PARTIE I - LA SÉCURITÉ, UN ENJEU POUR L'AVENIR
DE LA CHASSE

La chasse est une activité ancestrale à laquelle un grand nombre de Français continuent de consacrer une grande partie de leur temps libre. Elle est l'une des principales activités de loisir dans notre pays. Dans le même temps, elle fait de plus en plus débat dans une société qui évolue rapidement soit qu'elle s'y oppose, soit qu'elle questionne ses pratiques, sa place et son rôle vis-à-vis de l'environnement.

Cela explique la résonnance et l'enjeu que représentent aujourd'hui les accidents de chasse alors qu'ils sont de moins en moins nombreux et que d'importants efforts ont d'ores et déjà été faits.

I. LA CHASSE EN QUESTION DANS UNE SOCIÉTÉ QUI ÉVOLUE

L'article L. 420-1 du code de l'environnement définit la chasse comme une « activité à caractère environnemental, culturel, social et économique » qui « contribue à l'équilibre entre le gibier, les milieux et les activités humaines » . La chasse participe à la gestion durable du patrimoine faunique et de ses habitats qui est d'intérêt général . Le code consacre également le principe d'un « prélèvement raisonnable sur les ressources naturelles renouvelables » . Enfin, le code précise que « la chasse s'exerce dans des conditions compatibles avec les usages non appropriatifs de la nature , dans le respect du droit de propriété ».

Cette définition protéiforme montre toute la complexité d'appréhender la chasse, qui ne se résume ni à un sport ni à un loisir ni à sa mission de régulation mais relève d'un phénomène beaucoup plus large dont nos sociétés sont les héritières et qui reste pour nombre de nos concitoyens une passion voire un mode de vie.

D'ailleurs, cette définition occulte l'essence alimentaire de la chasse que l'ethnologue Charles Stépanoff a soulignée devant la mission lors de son audition. En effet, le tableau de chasse national représente environ 1,5 million de grands gibiers et plus de 20 millions de petits gibiers qui sont consommés par les chasseurs. L'autoconsommation par le chasseur ou ses relations dépasse les 95 % 4 ( * ) .

Cette activité qui apparaissait à la fois dans la nature de l'homme et pleinement dans la nature des choses est aujourd'hui contestée, il nous faut en saisir les grandes raisons pour comprendre la résonnance des questions de sécurité et les difficultés qui surviennent dans les relations entre chasseurs et non-chasseurs.

A. LA CHASSE ET LES CHASSEURS AUJOURD'HUI

La mission a souhaité débuter son propos par un bref panorama de la chasse en France sans lequel les questions de sécurité et les débats qu'elles suscitent seraient incompréhensibles.

1. La chasse reste l'un des principaux loisirs des Français

La chasse avec un peu plus d'un million de pratiquants en 2020 et entre 4 et 5 millions de personnes ayant le permis de chasser 5 ( * ) est l'une des toutes premières activités des Français , et c'est encore plus vrai des adultes, puisque les statistiques de licenciés des fédérations sportives ou de pêche incluent les mineurs, ce qui est marginal pour la chasse.

La Fédération française de l'assurance (France Assureurs) décompte de son côté 900 000 contrats en moyenne sur la base des contributions versées au Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages. Il aurait toutefois été plus faible en 2019 (800 000) et 2020 (735 000), la différence avec les chiffres de la Fédération nationale des chasseurs (FNC) pouvant s'expliquer par des validations multiples alors qu'un seul contrat d'assurance est nécessaire.

Source : Fondation François Sommer.

Selon les données de la Fondation François Sommer, le pic historique du nombre de chasseurs aurait été atteint en 1984 avec 2 350 000 pratiquants et 9 % de la population masculine . Contrairement aux idées reçues, il n'y avait que 100 000 chasseurs en 1850 6 ( * ) et 400 000 en 1900. Ce n'est qu'après la Seconde Guerre mondiale que la France a atteint les 2 000 000 de chasseurs et que la chasse est véritablement devenue une activité populaire.

Depuis 1984, la baisse du nombre de chasseurs est continue . Il y a désormais de l'ordre d'un million de pratiquants même si les effets de la crise sanitaire brouillent un peu les données sur les deux dernières années.

L'âge moyen s'accroît atteignant 56 ans en 2015, 48 % des chasseurs étant nés entre 1948 et 1965.

Entre 1984 et 2015, le nombre de personnes reçues à l'examen du permis de chasser a été divisé par deux, passant de 50 067 à 22 789.

