EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 12 octobre 2022, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a entendu une communication de MM. Albéric de Montgolfier et Claude Nougein, rapporteurs, sur l'organisation et les moyens de la Douane face au trafic de stupéfiants.

M. Claude Raynal , président . - Albéric de Montgolfier et Claude Nougein, rapporteurs spéciaux de la mission « Gestion des finances publiques » vont maintenant nous présenter les conclusions de leur contrôle budgétaire sur l'organisation et les moyens de la Douane face au trafic de stupéfiants.

M. Claude Nougein , rapporteur spécial . - C'est au début de l'année 2021 que nous avons décidé, avec Albéric de Montgolfier, de mener un travail de contrôle sur l'organisation et les moyens de la direction générale des douanes et des droits indirects (DGDDI) face au trafic de stupéfiants. Trois constats nous avaient conduits à faire ce choix.

Tout d'abord, l'impression que les missions de la douane sont encore trop méconnues. On a beaucoup parlé de son action depuis le Brexit ; elle joue aussi un rôle fondamental dans la lutte contre les trafics de marchandises illicites, dont les stupéfiants.

Ensuite, nous avions eu l'écho, pendant nos auditions budgétaires, d'une certaine lassitude des services douaniers face à l'ampleur de la menace. Pour reprendre une expression entendue en audition, les services ont parfois l'impression de devoir « vider la mer à la petite cuillère », avec des méthodes encore très artisanales.

Enfin, l'ampleur de la menace : le trafic de stupéfiants ne cesse de croître. Je crois que, pendant longtemps, les pouvoirs publics n'ont pas entièrement pris conscience de ce que représente le trafic de stupéfiants en matière de flux et de produits financiers.

Il va sans dire qu'il s'agit aussi d'un sujet qui touche aux politiques pénales et à celles de santé publique. En tant que rapporteurs spéciaux de la commission des finances, nous avons toutefois centré notre propos sur la douane, une administration en première ligne face au trafic de stupéfiants.

Lors de ce contrôle, nous avons entendu la quasi-totalité des acteurs douaniers et quelques acteurs du ministère de l'intérieur, avec qui la douane est amenée à coopérer. Nous nous sommes également déplacés à l'aéroport d'Orly et au port du Havre, où nous avons pu prendre connaissance du quotidien des brigades de surveillance. Les équipements dont ils disposent sont encore sommaires alors qu'ils doivent surveiller et contrôler les flux de milliers de conteneurs ou de millions de colis qui arrivent chaque jour.

Le positionnement de la douane explique le rôle aussi important qu'elle joue dans la lutte contre le trafic de stupéfiants. Administration de la marchandise et de la frontière, elle se situe au coeur de la surveillance de l'ensemble des vecteurs d'entrée des produits sur le territoire. La frontière est aujourd'hui multidimensionnelle : elle est terrestre, maritime, numérique, aérienne, nationale et européenne. Elle voit transiter des flux de marchandises, de personnes, mais aussi de données. C'est sur l'ensemble de ces vecteurs que la douane doit déployer sa « stratégie du bouclier » pour servir de « premier rideau » et empêcher une partie des produits stupéfiants de pénétrer le territoire national. Pour y parvenir, elle utilise ses prérogatives spécifiques, telles que la saisie, la fouille ou l'interception de marchandises.

Cette stratégie semble pour partie porter ses fruits. La douane a saisi 115 tonnes de produits stupéfiants en 2021, soit 32 % de plus qu'en 2020, année marquée par les confinements et les restrictions de déplacement. C'est aussi près de 15 % de plus qu'en 2019, ce qui illustre le dynamisme du trafic. Les produits les plus saisis sont le cannabis, le khat et la cocaïne.

Pourtant, il est difficile de savoir si les saisies de la douane augmentent parce que ses services sont de plus en plus efficaces ou parce que les flux augmentent. Toutes les personnes que nous avons interrogées nous ont répondu que la vérité se situait sans doute entre les deux.

