AVANT-PROPOS

Dans le cadre de la mission conjointe de contrôle des commissions des finances et de la culture du Sénat sur le financement de l'audiovisuel public, MM. Roger Karoutchi, sénateur des Hauts-de-Seine, et Jean-Raymond Hugonet, sénateur de l'Essonne, co-rapporteurs, ont souhaité examiner les conséquences de l'annonce par le président de la République de la suppression à venir de la contribution à l'audiovisuel public (CAP) afin de soutenir le pouvoir d'achat des Français. Cette suppression qui devrait être inscrite dans le premier projet de loi de finances rectificative pour 2022 oblige l'État à trouver 3,14 milliards d'euros, dès le présent exercice, afin de compenser cette perte de recettes pour les sociétés de l'audiovisuel public. Compte tenu des dégrèvements de CAP - 560 millions d'euros en 2022 -, le besoin de financement des sociétés de l'audiovisuel public s'établit à 3,7 milliards d'euros.

Au-delà de la nature de la ressource publique qui sera retenue pour financer l'audiovisuel public, les rapporteurs ont estimé que les questions relatives au niveau de cette ressource et aux garanties qui lui sont apportées quant à sa pérennité ne pouvaient être ignorées. Ils ont également considéré que la détermination d'un niveau de ressource suffisant ne pouvait être réalisée sans une réflexion approfondie sur les missions et l'organisation de l'audiovisuel public.

Après l'ajournement sine die de la réforme de l'audiovisuel public en 2020, les rapporteurs estiment urgent de définir un projet stratégique pour l'audiovisuel public qui pourrait reposer sur trois principes : rassembler les quatre entreprises nationales de l'audiovisuel public dans une même structure, maximiser les mutualisations pour supprimer les doublons et investir davantage dans le numérique pour défendre notre souveraineté audiovisuelle .

La situation des entreprises de l'audiovisuel public apparait contrastée à l'issue du précédent quinquennat. D'une part, les efforts budgétaires significatifs demandés aux différentes entreprises n'ont pas nui aux audiences de France Télévisions, Arte France et Radio France qui se maintiennent ou progressent. D'autre part, les programmes proposés - malgré leur coût élevé - ne sont pas considérés comme particulièrement originaux ou innovants, les performances de ces entreprises sur le numérique apparaissent globalement insuffisantes et le niveau de spécificité du service public par rapport aux chaînes privées continue à faire débat.

À l'heure où les plateformes américaines ont - sans beaucoup de difficulté - conquis l'essentiel du marché français des contenus délinéarisés, seules Radio France avec sa plateforme de podcasts et Arte avec son application numérique ont réussi à ériger des ilots de résistance malheureusement encore modestes face à l'hégémonie américaine. Or, dans un monde en mouvement, l'immobilisme ne peut être considéré comme une stratégie suffisante. Le temps perdu ne se rattrape pas et l'échec de la stratégie numérique de France Télévisions marqué par la sortie annoncée de Salto sera difficile à faire oublier. Dans ces conditions, la question des moyens nécessaires à l'audiovisuel public ne peut être distinguée d'une autre question plus stratégique : quels moyens pour quoi faire ?

Les travaux de la mission de contrôle ont permis de confirmer l'inadéquation du modèle actuel d'organisation et de fonctionnement de l'audiovisuel public. Trois constats s'imposent :

- le financement mixte associant des crédits publics et des ressources propres issues de la publicité crée une dépendance à l'audience difficilement compatible avec l'affirmation d'une identité forte de service public ;

- l'absence de véritable projet stratégique de l'actionnaire et la multiplication des différentes autorités de tutelle ont tendance à laisser chacune des entreprises de l'audiovisuel public livrée à « elle-même » sans véritable marge de manoeuvre financière pour mettre en oeuvre ses projets prioritaires ;

- faute d'impulsion suffisante de la part de l'actionnaire et de volonté réelle de la part des différents partenaires, les coopérations menées demeurent modestes et tardent à se concrétiser (chaîne Franceinfo, matinales communes à France 3 et France Bleu, captations, international...).

