SYNTHÈSE DES RECOMMANDATIONS

Recommandation n° 1 : Atteindre 85 % de projets d'APD ayant pour objectif principal ou significatif l'égalité femmes-hommes dès 2025.

Recommandation n° 2 : Fiabiliser l'évaluation interne et externe des projets de développement au regard du genre et faire siéger au sein de la commission indépendante d'évaluation de la politique de développement un membre du Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes.

Recommandation n° 3 : Augmenter la mobilisation de l'APD en faveur des droits et problématiques spécifiques aux filles.

Recommandation n° 4 : Développer et systématiser les données désagrégées par sexe et par âge et les indicateurs genrés de résultat.

Recommandation n° 5 : Améliorer la lisibilité et la programmation des crédits consacrés à l'égalité femmes-hommes et à la diplomatie féministe.

Recommandation n° 6 : Intégrer l'approche du genre de façon transversale dans toutes les composantes de la diplomatie française et créer une instance chargée d'impulser cette dynamique et de sensibiliser tous les acteurs.

Recommandation n° 7 : Systématiser les règles de représentation équilibrée de chaque sexe au sein des instances françaises en charge de l'APD et accélérer les politiques de féminisation des postes à responsabilités.

Recommandation n° 8 : Systématiser les règles de représentation équilibrée de chaque sexe au sein des conseils locaux de développement.

Recommandation n° 9 : Pérenniser le financement du Fonds de soutien aux organisations féministes.

L'ÉGALITÉ FEMMES-HOMMES : OBJECTIF TRANSVERSAL DE LA POLITIQUE DE DÉVELOPPEMENT
ET DE SOLIDARITÉ INTERNATIONALE

A. L'ÉGALITÉ FEMMES-HOMMES, UN ENJEU DE SOLIDARITÉ INTERNATIONALE DANS UN CONTEXTE MONDIAL MARQUÉ PAR UN RECUL INQUIÉTANT DES DROITS DES FEMMES

1. Des objectifs internationaux soutenus par la France
a) Des conventions et programmes d'action internationaux

Depuis les années 1970, plusieurs engagements internationaux ont été conclus, dans le cadre de l'Organisation des Nations Unies (ONU), en faveur des droits des femmes. La France a souscrit à ces divers engagements, qu'elle défend à l'échelle internationale, dans ses relations bilatérales comme dans les enceintes multilatérales.

La première conférence de l'ONU sur les femmes a été organisée en 1975, proclamée par l'ONU « année internationale des femmes ». Cette conférence, organisée à Mexico, a conduit à l'adoption par l'ONU d'une convention sur les droits des femmes en 1979 (Convention sur l'élimination de toutes les formes de discriminations à l'encontre des femmes), ratifiée par la France en 1983.

Vingt ans plus tard, la déclaration et le programme d'action de la Conférence mondiale sur les femmes de Pékin de 1995 ont contribué à lancer une dynamique mondiale en faveur des droits des femmes . Ils ont fixé la principale feuille de route des engagements des gouvernements en la matière. C'est lors de cette conférence qu'a été évoquée, pour la première fois, l'approche transversale de gender mainstreaming , qui vise à promouvoir l'intégration de l'égalité des chances entre les femmes et les hommes dans toutes les politiques publiques .

C'est d'ailleurs à la suite de cette conférence que notre ancienne collègue Michelle Demessine 6 ( * ) , qui y avait participé, a proposé que le Sénat se dote d'une structure de réflexion sur la place des femmes dans la vie politique et sur l'accès des femmes aux responsabilités. Cette mission d'information 7 ( * ) a conduit, deux ans plus tard, en 1999, à l'adoption d'une loi créant dans chaque assemblée une délégation aux droits des femmes 8 ( * ) .

La France a aussi soutenu l'adoption de toutes les résolutions « Femmes, Paix et Sécurité » des Nations Unies, à la suite de la résolution fondatrice 1325 du Conseil de sécurité de l'ONU, adoptée en 2000, portant sur le rôle des femmes dans la prévention des conflits armés et la lutte contre les violences sexuelles envers les femmes en temps de conflit.

La France a également ratifié en 2014 la Convention sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique, dite Convention d'Istanbul, adoptée par le Conseil de l'Europe en 2011.

