C. L'ARTICLE 55 A PERMIS D'AUGMENTER LA PRODUCTION DE LOGEMENT SOCIAL

Malgré les débats qu'elle a occasionnés et une certaine instabilité législative, 20 ans après son adoption, la loi SRU apparaît comme une avancée en matière de production de logement social sur l'ensemble du territoire.

Ce résultat est souligné par les rapports de la Commission nationale SRU comme de la Cour des comptes et analysé par deux études récentes de France-Stratégie et des universitaires Tristan-Pierre Maury et Kevin Beaubrun.

1. Une augmentation réelle, mais inégale de la production

Selon la Commission nationale SRU, la moitié des 1,8 million de logements sociaux construits en France depuis la loi SRU l'ont été dans les communes déficitaires. Pour elle, « cette dynamique de la production insufflée par la loi a initié, dans les communes concernées, une réelle accélération de la diversification de l'habitat, préalable nécessaire au développement de la mixité sociale ».

De fait, le bilan triennal 2017-2019 démontre une progression substantielle de la production. Alors que l'objectif était de 197 000 logements sociaux sur trois ans, pour mémoire il était de 90 000 sur la période 2011-2013, il a été atteint à 107 %. La production a augmenté de 12 % par rapport au triennat précédent et le taux de communes déficitaires est resté stable : 53 % en termes qualitatifs, 45 % en termes quantitatifs.

Cette réussite qualifiée « d'incontestable » mérite toutefois d'être relativisée parce que, à la date de son rapport, la Commission est obligée de constater que nombre de logements manquants pour remplir l'objectif assigné par la loi est de 600 000 et que plus de la moitié des communes déficitaires ne sont pas en capacité d'atteindre l'objectif de 25 %.

Par ailleurs le taux de logements sociaux des communes déficitaires reste globalement stable autour de 13,5 %.

2. Une répartition plus homogène des logements sociaux sur le territoire

Malgré ces signaux contradictoires, Pierre-Yves Cusset, Clément Dherbécourt et Alban George qui ont mené l'étude pour France Stratégie 11 ( * ) ont montré que, depuis 1990, la répartition des logements sociaux s'était homogénéisée en France au sein de ses 55 aires urbaines de plus de 100 000 habitants. Leur indice de ségrégation 12 ( * ) est passé de 61 % à 50 % entre 1990 et 2015. C'est selon eux un phénomène très significatif, car le logement social était et reste beaucoup plus regroupé que, par exemple, certaines catégories de la population, comme les cadres ou les immigrés, dont le niveau est resté stable.

Ils observent par ailleurs que la baisse de la ségrégation a été entamée dès 1990 et que les logements sociaux sont en outre également mieux répartis à l'intérieur des communes. C'est pour eux le signe que si la loi SRU y a participé, elle n'est pas le seul facteur explicatif puisque le phénomène a démarré avant son vote et implique des évolutions à l'intérieur des communes elles-mêmes qui n'étaient pas exigées par la loi.

De leur côté, Kevin Beaubrun, maître de conférences à Paris-Dauphine, et Tristan-Pierre Maury, professeur à l'EDHEC 13 ( * ) , se sont intéressés à la répartition de l'ensemble du parc de logements sociaux ou privé à l'échelle des villes ou des sections cadastrales entre 1999 et 2015. Leurs recherches montrent que la ségrégation en fonction du statut d'occupation social ou privé a nettement baissé : - 7 % à l'échelle de la commune, - 11 % à l'échelle de la section cadastrale.

Ces résultats corroborent donc ceux de France Stratégie aussi bien au niveau des communes que du niveau infracommunal. Les logements sociaux se sont bien répartis de manière plus homogène sur le territoire depuis le vote de la loi SRU .

Ces observations et cette corrélation ne suffisent pas toutefois à établir un rapport de causalité puisque d'autres phénomènes entre en jeu comme le développement massif depuis 2010 de la VEFA HLM et des programmes mixtes, une partie des logements (30 à 50 %) d'une promotion immobilière étant des logements sociaux. La VEFA HLM est autorisée depuis la LOV en 1991, mais surtout à partir de la crise de 2008 et la création des secteurs de mixité sociale (SMS) dans les plans locaux d'urbanismes (PLU) par la loi MOLLE du 25 mars 2009. 45 % des logements sociaux sont produits de cette manière alors que la VEFA n'en représentait que 6 % en 2005. À tel point que certains craignent aujourd'hui qu'il ne soit plus possible de construire du 100 % HLM et de financer la construction de logements sociaux sans recourir à ces programmes mixtes.

Ces programmes participent également à l'anonymisation des programmes HLM et d'une certaine manière à leur déstigmatisation aussi bien pour leurs habitants que pour les riverains.

3. La loi SRU est-elle vraiment la cause de ce résultat ?

L'étude de France Stratégie a essayé de mettre en évidence l'impact de la loi SRU. C'est par nature difficile puisqu'on ne dispose pas d'un échantillon test isolé qui pourrait servir de comparaison .