Selon les simulations de la Fondation François Sommer et la prolongation de ces dynamiques, sachant qu'environ 20 % des nouveaux permis abandonnent après la première année et 15 % après la seconde, conduisent à estimer qu'il y aura en France environ 700 000 à 750 000 chasseurs dans 20 ans .

La sociologie des chasseurs est en forte évolution. La part des agriculteurs et des employés et ouvriers a beaucoup baissé entre 1998 et 2015 respectivement de 12 % à 4 % et de 32 % à 20 %, au bénéfice des cadres.

2. L'explosion des populations de grands gibiers, une transformation de la chasse française...

La chasse française était traditionnellement tournée vers le petit gibier de plaine tout particulièrement le lapin et la perdrix . La myxomatose et les transformations agricoles ont eu raison de ces deux gibiers emblématiques dont les populations sauvages sont bien souvent à l'état de reliques. Les chasses aux migrateurs et aux gibiers d'eau sont des traditions plus localisées. Les lièvres, faisans et pigeons s'adaptent mieux aux conditions nouvelles et leurs populations connaissent des évolutions plus favorables.

L'OFB ne réalise plus de suivi historique des populations de petit gibier, il n'est donc pas possible de proposer des courbes d'évolution en parallèle de celles du grand gibier qui montrent une véritable explosion depuis la création du plan de chasse et la suppression du droit d'affût des agriculteurs .

Pour les trois gibiers principaux que sont le cerf, le chevreuil et le sanglier les évolutions sont les suivantes sur la saison 2020-2021 :

Cerf : environ 70 000 prélèvements pour 102 000 attributions au plan de chasse. Les populations sont en progression, le cerf poursuivant sa colonisation du territoire.

Pour le chevreuil, les réalisations sont d'environ 580 000 pour près de 700 000 attributions. Il semble que le chevreuil soit désormais proche de son maximum dans notre pays.

Enfin, ce sont les populations de sanglier qui progressent le plus rapidement. Les prélèvements ont dépassé les 790 000 et continuent de croître, la barre des 800 000 ayant été franchie la saison précédente .

La renaissance et la bonne santé des populations de grand gibier sont un succès à mettre au crédit des chasseurs qui ont partout favorisé le retour de ces espèces sauvages qui avaient disparu de bien des départements .

La combinaison de ces deux évolutions, l'effondrement du petit gibier et l'explosion des populations de grand gibier, a provoqué une profonde transformation de la chasse française .

Beaucoup de nouveaux chasseurs ne pratiquent plus la chasse au petit gibier. L'équipement en carabine et le tir à balle se sont quasi généralisés. Enfin, être chasseur n'implique plus obligatoirement d'avoir un chien pour chasser devant soi et lever lapins et oiseaux puisque la participation à une battue, l'affût ou l'approche ne le rendent plus indispensable.

Pour autant, les habitudes et les mentalités n'ont pas basculé vers les pratiques de chasse de l'Europe du Nord ou de l'Est. Le chasseur au petit gibier a troqué la grenaille pour la balle, le fusil pour la carabine, le lapin pour le sanglier sans toujours prendre toute la mesure de ce qu'implique le changement d'arme, de munition et de gibier.

Cette évolution des populations, tout particulièrement de sanglier, a aussi été clairement voulue pour offrir un gibier de substitution au petit gibier de plaine et maintenir les effectifs des fédérations de chasseurs . Cette stratégie a plutôt été un succès.

3. ... et un piège pour la chasse française

Mais l'explosion des populations d'ongulés apparaît de plus en plus comme un piège pour la chasse française.

Les chasseurs ont accepté de prendre à leur seule charge les dégâts dont les montants, qui atteignent 76 millions d'euros en 2020 7 ( * ) , mettent désormais en danger les finances des fédérations. Lors de son audition, l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture (APCA) a pourtant estimé qu'ils étaient sous-estimés par les méthodes de calcul retenues.

Lors de son audition, l'ONF a indiqué à la mission que le coût des dégâts sur la forêt domaniale (73 millions d'euros) était, en 2019, 1,8 fois supérieur au revenu retiré de la chasse (45 millions d'euros). 39 % de la surface seraient en déséquilibre forêt-gibier. La priorité de l'ONF est donc désormais la réduction des dégâts et non la maximisation du revenu tiré de la chasse.

La multiplication des battues lasse une population de chasseurs vieillissants. La mission a souvent entendu parler de « chasse contrainte » à la place de la « chasse plaisir ». Certaines fédérations ne souhaitent pas développer la chasse au sanglier sur des périodes nouvelles et se plaignent de la pression qui pèse sur les chasseurs. L'abondance pose de manière plus forte la question économique et éthique de l'écoulement de la viande de gibier.