Enfin, l' Agenda 2030 pour le développement durable, adopté par les 193 membres de l'ONU en 2015, a fixé dix-sept objectifs de développement durable (ODD). Parmi ceux-ci, un objectif spécifique est consacré aux droits des femmes : l' ODD 5 qui vise à « parvenir à l'égalité des sexes et autonomiser toutes les femmes et les filles » . Il se décline en neuf cibles : lutte contre les discriminations ; élimination des violences et de toutes les formes d'exploitation ; élimination des mariages forcés et des mutilations ; promotion et partage des travaux domestiques ; participation et accès aux postes de direction ; accès aux soins de santé sexuelle et procréative ; droit et accès aux ressources ; utilisation des technologies ; adoption de politiques d'égalité. L'ODD 5 agit en interrelation avec les seize autres ODD : il encourage la conception et la mise en oeuvre de toutes les politiques publiques à travers le prisme du genre et incite à la mise en place de politiques dédiées à la lutte contre les inégalités qui subsistent et nécessitent des mesures positives en faveur des femmes. En outre, dix autres ODD incluent des cibles genrées.

L'agence ONU Femmes, créée en 2010 à partir de la fusion de diverses entités, impulse et coordonne la mobilisation internationale en faveur des droits des femmes. Elle soutient les États et les organes intergouvernementaux dans l'adoption de normes internationales et travaille avec les gouvernements et la société civile à concevoir les lois, les politiques, les programmes et les services nécessaires pour veiller à l'application effective de ces normes et à ce que les femmes et les filles en bénéficient, partout dans le monde.

La France co-préside, avec le Mexique, en 2021, le Forum Génération Égalité , rassemblement mondial pour l'égalité entre les femmes et les hommes, organisé par ONU Femmes en partenariat avec la société civile. Cet intitulé fait référence à la période de 25 ans - une génération - qui s'est écoulée depuis la dernière conférence mondiale sur les droits des femmes à Pékin. Initialement prévu en juillet 2020, cet événement, lancé à Mexico en mars 2021, devrait se tenir à Paris du 30 juin au 2 juillet 2021.

b) Un système d'évaluation de l'APD au regard du genre, développé par le Comité d'aide au développement (CAD) de l'OCDE

Afin d'évaluer le degré d'intégration de l'égalité de genre au sein des projets d'aide publique au développement et d'encourager les pays membres à prendre en compte de façon systématique l'approche du genre dans la définition de leur politique d'aide au développement, le Comité d'aide au développement (CAD) de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a mis au point un système de notation, auquel la France se réfère pour définir ses objectifs en termes d'APD genrée.

LE SYSTÈME DE MARQUEURS GENRE
DU COMITÉ D'AIDE AU DÉVELOPPEMENT (CAD) DE L'OCDE

Dans le cadre de l'exercice annuel de notification de leurs apports d'aide au CAD de l'OCDE, il est demandé aux membres du CAD d'indiquer, pour chaque projet ou programme, si celui-ci est orienté vers l'égalité des sexes comme objectif de la politique d'aide en s'appuyant sur un système de notation à trois valeurs. Ce marqueur rend compte des intentions des donneurs au stade de la conception. Il ne permet pas et n'a pas pour finalité de mesurer les résultats ou l'impact d'un programme ou d'un projet.

Les trois valeurs possibles pour les projets et programmes examinés sont les suivantes :

CAD 0 : Le projet/programme a été examiné au regard du marqueur genre mais il n'a pas été constaté qu'il visait l'objectif de l'égalité femmes-hommes. Il ne s'agit pas d'une notation par défaut car les projets et programmes n'ayant pas fait l'objet d'un examen au regard de l'égalité femmes-hommes ne sont pas marqués.

Exemple : projet d'éducation de base et d'alphabétisation destiné à bénéficier aux garçons et aux filles mais sans objectif précis concernant la lutte contre les obstacles sexospécifiques à l'éducation, ni activités visant expressément à éliminer ces obstacles.

CAD 1 : L'égalité femmes-hommes est un « objectif significatif », c'est-à-dire un objectif important et délibéré du projet/programme, mais pas le principal motif de sa réalisation.

Exemple : projet d'éducation de base et d'alphabétisation destiné à bénéficier aux garçons et aux filles, avec des incitations financières aux familles défavorisées pour les encourager à autoriser leurs filles à fréquenter l'école.