Les services douaniers sont à l'origine de la grande majorité des saisies de stupéfiants sur le territoire national. La douane a ainsi réalisé 67 % des saisies de cannabis en 2021, 70 % des saisies de cocaïne, 80 % des saisies d'amphétamines et 74 % des saisies d'ecstasy. Cette prépondérance s'explique une nouvelle fois par son positionnement au coeur des flux de trafic, tandis que la police et la gendarmerie interviennent davantage sur les enquêtes et auprès des consommateurs.

La douane participe ainsi pleinement au plan interministériel de lutte contre le trafic de stupéfiants, qui comprend 55 mesures. Elle en pilote trois, dédiées notamment à la lutte contre le trafic par voie maritime, par voie terrestre et par fret express et postal. Elle joue également un rôle crucial dans l'interception des passeurs de drogue par voie aérienne, et notamment dans la lutte contre le phénomène dit des mules, ces passeurs de cocaïne en provenance de Guyane. Ils transportent la drogue dans leurs bagages, à corps ou in corpore , c'est-à-dire après l'ingestion des produits illicites.

Nous avons pu observer à Orly une inspection approfondie d'un vol en provenance de Cayenne, avec un contrôle systématique des bagages et le ciblage de certains passagers. Les douaniers avaient à cette occasion saisi deux kilos de cocaïne transportés assez simplement dans deux enveloppes placées dans un sac à dos.

Les services douaniers nous indiquent qu'ils sont aujourd'hui dans l'incapacité de lutter contre le phénomène des passeurs, alors que les organisations criminelles saturent les vols : ils acceptent de sacrifier les premiers pris, en sachant très bien que les services douaniers ne pourront pas arrêter tout le monde. S'ils agissaient ainsi, cela provoquerait d'importants retards et surtout une embolie de toute la chaîne administrative et judiciaire.

Pour remédier à ces difficultés et au regard des frictions que nous avons pu constater, nous formulons deux propositions.

Première proposition : nous estimons primordial d'installer, à proximité des aéroports d'Orly et de Cayenne - voire à l'intérieur même des aéroports - des unités médicalisées permettant de traiter les personnes ayant ingéré de la drogue. En cas de suspicion, les personnes interceptées doivent aujourd'hui être transportées depuis Orly ou Roissy vers l'Hôtel-Dieu. Elles peuvent alors soit donner leur accord pour une échographie soit être placées en observation. Pour une personne interceptée, ce sont trois à quatre douaniers bloqués pendant une demi-journée. À titre de comparaison, à Amsterdam, faire passer une échographie prend une demi-heure, des équipements ayant été installés dans l'enceinte de l'aéroport. À court terme, le ministère de la santé doit proposer des solutions pour que des hôpitaux plus proches des aéroports soient utilisés.

Deuxième proposition : il faut revoir les modalités de répartition des transferts et des remises judiciaires des personnes retenues par la douane. En cas de transport de plus de deux kilogrammes de stupéfiants, les personnes doivent être remises à l'Office anti-stupéfiants (Ofast). Or l'antenne supposée être en place à Orly relève davantage d'une structure fantôme. Les officiers de l'Ofast n'acceptent plus de remise après 17 ou 18 heures et ne sont même plus présents pour les vols du soir ! Par conséquent, il revient aux douaniers de mobiliser des effectifs pour surveiller les personnes retenues, alors qu'ils ne disposent que de six cellules à Orly. De nouvelles infrastructures doivent être créées si nous voulons contrôler la totalité des passagers d'un vol, à l'image de l'action menée aux Pays-Bas depuis plusieurs années.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur spécial . - Si nous nous sommes intéressés à l'ensemble des produits stupéfiants, force est de constater que les flux de cocaïne inquiètent tout particulièrement. Cette déferlante blanche touche particulièrement les pays d'Europe du Nord, notamment la Belgique et les Pays-Bas, décrits dans un récent rapport d'Europol comme les points d'entrée de la cocaïne en Europe.