Mais surtout, au regard du sujet de la mission, en se focalisant sur la régulation du sanglier et des grands animaux, les chasseurs tendent à cantonner leur activité dans ce rôle de service public et de ne plus lui donner que cette seule justification vis-à-vis du public. Or, comme cela a été souligné, la chasse est bien plus que cela. Ce discours tend à rendre illégitime tout autre but de chasse , renvoyant les chasseurs à leur corps défendant vers le modèle du canton de Genève où la chasse est interdite et où les animaux sont régulés par l'administration.

L'abondance des populations conduit également à multiplier les battues, à étendre les périodes de chasse , à augmenter le nombre de balles tirées et les risques d'accident. La chasse au sanglier est désormais ouverte dix mois sur douze, de juin à mars et, encore, des battues administratives de destruction peuvent-elles être organisées en avril et mai... De ce fait, la chasse sort de ses périodes traditionnelles d'automne et d'hiver pour se développer l'été et au printemps dans des saisons où la fréquentation est importante. Or, la battue est un mode de chasse très visible, du fait du nombre de personnes mobilisées portant des gilets oranges, bruyante et qui monopolise l'espace un temps donné puisque pour des raisons de sécurité, il faut éviter tout intrus dans le périmètre de chasse et à proximité. C'est donc prendre le risque de multiplier les conflits d'usage autour du partage du territoire dès lors que la chasse sort du temps qui lui est traditionnellement dévolu. C'est d'autant plus le cas que la régulation paraît en échec, les chasseurs semblant toujours contribuer à alimenter leurs futurs tableaux de chasse.

4. Nature et territoire de chasse : privé ou public ?

La mission a également été frappée au cours de ses auditions par la confusion qui règne souvent chez les chasseurs comme chez leurs opposants sur le droit de chasse et le territoire où il s'applique.

Ainsi, de manière paradoxale, les chasseurs mettent en avant le respect du droit de propriété et, en même temps, une chasse populaire héritière de la révolution ouverte à tous. Leurs opposants revendiquent un droit d'accès à la nature et en même temps le respect du retrait de leurs propriétés des zones chassées.

Il n'est pas question ici d'exposer en détail le droit de la chasse mais de donner quelques repères.

En France, le principe est le lien entre la propriété et le droit de chasse . Il figure à l'article L. 422-1 du code de l'environnement qui affirme que « Nul n'a la faculté de chasser sur la propriété d'autrui sans le consentement du propriétaire ou de ses ayants droit ». Le propriétaire peut louer ce droit à un tiers. Il n'est pas inutile de rappeler que 75 % de la forêt française est privée .

Cependant, depuis la loi Verdeille du 10 juillet 1964 , afin de favoriser une meilleure gestion des territoires et des espèces et la bonne organisation de la chasse, des Associations communales de chasse agréées, les ACCA , ont été créées soit de manière obligatoire, soit de manière volontaire selon les départements (articles L. 422-2 et suivants du code de l'environnement). Si leur activité doit s'exercer dans le respect des propriétés, des cultures et des récoltes, leur raison d'être est de permettre à tout chasseur de la commune, qu'il soit propriétaire ou non, de chasser sur l'ensemble du territoire . Cependant des propriétaires suffisamment importants peuvent soustraire leur territoire de celui de l'ACCA pour chasser ou par opposition à la chasse.

L'État pour sa part agit comme un propriétaire et loue la chasse sur le domaine public qui peut être fluvial, maritime ou forestier (articles L. 424-28 et L. 424-29 du code de l'environnement).

La différence est que les forêts domaniales comme les propriétés du conservatoire du littoral sont accessibles au public , ce qui n'est pas le cas des propriétés privées.

Néanmoins, dans plusieurs forêts périurbaines, des mesures d'interdiction d'accès peuvent être prises pour des raisons de sécurité à l'occasion des quelques jours de chasse organisées en semaine.


* 4 Valorisation de la venaison , Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (GAAER), octobre 2021, Didier Gueriaux et Michel Reffay.

* 5 En 1975, après la création de l'examen du permis de chasser, l'État n'a pas décompté les permis délivrés avant la réforme ce qui ne permet pas de connaître précisément le nombre de chasseurs toujours actifs n'ayant pas passé l'examen.

* 6 Après sa création par la loi du 3 mai 1844, le permis de chasser était délivré par le maire de la commune. Le lien entre droit de chasse et droit de propriété favorisait le cantonnement de la chasse aux propriétaires terriens.

* 7 Frais de gestion et de prévention inclus. Les sommes versées aux agriculteurs s'élèvent à 46,3 millions d'euros.

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