CAD 2 : L'égalité femmes-hommes constitue l'objectif principal du projet/programme et sa recherche détermine de façon fondamentale la conception de ce dernier et les résultats qui en sont attendus. Ce projet/programme n'aurait pas été entrepris en l'absence de l'objectif de l'égalité entre les femmes et les hommes.

Exemple : projet concernant expressément l'accès des filles à l'enseignement et/ou à la formation professionnelle et l'amélioration des résultats qu'elles y obtiennent, avec pour objectif principal d'assurer l'autonomisation des femmes et des filles et de réduire les inégalités entre garçons et filles.

Les montants totaux qui sont affectés aux projets/programmes auxquels les donneurs membres du CAD ont attribué les valeurs 1 ou 2 sont comptabilisés au titre de l'aide orientée vers l'égalité femmes-hommes (dite APD genrée).

c) Une stratégie européenne récemment étoffée

L'Union européenne a adopté en 2020 une « Stratégie en faveur de l'égalité entre les hommes et les femmes 2020-2025 » qui définit les travaux que la Commission européenne entend mener dans ce domaine et décrit les objectifs stratégiques à atteindre et les mesures essentielles à prendre au cours de la période 2020-2025. Cette stratégie prévoit que la Commission intègrera la dimension de genre dans tous les domaines d'action de l'UE qu'ils soient intérieurs ou extérieurs.

Le nouveau plan d'action de l'UE sur l'égalité des genres et l'émancipation des femmes dans l'action extérieure 2021-2025 (GAP III) définit le cadre stratégique de l'action de l'UE s'agissant de l'APD et des politiques extérieures de l'UE de façon plus générale. Il fixe l'objectif suivant : 85 % de toutes les nouvelles actions entreprises dans le cadre des relations extérieures contribueront à l'égalité des genres et à l'émancipation des femmes d'ici 2025 (conformément aux marqueurs genre de l'OCDE). En 2018, 55 à 68 % des nouveaux programmes de l'UE avaient déjà intégré cette approche du genre.

L'UE a en outre lancé récemment plusieurs initiatives destinées à promouvoir l'égalité entre les femmes et les hommes à l'échelle internationale :

- l'initiative Spotlight , programme mondial conjoint de l'UE et des Nations Unies, qui bénéficie d'un montant total alloué par l'UE de 500 M€ en vue d'éliminer toutes les formes de violence à l'égard des femmes et des filles ;

- la campagne #WithHer en 2020, destinée à remettre en question les normes et stéréotypes de genre préjudiciables, qui perpétuent la violence à l'égard des femmes dans le monde entier.

2. Des engagements pris au niveau français et un momentum politique aujourd'hui favorable
a) Des stratégies et programmes intégrant l'approche du genre depuis 2007

La France a adopté en 2007 puis en 2013 deux premières stratégies internationales « Genre et développement » visant à intégrer l'approche du genre dans ses instruments de financement de l'aide publique au développement et dans la conduite de ses projets sur le terrain, tout autant que dans la conception de sa politique de développement et de solidarité internationale.

Une plateforme Genre et Développement a aussi été créée, afin de rassembler les acteurs impliqués dans la politique de développement : pouvoirs publics et élus, institutions de développement, ONG, organisations issues des migrations et réseaux régionaux multi-acteurs, collectivités territoriales, milieux de la recherche et universitaires.

Ces orientations ont été confirmées par la loi n° 2014-773 du 7 juillet 2014 d'orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale qui a inscrit explicitement l'égalité entre les femmes et les hommes parmi ses objectifs.

Une nouvelle stratégie internationale a été adoptée lors du Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) de février 2018. Cette Stratégie internationale pour l'Égalité femmes-hommes 2018-2022 a pour objectif de renforcer les acquis en matière d'égalité femmes-hommes, en termes de traçabilité et de redevabilité de l'aide au développement. Pour la première fois, la thématique de l'égalité entre les femmes et les hommes devient ainsi transversale et systématique, et s'intègre à l'ensemble de la politique internationale (d'influence, économique, culturelle, de coopération au développement...).

L'APD française transite par trois canaux : la coopération bilatérale (aide directe à un pays partenaire via des prêts, subventions ou allégements de dette), qui représente environ 60 % de l'APD totale ; la coopération européenne (mise en oeuvre par la Commission européenne) ; et la coopération multilatérale hors UE (mise en oeuvre par les organisations internationales).