Néanmoins, les auteurs ont observé la dynamique dans les communes déficitaires par rapport à celle des petites communes restées en dehors de la loi.

Ils font d'abord le constat que le taux de logements sociaux a progressé avant le vote de la loi entre 1990 et 2000. Il a plutôt stagné au cours de sa première décennie avant de progresser sensiblement dans la seconde, entre 2010 et 2017, dans les communes les plus déficitaires en général sans vraiment distinguer de différence entre celles qui sont concernées par la loi et celles qui ne le sont pas.

Ils ont ensuite cherché à caractériser un effet de seuil entre 712 petites communes déficitaires (- 15 % de LLS) sous le seuil de la loi et 136 communes également déficitaires, mais juste au-dessus du seuil. Ils montrent alors un effet important. Le taux de logements sociaux des communes situées juste au-dessus augmente de 67 % entre 1999 et 2017, tandis que pour les communes situées en dessous, ce taux n'augmente que de 16 %.

Si la loi SRU a eu un effet déclencheur, il convient de replacer la hausse de la production observée dans son contexte . En effet, en 2000, la production de logements sociaux est à un point bas après une chute observée au milieu des années 1990, c'est ce que rappelait Sandrine Levasseur dans son étude de 2016 14 ( * ) . Elle indiquait en outre que l'offre de nouveaux logements sociaux depuis le milieu des années 2000 suivait peu ou prou la croissance des nouveaux ménages et que le dynamisme démographique constituait un facteur explicatif important à la fois de l'augmentation de la production et de la difficulté à atteindre l'objectif de la loi SRU.

Enfin, Sandrine Levasseur faisait remarquer que la production de logements sociaux était très dépendante de l'histoire de la commune se fondant sur deux études comparatives entre Carry-le-Rouet et Le Rove dans les Bouches-du-Rhône et entre Versailles et Neuilly-sur-Seine dans l'Ouest parisien. Elle remarquait aussi que 60 à 70 % de la production de logements sociaux de la période 2000-2015 étaient réalisés dans les communes non soumises à une obligation de rattrapage et donc sans que la loi SRU n'en soit le motif.

4. Un consensus sur ses effets pédagogiques et incitatifs

Quoiqu'il en soit, il y a un réel consensus sur les effets pédagogiques et incitatifs de la loi. Ce consensus existe dans la littérature académique, c'est aussi un constat de terrain.

Les chercheurs pointent la dépolitisation du débat autour de la loi SRU et surtout le tournant qu'a constitué la crise financière de 2008 où les maires, quelle que soit leur couleur politique, ont souhaité répondre à la demande de logements sociaux de leurs administrés, alors même que la production avait de nouveau fléchi. Les évolutions sociales poussent également les élus locaux à y répondre, qu'il s'agisse des phénomènes de décohabitation ou pour attirer des couples avec enfants afin de maintenir des classes.

Consensus ne veut pas dire unanimité, il existe toujours des maires qui s'opposent à la loi, une petite dizaine l'a indiqué clairement dans le cadre de la consultation.

Mais globalement, ils sont près de 70 % à estimer que l'article 55 est « utile », alors même que l'échantillon qui s'est exprimé contient 76 % de communes déficitaires et 42 % de communes carencées ! Il y a bien eu un changement d'état d'esprit.

Luc Wattelle, maire de Bougival, Yvelines, 19 % de logements sociaux : « La loi SRU a permis de prendre conscience de la nécessité de pouvoir offrir des logements à toutes les catégories de population et ce, quelles que soient leurs ressources ou quel que soit le lieu. En cela elle est absolument nécessaire.

En revanche sa conception en est dogmatique, technocratique et peu efficace. N'en déplaise à madame la ministre du logement, les maires n'ont pas attendu ses admonestations pour la mettre en place et pour chercher à atteindre les objectifs. Mais pour beaucoup d'entre nous, elle est un casse-tête parfois insoluble. En effet, elle contribue à la raréfaction de l'offre de logements dans le secteur privé et donc à l'augmentation continue des prix de l'immobilier et des loyers non encadrés. . Elle s'applique de façon quasi indifférenciée à toutes les villes alors que les besoins ou les potentiels de constructibilité ne sont pas les mêmes partout. Elle crée une injustice flagrante en figeant artificiellement le marché locatif aidé et en mettant les habitants à la merci des décisions d'attribution de commissions totalement déconnectées de la réalité locale. Enfin elle contribue à créer des antagonismes de plus en plus vifs entre les populations de nos villes.

Il faut donc la réformer en profondeur afin de retrouver l'équité sociale, la fluidité de l'offre, la stabilisation des prix de l'immobilier et la paix entre les populations de nos villes. Comment faire ?

La réforme qui pourrait être menée reposerait sur quatre axes :

1. réserver le logement dit "social" aux personnes en grande difficulté (...)