Nous avons identifié plusieurs axes d'action en vue d'accroître l'efficacité de la douane.

L'un des principaux points d'amélioration, si ce n'est le plus important, réside en l'acquisition de moyens plus modernes. La douane ne dispose que d'un seul scanner fixe pour les conteneurs transitant par le port du Havre : seule une infime partie des camions en transit sont inspectés. Il convient en parallèle d'achever la sécurisation des ports. La vidéosurveillance est quasiment inexistante pour des raisons sociales - les personnels n'en veulent pas.

La douane ne dispose en complément du scanner fixe du Havre que de trois scanners mobiles, qui doivent couvrir à la fois les ports et les grands axes routiers. C'est le seul moyen efficace et rapide pour contrôler un poids lourd de 44 tonnes.

Les aéroports d'Orly, de Roissy et de Cayenne ne disposent pas des équipements nécessaires pour scanner systématiquement tous les bagages. La direction régionale des douanes de Guyane a dû batailler pour obtenir des scanners à ondes millimétriques pour les passagers. Ces matériels avaient bien été acquis, mais la direction générale de l'aviation civile (DGAC) n'a donné son autorisation pour les utiliser afin de repérer la drogue à corps qu'après de longs mois. Pendant longtemps, ces équipements sont restés inutilisés.

De même, alors que le fret postal et express est de plus en plus utilisé par les trafiquants, les scanners en service sont peu performants et ne permettent par exemple pas de disposer d'une image en 3D. À Orly, nous avons assisté au contrôle des colis et des bagages non accompagnés : la procédure demeure très artisanale, avec beaucoup de « faux positifs », du fait d'une qualité d'image loin d'être optimale. Ce travail ingrat suscite le découragement des personnels. Il entraîne également une perte de temps pour les brigades. Au seul centre de tri d'Orly, ce sont près de 74 tonnes de fret qui arrivent chaque année. Nous savons que le fret express et postal est un vecteur privilégié de la fraude fiscale et du transport de marchandises illicites. Les douaniers nous ont même expliqué que de plus en plus d'organisations situées en Belgique et aux Pays-Bas se rendaient en France pour envoyer des colis contenant de la drogue, en profitant de notre réseau postal.

En résumé, la douane manque d'équipements performants. Améliorer le ciblage des colis et des bagages est évidemment crucial, mais pas suffisant. La douane construit ainsi une banque de données des images de colis « positifs », afin que soient ensuite développés des algorithmes capables de reconnaître des formes similaires lors des passages au scanner - encore faut-il disposer des équipements pour.

Je précise que, pour nos recommandations, nous avons souhaité nous inscrire dans le contrat d'objectifs et de moyens de la douane pour la période 2022-2025 et donc tenir compte d'un contexte de dépenses publiques contraint.

Le contrat d'objectifs et de moyens de la douane vise à stabiliser le schéma d'emploi et à diminuer légèrement les crédits. Nous avons toutefois relevé un effort supplémentaire de 148 millions d'euros en vue de l'acquisition de nouveaux équipements ou de la modernisation des systèmes d'information. Nos propositions concernant la réorganisation des effectifs et l'acquisition d'équipements se placent dans cette trajectoire. La douane bénéficie par ailleurs de crédits du fonds pour la transformation de l'action publique et de cofinancements de fonds européens.

Concernant les effectifs, nous savons que la dématérialisation croissante des procédures douanières ainsi que la poursuite du transfert des missions fiscales de la DGDDI à la direction générale des finances publiques (DGFiP) devraient se traduire par la suppression d'équivalents temps plein (ETP). Ces emplois doivent être réorientés vers la branche « surveillance », vers les brigades en charge du fret express et postal ainsi que vers les directions spécialisées.