La Stratégie internationale pour l'Égalité femmes-hommes 2018-2022 fixe quatre objectifs principaux pour renforcer la prise en compte du genre dans l'APD bilatérale d'ici 2022 :

- 100 % de marquage genre ;

- 50 % d'APD bilatérale programmable, en volume d'engagement, finançant des projets ou programmes marqués CAD 1 ou 2 ;

- 50 % de projets financés par l'Agence française de développement (AFD, principal opérateur de l'APD) marqués CAD 1 ou 2 , en volume ;

- 700 M€ de programmes marqués CAD 2 financés par l'AFD .

La France a également mis en place des plans d'actions et programmes spécifiques. Ainsi, la stratégie de coopération internationale sur les enjeux de population, de santé et droits sexuels et reproductifs pour 2016-2020, centrée sur l'Afrique de l'Ouest, s'articule autour de trois objectifs prioritaires : améliorer les cadres normatifs internationaux, régionaux et nationaux en matière de droits sexuels et reproductifs, augmenter l'accès aux méthodes modernes de contraception ainsi que faciliter l'accès des adolescentes et des jeunes aux services de santé sexuelle et reproductive, et réduire les pratiques néfastes. La France soutient aussi des programmes de santé sexuelle et reproductive dans neuf pays d'Afrique francophone dans le cadre de l'initiative Muskoka.

b) Une volonté politique affirmée qui doit pleinement s'appliquer

Ces engagements internationaux de la France en faveur des droits des femmes bénéficient d'un momentum politique aujourd'hui favorable. Le Président de la République a fait de l'égalité femmes-hommes la « grande cause du quinquennat » et a appelé, à la tribune de l'Assemblée Générale des Nations Unies en 2018, à en faire une grande cause mondiale .

En outre, depuis 2018, la France affirme sa volonté de mener une « diplomatie féministe ». Cette terminologie, reconnue sur le plan international, a été reprise officiellement par la France en mars 2018 dans des discours du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, lors de la présentation de la Stratégie internationale de la France pour l'égalité entre les femmes et les hommes 2018-2022 , puis de la secrétaire d'État chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa, à la tribune de l'ONU. Elle a ensuite été développée, en mars 2019, dans une tribune publiée dans Libération 9 ( * ) affirmant que : « La France est depuis un an à l'initiative d'une dynamique nouvelle : une véritable diplomatie féministe . Une diplomatie féministe qui n'oublie aucun sujet. (...) Une diplomatie concrète qui ne se contente pas de discours ; elle agit et produit des effets pour soutenir les femmes, toutes les femmes. (...) Faire vivre cette diplomatie féministe à travers le monde, c'est mener partout et tout le temps le combat de l'égalité entre les femmes et les hommes . »

Cette impulsion politique s'est traduite par des annonces, notamment lors de la présidence française du G7 en 2019 : priorité à l'éducation des filles au travers du Plan Mondial pour l'Éducation, soutien à l'initiative AFAWA pour l'entrepreneuriat féminin en Afrique, soutien au fonds du docteur Denis Mukwege luttant contre les violences sexuelles, troisième plan national d'action de mise en oeuvre de la résolution 1325 du Conseil de Sécurité de l'ONU, accueil du Forum Génération Égalité (Pékin + 25), création d'un fonds de soutien aux organisations féministes d'un montant de 120 M€.

C'est pour analyser les résultats de ces engagements politiques forts et identifier les pistes de progrès que la délégation aux droits des femmes a engagé, dès janvier 2020, une réflexion sur le bilan de la politique française de développement du point de vue de l'égalité femmes-hommes .

3. Des avancées importantes mais une vigilance plus que jamais nécessaire
a) Des progrès dans l'orientation de l'APD à confirmer

La délégation a constaté que, si d'importantes avancées sont intervenues récemment pour mieux orienter les financements de la politique de développement vers des projets favorables à l'autonomie des femmes et au renforcement de leurs droits, il n'en demeure pas moins nécessaire de rester vigilant sur la mise en oeuvre de cette politique comme sur les moyens financiers et humains qui lui sont alloués.

Au niveau mondial, selon les derniers chiffres de l'OCDE 10 ( * ) , en 2019, 53,1 Md$ d'APD, soit 42 % de l'aide bilatérale ventilable totale des pays du CAD, avaient pour objectif principal ou significatif l'égalité de genre et l'autonomisation des femmes, dont 4,4 Md$ pour la France 11 ( * ) . Ce montant n'a jamais été aussi élevé. Dans le domaine de l'éducation, 59 % de l'APD bilatérale est marquée CAD 1 ou 2 au niveau de l'OCDE.

