B. UNE RSE POURTANT NÉCESSAIRE

1. Une matrice pour la transformation de l'entreprise

La responsabilité sociétale de l'entreprise est la matrice de sa transformation profonde . Au-delà de la compliance , qui s'assure du respect formel des normes, c'est un vecteur de durabilité de l'entreprise, qui garantit sa résilience.

Récemment, le 26 octobre, 300 grandes entreprises, dont le chiffre d'affaires cumulé dépasse 1 500 milliards de dollars, ont demandé que les États obligent les grandes entreprises à évaluer leur impact sur la biodiversité et les dépendance vis-à-vis de celle-ci, d'ici 2030, car , selon d'un des investisseurs signataire de la déclaration, « si la nature était un compte courant, nous serions largement à découvert » 21 ( * ) .

Pour M. Antoine Frérot, P.-D.G. de Veolia : « les entreprises sont en réalité structurellement en quête de progrès et d'amélioration, tant par esprit de survie que par volonté positive de contribuer au renforcement des sociétés au sein desquels elles évoluent. En effet, aucune entreprise ne peut prospérer durablement et authentiquement au sein d'un environnement qui se dégrade. Aucune entreprise ne se développe économiquement et socialement sans un effort volontaire et constant de progrès. Aucun actionnaire, aucun dirigeant, aucun salarié, aucun fournisseur, aucun client n'est motivé à l'idée de travailler chaque jour au succès d'une entreprise qui ne vise pas un développement intégral, une harmonie entre le macrocosme et le microcosme, entre l'interne et l'externe, entre la performance économique et la performance sociale, sociétale et écologique » 22 ( * ) .

Cette transformation est l'oeuvre des gestionnaires d'actifs attentifs à ce que les labels, les modes d'attribution des financements, les sélections d'investissement, se fassent en prenant en compte des critères de durabilité, et pas simplement des critères financiers. L'incitation est puissante puisqu'elle conditionne l'accès des entreprises au financement.

Ainsi, le respect par une entreprise des objectifs internationaux de lutte contre le réchauffement planétaire fixés en 2015, lors de la signature de l'Accord de Paris, est une condition sine qua none et attirer les investisseurs. Plus de 1 500 entreprises dans le monde, représentant plus de 12 000 milliards de dollars de chiffre d'affaires se sont engagées dans des objectifs de neutralité carbone 23 ( * ) .

Les fonds orientent de plus en plus leurs investissements vers les entreprises engagées dans la transition, via la souscription d'émissions vertes ( Green Bonds ) ou des fonds regroupant des valeurs vertes, et encouragent ainsi les entreprises dont ils sont actionnaires à agir sur les sujets climatiques par le dialogue actionnarial.

Climate Action 100+, coalition de 500 investisseurs mondiaux, incite les 161 entreprises les plus émettrices à s'engager pour la neutralité carbone d'ici 2050. Les portefeuilles d'actions s'engagent eux-mêmes vers la neutralité carbone, comme au sein de la Net Zero Asset Owner Alliance , qui compte désormais des dizaines d'investisseurs institutionnels pesant plus de 5 000 milliards de dollars.

Dans le cadre de cet objectif, Euronext a lancé en mars 2021 un nouvel indice boursier, « CAC 40 ESG » composé de 40 valeurs, sélectionnées en fonction de critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG), parmi les 60 entreprises présentes dans le CAC 40 et dans le CAC Next 20.

Les valeurs qui intègrent le CAC 40 ESG sont alignées avec les méthodologies du label ISR et du Pacte Mondial des Nations Unies. Elles sont évaluées par l'agence de notation Vigeo Eiris selon une quarantaine de critères en lien avec les trois piliers ESG. Le recours à un processus d'exclusion voit les entreprises dont l'activité (énergies fossiles, tabac, armes) est jugée incompatible avec l'ESG être évincées de cet indice boursier. Cette grille de critères est néanmoins vouée à évoluer puisqu'une fois par an, Euronext en revoit la méthodologie en prenant en compte les évolutions du cadre réglementaire européen et les recommandations de Vigeo Eiris, tandis que la composition de l'indice est, quant à elle, revue par le comité scientifique des indices d'Euronext chaque trimestre.