Concernant les crédits, nous souhaitons que les crédits non consommés soient reportés d'une année sur l'autre et affectés exclusivement à l'acquisition d'équipements récents et à la modernisation des systèmes d'information. Nous estimons également qu'il existe des marges d'amélioration quant à l'efficacité de la dépense. Les ventes de l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc) sont en forte augmentation. Une partie de ses recettes pourrait être affectée à l'achat de nouveaux matériels, c'est en tout cas une réflexion qui pourrait être menée.

Nous proposons également une rationalisation des emprises immobilières de la douane et la simplification de sa politique de logement. La DGDDI dispose encore d'un parc immobilier de logement. Celui-ci est désormais peu adapté aux besoins des agents. Il est souvent vétuste et les taux de vacances sont jusqu'à trois fois plus élevés que dans le secteur du logement social locatif.

Un autre exemple de rationalisation de la dépense concerne l'acquisition des moyens aéromaritimes par la douane, tels que les vedettes, les hélicoptères ou les navires. Ces moyens sont absolument essentiels, notamment dans les Antilles : ils permettent de repérer des mouvements suspects en mer, de procéder à des saisies en haute mer et de lutter contre le troc consistant à échanger de la résine de cannabis contre de la cocaïne. Pourtant, l'acquisition de ces moyens n'a pas toujours été optimale : des retards de livraison, des dysfonctionnements ou des malfaçons ont souvent été constatés. La douane devrait donc davantage recourir à la mutualisation, en particulier avec les ministères des armées et de l'intérieur. Si celle-ci est impossible en raison de besoins et de champs d'action trop différents, la douane peut au moins bénéficier de l'expertise de ces ministères et mutualiser la formation ou l'entretien des appareils.

Nous ne sommes pas sûrs que le choix de recourir à la location soit le plus judicieux pour les hélicoptères de la douane : les appareils ne seront pas considérés comme des aéronefs d'État et seront donc soumis aux règles de l'aviation civile, ce qui pose plusieurs difficultés opérationnelles. Certes, il faut agir en urgence, puisque certains appareils sont parfois âgés de plus de 30 ans, mais en retenant la solution la plus efficace. Là encore, il s'agit d'un défaut d'anticipation dans le renouvellement des équipements opérationnels.

Il est enfin difficile d'évaluer l'action de la douane en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants : nous ne savons pas combien d'effectifs sont dédiés, à titre principal ou exclusif, à cette mission. Nous connaissons seulement le nombre d'agents rattachés à la DGDDI - environ 16 000 personnes -, avec des compétences spécialisées et une répartition par branche, entre la surveillance et les opérations commerciales. Le même problème se pose pour les crédits.

J'en viens à une autre difficulté dans l'évaluation du rôle de la douane : eu égard au caractère illicite des marchandises, nous ne pouvons pas savoir quel est le ratio d'efficacité des services douaniers. Nous savons juste, selon plusieurs observateurs, que la demande de produits stupéfiants est en hausse sur le marché européen et que les réseaux sont de plus en plus compétitifs et efficaces pour trouver des points d'entrée en Europe. La cocaïne fait des ravages dans tous les milieux sociaux et dans toutes les régions de France. La hausse des saisies traduit-elle une augmentation de la consommation ou une plus grande efficacité des douanes ? La réponse se situe sans doute un peu entre les deux. Nous recommandons donc que la douane produise des analyses d'efficience. Celles-ci recenseraient les quantités saisies par rapport aux coûts de toute nature encourus par la DGDDI pour accomplir cette mission. Elles nous permettraient aussi de mieux apprécier le rôle de la douane dans la lutte contre le trafic de stupéfiants.

Les douaniers sont découragés : ils assurent le meilleur travail possible, en faisant preuve de la meilleure volonté possible, mais avec des moyens inadaptés. En saturant les voies aériennes et maritimes, les trafiquants l'ont bien compris.