PART DE L'APD GENRÉE (CAD 1 ET 2) DANS L'APD BILATÉRALE VENTILABLE

Source : Calculs de la délégation à partir de données de l'OCDE (base CRS, engagements d'APD bilatérale ventilable) extraites le 28 avril 2021

PROJETS D'APD BILATÉRALE VISANT L'ÉGALITÉ DES SEXES
ET L'AUTONOMISATION DES FEMMES, AU SEIN DES PAYS DE L'OCDE EN 2019

APD en milliards de dollars

Ratios en pourcentage de l'APD totale

APD genrée (CAD 1 ou 2)

Projets CAD 1

Projets CAD 2

Projets CAD 0

APD totale

Projets examinés

APD genrée (CAD 1 ou 2)

Projets CAD 1

Projets CAD 2

Donateurs

Membres du CAD, total

53,1

46,7

6,4

67,7

127,1

95%

42%

37%

5%

Canada

3,2

2,3

0,9

0,3

3,5

99%

90%

65%

25%

Suède

1,8

1,3

0,5

0,5

2,2

100%

81%

59%

21%

France

4,4

3,8

0,7

6,8

11,3

99%

39%

33%

6%

Allemagne

8,9

8,6

0,4

11,0

20,1

99%

44%

43%

2%

Royaume-Uni

5,2

4,6

0,6

3,5

9,1

95%

57%

50%

7%

États-Unis

5,9

4,9

1,1

20,2

26,2

100%

23%

19%

4%

Institutions de l'UE

9,1

8,3

0,8

6,6

19,4

81%

47%

43%

4%

Source : Calculs de la délégation à partir de données de l'OCDE (base CRS, engagements d'APD bilatérale ventilable 2019) extraites le 28 avril 2021

En France, la mise en oeuvre de la politique d'APD relève principalement de l'Agence française de développement (groupe AFD). Le ministère de l'Europe et des affaires étrangères (MEAE), celui de l'économie et des finances, celui de l'éducation nationale et l'AFD représentent à eux quatre 93 % de l'aide française.

Jusqu'à très récemment, la France se situait bien en deçà de la moyenne des pays du CAD de l'OCDE : en 2018, 19 % de l'APD bilatérale française était marquée CAD 1 ou 2 contre 42 % pour l'ensemble des pays du CAD. Les derniers chiffres récemment publiés par l'OCDE pour l'année 2019 montrent une progression de l'APD bilatérale française marquée « genre », qui atteint ainsi 39 % de l'APD bilatérale totale. On note toutefois un niveau encore faible des projets marqués CAD 2 dont les montants ne représentent que 6 % de l'APD bilatérale totale.

La nouvelle orientation de l'action de l'AFD, avec une approche par le lien social, mettant l'accent sur les populations, tout comme la dernière stratégie internationale 2018-2022, semblent porter leurs fruits.

Comme l'a souligné Bertrand Walckenaer, directeur général délégué de l'Agence française de développement , entendu le 26 mars 2021 par la délégation, les objectifs assignés à l'AFD dans son dernier contrat d'objectifs et de moyens ont été largement dépassés. Selon les résultats annuels du groupe AFD pour l'année 2020, 100 % des projets sont désormais analysés au prisme du genre, selon la grille d'évaluation de l'OCDE, et 67 % ont un objectif significatif ou principal sur l'égalité entre les femmes et les hommes (CAD 1 ou 2), pour atteindre un total de 5,8 Md€ (prêts et subventions).

Cependant, le volume et la part des projets de développement ayant l'égalité femmes-hommes comme objectif principal (CAD 2) restent faibles et appellent une vigilance particulière de la part de l'AFD.

SUIVI DES INDICATEURS D'ACTIVITÉ DE L'AFD PORTANT SUR L'APD GENRÉE

- Indicateur n° 28 : Projets ayant un objectif significatif ou principal de réduction des inégalités de genre

Les cibles pour 2021 et 2022 sont en cours de révision au sein du département « Lien social » de l'AFD pour atteindre 55 % d'ici 2022.