L'abandon de la réforme de la gouvernance envisagée lors du précédent quinquennat appelle une remise à plat plus profonde car c'est tout le secteur des médias qui est entré dans une phase de transformation radicale. Dans ce contexte, la réaffirmation des missions, des valeurs et de la spécificité de l'audiovisuel public apparaît urgente et la réforme de son financement doit être l'occasion de mener une refonte globale ; la réforme tant attendue de l'audiovisuel public ne pouvant se résumer à une mesure de défense du « pouvoir d'achat » dans une loi de finances rectificative.

? L'abandon en 2020 de la réforme structurelle visant à regrouper les entreprises de l'audiovisuel public

Les commissions de la culture et des finances du Sénat s'étaient déjà penchées sur la réforme du financement de l'audiovisuel public dans le cadre d'une mission de contrôle conduite en 2015 par MM. Jean-Pierre Leleux et André Gattolin. Leur rapport 1 ( * ) avait conclu à la nécessité de remplacer la contribution à l'audiovisuel public par une « taxe universelle » visant chaque foyer sur le « modèle allemand » et à créer une société holding regroupant France Télévisions, Radio France, France Médias Monde (FMM) et l'INA . Le projet de loi 2 ( * ) préparé par Franck Riester et examiné en mars 2020 par l'Assemblée nationale reprenait l'essentiel des préconisations du Sénat jusqu'au nom proposé pour la nouvelle entité, « France Médias ».

L'abandon de cette grande réforme de l'audiovisuel public s'est accompagné d'un second renoncement concernant la refonte de son financement. Alors que le ministre de la culture indiquait encore en 2020 que la réforme de la CAP aurait lieu au plus tard en 2021, celle-ci a été abandonnée, alors même que la suppression complète de la taxe d'habitation sur les résidences principales était décidée pour 2023 avec pour conséquence de supprimer le support de la CAP. Le modèle économique des sociétés de l'audiovisuel public n'a donc pas été remis à plat tandis qu'une démarche favorisant des coopérations « par le bas » a été privilégiée dans un cadre budgétaire contraint, le levier budgétaire étant utilisé comme outil de management des réformes à conduire.

? Un pilotage budgétaire dépourvu de véritable projet stratégique

La majorité élue en 2017 a privilégié une approche essentiellement budgétaire concernant l'évolution de l'audiovisuel public à travers une baisse de la ressource publique de 190 millions d'euros en niveau sur la période 2018-2022 accompagnée d'une mesure de périmètre concernant France Télévisions avec la suppression de France Ô et France 4 (la suppression de cette dernière ayant été finalement abandonnée à l'été 2021). À noter, par ailleurs, que le tarif de la CAP a diminué de 1 euro en 2020 pour atteindre 138 euros en métropole et 88 euros en Outre-mer . Ce tarif est resté stable en 2021 et 2022, les lois de finances ayant suspendu le mécanisme d'indexation.

La trajectoire budgétaire baissière arrêtée en 2018 a été inscrite dans les contrats d'objectifs et de moyens (COM) adoptés en 2020 pour la période 2019-2022. Ces différents COM comportaient pour la première fois des objectifs communs et évoquaient un certain nombre de mutualisations.

Le bilan de ces COM « communs » apparaît mitigé. Certes, les projections financières ont bien été respectées par l'État actionnaire. Ce dernier a, en outre, apporté un concours de 73 millions d'euros à l'ensemble des entreprises de l'audiovisuel public pour amortir les conséquences de la crise sanitaire. L'État actionnaire a également assumé sa responsabilité en finançant partiellement les plans de départs volontaires et en apportant un soutien financier à Radio France pour boucler le financement du chantier de la Maison de la Radio. On peut donc donner acte au Gouvernement d'avoir respecté sa parole sur cette période .

Le bilan des mutualisations demeure, en revanche, limité. Les nouveaux chantiers avancent peu ou même pas du tout et il n'y a pas de véritable volonté des différentes entreprises de mettre à plat l'ensemble des actions conduites par chacune pour examiner sans parti pris celles qui pourraient être mieux réalisées en commun . Lors de son audition, la direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC) a ainsi estimé que « la démarche de coopérations menées par le bas produisait des résultats mais qu'elle était laborieuse car les intérêts des entreprises sont divergents et il est difficile pour l'État d'arbitrer lorsque les entreprises n'ont pas envie de travailler ensemble ». Plus précisément la tutelle considère qu'« elle n'a pas les outils pour contraindre les entreprises de l'audiovisuel public à coopérer » .