Au 23 juin 2022, 9 entreprises du CAC 40 n'intégraient pas l'indice CAC 40 ESG, à savoir Arcelormittal, Dassault Systèmes, EssilorLuxottica, Eurofins Scientific, Renault, Teleperformance, Thales, TotalEnergies et Worldline. A contrario, 9 entreprises du CAC Large 60 (CAC 40 et CAC Next 20) faisaient leur entrée dans cet indice : Accor Hotels, Arkema, Atos, Bureau Veritas, EDF, Klepierre, Sodexo, Solvay et Valeo.

En octobre 2021, l'indice MIB ESG était créé à la bourse de Milan par Euronext, en partenariat cette fois avec V.E, filiale de Moody's ESG Solutions.

Dans ce contexte, les PME et ETI sont incitées à intégrer « volontairement » le reporting RSE : « je ne pense pas qu'on rende service aux PME en les laissant en dehors du dispositif. C'est-à-dire que le danger, c'est effectivement de les surcharger d'une démarche que l'on pourrait qualifier de « bureaucratique » mais si on n'inscrit pas les PME, en tout cas probablement la tranche supérieure des PME, dans le mouvement de l'information durabilité qui va devoir nourrir l'information des plus grandes entreprises, car on leur demande de faire un rapport qui inclut ce qui se passe chez leurs fournisseurs ou leurs clients... Et, par ailleurs, le système financier est incité à fournir des capitaux, que ce soit sous forme d'investissements ou sous forme de prêts de financement, en regardant ce qui se passe sous l'angle durabilité », selon Patrick de Cambourg 24 ( * ) .

Pour Mme Dominique Carlac'h, vice-présidente et porte-parole du MEDEF 25 ( * ) , « une entreprise qui n'inclurait pas dans sa stratégie des sujets comme l'inclusion, la diversité, et l'innovation managériale ne pourrait plus être performante ou attractive ». Pour le MEDEF, « la RSE est de plus en plus un facteur de différenciation et de compétitivité. Nous sommes tout à fait favorables à des stratégies fondées sur la responsabilité sociétale des entreprises. Elles constituent un véritable changement de paradigme et de pilotage stratégique, comprenant une vision intégrée de ce qu'est la performance d'une entreprise : non pas la performance exclusivement financière, mais la performance financière et extra-financière ».

La Ministre déléguée chargée des Petites et Moyennes Entreprises, du Commerce, de l'Artisanat et du Tourisme, Olivia Grégoire , a elle-même confirmé lors de son audition conjointement organisée le 4 octobre dernier par la Délégation aux entreprises et la commission des Affaires économiques que, « avec la performance extra-financière, qui deviendra la norme d'ici à 2025, faute d'un diagnostic environnemental et social, nos PME pourraient être évincées de certains marchés en tant que sous-traitants . Il faut anticiper ce risque systémique ».

Les PME et ETI se retrouvent placées devant une injonction contradictoire : celle d'appliquer des procédures conçues pour des grandes entreprises financées par le marché, tout en cherchant les marges de souplesse, d'adaptabilité et d'accessibilité permettant à des entreprises de plus petite taille de répondre à ces obligations d'information financière et extra-financière.

Cette transformation se traduit, au sein des entreprises, par un rapprochement entre la direction RSE et la direction financière qui apporte sa contribution à l'amélioration de la performance environnementale de l'entreprise en mesurant les impacts de l'entreprise sur la société à l'aide de l'utilisation des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance transverses à toute l'organisation, et de la collecte des données financières et extra-financières.

Comment la RSE transforme l'entreprise à l'horizon 2030

« À horizon 2030, le champ de la fonction RSE dépasse les obligations de conformité réglementaire (compliance) et de gestion des risques pour appréhender des enjeux plus stratégiques. Prospectiviste, elle travaille sur le temps long et contribue à nourrir une vision stratégique. Dépositaire de l'extra-financier, la fonction prend en compte toutes les externalités dans son reporting de la performance globale de l'entreprise. Au-delà de simples actions de compensation ou d'affichage, elle pose les ferments d'une transformation profonde dont elle mesure les résultats et les impacts. Se voulant fonction « poil à gratter », elle porte une voix dissonante au sein de l'entreprise, pose des questions difficiles, lance des expérimentations et promeut l'acculturation des équipes. Gardienne du sens et des valeurs, elle construit un narratif fort pour créer de la cohésion autour d'enjeux stratégiques dans une entreprise de plus en plus dématérialisée. Elle contribue à l'animation de l'écosystème plus large de l'entreprise en sensibilisant ses parties prenantes aux enjeux RSE (...).