M. Jean-François Husson , rapporteur général . - Nous avons l'impression que les douaniers courent après la délinquance. Certes, des moyens supplémentaires seraient utiles, mais il est également nécessaire de renforcer la coopération opérationnelle entre les différents services de l'État. La Douane n'est pas la seule administration de l'État impliquée dans les plans interministériels de lutte contre le trafic de stupéfiants.

M. Marc Laménie . - Élu d'un département frontalier, je constate que le rôle de la douane est méconnu. Elle joue pourtant un rôle très important dans la lutte contre le trafic de stupéfiants. Ses moyens sont insuffisants. Quelles sont les pistes que vous envisagez en matière de réorganisation des effectifs ?

M. Rémi Féraud . - Votre rapport montre que la guerre contre la drogue reste un slogan et que les trafiquants ont une longueur d'avance. Vos propositions permettraient de gagner en efficacité dans ce combat.

J'estime que l'État fait montre de fatalisme en Guyane. Pourtant, le crime organisé fait peser des menaces importantes sur notre pays. Des magistrats nantais luttant contre ces trafics ont dû être placés sous protection policière.

Vous soulignez qu'il est difficile d'évaluer l'efficacité de la douane par rapport à ses coûts. Je pense que les recettes issues de ses missions pourraient être bien plus importantes.

La dépénalisation du cannabis permettrait-elle de concentrer l'action de la douane dans la lutte contre le trafic de cocaïne ?

M. Georges Patient . - La Guyane a d'abord été considérée comme le pays du bagne ; elle est devenue aujourd'hui le pays de la cocaïne. Elle ne produit pourtant pas un gramme de cocaïne, mais elle est devenue un point de passage privilégié du trafic. Toutefois, l'État n'a pas pris les mesures nécessaires pour le limiter, contrairement au Surinam : les moyens sont insuffisants à l'aéroport de Cayenne. Le transport de drogue est une activité facile et lucrative, puisqu'un seul passage peut rapporter entre 5 000 et 10 000 euros. Environ 30 % des femmes détenues à la maison d'arrêt de Fresnes seraient d'origine guyanaise.

Je regrette de ne pas avoir disposé de vos recommandations avant le déplacement de Gabriel Attal en Guyane, qui a eu lieu récemment. J'espère que l'arrivée d'un nouveau scanner bagages à l'aéroport de Cayenne ne restera pas une vaine promesse.

Mme Sylvie Vermeillet . - À l'occasion des travaux de la mission d'information relative à la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales, à laquelle j'ai participé, nous avions organisé un déplacement au parquet national financier. Depuis sa création, ce dernier a permis à l'État de récupérer 11 milliards d'euros. Serait-il possible de disposer des mêmes informations concernant les saisies effectuées par les services des douanes ? Certes, les médias évoquent les prises d'ampleur, mais nous ne disposons pas de bilan annuel.

Selon vous, un pays se distingue-t-il par la qualité des moyens affectés à la lutte contre le trafic de drogue ?

M. Jérôme Bascher . - Je suis surpris par les informations que viennent de nous communiquer nos rapporteurs et Georges Patient. Comme le dirait le Président de la République, j'ai l'impression que nous sommes cul par-dessus tête ! Il est incroyable de constater que des équipements neufs ne sont pas utilisés faute d'autorisation. Il en va de même pour les hélicoptères loués qui ne sont pas autorisés à voler en permanence...

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur . - Ils peuvent voler, mais uniquement dans certaines conditions, à certaines heures...

M. Jérôme Bascher . - Bercy préfère la location. Ne s'agit-il pas d'un moyen de réaliser des économies de bouts de chandelle ?

M. Victorin Lurel . - J'accueille avec faveur ce rapport.

Voilà une dizaine d'années, je m'étonnais déjà, en tant que président de région, de l'absence de scanner à l'aéroport de Pointe-à-Pitre et du manque de surveillance au port. Or nous recevions des régimes de bananes venant de Colombie. Dix ans après, rien n'a changé ! En plus, les effectifs de la douane diminuent. Cette prétendue « rationalisation » nous prive des moyens de notre politique.

