C. RÉUNIR SANS NOUVEAU RETARD LES MOYENS DE NÉGOCIER SEREINEMENT L'AVENIR INSTITUTIONNEL DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE

Les rapporteurs ont pu, au cours de leurs travaux en Nouvelle-Calédonie comme à Paris, mesurer l'impérieuse nécessité de construire une méthode de négociation acceptée de tous, condition préalable indispensable pour renouer les fils du dialogue entre les parties.

Comme l'a rappelé le comité des Sages, par le passé, « la méthode Rocard a été acceptée par tous les dirigeants politiques » et a ainsi permis la conclusion des accords de Matignon puis de Nouméa. De la même manière, le président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, Louis Mapou, a affirmé le 8 juillet 2022, qu'« on s'aperçoit bien que le pays a besoin de clarté dans ce qui va se passer depuis le dernier référendum » 54 ( * ) .

Force est de constater qu'aujourd'hui, les initiatives du Gouvernement pour relancer les négociations sur ce sujet ne font plus consensus et n'ont pas permis la reprise espérée du dialogue (voir supra ). Nourris des échanges conduits avec les parties prenantes de l'avenir calédonien, les rapporteurs proposent donc des points de méthode pour donner aux négociations appelées de leurs voeux par toutes les personnes rencontrées un caractère serein et fructueux pour définir l'avenir de la Nouvelle-Calédonie.

1. Rétablir un lien de confiance entre les parties prenantes en réaffirmant l'impartialité et le rôle moteur de l'État

Les rapporteurs font le constat que la réaffirmation de l'impartialité de l'État conjuguée à la consolidation de son rôle de proposition sur le dossier calédonien est une condition nécessaire à la reprise du dialogue entre l'ensemble des parties . Comme l'observait Jean-François Merle, « ce processus repose depuis toujours sur un trialogue entre les indépendantistes, les non-indépendantistes et l'État, dans un rôle à la fois d'arbitre et d'acteur » 55 ( * ) .

Or, les auditions menées par les rapporteurs ont permis de constater que certains acteurs considèrent que l'État ne remplit plus ce rôle aujourd'hui .

Comme évoqué précédemment, les partis indépendantistes sollicitent l'organisation de réunions bilatérales avec l'État, estimant que l'État serait sorti de sa neutralité en maintenant la date de la troisième consultation sur l'autodétermination et aurait, de ce fait, pris implicitement parti pour les mouvements non-indépendantistes.

Toutefois, les auditions ont parallèlement permis de mesurer les fortes attentes des acteurs de toute nature vis-à-vis de l'État quant à la poursuite des négociations. Par exemple, le comité des Sages a estimé que « l'État doit jouer son rôle de troisième partenaire des accords ».

De la même manière, les acteurs politiques, non-indépendantistes comme indépendantistes, ont nourri des attentes quant au rôle de l'État. Ainsi alors que Nicolas Metzdorf se félicitait que « l'État [n'ait] pas tremblé » 56 ( * ) en maintenant la date de la troisième consultation, Daniel Goa estimait que « la puissance administrante (...) détient seule le pouvoir de décider sur la suite de l'Accord de Nouméa » 57 ( * ) .

Les rapporteurs observent que ces attentes ne sont pas nouvelles et s'appuient sur le fait que, par le passé, l'État a su trouver un équilibre entre impartialité et volontarisme qui lui a permis tant d'entretenir un dialogue bilatéral avec chacune des parties que d'offrir à celles-ci un cadre de négociation trilatéral. Ces constats appellent de la part des rapporteurs des propositions de deux ordres quant au rôle que devrait endosser l'État dans les prochaines négociations.

En premier lieu, la réaffirmation, par des actes concrets, de l'impartialité de l'État dans ce processus apparaît comme un préalable à toute négociation.

Cette impartialité doit permettre aux acteurs locaux non seulement d'avoir confiance en la pleine volonté de l'État de respecter l'esprit et la lettre d'un prochain accord, mais également d e s'appuyer sans inquiétude sur ses capacités d'ingénierie . En effet, les moyens techniques et humains dont seul l'État dispose doivent, comme par le passé, être mis en toute objectivité au service des négociations politiques, pour deux raisons principales.

