B. LE CHANTIER TEST DE LA PERFORMANCE ÉNERGÉTIQUE DES BÂTIMENTS

1. Le précédent d'une règlementation énergétique spécifique
a) La RTAA DOM : une réglementation en cours d'actualisation
(1) Une réglementation nécessairement particulière

En outre-mer, les réglementations thermiques, acoustiques et aération des constructions de logements neufs sont différentes de celles appliquées dans l'Hexagone et prennent en compte les spécificités climatiques de ces territoires à travers une Réglementation thermique acoustique et aération adaptée aux DOM, appelée également « RTAA DOM » .

Si l'habitat dans les DOM n'utilise que peu de chauffage, le rafraîchissement peut représenter une dépense en énergie importante.

Mise en place en 2016 , la réglementation thermique est définie par les articles R162-1 à R162-4 du code de la construction et de l'habitation. Elle est applicable à l'ensemble des bâtiments neufs à visée locative ou non et porte sur :

- la protection solaire : les fenêtres de toit sont interdites. De plus, les murs doivent être opaques, épais et les volets doivent bien protéger du soleil ;

- la ventilation naturelle de confort : il est obligatoire de ventiler les plafonds des bâtiments dans toutes les pièces. Notons qu'il doit y avoir au minimum des ouvertures sur deux façades d'orientation différente ;

- l'énergie solaire : les panneaux solaires sont requis pour la production de l'eau chaude sanitaire.

Le but de l'ensemble de ces règles est de limiter la consommation d'énergie tout en garantissant toutefois le confort thermique minimal des habitants des logements. Il faut noter aussi qu'il comporte des spécificités qui sont sources de complexité :

- les arrêtés acoustiques et aération de la RTAA 2016 s'appliquent dans tous les départements d'outre-mer à l'exception de Mayotte ;

- l'arrêté thermique de la RTAA 2016 s'applique uniquement en Guyane et à La Réunion ;

- les Antilles disposent d'une réglementation régionale spéci?que sur le volet thermique et énergétique depuis le 21 mai 2011 pour la Guadeloupe (réglementation RTG) et depuis le 1 er septembre 2013 pour la Martinique (réglementation RTM). Toutefois, les deux réglementations régionales autorisent le recours à l'arrêté thermique du 17 avril 2009 comme solution technique applicable, sans prendre en compte les modifications apportées en 2016 dans la réglementation nationale.

Concernant les DPE (Diagnostics de performance énergétique) qui permettent la classification des habitations par rapport à leur niveau de consommation en énergie, il existe des DPE spécifiques à la Martinique et à la Guadeloupe, respectivement le DPE-M et le DPE-G.

(2) Les travaux d'adaptation de la RTAA DOM : une opportunité à saisir

Selon les indications données par son directeur, la DHUP a engagé la réécriture de la RTAA DOM.

Des travaux sur cette réécriture ont été menés en 2018 et 2019, avec l'appui d'un groupe de travail, composé de professionnels des différents services (DEAL, DGOM, DHUP, CEREMA). Il a permis d'aboutir à un projet de réécriture des articles réglementaires qui composent aujourd'hui la RTAA en introduisant notamment un indice de confort thermique afin d'évaluer la performance des logements neufs en outre-mer.

Ce travail devrait déboucher en 2021 sur un décret dans le cadre de la réécriture de tout le livre I er du Code de la construction et de l'habitation sur les règles de la construction.

Il s'agit d'un chantier considérable . Comme l'a indiqué François Adam, directeur de la DHUP : « il y aura plusieurs niveaux de textes réglementaires et le décret pourrait être pris en 2021 et les arrêtés d'application en 2022. Cela constituerait un pan tout à fait nouveau du droit de la construction outre-mer mais qui paraît nécessaire et dont le principe est acquis entre nos deux ministères. Étant nouveau, ce sujet demandera un travail technique important, d'autant que les situations sont très différentes entre les territoires (c'est le cas notamment pour les régimes des vents). Cela conduira en réalité à des réglementations territoire par territoire. C'est un énorme chantier réglementaire tout à fait nouveau qui va être mené ». 322 ( * )

Francis Saudubray, conseiller maître, rapporteur général chargé de la synthèse sur le logement outre-mer à la Cour des comptes , considère que ces travaux ouvrent « une fenêtre d'opportunité que les outre-mer doivent saisir et ces territoires doivent être partie prenante pleinement à tous ces travaux ».

Sentiment partagé par Pascal Berteaud, directeur général du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA) : « Concernant la RTAA DOM, nous sommes persuadés qu'il est possible d'aller beaucoup plus loin dans l'adaptation de la réglementation aux outre-mer. Étant plus important que le CSTB, le CEREMA peut se permettre de développer des antennes en outre-mer (qui feront de toute façon appel aux spécialistes hexagonaux) de façon à avoir une présence sur place et à monter des programmes d'adaptation plus forts ».