Les travaux de la mission conjointe de contrôle ont permis d'établir que pour les représentants de l'État actionnaire, au-delà des difficultés techniques réelles à identifier un autre type de ressource que des dotations budgétaires pour remplacer la CAP, ces dernières présentent également l'intérêt de permettre de contraindre des entreprises qui trop souvent jouent de leur force d'inertie pour ralentir le rythme des réformes. Faute de projet stratégique clair porté par le Gouvernement, les administrations visent donc à imposer des réformes organisationnelles en jouant du levier budgétaire faute d'avoir la légitimité suffisante et l'expertise pour impulser une véritable réforme.

Les rapporteurs estiment que le moment est venu pour l'État actionnaire d'assumer pleinement sa responsabilité en définissant et mettant en oeuvre un projet ambitieux pour l'audiovisuel public fondé sur des missions réaffirmées, une nouvelle organisation regroupant les entreprises nationales de l'audiovisuel public et des moyens suffisants évalués de manière indépendante . La réforme de la CAP constitue, en ce sens, l'occasion de remettre à plat l'audiovisuel public français en lui apportant des garanties suffisantes pour son fonctionnement dans le cadre d'un nouveau pacte établi avec la Nation et ses représentants.

I. LA SUPPRESSION ANNONCÉE DE LA CONTRIBUTION À L'AUDIOVISUEL PUBLIC : UNE BUDGÉTISATION DES RESSOURCES INÉVITABLE ?

Définie à l'article 1605 du code général des impôts (CGI), la contribution à l'audiovisuel public (CAP) est une taxe affectée, qui vise à participer au financement des sociétés composant l'audiovisuel public (France télévisions, Arte France, Radio France, France Médias monde, TV5 Monde et l'Institut national de l'audiovisuel).

Le montant de la contribution annuelle à l'audiovisuel public est fixé en loi de finances. Il s'élève en 2022 à 138 euros en France métropolitaine et à 88 euros au sein des départements d'outre-mer.

Une quinzaine d'États de l'Union percevaient en 2020 une redevance ou une taxe dans le but de financer le secteur audiovisuel public : l'Allemagne, l'Autriche, la Croatie, la Finlande, la France, la Grèce, l'Irlande, l'Italie, la Pologne, le Portugal, la République Tchèque, la Slovaquie, la Slovénie et la Suède. Le Danemark a engagé en 2022 la suppression de ce dispositif. À l'inverse, douze États membres, dont l'Espagne et les Pays-Bas, ne collectent pas de contribution.

Le montant français est supérieur à la contribution moyenne observée au sein de l'Union européenne : 125,44 euros.

Montant de la contribution à l'audiovisuel public au sein de pays membres de l'Union européenne et au Royaume-Uni en 2020 (en euros)

Source : mission conjointe de contrôle, d'après les chiffres transmis par France Télévisions

Les encaissements nets de la CAP devraient atteindre 3,140 milliards d'euros en 2022, auxquels s'ajoutent 560,8 millions d'euros versés par l'État au titre des dégrèvements qu'ils compensent .

Répartition de la CAP prévue par la loi de finances pour 2022

Source : commission des finances du Sénat

La contribution à l'audiovisuel public est soumise à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) depuis 1969 3 ( * ) , avec un taux réduit de 2,10 %. Cette taxation permet d'exonérer les opérateurs du paiement de la taxe sur les salaires, prévue à l'article 231 du code général des impôts . Aux termes de celui-ci, la taxe sur les salaires est due par les employeurs qui ne sont pas assujettis à la TVA. Le taux de TVA réduite n'a pas de réelle incidence budgétaire pour l'État, au point d'être retiré de la liste des dépenses fiscales annexée au projet de loi de finances pour 2020. Il constitue cependant un soutien indirect en ce qu'il permet aux entreprises du secteur d'être exonérées de taxe sur les salaires. La Cour des comptes a ainsi estimé cet avantage à 94 millions d'euros en 2021 pour les sociétés de l'audiovisuel public 4 ( * ) .