D'une part, il ressort des auditions qu'un bilan objectif, qualitatif comme quantitatif, établi à l'aide des services de l'État et en collaboration avec l'ensemble des parties, est indispensable pour construire une base saine de négociations et réfléchir à un système institutionnel, politique, financier et budgétaire robuste tirant les enseignements des réussites et des échecs du précédent.

D'autre part, les négociations devront aboutir à une traduction juridique, que seul l'État apparait en capacité de proposer et que lui seul aura la charge de défendre devant le Parlement , dans le cas où une révision constitutionnelle ou une modification législative serait nécessaire.

En second lieu, les rapporteurs estiment que le bon déroulement de ces négociations repose indispensablement sur une action volontariste de l'État qui ne saurait se résumer à son impartialité au cours du processus de négociation.

De l'avis unanime des personnes auditionnées, le besoin d'une implication constante et à haut niveau de l'État sur ce dossier est primordial. Partageant ce constat, les rapporteurs estiment que tout en permettant aux Calédoniens de s'accorder sur leur avenir, l'État ne saurait se résigner à la position attentiste de n'être que le simple greffier d'accords politiques préexistants localement puisqu'à l'heure actuelle, les conditions ne sont pas réunies pour que de tels accords puissent se nouer. L'État doit donc prendre toute sa part à la création des conditions indispensables à l'émergence, par le dialogue et la reconnaissance mutuelle, d'une solution politique équilibrée, consensuelle et durable quant à l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie.

C'est pourquoi les rapporteurs proposent de réaffirmer la nécessaire impartialité de l'État, par des actions concrètes et répétées, tout en consolidant son rôle de proposition dans les négociations , s'inspirant ainsi de « la vieille sagesse de l'État » 58 ( * ) qui a permis aux accords de Matignon et de Nouméa de se nouer.

Proposition n° 1 : Garantir l'impartialité de l'État et consolider son rôle de proposition sur le dossier calédonien.

2. Dépasser le strict débat institutionnel en élargissant le champ des discussions

Au cours des auditions menées par les rapporteurs, les acteurs calédoniens de toute nature et indépendamment des orientations politiques, ont rappelé l'importance des défis auxquels devra répondre la Nouvelle-Calédonie à court, moyen et long terme .

À titre d'exemple, les diverses contributions de la société civile sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie recensées par le Haut-Commissariat ont permis de faire émerger des constats quasiment identiques au sein de la société civile quant aux défis qui devront être relevés à l'avenir par la Nouvelle-Calédonie.

Extraits des contributions à la consultation de la société civile
sur l'avenir institutionnel recensées par le Haut-Commissariat en 2021 59 ( * )

La consultation des « corps intermédiaires de la société civile » a permis de faire émerger dix défis qui, selon les répondants, se poseront à l'avenir en Nouvelle-Calédonie, à savoir : « le projet du “vivre ensemble”, le développement d'un modèle social calédonien basé sur la répartition des richesses et la diminution des inégalités ; le renouvellement du cadre institutionnel ; la transition énergétique et la gestion raisonnée des ressources ; la diversification de l'économie locale, l'articulation de l'ouverture internationale et de l'intégration régionale ; la valorisation de l'éducation et de la jeunesse ; l'autonomie alimentaire ; le besoin sécuritaire et la reconnaissance du peuple kanak ».

La « consultation des jeunes » a mis en lumière le « top 7 des préoccupations des étudiants calédoniens », qui sont « l'indépendance, la sécurité des biens et des personnes, la situation économique, l'environnement, le système scolaire et l'éducation, la pauvreté et le pouvoir d'achat ».

S i certains de ces défis sont éminemment liés aux questions institutionnelles, d'autres outrepassent le strict champ institutionnel . Plus précisément, en dehors du champ institutionnel, reviennent majoritairement des préoccupations relatives aux enjeux économiques, sociaux, culturels et environnementaux.

