III. LA NÉCESSITÉ DE REGROUPER LES ENTREPRISES DE L'AUDIOVISUEL PUBLIC POUR CRÉER UN ACTEUR COHÉRENT, PUISSANT ET INNOVANT

Le bilan de l'application de la trajectoire budgétaire 2018-2022 démontre l'absence de marges de manoeuvre pour réduire encore significativement les coûts sur le modèle des efforts recherchés depuis 2018 . Dans ces conditions, la poursuite des économies devra passer soit par une réduction des périmètres des entreprises et donc des programmes, soit par une refonte ambitieuse des structures afin de maximiser les mutualisations. Les rapporteurs recommandent de privilégier cette seconde option en fusionnant les quatre entreprises de l'audiovisuel public national afin, notamment, de préserver les investissements dans les programmes .

A. FUSIONNER LES ENTREPRISES DE L'AUDIOVISUEL PUBLIC POUR ÉCHAPPER À LA MARGINALISATION

1. Un regroupement cohérent avec les précédentes recommandations du Sénat

Il y a près de 7 ans, les commissions de la culture et des finances du Sénat avaient proposé la création d'une société holding regroupant France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et l'INA .

ARTE France - dont les succès tant en termes d'audience que de développement numérique doivent être salués et servir d'aiguillon pour les autres chaînes du service public - et TV5 Monde, qui constituent des médias internationaux dont l'organisation est régie par des traités, avaient été maintenus volontairement en dehors de ce projet de regroupement par les propositions de ce rapport.

La création de cette société holding devait favoriser à la fois une unité de décision stratégique pour mettre un terme à la dispersion des tutelles et la mise en oeuvre d'actions communes, en particulier dans le numérique et au niveau territorial. Le recours à une société holding devait permettre de favoriser la convergence tout en maintenant l'identité des entreprises à un moment où les coopérations entre elles étaient très limitées et les préventions assez fortes.

L'abandon, en mars 2020, de la réforme de la gouvernance de l'audiovisuel public a eu pour effet de réduire la dynamique en faveur de la mise en oeuvre de projets communs. Les projets de coopération n'ont pas disparu, d'autant qu'ils constituent une priorité des COM adoptés pour la période 2019-2022, mais force est de constater que l'inertie a fini par l'emporter. Les coopérations sont restées embryonnaires dans le numérique, les matinales communes à France 3 et France Bleu se sont mises en place de manière laborieuse, la relance éditoriale de la chaîne France Info se fait toujours attendre...

Sur le plan des moyens, des avancées ont été réalisées mais il ne s'agit que de « premiers pas » . Les formations réalisées avec l'INA ont augmenté mais elles restent contraintes par les règles de la commande publique. Concernant les achats, les marchés groupés sont en nette progression tant en nombres qu'en montants, preuve d'un gisement d'économies jusque-là trop peu exploité.

Les auditions menées ont permis d'établir l'existence d'un paradoxe puisque d'une part, les personnels des sociétés de l'audiovisuel public ont pris conscience d'appartenir à un même ensemble et de la nécessité de mieux collaborer mais, d'autre part, les réticences restent fortes lorsqu'il s'agit de construire des coopérations et de désigner des « chefs de file » opérationnels. La situation apparaît donc aujourd'hui bloquée alors que les concurrents du service public accélèrent leur développement et n'hésitent pas à faire évoluer leur modèle économique comme leur organisation.

2. Le nécessaire « big bang » de l'audiovisuel public

Pendant que l'audiovisuel public français demeure - contrairement à la quasi-totalité des audiovisuels publics européens - divisé entre structures antagonistes, les acteurs privés ont engagé un processus de regroupement (TF1 - M6/RTL ; Canal+/Europe 1) tandis que de nouvelles plateformes américaines se préparent à arriver en France (HBO Max, Paramount +...). D'autres acteurs comme Netflix et Disney Plus envisagent le lancement de nouvelles offres financées en tout ou partie par la publicité. Le risque de la marginalisation ne peut donc plus être exclu pour le service public s'il demeure divisé.