A. UN PRÉLÈVEMENT À BOUT DE SOUFFLE

1. Un prélèvement adossé à la taxe d'habitation, appelée à disparaître en 2023

Toute personne physique redevable de la taxe d'habitation, détenant au 1 er janvier de l'année en cours au moins un appareil récepteur de télévision, doit s'acquitter de cette contribution. Une seule contribution est due par foyer fiscal et est établie avec l'avis d'imposition de taxe d'habitation de la résidence principale. Si seule la résidence secondaire est équipée d'un téléviseur, la contribution est établie avec l'avis d'impôt de la taxe d'habitation qui la concerne.

Les personnes morales sont également assujetties à la CAP.

L'article 1 605 bis du CGI précise les conditions d'assujettissement à la contribution et, notamment, son lien avec la taxe d'habitation, avec laquelle elle est collectée. Cette collecte devait être maintenue jusqu'en 2023, date de l'extinction définitive de la taxe d'habitation. Les contribuables bénéficiant d'un dégrèvement, en raison de la réforme en cours de la taxe d'habitation, continuent ainsi à recevoir un avis d'imposition avec une taxe d'habitation nulle.

Impôt peu populaire d'après les enquêtes d'opinion menées par la direction générale des finances publiques, la contribution est acquittée par plus de foyers (23,02 millions en 2020) que ceux s'acquittant de l'impôt sur le revenu (17,9 millions en 2020).

Les bénéficiaires du minimum vieillesse, de l'allocation adulte handicapés, et sous certaines conditions, les personnes âgées de plus de 60 ans ou veuves ou installées dans une maison de retraite tout en conservant la jouissance de leur résidence principale, bénéficient d'une exonération de la CAP. Les personnes dont le revenu fiscal de référence est nul sont également exonérées de contribution à l'audiovisuel public. Il est, en outre, prévu un dispositif de maintien des droits acquis pour les personnes âgées de 65 ans au 1 er janvier 2004 et exonérées de CAP à cette date.

Le montant des exonérations des personnes physiques était estimé à 530,6 millions d'euros en 2021 . Les personnes concernées doivent être non imposables à l'impôt sur le revenu et ne pas être soumises à l'impôt sur la fortune immobilière. Le nombre de foyers bénéficiant d'un dégrèvement a augmenté très légèrement, passant de 4,57 millions à 4,62 millions entre 2020 et 2021.

Les personnes morales de droit public sont également exonérées pour leur activité non assujettie à la TVA.

Les établissements sociaux et médico-sociaux et les établissements de santé sont également dégrevés. Enfin, les associations caritatives visant à l'hébergement de personnes en situation d'exclusion ou les associations culturelles et sportives des établissements pénitentiaires ne sont pas concernées par le paiement de cette contribution.

L'ensemble de ces dégrèvements est compensé par l'octroi d'une dotation aux sociétés de l'audiovisuel public. Les exonérations de CAP donnent en effet lieu à une prise en charge par le budget de l'État . Cette prise en charge est cependant plafonnée. Ce plafond est déterminé chaque année en loi de finances, en même temps que le montant prévisionnel des encaissements nets de CAP. La loi de finances pour 2022 prévoit ainsi une prise en charge des dégrèvements de redevance audiovisuelle par le budget de l'État de 560,8 millions d'euros Ce montant peut être réévalué en cas d'encaissements de CAP inférieurs à la prévision retenue en loi de finances (mécanisme de garantie des ressources de l'audiovisuel public) 5 ( * ) . Ainsi, le rendement prévu en loi de finances pour 2021 était établi à 3 231,1 millions d'euros, le montant de dégrèvements pris en charge par l'État étant fixé à 487,9 millions d'euros. Le rendement effectif s'est traduit par un écart de 42,7 millions d'euros avec la cible retenue (111,4 millions d'euros en 2020), l'encaissement de la CAP atteignant 3 188,6 millions d'euros. Le montant des dégrèvements pris en charge par le budget général a, dans ces conditions, été porté à 530,6 millions d'euros (653,5 millions d'euros en 2020).