Les auditions conduites en Nouvelle-Calédonie comme à Paris ont permis de confirmer ce constat. Ainsi, y ont été unanimement cités, notamment : la relance économique, le redressement des comptes sociaux, la résorption des inégalités sociales, les défis environnementaux, les défis énergétiques et de l'exploitation du nickel, la mortalité routière, la surconsommation d'alcool et de drogues, les violences intrafamiliales, l'état de santé des populations calédoniennes et l'accès au soin sur le territoire, la délinquance chez les jeunes.

Dès lors, les rapporteurs rappellent qu'au-delà des enjeux juridiques et institutionnels dont il revient aux parties de discuter, ces négociations ne pourront s'extraire des grands défis d'avenir du territoire auxquels elles devront contribuer à apporter des réponses .

Les parties s'étaient, d'ailleurs, accordées en 2021, pour « prend[re] acte des chantiers que l'accord de Nouméa et, plus largement, le long processus engagé par l'État, n'auront pas permis de faire aboutir » et par conséquent « aborder, avec l'aide de l'État, les sujets vitaux pour l'avenir de la Nouvelle-Calédonie » dans le cadre des prochaines négociations 60 ( * ) .

Ainsi, bien que l'ensemble des propositions formulées à cette occasion ne fait plus aujourd'hui l'objet d'un consensus, les rapporteurs rappellent que l'élargissement des discussions au-delà des seuls sujets juridiques et institutionnels constitue un principe fondamental qu'il convient de réaffirmer au moment de l'ouverture de ce nouveau cycle de négociations . C'est bien sur la totalité des défis que la population calédonienne devra ensemble relever que doivent porter les nouvelles négociations.

Proposition n° 2 : Élargir les discussions à la diversité des défis auxquels devra répondre la Nouvelle-Calédonie (économie, société, santé, école, culture, environnement, finances, contexte régional).

3. Élargir les discussions à de nouveaux acteurs afin de renforcer l'acceptabilité sociale des équilibres issus des négociations

Si des initiatives ont été récemment prises afin d'associer la société civile et d'autres acteurs politiques aux discussions, les travaux menés par les rapporteurs ont montré l'enrichissement indéniable qu'apporterait l'amplification des initiatives visant à consulter et associer aux discussions une plus grande variété d'acteurs calédoniens .

Comme l'a fait justement valoir le professeur Ferdinand Mélin-Soucramanien lors de son audition, « le gouvernement précédent avait déjà eu l'intuition de la nécessité de consulter la société civile, et cela avait produit d'assez bons résultats (...) ce procédé devrait être amplifié » 61 ( * ) .

En effet, si les rapporteurs ne sauraient en aucun cas remettre en cause le modèle de négociations déployé depuis plus de trente ans - à savoir le principe de négociations de haut-niveau conduites par des délégations politiques composées d'acteurs choisis localement - , ce cycle de négociations gagnerait à associer davantage d'acteurs afin de renforcer l'acceptabilité sociale des équilibres issus des négociations .

Sans préconiser pour autant un élargissement systématique et permanent, il est proposé de mieux associer aux discussions sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie, selon des modalités différentes, d'une part, les acteurs économiques, sociaux, environnementaux, culturels, religieux ainsi que la jeunesse calédonienne , et d'autre part, les maires de Nouvelle-Calédonie .

L e souhait de la société civile d'être consultée sur son avenir institutionnel ne saurait être ignoré . Celle-ci n'a, du reste, pas attendu d'être consultée pour s'exprimer et se structurer afin d'apporter sa contribution aux discussions. Par exemple, les principaux représentants des acteurs économiques se sont rassemblés, à leur seule initiative, sous une bannière commune, NC Eco , afin de proposer un document unique exposant « la contribution des acteurs économiques de Nouvelle-Calédonie aux débats institutionnels » 62 ( * ) .

De la même manière, les divers appels à contributions lancés par l'État ont trouvé un écho favorable au sein de la société civile calédonienne dans son ensemble (acteurs associatifs, économiques, syndicaux, étudiants ou simples citoyens), permettant aux acteurs calédoniens d'exprimer leurs aspirations quant à l'avenir de leur territoire 63 ( * ) .