2. demander aux promoteurs du secteur privé de réserver dans leurs programmes une part de logements dont le loyer sera plafonné (...)

3. définir au niveau de chaque Région une stratégie d'aménagement du territoire (...)

4. adapter les APLs en les augmentant en fonction des écarts constatés entre le marché (avec plafond) et les revenus (...)

En réformant la loi SRU en profondeur dans ce sens-là, on donnerait énormément plus de fluidité au marché locatif, moins de pression sur le marché de l'immobilier en général et une bien plus grande acceptabilité par la population grâce à une mixité sociale beaucoup mieux intégrée (il n'est plus nécessaire d'identifier comme aujourd'hui des cages d'escalier sociales). (...) »

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Georges Joubert, maire de Marolles-en-Hurepoix, Essonne, 13 % de LLS : « Il serait judicieux de faire évoluer cet article 55 de manière à mieux prendre en compte les réelles difficultés de la commune à atteindre l'objectif et notamment face à la problématique foncière. Par contre, les communes qui ne respectent pas leurs objectifs devraient être plus lourdement sanctionnées dès lors qu'elles sont dans une logique de rejet de ces opérations. Le déséquilibre territorial en matière de production de logements et notamment sociaux accélère les inégalités face à l'accès au logement. Par ailleurs, la concentration des inégalités sur certains territoires crée des tensions sociales et des violences. On ne peut dissocier, la problématique logement, emplois, transport. Sujet complexe. »

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Bertrand Massot, maire de Luisant, Eure-et-Loir, 19 % de LLS : « Voici quelques réflexions faisant suite à mon vécu de maire d'une ville de 7 000 habitants depuis 2014 (dans une agglomération de 140 000 habitants et une zone urbaine de 90 000), historiquement carencée, qui devrait atteindre les 20 % cette année. Le pourcentage prévu par la loi SRU pourrait être baissé, à condition de vendre plus régulièrement du patrimoine et favoriser l'accession sociale. Quatre pistes de réflexion :

- L'accession sociale à la propriété est un très bon outil. Un pourcentage devrait être imposé dans chaque opération. Ces produits sont très prisés dans les communes où le foncier est cher et inaccessible aux primo-accédants.

- Il faudrait obliger les bailleurs sociaux à avoir une partie de leur parc en copropriété. Certains bailleurs sont clairement hostiles à la vente de logements collectifs pour cette raison. Ils ne vendent que de l'individuel.

- Pourquoi ne pas permettre aux locataires d'avoir "un droit à l'acquisition de son bien", avec un prix d'acquisition à définir fonction de l'ancienneté et du loyer payé ?

- Le seuil des 3 500 habitants me semble trop bas dans les agglomérations dynamiques démographiquement. Il faudrait, a minima , un seuil plus faible ce qui éviterait d'avoir une marche énorme à franchir quand la commune passe au-dessus des 3 500 habitants. De plus, les communes de moins de 3 500 habitants deviennent prisées par une population qui fuit les communes SRU. Cela nuit à la mixité sociale et fait reposer la solidarité exclusivement sur les communes des zones urbaines.

Toutefois, si une "loi SRU à l'envers" devait voir le jour, il deviendrait difficile de baisser le pourcentage dans les communes SRU puisqu'il faudra compenser la baisse de logements sociaux dans les communes surdotées...

Par ailleurs, il faut encourager, financièrement et juridiquement, les communes qui préemptent des biens existants. En Eure-et-Loir, les bailleurs sociaux construisent, mais achètent rarement du bâti ancien. Pourtant, ce type d'opération est plus facilement acceptée par la population et ce procédé permet de réhabiliter, notamment énergétiquement, des bâtiments vétustes. L'incitation devrait être encore plus forte pour le rachat progressif des copropriétés dégradées du parc privé.

Autre point : ma commune a dû payer le prélèvement cette année alors qu'elle a explosé ses objectifs triennaux (300 %). Même si l'amende est modique (4 500 euros), le sentiment d'injustice est prégnant. (...)

Enfin, et toujours hors sujet, le fait que la place de parking ne puisse plus être intégrée dans le loyer global amène, dans certains ensembles, un stationnement anarchique sur le domaine public alors que certaines places privées, notamment des box, sont inutilisées. »


* 11 La meilleure répartition des logements sociaux a-t-elle fait progresser la mixité sociale ? Par Pierre-Yves Cusset, Clément Dherbécourt et Alban George, département Société et politiques sociales23février 2021 .

* 12 L'indice de ségrégation correspond à la part ici des logements sociaux qu'il faudrait « déplacer » d'un quartier à l'autre pour que leur part parmi les logements soit la même dans tous les quartiers de l'unité urbaine.

* 13 Kévin Beaubrun-Diant, Tristan-Pierre Maury, Income Segregation and Social Housing in France, 2020, hal-02526776 .

* 14 Sandrine Levasseur, La loi SRU et les quotas de logements sociaux : bilan et perspectives, op.cit.

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