Dans un monde devenu plus instable et incertain, elle se rapproche de la direction des risques pour identifier les signaux faibles et donner l'alerte. Gardienne du sens, elle accompagne la fonction RH pour insuffler un changement de culture d'entreprise dans une approche holistique d'une RSE devenue un enjeu d'attractivité interne et externe. Elle contribue à la définition de nouveaux métiers et compétences en recrutant des « activistes » de la RSE. Elle travaille étroitement avec la fonction Finance - les deux fonctions se nourrissant des données RSE et financières pour effectuer leur reporting financier et extra-financier. Si la direction financière pilote de façon opérationnelle la performance de l'entreprise, la direction RSE veille au déploiement de sa stratégie - elle s'assure de la cohérence des actions menées au regard des objectifs, veille à ce que ces actions soient porteuses de sens et contribuent à la résilience de l'entreprise. La fonction RSE collabore avec les fonctions Communication et Affaires publiques pour susciter l'engagement à l'intérieur et à l'extérieur de l'entreprise et favoriser le dialogue avec ses parties prenantes. Ainsi la fonction RSE contribue-t-elle à insuffler la RSE dans toutes les fonctions, sans se diluer mais en renforçant ses prérogatives stratégiques ».

Source : « L'entreprise full RSE », Institut de l'entreprise, juin 2022.

2. Un verdissement timide de la commande publique

La puissance publique, via la commande publique, contribue également à orienter les entreprises vers la responsabilité sociétale et environnementale.

Ainsi, la dernière version des cahiers de clauses administratives générales (CCAG), approuvée par arrêté le 1 er avril 2021, renforce la prise en compte de clauses environnementales dans la passation de marchés : alors que les précédents CCAG comportaient des stipulations concernant la protection de l'environnement, les nouveaux CCAG imposent que les documents particuliers du marché précisent les obligations environnementales qui pèseront sur le titulaire du marché.

Par ailleurs, le dispositif « marchés innovants » a été pérennisé 26 ( * ) et permet désormais aux acheteurs de passer, sans publicité ni mise en concurrence préalables, des marchés de travaux, fournitures ou services innovants de moins de 100 000 euros HT. Il ouvre la commande publique aux TPE/PME innovantes. Ce concept, flou, fait l'objet d'un guide pratique de l'Observatoire de la commande publique, élaboré en 2019, qui se réfère à un faisceau d'indices. La maîtrise des impacts environnementaux et/ou sociaux en fait partie.

Enfin, l'article 58 de la loi n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire impose désormais aux acheteurs publics un seuil minimal de 20 % d'acquisition de produits issus du réemploi ou du reconditionnement .

La commande publique a été impactée par la loi du 22 août 2021 dite loi Climat et Résilience 27 ( * ) .

Le législateur a souhaité mettre en avant de manière symbolique les objectifs de développement durable en les inscrivant dans le titre préliminaire du code de la commande publique. De ce fait, l'article 3-1 nouveau dispose que « La commande publique participe à l'atteinte des objectifs de développement durable, dans leurs dimensions économique, sociale et environnementale, dans les conditions définies par le présent code ».

Si cette modification du code n'est que symbolique, elle démontre la volonté du législateur de prendre en considération de manière structurelle l'environnement et le social au sein de la commande publique.

Les modifications apportées par l'article 35 de la loi Climat et Résilience viennent ajouter des obligations aux acheteurs publics afin de garantir la prise en compte de certains enjeux, notamment en matière environnementale et sociale. En effet, l'article 2 du décret n°2022-767 du 2 mai 2022 portant diverses modifications du Code de la commande publique 28 ( * ) pris en application de l'article 35 de la loi, modifie l'article R. 2152-7 et introduit l'obligation pour l'acheteur public de se fonder sur au moins un critère environnemental . De cette manière, le prix ne peut plus être le seul et unique critère d'attribution d'une offre . Celui-ci devra désormais a minima prendre en considération le coût du cycle de vie qui tient compte des caractéristiques environnementales de l'offre.

L'article 35 de la loi renforce également les schémas de promotion des achats publics socialement et écologiquement responsables (SPASER) . Actuellement, 120 collectivités territoriales et EPCI sont concernés par la mise en place de ce type de schéma, qui ne s'applique que pour les montants d'achat annuels supérieurs à cent millions d'euros hors taxes. La loi Climat et Résilience et le décret susmentionné, abaissent le seuil du montant d'achat rendant obligatoire la rédaction d'un SPASER à cinquante millions d'euros hors taxes annuel. De ce fait, 160 collectivités territoriales et établissement public de coopération intercommunale (EPCI), ont désormais l'obligation d'établir un SPASER, soit un tiers supplémentaire.