Par ailleurs, les travaux des rapporteurs ont montré que les acteurs économiques, religieux, coutumiers, sociaux, environnementaux et les représentants de la jeunesse calédonienne sont des relais des besoins et préoccupations concrètes des populations calédoniennes et ont des propositions pragmatiques et diversifiées quant à l'avenir du territoire à partager .

Dès lors, les initiatives visant à écouter et consulter les acteurs économiques, sociaux, environnementaux, culturels, coutumiers, religieux ainsi que la jeunesse calédonienne doivent être amplifiées et systématisées afin de nourrir le cycle de négociations sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie.

Proposition n° 3 : Écouter et consulter les acteurs économiques, sociaux, environnementaux, culturels, coutumiers, religieux ainsi que la jeunesse calédonienne.

Au surplus, les deux associations représentants les maires de Nouvelle-Calédonie ont alerté les rapporteurs sur la nécessité d'un dialogue sur l'avenir institutionnel placé sous le signe de la recherche de solutions concrètes pour les citoyens.

Les maires de Nouvelle-Calédonie n'ont, de toute évidence, pas été suffisamment consultés lors de l'élaboration des accords de Matignon et de Nouméa , alors que leurs « retours de terrain » auraient permis d'utilement nourrir la construction institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie. Grâce à une telle consultation, non seulement les difficultés que rencontre le système communal calédonien auraient pu être évitées, mais surtout, des réflexions pragmatiques et concrètes émanant des élus les plus proches du terrain auraient pu être relayées.

Le président de l'association des maires de Nouvelle-Calédonie, Robert Xowie, a rappelé lors de son audition que les maires étaient « sans arrêt à la recherche permanente de solutions du quotidien pour leurs concitoyens » , et ce indépendamment de tout clivages politiques.

Cette position avait déjà été affirmée avec force par l'association des maires français de Nouvelle-Calédonie en mars 2021 : « fortes de leur enracinement territorial, [les communes de Nouvelle-Calédonie ] sont devenues et restent le lieu irremplaçable de concertation et de décision permettant, sur le terrain, de répondre à la satisfaction des besoins essentiels et spécifiques d'une population pluriethnique aspirant à construire, au quotidien, ce destin commun voulu par une grande majorité de nos concitoyens » 64 ( * ) .

Si un premier geste a été consenti par l'ancien Premier ministre Édouard Philippe, qui avait convié les représentants des associations de maires à certains comités des signataires, les maires n'ont toujours pas, à ce jour, été pleinement associés aux réflexions et discussions sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie.

Dès lors, les rapporteurs appellent à mieux associer aux prochaines négociations les maires de Nouvelle-Calédonie, forces de propositions pragmatiques et concrètes mais aussi vecteurs d'acceptabilité sociale des nouveaux équilibres issus des discussions en ce qu'ils représentent la cellule de base de la démocratie calédonienne : la commune.

En particulier, il apparait souhaitable que les représentants des maires de Nouvelle-Calédonie soient conviés aux réunions triparties sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie .

Par ailleurs, il pourrait être envisagé de réunir l'ensemble des maires au sein d'une assemblée des maires de Nouvelle-Calédonie afin de leur permettre d'exprimer les réalités du terrain comme des propositions relatives à l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie . Cette assemblée des maires pourrait, par la suite, être régulièrement réunie afin d'être tenue informée de l'avancée des négociations .

Proposition n° 4 : S'appuyer davantage sur les maires de Nouvelle-Calédonie, forces de propositions pragmatiques et concrètes.

4. La nécessité de conduire des discussions politiques éclairées par des considérations juridiques et d'y associer pleinement le Parlement

Indépendamment de l'issue des négociations sur le fond, de nombreuses évolutions statutaires pour la Nouvelle-Calédonie ne pourront intervenir qu'après d'importantes évolutions constitutionnelles et législatives .

Le Parlement aura ainsi à connaître des équilibres juridiques trouvés et à s'assurer tant de leur bonne insertion dans notre droit que de leur adéquation avec les négociations politiques menées.