- Indicateur n° 29 : Part des autorisations d'engagement en subventions dans les États étrangers marquées CAD 2

Cible : 15 % en moyenne sur la durée du COM

Réalisation : 18 % en 2019, 11 % en 2020

- Indicateur n° 30 : Volume des autorisations d'engagement dans les États étrangers marquées CAD 2

Cible : 700 M€ par an à l'horizon 2022 sous réserve de la disponibilité de ressources en subventions suffisantes

Réalisation : 749 M€ en 2019, 372 M€ en 2020

L'AFD, intervient dans de nombreux pays, pour assurer l'accès aux services de base (eau potable, électricité, santé...) ou appuyer des projets d'autonomisation économique et sociale ou de renforcement des capacités individuelles, locales et institutionnelles.

EXEMPLES DE PROJETS MARQUÉS « GENRE »
FINANCÉS PAR LE GROUPE AFD EN 2020

En Tunisie, le projet Enda (financé à hauteur de 15 M€ par Proparco ) propose des micro-prêts (entre 60 et 13 000 euros par bénéficiaire), des formations adaptées, et des campagnes de sensibilisation sur les droits socio-économiques des femmes afin de dynamiser l'entrepreneuriat féminin dans le pays.

Au Maroc, l'AFD a accordé 100 M€ en prêt et 1 M€ en subvention pour développer une budgétisation sensible au genre, en lien avec ONU Femmes.

En Centrafrique, l'AFD co-finance à hauteur de 3 M€ sur quatre ans la création d'un centre de prise en charge globale des femmes victimes de violences, en partenariat avec la Fondation Pierre Fabre et celle du Dr Denis Mukwege.

Au Tchad, le projet PASFASS s'emploie à renforcer les systèmes de santé communautaires affaiblis et sensibilise aux violences basées sur le genre (5 M€ AFDSAN). L'amélioration de l'accès aux soins et à la santé reproductive, maternelle, néonatale et infantile ainsi prodigué touche plus de 548 000 personnes et participe à la réduction des violences et excisions subies par les femmes et les filles tchadiennes.

En Colombie, l'ONG Taller abierto accompagne les communautés afro-colombiennes touchées par les violences et travaille à l'insertion accrue des femmes dans la société et à la formation à l'exercice de leurs droits de citoyennes.

L'AFD intervient sous forme de subventions mais principalement sous forme de prêts à taux avantageux, se distinguant ainsi d'autres pays comme la Suède ou le Canada, qui ont décidé de faire de l'égalité de genre le principal marqueur de leur politique d'aide au développement et qui procèdent quasi exclusivement par subventions.

OUTILS FINANCIERS DES 12,1 MD€ ENGAGÉS PAR L'AFD EN 2020

b) Des inégalités de genre exacerbées par l'impact mondial de la pandémie de Covid-19

Le soutien de la politique de développement à l'égalité femmes-hommes est aujourd'hui d'autant plus important que les femmes et les filles sont les premières touchées par la pauvreté, les conflits et le changement climatique. En outre, le contexte mondial actuel, marqué par une crise sanitaire, économique et sociale sans précédent, est celui d'un recul inquiétant des droits des femmes.

La publication en janvier 2020 d'un rapport du secrétaire général de l'ONU 12 ( * ) , à l'occasion du 25 e anniversaire de la Conférence de Pékin, a permis de dresser un bilan des progrès accomplis en une génération et des défis à relever en matière d'égalité femmes-hommes au niveau mondial.

Le rapport identifie des progrès, notamment du point de vue de l'abrogation des lois à caractère discriminatoire (entre 2008 et 2017, 274 réformes juridiques concernant l'égalité des genres ont été menées dans 131 pays), de la scolarisation des filles ou de la santé avec une baisse du taux mondial de mortalité maternelle (de 342 décès maternels pour 100 000 naissances vivantes en 2000 à 211 pour 100 000 en 2017).

Cependant, il fait apparaître que les progrès réalisés sont en deçà de ce à quoi les États s'étaient engagés en 1995.