La situation a donc radicalement changé depuis 2015 et le précédent rapport du Sénat. L'idée de regrouper les sociétés de l'audiovisuel public n'est plus nouvelle, elle est même largement partagée comme étant inéluctable , le débat portant davantage sur le moment pertinent pour opérer ce regroupement, le coût d'une telle évolution et les modalités de gouvernance du nouvel ensemble.

Dans ces conditions, les rapporteurs ont entendu les avis de nombreux experts auditionnés qui s'interrogeaient sur l'intérêt de créer une holding compte tenu de la complexité de ce type de structures qui ajoute « une couche supplémentaire » avec le risque de multiplier le nombre des décideurs au lieu de les réduire. Compte tenu de l'accélération générale des transformations dans le secteur de l'audiovisuel, ils considèrent que la meilleure façon de « rattraper le temps perdu » au cours du précédent quinquennat est de s'abstenir de passer par des étapes intermédiaires du type holding pour privilégier l'organisation la plus efficace et donc un regroupement.

L'éparpillement des sociétés de l'audiovisuel public :
une exception française coûteuse et inefficace

La BBC n'est pas le seul exemple de groupe audiovisuel regroupant à la fois des chaînes de télévision et des antennes de radio. La Rai possède des chaînes de télévisions généralistes, des chaînes semi-généralistes, des chaînes thématiques et des chaînes en langues régionales ainsi que des radios nationales, régionales et en langues étrangères.

La RTVE espagnole comprend cinq antennes de radio, deux chaînes généralistes et trois chaînes thématiques. Concernant les régions francophones, la RTBF wallonne et la RTS suisse possèdent également des chaînes de télévision et des antennes de radio.

L'Allemagne n'échappe pas à ce modèle multi supports puisque l'ARD réunit neuf radiodiffuseurs publics régionaux opérant tout à la fois des stations de radio et des chaînes de télévisions publiques.

La mission de contrôle propose donc de relancer le processus de regroupement des principales sociétés de l'audiovisuel public initié proposé en 2015 par le Sénat et enclenché en 2019 par le Gouvernement tout en l'adaptant au nouveau contexte que nous connaissons aujourd'hui. La nécessité de ce regroupement est aujourd'hui largement partagée au sein des entreprises et les collaborations déjà engagées ont mis en évidence le potentiel d'une systématisation des mutualisations.

Dans ces conditions, la création d'une entreprise unique regroupant France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et l'INA apparaît aujourd'hui préférable à celle d'une société holding afin d'accélérer la réponse apportée au basculement du secteur des médias dans l'ère de la « plateformisation ». Une société unique doit permettre une unité de pilotage, une réduction des niveaux hiérarchiques et donc une plus grande agilité pour répondre aux défis qui s'annoncent .

Quelle place pour l'audiovisuel extérieur
dans la nouvelle organisation de l'audiovisuel public ?

Les rapporteurs considèrent que France Médias Monde a toute sa place dans un regroupement des entreprises de l'audiovisuel public afin de devenir le pôle de référence de l'audiovisuel public pour traiter les questions internationales. Si la Deutsche Welle constitue un acteur autonome au sein d'un audiovisuel fédéral en Allemagne, il n'est pas inutile de rappeler le rapprochement en cours entre BBC News et BBC World News qui pourrait constituer une source d'inspiration.

Concernant plus spécifiquement le fonctionnement de France Médias Monde, il convient de souligner que si le rapprochement a été opéré entre les services supports, il n'en est toujours rien concernant les rédactions qui demeurent séparées contrairement au projet d'origine, ce qui a limité l'intérêt même de la création d'une entreprise dédiée à l'information internationale.