Dès lors, il apparaît indispensable que le Parlement soit associé aux négociations ainsi qu'aux réflexions sur les projets constitutionnels et législatifs qui pourraient être envisagés, et pleinement informé de l'évolution de l'ensemble de ces discussions. Le Sénat est disposé à assumer, à la place qui est la sienne, la plénitude de son rôle à cet égard. Comme l'avait déjà proposé le président du Sénat, Gérard Larcher, « le Sénat, Chambre des territoires, est prêt à accompagner ce processus » 65 ( * ) .

En effet, les travaux menés au Sénat, au sein du groupe de contact présidé par le président Gérard Larcher comme des commissions et délégations, ont permis de démontrer que, sans être l'une des parties des négociations, le Sénat, fidèle à sa vocation constitutionnelle, pouvait être une assemblée parlementaire à l'écoute de toutes les parties calédoniennes et constituer ainsi, dans la République, un cadre de confiance et de respect pour contribuer à l'invention de solutions nouvelles utiles à la recherche d'un accord.

Proposition n° 5 : Associer pleinement le Parlement aux discussions sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie.

Néanmoins, l'attention nécessaire aux considérations juridiques quant à l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie ne saurait intervenir qu'en fin de processus, une fois des accords trouvés.

En effet, certaines personnes entendues par les rapporteurs ont émis des interrogations quant aux fondements juridiques susceptibles d'être utilisés par le Gouvernement pour mettre en oeuvre les engagements politiques pris. À ce jour, certains d'entre eux semblent déjà dépourvus de base légale claire et solide .

À titre d'exemple, le référendum dit « de projet » annoncé par l'ancien ministre des outre-mer Sébastien Lecornu ne semble pas disposer d'un fondement juridique clair, dans le cas où il devrait prendre une autre forme qu'un référendum national. Comme l'a fait observer le professeur Ferdinand Mélin-Soucramanien, « la question est (...) de savoir sur quel fondement juridique ce référendum pourrait être organisé » 66 ( * ) .

La consultation du 8 novembre 1998 relative à l'approbation de l'accord de Nouméa, puis les trois consultations relatives à l'autodétermination organisées de 2018 à 2021 n'ont pu concerner les seules « populations intéressées de Nouvelle-Calédonie » qu'en raison d'un fondement constitutionnel exprès - les articles 76 et 77 de la Constitution - préalablement introduit par la révision constitutionnelle du 20 juillet 1998 67 ( * ) .

Les articles 76 et 77 de la constitution de 1958

L'article 76 de la Constitution dispose que : « les populations de la Nouvelle-Calédonie sont appelées à se prononcer avant le 31 décembre 1998 sur les dispositions de l'accord signé à Nouméa le 5 mai 1998 et publié le 27 mai 1998 au Journal officiel de la République française. Sont admises à participer au scrutin les personnes remplissant les conditions fixées à l'article 2 de la loi n° 88-1028 du 9 novembre 1988 ».

Il a servi de fondement constitutionnel à la consultation sur l'accord de Nouméa du 8 novembre 1998 par un corps électoral restreint.

L'article 77 de la Constitution prévoit quant à lui qu'« après approbation de l'accord lors de la consultation prévue à l'article 76, la loi organique, prise après avis de l'assemblée délibérante de la Nouvelle-Calédonie, détermine, pour assurer l'évolution de la Nouvelle-Calédonie dans le respect des orientations définies par cet accord et selon les modalités nécessaires à sa mise en oeuvre : (...) les conditions et les délais dans lesquels les populations intéressées de la Nouvelle-Calédonie seront amenées à se prononcer sur l'accession à la pleine souveraineté ».

C'est sur ce fondement qu'ont été organisées les trois consultations relatives à l'autodétermination entre 2018 et 2021.

En effet, les décrets de convocation des électeurs à ces différentes consultations visent tous trois explicitement l'article 76 ou l'article 77 de la Constitution 68 ( * ) . L'on perçoit mal comment un nouveau référendum dit « de projet », dont la nature et l'objet différeraient sensiblement des consultations prévues à ces deux articles de la Constitution, pourrait trouver son fondement juridique dans ceux-ci.