À La Réunion, par exemple, les acteurs du bâtiment proposent de passer d'une obligation de moyens à une obligation de résultats avec plus de marges de manoeuvre pour les équipes de conception locales. 323 ( * )

Éviter le surcroît de normes en matière de règlementation thermique à l'occasion de la révision de la RTAA DOM, en passant d'une obligation de moyens à une obligation de résultats.

b) Un bilan énergétique du parc et des besoins difficiles à cerner
(1) Un état des besoins considérables même s'il est difficile à cerner

Le bilan qualitatif du parc immobilier outre-mer fait défaut 324 ( * ) . Mais la part importante d'habitations vétustes et insalubres laisse entrevoir des besoins considérables.

Un travail important a été effectué dans le cadre du programme OMBREE. Les efforts se sont concentrés sur les économies d'énergie. Le bilan positif de ce programme a été dressé par les dirigeants d'AQC et Qualitel : « Nous avons réussi à créer un appel à projets dans le cadre du programme CEE. À travers ce dernier, dans le but d'améliorer la qualité énergétique des bâtiments, nous avons constitué un incubateur dont l'objectif était d'accompagner les porteurs locaux qui ne sont pas habitués à ce type de dispositifs ».

On note aussi une évolution avec la sensibilité croissante des maîtres d'ouvrage et des maîtres d'oeuvre à cette question via la pression du réchauffement climatique. Outre un choix de matériaux géo et bio-sourcées, la démarche globale de conception bioclimatique (implantation, orientation du bâtiment, optimisation de la ventilation naturelle, réduction des apports de chaleur...) progresse.

Sur le remarquable site internet d'information de l'association AQUAA, de nombreux facteurs d'amélioration mériteraient d'être davantage diffusés : techniques de ventilation naturelle, protection solaire et des parois, promotion de l'habitat vernaculaire amérindien...

(2) Des instruments incitatifs qui peinent à se déployer

Malgré l'ampleur des besoins, on peut déplorer que les instruments d'aide peinent à se déployer.

À cet égard, le faible déploiement de MaPrimeRenov' qui devait constituer une opportunité en matière de rénovation énergétique , est révélateur du retard à combler. On compte seulement 700 dossiers en 2020, essentiellement concentrés à La Réunion.

Ce démarrage timide révèle de grandes inégalités dans la répartition territoriale (pas de dossiers acceptés en Guyane et à Mayotte). Des efforts doivent porter sur l'information, sans doute imparfaite, concernant cette aide et sur la formation des personnels des DEAL , qui oeuvrent pour le compte de l'ANAH.

L'ADEME propose aussi un éco-prêt à taux zéro en outre-mer pour financer des travaux spécifiquement définis pour les logements construits depuis plus de 2 ans et situés en Guadeloupe, en Martinique, en Guyane, à La Réunion, à Mayotte et à Saint-Martin.

Il permet notamment d'améliorer la protection de ces logements contre les rayonnements solaires, et de limiter ainsi le recours à la climatisation. Les conditions générales de l'éco-prêt à taux zéro sont identiques par rapport à l'Hexagone, seules les exigences sur les travaux diffèrent.

Son montant est non négligeable : il ouvre droit à un éco-prêt de 15 000 euros (à l'exception des travaux sur les parois qui ouvrent droit à 7 000 euros), deux actions ouvrent droit à un éco-prêt de 25 000 euros, et trois actions ou plus ouvrent droit à un éco-prêt de 30 000 euros. Il est également possible de réaliser l'option performance énergétique globale qui ouvre droit à un éco-prêt de 30 000 euros.

À ce sujet, Hervé Tonnaire a indiqué que la Banque des territoires soutenait les programmes neufs et de réhabilitation reposant sur la conception bioclimatique avec des éco-prêts (Eco-prêt Logement social/ Eco-prêt DOM).

Proposition n° 70 : Simplifier le bénéfice des dispositifs d'amélioration énergétique des logements, comme MaPrimeRenov', pour accélérer leur déploiement en outre-mer.

2. La RE2020 : quelle adaptation et quel calendrier pour les outre-mer ?
a) L'adaptation de la RE2020 : un défi majeur pour les outre-mer

La nouvelle réglementation environnementale ( RE2020 ), dont la mise en oeuvre a été plusieurs fois repoussée, doit s'appliquer aux constructions neuves . Contrairement aux réglementations précédentes, la RE2020 ne prend plus seulement en compte les consommations d'énergie , mais aussi les émissions de carbone , y compris celles liées à la phase de construction neuve.