L'attitude du groupe France Télévisions concernant la nécessité d'un regroupement a radicalement changé en quelques mois. Alors que ses dirigeants étaient plutôt réservés en 2019-2022 lors de l'examen du projet de loi Riester, le groupe public semble avoir pris la mesure des changements en cours. Pour le groupe public « une bataille pour le financement des contenus est engagée avec un risque majeur de rétention et privatisation des talents par les géants du streaming » . Par ailleurs, « partout en Europe et à l'instar de TF1/M6, les acteurs privés se concentrent, avec un risque d'éviction de l'audiovisuel public sur les droits et talents » . Le groupe public estime donc que « jamais le contexte n'aura donc été aussi favorable pour porter un projet ambitieux pour l'audiovisuel public français entre 2022 et 2027 » . Pour la présidente de France Télévisions enfin « la fusion des sociétés de l'audiovisuel public d'ici la fin du quinquennat est le projet de rupture le plus ambitieux pour l'audiovisuel public . Pour y parvenir, il est nécessaire de constituer des « briques » à cette fusion dans les trois prochaines années, qui pourraient s'articuler autour de projets de rapprochements concrets avec des impacts concrets pour les publics » 29 ( * ) .

Le président de l'INA a évoqué lors de son audition 30 ( * ) qu'il était légitime de poser la question du coût du service public de l'audiovisuel. Interrogé sur la poursuite des économies, il a indiqué que si l'État souhaitait baisser de 20 % les dotations publiques, cela nécessiterait une réduction du périmètre des entreprises tandis qu'un objectif de - 10 % lui semblait atteignable en remettant à plat la gouvernance à travers un regroupement . Il a considéré que la création d'une holding aurait des coûts et qu'il n'était pas nécessaire de passer par cette étape, l'essentiel étant pour l'INA de s'inscrire dans l'écosystème du regroupement.

Le directeur général de TV5 Monde a considéré que la réforme engagée en 2019 ne constituait qu'un premier stade avant la fusion, en rappelant que la France était le seul pays d'Europe où la radio et la télévision n'étaient pas intégrées dans un groupe unique . Rappelant son expérience à la tête de la RTBF, il a expliqué qu'avec le numérique la concurrence n'avait pas de sens entre entreprises de l'audiovisuel public et que les économies réalisées sur les frais de structure pourraient être réinvesties dans les programmes 31 ( * ) .

Les services de l'État ont été unanimes à appeler de leurs voeux un rapprochement. C'est le cas de l'Agence des participations de l'État (APE) qui a considéré lors de son audition qu'il était indispensable de rapprocher les entreprises afin qu'elles soient plus puissantes ensemble . « Il faut changer les comportements et que les dirigeants apprennent à penser ensemble » 32 ( * ) a indiqué le représentant de l'APE.

Lors de son audition, la direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC) a estimé que « la démarche de coopérations menées par le bas produisait des résultats mais qu'elle était laborieuse car les intérêts des entreprises sont divergents et il est difficile pour l'État d'arbitrer lorsque les entreprises n'ont pas envie de travailler ensemble » . Plus précisément la tutelle considère qu'« elle n'a pas les outils pour contraindre les entreprises de l'audiovisuel public à coopérer ou pour arbitrer leurs désaccords » 33 ( * ) .

Lors de son audition, Alain Weill, président-directeur général de l'Express , a également considéré qu'il était indispensable de rapprocher les entreprises de l'audiovisuel public et notamment France Télévisions et Radio France car il a estimé que les coopérations étaient compliquées . L'ancien dirigeant d'Altice qui réunit à la fois des chaînes de télévision et de radio a considéré que la création d'une holding n'était pas suffisante. « Il faut un management identique » 34 ( * ) a-t-il insisté et donc une fusion des entreprises.

Le président de l'Arcom a considéré lors de son audition que « le service public de l'audiovisuel n'échappera pas à la convergence car nous sommes le seul pays dans cette situation » 35 ( * ) . Il a considéré qu'il revenait à l'État de prendre une décision dès le début du quinquennat.