Les rapporteurs observent également que, si des dispositions constitutionnelles permettent la consultation des populations intéressées en cas de cession, échange ou adjonction de territoire, ce référendum dit « de projet » ne semble pas entrer dans la catégorie des scrutins d'autodétermination mentionnés à l'article 53 de la Constitution .

Par ailleurs, les autres facultés prévues par la Constitution permettant, selon des modalités variées, de consulter les populations sur les évolutions institutionnelles ne paraissent pas, selon les rapporteurs, applicables à la Nouvelle-Calédonie . Ainsi, les procédures inscrites dans la Constitution permettant de ne consulter qu'une partie des électeurs du territoire national ne sont applicables qu'aux seules collectivités territoriales de droit commun ou aux collectivités d'outre-mer régies par les articles 73 et 74 de la Constitution.

Les consultations et référendums locaux sont ouverts aux collectivités territoriales hexagonales ou dans les outre-mer aux seules collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution

La Constitution prévoit plusieurs procédures de consultation d'une partie des électeurs du territoire national. Ainsi :

- le deuxième alinéa de l'article 72-1 de la Constitution ouvre la faculté à une collectivité territoriale d'interroger ses électeurs sur tout projet de délibération ou d'acte relevant de sa compétence ;

- le troisième alinéa de l'article 72-1 de la Constitution prévoit que « lorsqu'il est envisagé de créer une collectivité territoriale dotée d'un statut particulier ou de modifier son organisation, il peut être décidé par la loi de consulter les électeurs inscrits dans les collectivités intéressées » ;

- le premier alinéa de l'article 72-4 de la Constitution impose avant un changement de régime juridique des collectivités d'outre-mer ou d'une partie de ces collectivités la consultation des électeurs intéressés ;

- le second alinéa de l'article 72-4 de la Constitution permet au le Président de la République « décider de consulter les électeurs d'une collectivité territoriale située outre-mer sur une question relative à son organisation, à ses compétences ou à son régime législatif » ; et

- le dernier alinéa de l'article 73 de la Constitution n'autorise « la création par la loi d'une collectivité se substituant à un département et une région d'outre-mer ou l'institution d'une assemblée délibérante unique pour ces deux collectivités » qu'après « qu'ait été recueilli (...) le consentement des électeurs inscrits dans le ressort de ces collectivités ».

Or, la Nouvelle-Calédonie n'est pas une collectivité territoriale au sens de l'article 72 de la Constitution, qui énumère limitativement les collectivités appartenant à cette catégorie - à savoir « les communes, les départements, les régions, les collectivités à statut particulier et les collectivités d'outre-mer régies par l'article 74 ».

La Nouvelle-Calédonie n'est pas plus une collectivité d'outre-mer régies par l'article 73 ou 74 de la Constitution , comme le dispose explicitement l'article 72-3 de la Constitution : « La Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, La Réunion, Mayotte, Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Saint-Pierre-et-Miquelon, les îles Wallis et Futuna et la Polynésie française sont régis par l'article 73 pour les départements et les régions d'outre-mer et pour les collectivités territoriales créées en application du dernier alinéa de l'article 73, et par l'article 74 pour les autres collectivités. Le statut de la Nouvelle-Calédonie est régi par le titre XIII. ».

Enfin, si les Mahorais ont pu être seuls consultés en 2000 sur leur adhésion à des institutions nouvelles pour leur territoire , le juge constitutionnel ayant admis que « les autorités compétentes de la République sont, dans le cadre de la Constitution, habilitées à consulter les populations d'outre-mer intéressées, non seulement sur leur volonté de se maintenir au sein de la République française ou d'accéder à l'indépendance, mais également sur l'évolution statutaire de leur collectivité territoriale à l'intérieur de la République », 69 ( * ) le fondement jurisprudentiel alors utilisé semble aujourd'hui incertain .