2. Un montant gelé depuis 2018
a) Un gel motivé par la trajectoire d'économies imposée aux sociétés de l'audiovisuel public

Le montant de la CAP est censé évoluer chaque année en fonction de l'indice des prix à la consommation hors tabac . Il est arrondi à l'euro le plus proche. Les exonérations de CAP donnent lieu à une prise en charge par le budget de l'État. Cette prise en charge est cependant plafonnée. Ce plafond est déterminé chaque année en loi de finances, en même temps que le montant prévisionnel des encaissements nets de CAP.

La loi de finances pour 2022 n'a pas augmenté le montant de la contribution à l'audiovisuel public. Ce gel du montant se situe dans la continuité de l'exercice précédent, après une diminution d'un euro en 2020.

Cette absence de revalorisation de la CAP s'inscrit dans le cadre de la trajectoire d'économies demandées aux sociétés de l'audiovisuel public , définie en juillet 2018 par le Gouvernement. Celle-ci prévoit une réduction des dotations accordées de 190 millions d'euros entre 2018 et 2022 .

Montant annuel des économies demandées aux sociétés de l'audiovisuel public entre 2019 et 2022

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Des économies de l'ordre de 36,5 millions d'euros en 2018, 35 millions d'euros en 2019, 70,6 millions d'euros en 2020 et 70 millions d'euros en 2021 6 ( * ) ont ainsi été demandées aux opérateurs. L'effort demandé s'élève en 2022 à 17,7 millions d'euros.

Évolution de la répartition des crédits du compte de concours financiers
« Avances à l'audiovisuel public » de 2018 à 2022

(en millions d'euros)

LFI 2018

LFI 2019

LFI 2020

LFI 2021

LFI 2022

Évolution 2022/2021

en M€

en %

841 - France Télévisions 7 ( * )

2 567,9

2 543,1

2 481,9

2 421,1

2 406,8

- 14,3

- 0,6

842 - Arte

285,4

283,3

281,2

279

278,6

- 0,4

- 0,1

843 - Radio France

608,8

604,7

599,6

591,4

588,8

- 2,6

- 0,4

844 - France Médias Monde

263,2

261,5

260,5

260

259,6

- 0,4

- 0,2

845 - Institut national de l'audiovisuel

90,4

89,2

88,2

89,7

89,7

0

0

847 - TV5 Monde

78,9

77,8

77,8

77,7

77,8

+ 0,1

0

Total Avances à l'audiovisuel public

3 894,6

3 859,6

3 789

3 719

3 701,3

- 17,7

- 0,5

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

b) Une trajectoire d'économies pour partie compensée lors de la crise sanitaire

Cette trajectoire doit également être relativisée à l'aune des efforts consentis par ailleurs par l'État pour amortir les conséquences de la crise sanitaire. Le programme 363 « Compétitivité » de la mission « Plan de relance » prévoit une dotation de 73 millions d'euros (AE = CP), répartie sur les exercices 2021 et 2022 . Cet apport vise à appuyer le rôle de soutien à la création en compensant à la fois le recul des ressources publicitaires, le report sur 2021 d'un certain nombre de charges et la progression des dépenses supplémentaires liées à la gestion de la crise sanitaire (aménagements des locaux, achats de masques et de gel etc.). L'enveloppe dédiée à France télévisions au sein de cette aide correspond ainsi au montant des pertes publicitaires enregistrées en 2020 (45 millions d'euros).

68 millions d'euros ont été versés dès 2021. Le solde de 5 millions d'euros devrait être affecté à Radio France en 2022, après un premier versement de 15 millions d'euros en 2021. Cette aide complémentaire vise à répondre à l'impact durable de la crise sur ses formations musicales.

Crédits affectés aux sociétés audiovisuelles publiques par la mission
« Plan de relance » en 2021 et 2022

(en millions d'euros)

2021

2022

Total 2021-2022

France Télévisions

45

-

45

Arte

5

-

5

Radio France

15

5

20

France Médias Monde

0,5

-

0,5

Institut national de l'audiovisuel

2

-

2

TV5 Monde

0,5

-

0,5

Total

68

5

73

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

L'État a, par ailleurs, pris sa part dans le financement des plans de départs volontaires induits par la trajectoire d'économie .