On dessaisit la douane de compétences qu'elle exerçait depuis longtemps. La Poste commence à exercer des missions autrefois dévolues à la douane. Elle prélève par exemple des taxes sur de petits colis, avec des tarifs que nul ne comprend, qui sont payées en liquide, parfois sans reçu...

Le rapport préconise non pas une hausse des moyens, mais une amélioration des mesures de gestion et un plan d'économie : le postulat est que la douane disposerait de suffisamment de moyens et qu'il suffirait de mieux les utiliser. Je suis sceptique. Il faut donner à la douane les moyens d'assurer ses missions.

M. Claude Raynal , président . - On ne peut pas reprocher à nos rapporteurs de manquer de cohérence : ils souhaitent une baisse de la dépense publique et ils proposent des pistes. On peut en revanche ne pas être d'accord.

M. Jean-Marie Mizzon . - Quelle serait la situation si la lutte contre la drogue n'était pas une priorité ? On peut s'interroger.

Je regrette que le Gouvernement n'ait pas utilisé le plan de relance pour acheter des scanners. La drogue participe aux désordres que l'on connaît dans les banlieues. Si l'on a une ambition pour la jeunesse, on doit faire preuve d'ambition dans la lutte contre le trafic de drogue.

M. Claude Raynal , président . - Je ne sais pas si c'est dans les banlieues que l'on consomme le plus de cocaïne. Celle-ci est plutôt développée dans les beaux quartiers.

M. Victorin Lurel . - Le procureur de la République de Cayenne a instauré une politique pénale expérimentale consistant à classer sans suite les affaires dans lesquelles la mule interpellée est porteuse de moins d'1,5 kilogramme de cocaïne. Il s'agirait aussi d'améliorer la chaîne pénale.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur . - Si l'on a pu connaître des guerres entre services de police, une vision plus interministérielle se développe avec l'Ofast, mais certains problèmes demeurent et on a parfois l'impression que les services travaillent chacun dans leur coin. Des améliorations restent possibles.

En ce qui concerne les effectifs, certains postes doivent être supprimés, car les missions des douanes évoluent. Le recouvrement de certains impôts et de certaines taxes est transféré à la DGFiP. Mieux vaudrait conserver ces postes et les réaffecter.

M. Féraud a raison, il faudrait changer de logiciel. Certes, les saisies de drogue augmentent, mais c'est aussi le signe que le trafic augmente. Une piste serait de faciliter les saisies des avoirs financiers criminels. Les magistrats n'ont pas toujours ce réflexe, en dépit du travail de l'Agrasc.

Nous nous sommes intéressés à la cocaïne. Le cannabis fait l'objet d'une approche différenciée en Europe. Le crack pose des problèmes de santé publique majeurs, car ses effets sur les consommateurs sont dévastateurs. Certes on peut gagner facilement plusieurs milliers d'euros en transportant du crack, mais, au-delà des peines encourues, on met sa vie en danger avec le risque d'ingérer des boulettes de drogue. Les trafiquants embauchent maintenant des mineurs comme mules.

Les Pays-Bas ne sont pas plus liberticides que la France, mais ils ont trouvé les solutions juridiques et techniques qui leur permettent de pratiquer des contrôles systématiques au départ, alors que l'on n'y parvient pas en France. Pourtant, il n'est pas besoin de médecin pour réaliser une radiographie, mais simplement d'un assistant médical. Si on pouvait pratiquer des contrôles systématiques au départ, les difficultés seraient aplanies. Elles sont d'ordre divers - manque de coopération de l'agence régionale de santé, absence d'unité médicale à l'aéroport, aéronefs qui ne peuvent pas pleinement être utilisés... - , mais l'on peut se poser la question, au-delà de l'affichage, de la volonté réelle de les résoudre.