En effet, le Conseil constitutionnel avait alors précisé « que toutefois, dans cette dernière éventualité, lesdites autorités ne sauraient être liées, en vertu de l'article 72 de la Constitution, par le résultat de cette consultation ». Or, datée de 2000, cette décision a été rendue avant que la révision constitutionnelle de 2003 ne définisse un cadre constitutionnel, inapplicable à la Nouvelle-Calédonie, régissant les consultations locales devant pouvant être organisées dans les collectivités territoriales de droit commun ou d'outre-mer .

Ainsi, comme l'a précisé Alain Christnacht, conseiller d'État honoraire, lors de son audition par les rapporteurs : « si l'on a proposé la date de 2023 pour le référendum de projet, c'est parce que le renouvellement du Congrès aura lieu en 2024. Il faudra décider au préalable la composition du corps électoral : on revient donc une nouvelle fois à la question constitutionnelle » 70 ( * ) , question qui doit, selon les rapporteurs, rapidement trouver une réponse juridique robuste et claire afin que les négociations n'achoppent pas des incertitudes juridiques qui pourraient être dissipées .

C'est pourquoi, sans préjuger du résultat des négociations quant aux éventuelles restrictions du corps électoral appelé à se prononcer sur le « projet » de statut annoncé par le Gouvernement, les rapporteurs souhaitent alerter les parties quant aux délais enserrant toute procédure de révision constitutionnelle, s'il apparaissait nécessaire d'introduire une disposition constitutionnelle spécifique pour l'organisation de cette consultation .

Plus précisément, si le calendrier annoncé par le Gouvernement prévoyant l'organisation d'une consultation avant le 30 juin 2023 devait être maintenu, un tel projet de révision devrait être rapidement présenté aux parties et déposé au Parlement.

La procédure de révision prévue à l'article 89 de la Constitution

Définie à l'article 89 de la Constitution, la procédure de révision de constitutionnelle est particulièrement encadrée.

L'initiative de la révision de la Constitution appartient concurremment au Président de la République et au Parlement.

Toutefois, dans ce domaine, les deux assemblées parlementaires disposent des mêmes pouvoirs. Par conséquent, le projet ou la proposition de loi constitutionnelle doit être voté dans les mêmes termes par l'Assemblée nationale et le Sénat avant son adoption définitive, l'article 89 de la Constitution disposant que « le projet ou la proposition de révision doit être (...) voté par les deux assemblées en termes identiques. »

Par renvoi à l'article 42, l'article 89 de la Constitution rend applicable le délai de droit commun, introduit par la révision constitutionnelle de juillet 2008, de six semaines entre le dépôt d'un projet ou d'une proposition de loi et sa discussion en séance publique. Est également applicable le délai de quatre semaines entre la transmission du texte par la première assemblée saisie et sa discussion devant la seconde.

À l'inverse, sont inapplicables tant l'engagement de la procédure accélérée prévue par l'article 45 de la Constitution que, pour l'examen d'un tel texte à l'Assemblée nationale, la procédure du temps législatif programmé prévue par les articles 49 et 55 du règlement de cette assemblée.

Enfin, une fois voté en des termes identiques par les deux chambres, le texte doit être définitivement adopté, par référendum ou par un vote à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés du Parlement réuni en Congrès.

Ces incertitudes appellent, de la part des rapporteurs, deux observations complémentaires.

Il ne fait aucun doute que les spécificités de la Nouvelle-Calédonie, pour lesquelles le Conseil constitutionnel a admis des dérogations importantes aux principes constitutionnels, justifient l'exploration de l'ensemble des voies de droit existantes et, le cas échéant, des innovations juridiques spécifiques afin de traduire les équilibres politiques résultant des négociations entre les parties .

Les rapporteurs insistent toutefois, sur la particulière attention qui doit être portée aux considérations juridiques au cours des négociations , afin qu'aucun équilibre ou compromis souhaité par les parties ne soit entravé par la suite dans sa mise en oeuvre en raison de la faiblesse de leur fondement juridique ou par un défaut d'anticipation des traductions juridiques afférentes.