L'absence d'évolution du secteur de l'audiovisuel public depuis 2015 s'explique également par les réticences manifestées par nombre de dirigeants davantage préoccupés par des considérations internes aux entreprises que par l'avenir de l'audiovisuel public et son coût pour la Nation. Cette inertie a trouvé un écho au cours du dernier quinquennat dans le manque d'intérêt de l'État pour une réforme ambitieuse que seule l'action de Franck Riester a essayé de contrarier. L'abandon du projet de loi de réforme de l'audiovisuel public décidé en mars 2020 a constitué, à cet égard, à la fois une satisfaction et un ultime répit pour tous ceux qui oeuvrent à maintenir l'éparpillement.

Le nouveau quinquennat pourrait cependant constituer une opportunité pour dépasser les résistances qui subsistent. La poursuite des économies devrait s'imposer comme une nécessité et la suppression de la CAP invite l'État actionnaire à préciser son projet pour l'audiovisuel public tant en matière d'organisation, de missions que de moyens.

Les opposants à un rapprochement évoquent le coût et l'énergie nécessaires pour conduire un tel projet. Pourtant, aucune étude n'a chiffré ce coût initial pour établir qu'il serait déraisonnable notamment au regard des économies incontestables qui pourraient être obtenues grâce à des rationalisations. Les expériences de rapprochements conduites récemment (fusion des rédactions de l'information nationales et fusion des antennes à France Télévisions et rapprochement des statuts des personnels de France 24 et RFI) ont plutôt démontré que les rapprochements étaient possibles à coût raisonnable d'autant plus lorsqu'ils s'inscrivent dans le cadre d'un projet stratégique ambitieux.

Concernant la méthode à suivre pour opérer un tel regroupement, les auditions menées ont permis d'établir qu'une fois la décision prise il convenait de ne pas perdre de temps. Compte tenu des contraintes propres à un débat parlementaire et de la nécessité de tenir compte des mandats des responsables actuellement en fonction, il apparaît qu' une durée de deux ans pourrait constituer un objectif raisonnable pour mener la concertation nécessaire puis concevoir et adopter un projet de loi .

La mission de contrôle propose donc qu'un texte de loi soit discuté en 2023 afin de créer une société unique de l'audiovisuel public français - laquelle pourrait reprendre le nom de France médias - qui regrouperait France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et l'INA.

Arte France et TV5 Monde conserveraient leurs statuts actuels mais les coopérations seraient renforcées, la société unique ayant vocation à devenir un actionnaire de référence de ces deux entreprises internationales. Toutefois, afin de préserver l'indépendance de ces sociétés multinationales, les rapporteurs préconisent d'examiner la possibilité de limiter à 50 % le capital détenu par la société unique France Médias dans Arte France et dans TV5 Monde notamment en augmentant les participations croisées entre ces deux dernières sociétés.

La création de cette société unique pourrait intervenir début 2025 à l'issue du mandat de la présidente actuelle de France Télévisions , ce qui pourrait nécessiter de modifier la durée des mandats des autres dirigeants de l'audiovisuel public afin de les aligner sur 2025.

Recommandation n° 6 (direction générale des médias et des industries culturelles) : Fusionner France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et l'INA au sein d'une société unique - France Médias - pour créer un média public puissant et innovant dans le numérique. Ajuster la durée des mandats des présidents afin de créer cette nouvelle société unique dès 2025.


* 29 Audition de Mme Delphine Ernotte Cunci, p-dg de France Télévisions, le 12 mai 2022.

* 30 Audition de M. Laurent Vallet, président de l'Institut national de l'audiovisuel le 2 juin 2022.

* 31 Audition de M. Yves Bigot, directeur général de TV5 Monde, le 3 juin 2022.

* 32 Audition de M. Charles Sarrazin, directeur de participations Services & Finance de l'Agence des participations de l'État, le 12 mai 2022.

* 33 Audition de M. Jean-Baptiste Gourdin, directeur général des médias et des industries culturelles, le 21 avril 2022.

* 34 Audition de M. Alain Weill, p-dg de l'Express, le 9 mai 2022

* 35 Audition de M. Roch-Olivier Maistre, président de l'Arcom, le 21 avril 2022.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page