Nous l'avons dit, la location d'aéronefs ne nous semble pas être forcément la voie à privilégier, car elle induit des conséquences particulières pour l'utilisation des appareils. Peut-être que les douanes gagneraient à mutualiser certains moyens pour la formation des pilotes ou la maintenance.

Quant au plan de relance, le ministère de l'intérieur a réussi à y intégrer ses dépenses pour acquérir de nouveaux véhicules de police, alors que le ministère en charge des douanes a échoué à y faire figurer ses dépenses pour des aéronefs.

Le métier de douanier est sans doute décourageant dans certains de ses aspects.

M. Claude Nougein , rapporteur spécial . - Je ne crois pas que l'augmentation des effectifs puisse résoudre quoi que ce soit. Il faut surtout des moyens techniques. Nous l'avons constaté en nous rendant dans les aéroports, que des fonctionnaires de qualité, mais pas forcément plus nombreux, suffisent à assurer un service public efficace.

La coopération avec les autres ministères existe. Toutefois, si l'on ne peut pas faire d'échographie sur place à Cayenne ou ailleurs, c'est par manque d'une unité médicale et de personnel médical. Il faudrait donc que le ministère de la santé accepte de fournir un radiologue, à Orly, ce qui éviterait d'avoir à emmener les personnes suspectées jusqu'à l'Hôtel-Dieu, à Paris. Le problème est d'organisation plus que d'effectifs.

Pour ce qui est du rapport entre le coût et le gain, en 2021, la douane a saisi 115 tonnes de produits stupéfiants, pour une valeur calculée sur une base théorique, et non à partir du prix de production ou d'achat, de plus d'un milliard d'euros.

Autoriser le cannabis ne réglera pas le problème, car le trafic se reportera sur la cocaïne. Si on libère les drogues douces, d'autres arriveront sur le marché, qui seront de plus en plus dures. Le cannabis est par ailleurs utilisé dans le cadre de troc « résine contre cocaïne » dans les Antilles par exemple. Le risque est donc aussi d'alimenter ces échanges.

La Douane a changé d'avis sur l'acquisition et la location des hélicoptères, pour choisir à court terme la deuxième option. L'un des arguments évoqués est celui du coût de l'entretien. Il faudrait que les douanes mutualisent ces coûts avec les services des ministères des armées et de l'intérieur.

Plus récemment, la Douane a vu être remis en cause son droit de « visite » des marchandises, des moyens de transport et des personnes, les dispositions ayant été jugées non conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel. Des douaniers avaient saisi 47 000 euros d'argent liquide au péage de Vierzon, dans une voiture, mais la justice a estimé qu'ils n'avaient pas le droit d'intervenir. Il faut donc modifier la loi pour résoudre ce problème.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur spécial . - Il faudrait également envisager de confier à l'Agrasc les saisies douanières, y compris celles d'avoirs et d'argent liquides, à la suite d'un contrôle opéré dans le cadre de la lutte contre les stupéfiants. Il conviendrait aussi d'affecter une partie des produits saisis au financement d'investissements ou d'équipements de la douane.

La quantité d'avoirs saisis augmente, mais les Douanes n'en reçoivent qu'une infime partie. Ce serait là une solution pour financer les équipements.

M. Claude Raynal , président . - Il s'agit de la recommandation n° 12 que vous ajoutez donc à la liste de vos recommandations.

M. Victorin Lurel . - Je suis d'accord en ce qui concerne les effectifs, même si nous n'avons pas évalué le transfert qui se ferait en dessaisissant la douane de ses anciennes compétences. En revanche, il faut absolument dégager des moyens pour les équipements et cette recommandation y contribuera.

M. Claude Raynal , président . - Je vous remercie.

La commission a adopté les recommandations des rapporteurs spéciaux et autorisé la publication de leur communication sous la forme d'un rapport d'information.

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