La transposition de la RE2020 aux outre - mer apparaît actuellement comme un pari . L'exercice qui a été mené à bien pour l'adaptation de la RTAA aux DOM devrait être également conduit pour la RE2020, non seulement pour l'adapter mais aussi pour la simplifier, ce qui implique une action concertée des acteurs publics et privés de la construction dans les DROM.

Le CEREMA, notamment, est partie prenante dans l'élaboration de la RE2020 aux côtés du ministère de la transition écologique, de l'ADEME et du Plan Bâtiment Durable. Laurent Arnaud, chef du département bâtiments durables a indiqué que « Le contexte y est effectivement plus compliqué puisque, sur le plan de l'analyse de cycles de vie dynamiques prenant réellement en compte le carbone, l'applicabilité est plus difficile . Nous nous appuyons beaucoup sur le marquage des produits en fonction de leur origine, mais les autres pays n'ont pas les mêmes bases de données que nous. Pour autant, la mission reste utile parce que ce marquage carbone représente un point d'appui. Par ailleurs, il faudrait développer la notion d'ENR (énergies renouvelables) par rapport aux objectifs de chaque territoire. Le CEREMA est prêt à y travailler ; il suffit qu'il soit mandaté pour le faire, par la DHUP ou une autre entité » 325 ( * ) .

Étienne Crépon du CSTB a indiqué que la RE2020 sera en rupture avec tout le corpus réglementaire existant : « nous passerons d'une approche purement énergétique à une approche mêlant énergie et carbone . Il est donc hautement probable que les outre-mer, afin de tenir compte de leurs spécificités, devront s'interroger sur la mise en place d'une réglementation adaptée se substituant aux réglementations nationales . Cela peut être pertinent mais, comme vous l'avez dit, c'est aussi long et cher. Une réglementation élevée à 5 millions d'euros, rapportée à un territoire de 400 000 habitants, est très onéreuse. Il convient que les exécutifs locaux s'interrogent sur l'intérêt d'un tel investissement. C'est totalement légitime sur un sujet aussi important que le cadre bâti, directement lié aux conditions climatiques » 326 ( * ) .

Pour Philippe Estingoy, directeur général de l'Agence qualité construction (AQC), « la RE2020 revêt une importance fondamentale . Les enjeux énergétiques intéressent évidemment les outre-mer, mais différemment de l'Hexagone . Nous y travaillons à travers des actions sur les protections solaires, les alternatives à la climatisation, etc. Ce qui sera très utile aussi pour la l'ensemble du territoire national ».

Antoine Desbarrières, directeur de Qualitel et président de Cerqual, a précisé que « nous avons bien été impliqués dans les travaux sur la RE2020 . Un label a été instauré par l'État il y a quelques années pour expérimenter ce changement radical de paradigme. Malheureusement, il semble que le retour d'expérience n'ait pas été pris en compte dans son entièreté. Même si nous partageons évidemment le constat de l'urgence climatique, il nous semble que les actions sont menées trop rapidement. Il faut tenir compte des capacités des filières. Dans l'Hexagone, par exemple, la filière bois ne sera pas nécessairement en capacité de suivre l'évolution de la réglementation » 327 ( * ) .

b) Mais des risques et des incertitudes militant pour des délais supplémentaires

De nombreux points restent en suspens. Faudra-t-il, par exemple, mettre en place une réglementation thermique propre à chaque outre-mer ? Il semble logique en effet de tenir compte du particularisme îlien pour élaborer une réglementation adaptée au territoire avec des spécificités de construction. À La Réunion, suivant si la construction se situe « dans les hauts ou dans les bas », les conditions varient ainsi fortement.

La mesure même de la performance énergétique pose aussi question. Pour Philippe Estingoy d'AQC, « Nul n'est aujourd'hui capable de la mesurer réellement . Nous nous y appliquons depuis de nombreuses années, même si ce travail est d'une grande complexité technique. Nous serons ainsi en mesure d'effectuer une première mesure de la performance énergétique intrinsèque d'ici fin 2021 » 328 ( * ) .

Le risque est que la nouvelle réglementation entraîne un changement de paradigme majeur qui va conduire à court-terme à des surcoûts et un temps d'adaptation de la filière construction .

Proposition n° 71 : Mettre en place dans les DROM des réglementations thermiques adaptées à chaque bassin océanique ultramarin.


* 322 Audition DGOM/DHUP, 21 janvier 2021.

* 323 Table ronde La Réunion, 13 avril 2021.

* 324 Rapport de la Cour des comptes, Le logement dans les départements et régions d'outre-mer, septembre 2020.

* 325 Audition CSTB/CEREMA, 11 mars 2021.

* 326 Ibid.

* 327 Audition AQC, 25 mars 2021.

* 328 Audition AQC, 25 mars 2021.

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