Cependant, seules 34 entités publiques ont respecté cette obligation, au demeurant non sanctionnée, qui date de 2014 ! 29 ( * )

La mise en oeuvre de ces modifications concernant le seuil rendant obligatoire le SPASER pour les collectivités territoriales concernées prendra effet au 1 er janvier 2023, et les nouvelles obligations qui découlent de la modification de l'article R. 2152-7 du Code de la commande publique n'entreront en vigueur qu'à partir du 21 août 2026, sous réserve d'une modification ultérieure par décret comme l'y autorise ce dernier.

Toutefois, la multiplication des obligations de rédaction de ce schéma constitue une charge de travail supplémentaire pour les collectivités territoriales, sans pour autant garantir de l'efficacité de tels outils.

Comme le rapport de la Délégation aux entreprises l'avait déjà souligné en 2020, la commande publique serait un puissant levier pour favoriser le renforcement de la RSE dans les entreprises. Il est cependant entravé par une lecture littérale de la directive sur la passation des marchés publics 2014/24/UE du 26 février 2014, qui subordonne la prise en compte de considérations sociales ou environnementales au titre des conditions d'exécution, à la condition qu'ils soient liés à l'objet du marché .

L'Union du groupement des achats publics (UGAP), qui se veut « le bras armé d'un achat public socialement responsable » 30 ( * ) a adopté une feuille de route, « stratégie RSE 2025 », qui fait valoir que 78 % des marchés publics comportent une disposition environnementale en 2020.

Elle entend, d'ici 2025, garantir la qualité environnementale des offres par la généralisation pertinente et adaptée des clauses environnementales et accompagner les territoires dans la transition écologique. À cette date, 100 % des marchés notifiés au cours de l'année devront comprendre au moins une considération environnementale (objet du marché, critère d'attribution ou clause environnementale) et 30 % des mêmes marchés devront comprendre au moins une considération sociale (objet du marché, critère d'attribution, clause sociale ou marché réservé aux opérateurs qui emploient des travailleurs handicapés ou défavorisés ou aux entreprises de l'économie sociale ou solidaire).

L'UGAP ne peut toutefois avoir qu'un rôle incitatif puisque « les clients de l'UGAP restent souverains dans leur acte d'achat auprès de l'établissement ».

A cet effet, elle développe en 2022 un nouveau marché, baptisé « Territoires de demain », destiné à promouvoir les offres de produits et services qui accélèrent la transition écologique des territoires dans lesquels ils se déploient.

Un appel d'offres portant sur « la recherche d'un intégrateur en capacité de proposer des solutions globales sur l'ensemble du territoire national » a été lancé début 2022. Cependant, son déploiement tarde.

3. Une écoconditionnalité limitée

Un programme de financement qui intègre une mesure d'écoconditionnalité doit satisfaire aux conditions suivantes :

- soutenir une activité économique ou une activité de développement ;

- offrir une aide directe aux entreprises ou à un secteur d'activité.

L'écoconditionnalité occupe pour le moment une place modeste mais croissante dans la politique publique à l'égard des entreprises.

L'article 66 de la loi de finances rectificative pour 2020 n° 2020-935 du 30 juillet 2020 oblige les entreprises réalisant un chiffre d'affaires de plus de 500 millions d'euros, au capital desquelles l'État prend une participation au titre des 20 milliards d'euros du plan de relance , à prendre des engagements en matière de réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre, définis en cohérence avec les objectifs de la stratégie nationale bas carbone.

Il prévoit également un suivi de ces engagements avec la remise, par les entreprises concernées, d'un rapport annuel détaillant les engagements pris, les moyens mis en oeuvre pour les atteindre et les éventuelles mesures complémentaires envisagées en cas de non atteinte des objectifs de réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre.

La commission des Finances du Sénat avait souligné « l'effet signal » de cette disposition, lié au caractère ambigu de l'effort massif consenti par l'État pour soutenir les acteurs économiques, lequel, s'il peut en effet être envisagé comme une mesure d'incitation à s'engager dans la transition écologique , relève avant tout d'un sauvetage de nos « fleurons » économiques, la puissance publique intervenant pour réduire au maximum les effets de la crise sanitaire sur l'activité et l'emploi. « C'est pourquoi, toute démarche conditionnant l'octroi d'un soutien public doit être envisagée avec prudence , a fortiori lorsque les critères, pour être respectés, requièrent des investissements massifs » 31 ( * ) .