Aussi est-il indispensable que la réflexion juridique accompagne, sinon précède sur certains points, le processus de discussion politique. À cet égard, cette réflexion doit porter tant sur les délais enserrant les initiatives législatives ou constitutionnelles, que sur la nécessité de garantir la pleine validité juridique des solutions retenues pour favoriser l'expression du projet d'avenir de la Nouvelle-Calédonie, ainsi que la continuité entre les dispositifs juridiques actuels et futurs.

Proposition n° 6 : Conduire des discussions politiques éclairées par des considérations juridiques.


* 54 Interview télévisée de Louis Mapou, NC la 1 ère , 8 juillet 2022. https://la1ere.francetvinfo.fr/nouvellecaledonie/pret-afd-pouvoir-d-achat-sante-avenir-institutionnel-louis-mapou-president-du-gouvernement-invite-de-la-matinale-1301924.html .

* 55 Tribune de Jean-François Merle, « Nouvelle-Calédonie : « La nomination au gouvernement d'une élue non indépendantiste ne répond pas à l'exigence d'impartialité de l'Etat », Le Monde, 9 juillet 2022, https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/07/09/nouvelle-caledonie-la-nomination-au-gouvernement-d-une-elue-non-independantiste-ne-repond-pas-a-l-exigence-d-impartialite-de-l-etat_6134059_3232.html .

* 56 Réactions recueillies par NC la 1 ère , le 13 décembre 2022. https://la1ere.francetvinfo.fr/nouvellecaledonie/maintien-du-référendum-reaction-rapide-du-camp-loyaliste-1152445.html .

* 57 Communiqué de l'Union-Calédonienne, op. cit, p. 22.

* 58 Tribune de Jean-François Merle, « Nouvelle-Calédonie : « La nomination au gouvernement d'une élue non indépendantiste ne répond pas à l'exigence d'impartialité de l'Etat », Le Monde, 9 juillet 2022, https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/07/09/nouvelle-caledonie-la-nomination-au-gouvernement-d-une-elue-non-independantiste-ne-repond-pas-a-l-exigence-d-impartialite-de-l-etat_6134059_3232.html .

* 59 Ces consultations ont été publiées sur le site internet du Haut-Commissariat de la République française en Nouvelle-Calédonie.

* 60 Pour plus de précisions, voir encadré p. 19

* 61 Audition par la commission des lois dont le compte rendu est disponible à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20220606/lois.html .

* 62 Ce document est consultable à l'adresse suivante : https://www.nouvelle-caledonie.gouv.fr/content/download/7875/61358/file/Contribution%20NC%20eco.pdf .

* 63 Comme indiqué précédemment, l'ensemble des contributions transmises à l'occasion de ces consultations sont disponibles sur le site du Haut-Commissariat de la République française en Nouvelle-Calédonie.

* 64 https://www.nouvelle-caledonie.gouv.fr/content/download/8086/62359/file/Contribution%20asso%20AFM%20NC.pdf

* 65 Communiqué de presse de Gérard Larcher, Référendum en Nouvelle-Calédonie, 12 décembre 2021. Le communiqué est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/presse/cp20211212.html .

* 66 Audition par la commission des lois dont le compte rendu est disponible à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20220606/lois.html .

* 67 Loi constitutionnelle n°98-610 du 20 juillet 1998 relative à la Nouvelle-Calédonie.

* 68 Pour plus de précisions, voir : Décret n°98-733 du 20 août 1998 portant organisation de la consultation des populations de la Nouvelle-Calédonie prévue par l'article 76 de la Constitution ( https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000756754/ ), et Décrets n° 2018-457 du 6 juin 2018, n° 2020-776 du 24 juin 2020 et n° 2021-866 du 30 juin 2021 portant convocation des électeurs et organisation de la consultation sur l'accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie ( https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000037019230 , https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000042032902 , https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/jorftext000043728098 ) .

* 69 Conseil Constitutionnel, décision DC n° 2000-428 du 4 mai 2000, loi organisant une consultation de la population de Mayotte.

* 70 Audition par la commission des lois dont le compte rendu est disponible à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20220606/lois.html .

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