la nécessité pour les États membres d'accorder les dérogations aux interdictions prévues par l'article 12 de la directive « Habitats », sans exclure a priori aucun territoire du champ de ces dérogations, l'arrêté-cadre du 23 octobre 2020 sur les tirs dérogatoires de loup a maintenu les dispositions relatives tant aux tirs d'effarouchement en son article 9, qu'aux tirs simples et renforcés en son article 12 dans les réserves nationales et les coeurs de parcs.


* 12 Plusieurs catégories de textes spécifiques comme les nominations, les virements ou les textes PESC font l'objet d'une procédure d'accord tacite négociée entre les deux assemblées et le SGAE. Une fois passé un délai de 72 h après leur dépôt, la réserve d'examen des textes relevant de ces catégories est considérée comme levée.

* 13 EU Internet Referral Unit.

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