Les femmes âgées de 25 à 34 ans ont ainsi 25 % de risques supplémentaires que les hommes de vivre dans l'extrême pauvreté. L'amélioration de l'éducation des femmes n'a pas suffi à faire reculer la ségrégation professionnelle ni à diminuer l'écart de rémunération entre les femmes et les hommes, qui reste de 20 %, en moyenne, à l'échelle mondiale. Les femmes assument en outre près de trois fois plus de travail domestique et familial non rémunéré que les hommes. Comme le souligne le secrétaire général de l'ONU, « dans les pays en développement, il s'agit parfois d'un dur labeur. Ainsi, ce sont les femmes et les filles qui sont chargées de la collecte de l'eau dans 80 % des ménages qui n'ont pas accès à l'eau courante. »

Ainsi que l'ont confirmé Farah Malek-Bakhouche, chargée de plaidoyer international, et Jodie Soret, chargée des relations avec les pouvoirs publics, d'Unicef France , lors de leur audition par la délégation le 9 avril 2021, la situation des jeunes générations est elle aussi préoccupante. Plus de 130 millions de filles de 6 à 17 ans ne vont pas à l'école alors qu'elles sont en âge d'être scolarisées. Dans certains pays du monde, plus de 90 % des petites filles sont encore excisées. Nombre d'entre elles sont forcées de se marier à des âges bien inférieurs à la majorité. Dans le monde, 750 millions de femmes et de filles ont été mariées avant l'âge de 18 ans.

Le rapport précité de l'ONU souligne en outre la stagnation et le recul à l'oeuvre en matière de santé et de droits sexuels et reproductifs, les violences de genre, la sous-représentation des femmes aux postes de décision ou encore la persistance du sexisme et des stéréotypes de genre.

Lors de son audition le 12 novembre 2015, Patrizianna Sparacino-Thiellay, ambassadrice pour les droits de l'Homme , évoquait déjà devant notre délégation 13 ( * ) l'existence d'une « pression dans les enceintes des Nations Unies » pour remettre en cause les droits des femmes au nom de « revendications relativistes liées à la religion et à la tradition, y compris dans le bloc occidental », menaçant les avancées dans le domaine des droits sexuels et reproductifs. Le 5 mars 2020 lors de la table ronde précitée de notre délégation, Delphine O, ambassadrice, secrétaire générale du Forum Génération égalité , tenait des propos similaires : « À notre époque, la montée des conservatismes est une évidence. Elle est concertée, organisée, financée et extrêmement puissante. Il faut reconnaître que vingt-cinq ans après la Conférence de Pékin, le compte n'y est pas. »

Face à ces constats, le rapport du secrétaire général de l'ONU déplore que les actions menées par les États et les investissements en termes d'aide publique au développement n'aient pas été à la hauteur des engagements pris en 1995. Il relève que la part de l'aide bilatérale allouée par les pays de l'OCDE à l'égalité des genres a augmenté entre 2009 et 2016-2017, passant de 23 % à 36,5 %, mais que l'aide ayant l'égalité des genres pour objectif principal ne représentait encore que 4 % de l'APD bilatérale en 2017. Il estime que « pour mettre fin aux décès maternels évitables, répondre à tous les besoins non satisfaits en matière de planification familiale et éliminer la violence de genre d'ici à 2030, il faudra pouvoir compter sur quelque 264 milliards de dollars au cours de la prochaine décennie » mais que « d'après les prévisions, un montant de seulement 42 milliards de dollars au titre de l'aide publique au développement sera dépensé dans ces domaines entre 2020 et 2030 ».

En outre, dans un contexte déjà difficile, la pandémie de Covid-19 exacerbe les inégalités de genre existantes et soulève de nouveaux défis pour les droits des femmes dans le monde.

La délégation estime que cette situation mondiale inquiétante appelle à une vigilance accrue et à une prise en compte renforcée de l'approche du genre au sein de la politique de développement française .


* 6 Michelle Demessine, sénatrice du Nord, entre 1992 et 1997, puis entre 2011 et 2017.

* 7 Mission commune d'information sur la place et le rôle des femmes dans la vie publique ( https://www.senat.fr/commission/missions/femmes/fempres.html )

* 8 Loi n° 99-585 du 12 juillet 1999.

* 9 https://www.liberation.fr/debats/2019/03/07/pour-une-diplomatie-feministe_1713657/

* 10 https://stats.oecd.org/viewhtml.aspx?datasetcode=DV_DCD_GENDER&lang=fr

* 11 Soit respectivement environ 44 Md€ pour les pays du CAD de l'OCDE et 4 Md€ pour la France (au cours de l'euro au 30 avril 2021)

* 12 Examen et évaluation des suites données à la Déclaration et au Programme d'action de Beijing et aux textes issus de la vingt-troisième session extraordinaire de l'Assemblée générale ( https://undocs.org/fr/E/CN.6/2020/3 )

* 13 https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20151109/femmes.html

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