Plan de départs volontaires mis en oeuvre au sein de France Télévisions,
Radio France et France Médias Monde

France Télévisions

Radio France

France Médias Monde

Total

Nombre de départs volontaires prévu par le plan de rupture conventionnelle collective

1 800

340

30

2 170

Nombre de postes remplacés

700

157

857

Solde net

1 100

183

30

1 313

Départs effectifs à fin 2021

1 124

271

21

1 416

Source : mission conjointe de contrôle d'après les données transmises par la direction générale des médias et des industries culturelles

Cet apport financier prend la forme d'une augmentation de capital en année n+ 1 venant financer 2/3 du coût des départs effectués en année n dans la limite de 67 000 euros par départ. Le montant de ces dotations a atteint 67,1 millions d'euros sur la période 2020-2022 pour 2 140 départs attendus (883 devant être remplacés).

Dotations en capital attribuées aux sociétés de l'audiovisuel public en vue de financer les plans de départs volontaires

(en millions d'euros)

2020

2021

2022

Total 2020-2022

France Télévisions (1 800 départs attendus /700 remplacements)

17

15,2

14,9

47,1

Radio France (340 départs attendus / 183 remplacements)

2

9,8

6,6

18,4

France Médias Monde (30 départs attendus)

1,6

1,6

Total

19

25

23,1

67,1

Source : mission conjointe de contrôle d'après les données transmises par la direction générale des médias et des industries culturelles

Une attention particulière doit également être portée aux travaux visant la Maison de la radio . Lancé en 2010, le coût du chantier de réhabilitation de la Maison de la radio devrait atteindre 493,2 millions d'euros à l'horizon 2023 , date retenue pour la remise des travaux. À cette somme s'ajoute le coût des travaux des studios de création , lancé en 2017 et estimé à 78 millions d'euros . La fin du chantier devrait intervenir à l'horizon 2026.

Le financement de ces travaux est assuré à 70 % par l'État via :

- une subvention d'investissement intégrée à la dotation de Radio France, dont le montant cumulé atteint 327 millions d'euros sur la période 2010-2021, 10 millions d'euros supplémentaires étant attendus en 2022 ;

- une augmentation du capital de 44 millions d'euros de 2020 à 2022, dont 9 millions d'euros en 2022 .

L'État a pour l'heure dépassé le plafond de 70 % s'agissant des travaux de réhabilitation, prenant à sa charge 75 % des coûts de ceux-ci. Dans ces conditions, les coûts restants des studios de création ne seront financés à l'avenir qu'à hauteur de 35 %, afin d'atteindre au global, en fin de période, les 70 % initialement arbitrés. Il reste à financer 61 millions de travaux de 2023 à 2026 : 5 millions d'euros pour le chantier de réhabilitation et 56 millions d'euros pour les studios de création.

3. Une dynamique négative, conséquence logique d'un bouleversement des usages

Le taux d'équipement en téléviseurs des foyers français continue de diminuer, passant de 98 % en 2012 à 92 % en 2020 alors que la moyenne d'écrans (téléviseurs, smartphones , tablettes, ordinateurs) par foyer ne cesse de progresser passant de 5,3 en 2007 à 6,5 en 2020 8 ( * ) . Il n'est pas étonnant, dans ces conditions, de constater une dynamique négative en matière d'encaissement de la CAP .

La stabilisation du montant de la CAP s'inscrit, en effet, dans un contexte de diminution du nombre de foyers assujettis. 27,61 millions de foyers ont été assujettis à la CAP en 2021 soit un niveau relativement stable par rapport à 2020 mais baisse par rapport à 2019 (27,77 millions de foyers).

Le nombre de foyers payants devrait quant à lui atteindre 22,89 millions en 2022, soit une baisse de 0,56 % par rapport à 2020 et de 0,39 % au regard de la prévision retenue pour 2021. La baisse du nombre de foyers concernés par le paiement est continue depuis 2019 (23,19 millions de foyers payants à cette date) . Il convient de mettre en perspective cette baisse avec la progression du nombre de foyers dégrevés. Depuis 2015, ceux-ci ont augmenté de près d'un million, le nombre de foyers payants baissant dans le même temps de 600 000 unités.

Nombre de foyers assujettis à la CAP entre 2015 et 2021

(en millions)

Source : mission conjointe de contrôle, d'après les documents budgétaires

Cette tendance baissière se retrouve dans les encaissements nets de CAP observés depuis 2019. Les encaissements nets de redevance ont ainsi baissé en 2020 d'environ 101 millions d'euros, ce qui constituait une première depuis 2016 . Cette baisse était due :

- à l'effet assiette : le nombre de foyers payants a baissé de 0,8 % par rapport à 2019, entraînant une perte de 78 millions d'euros. Une perte de recette liée aux professionnels est également observable : - 18 millions d'euros par rapport aux encaissements de 2019 ;

- l'effet taux, la diminution de 1 euro décidée en loi de finances pour 2020 a conduit à une chute des recettes de 24 millions d'euros.

Les encaissements nets de CAP étaient censés retrouver leur niveau de 2019 en 2021, la baisse du nombre de foyers payants étant compensée par une hausse attendue des encaissements de CAP des professionnels (+ 9 millions d'euros par rapport à 2020), lesquels ne retrouveraient cependant pas encore le niveau d'avant la crise sanitaire. L'exécution 2021 montre certes un rebond, les encaissements nets atteignant 3 188,6 millions d'euros, mais celui-ci ne permet pas d'atteindre le niveau prévu en loi de finances initiale : 3 231,1 millions d'euros.

La loi de finances pour 2022 table sur une nouvelle baisse du nombre de foyers payants, compensée par une progression des encaissements de CAP des professionnels qui cette fois atteindraient à nouveau le niveau d'avant la crise sanitaire. L'activité devrait, en effet, reprendre un rythme normal, notamment dans l'hôtellerie.

Évolution de la contribution à l'audiovisuel public depuis 2019

2019

2020

2021

2022 (p)

CAP métropole (en euros)

139

138

138

138

CAP outre-mer (en euros)

89

88

88

88

Nombre de foyers assujettis

(en millions) 9 ( * )

27,77

27,60

27,61

27,61

Encaissements nets

(en millions d'euros)

3 236,3

3 135,5

3 188,6

3 140,5

Dégrèvements compensés par l'État

(en millions d'euros)

623,3

653,5

530,6

560,8

Dotation de la CAP aux organismes (TTC) (en millions d'euros)

3 859,6

3 789

3 719

3 701,3

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Les frais de gestion et de trésorerie afférents à la collecte ont atteint 28,9 millions d'euros en 2020. Ils sont évalués à 28,4 millions d'euros pour les exercices 2021 et 2022.


* 1 https://www.senat.fr/notice-rapport/2014/r14-709-notice.html

* 2 https://www.culture.gouv.fr/Espace-documentation/Documentation-juridique-textes-officiels/Projet-de-loi-relatif-a-la-communication-audiovisuelle-et-a-la-souverainete-culturelle-a-l-ere-numerique

* 3 3° du III de l'article 257 du code général des impôts.

* 4 Cour des Comptes, Compte de concours financiers Avances à l'audiovisuel public, Note d'analyse de l'exécution budgétaire 2021.

* 5 Le mécanisme de garantie des ressources a été activé pour la première fois en 2010. Il a également permis de garantir le niveau de ressources de l'audiovisuel public en 2016, en 2017 puis en 2019, en 2020 et 2021.

* 6 Le montant initialement retenu pour 2021 s'établissait à 80 millions d'euros avant d'être revu à la baisse afin de tenir compte du maintien de France 4, dont la suppression était prévue en août 2020. Le succès des émissions éducatives de la chaine durant le confinement a, en effet, conduit à ajourner cette perspective.

* 7 La loi de finances pour 2019 prévoit par ailleurs la suppression de l'affectation à France Télévisions d'une part de la taxe sur les communications électroniques (TOCE). Le montant de cette fraction s'élevait à 85,5 millions d'euros en loi de finances pour 2018.

* 8 Syndicat national de la publicité télévisée, Précis de la télévision, 17 ème édition, 2021.

* 9 Le nombre de foyers assujettis intègre les foyers dégrevés.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page