Le dispositif privilégie ainsi la prise d'engagements , assortis d'un mécanisme transparent de suivi 32 ( * ) , et ne relève pas d'une stricte conditionnalité qui pourrait in fine conduire à peser sur l'emploi et l'activité de l'entreprise que l'on souhaite sauver.

Ce dispositif relève donc davantage de la communication puisqu'il exempte la quasi-totalité des entreprises d'une éco-conditionnalité des aides publiques.

CCI-France n'est toutefois pas hostile à une écoconditionnalité plus affirmée mais ciblée.

Ainsi, notant que le décret du 23 octobre 2020 qui fixe les conditions d'octroi d'une aide destinée à financer « des investissements de transformation vers l'industrie du futur des PME et ETI industrielles » n'exige pas des entreprises qu'elles mettent en place des stratégies durables ou bas-carbone, CCI-France estime qu'une « aide octroyée pour mettre en place des dispositifs visant à limiter les émissions de gaz à effet de serre soit subordonnée à des engagements précis - si ce n'est de résultat, au moins de moyen - en accord avec les objectifs visés (bilan carbone, diminution des émissions, etc.) relève d'une certaine logique. En revanche, l'idée de subordonner à des engagements en faveur du climat une aide publique dans un contexte sans lien direct avec la transition bas-carbone ne doit pas prospérer ; cela reviendrait à dé-corréler l'aide de l'objet pour lequel elle a été accordée ». Elle propose logiquement de circonscrire le principe de l'éco conditionnalité aux seules aides publiques accordées pour financer des dispositifs favorisant la transition bas-carbone.

Par ailleurs, les auditions réalisées dans le cadre du rapport d'information de l'Assemblée nationale consacré à la conditionnalité des aides publiques aux entreprises 33 ( * ) ont souligné la nécessité d'exclure les TPE et les PME d'une obligation de conditionnalité en cas d'aide publique : « qu'il s'agisse d'aides dans le cas du plan de relance ou hors de celui-ci, leur situation de trésorerie ne leur permet pas de se lancer dans des investissements trop importants ». Elle préconise de réserver l'écoconditionnalité aux entreprises comptant au moins 250 salariés, et donc d'englober les ETI.

En revanche, le rapport estime que les opérateurs de l'État devraient proposer aux TPE et PME « une planification à dix ou quinze ans pour leur permettre, par voie contractuelle, de réduire leurs impacts sur l'environnement ». Cette approche peut fonctionner dès lors qu'il est démontré que la maîtrise des coûts de l'énergie et le traitement de différents flux (eau, déchets) sont un facteur de compétitivité . Le diagnostic écoflux qui permet à un auditeur d'identifier les sources de gaspillage et de proposer des solutions dont le retour sur investissement est souvent inférieur à six mois, en instituant un lien entre gaspillage et maîtrise des coûts, serait « un excellent point d'entrée pour des PME qui envisagent de s'engager pour l'environnement ».

En tout état de cause, cette écoconditionnalité doit « s'appliquer à des actions mesurables » et aurait plus de sens « si elle se concentrait sur les secteurs économiques les plus polluants et sur les entreprises assujetties au marché de carbone » par une démarche contractuelle 34 ( * ) .

L'État pourrait enfin conditionner son entrée au capital d'une entreprise et/ou la souscription d'augmentations de capital à un engagement de l'entreprise de se doter d'une trajectoire compatible avec la stratégie nationale bas-carbone (SNBC) et faire levier sur ses participations existantes pour obtenir le même type de démarche.

4. Une lutte assumée contre l'écoblanchiment

Une mesure objective de la responsabilité sociétale des entreprises s'avère cruciale pour assurer la crédibilité d'un développement soutenable.

Or, à force de trop s'intéresser aux sujets sociaux et de gouvernance au détriment des émissions de gaz à effet de serre, on n'incite pas assez les dirigeants d'entreprise à prendre de vraies mesures face au changement climatique. Ainsi, The Economist , préconise de mesurer moins mais mieux et, en premier lieu, les émissions de gaz carbonique, et de récompenser les entreprises vertueuses en leur donnant un accès moins cher aux capitaux.

Des doutes ont été également exprimés par M. Romain Mouton, secrétaire général du Forum de Giverny, consacré à la RSE, qui admet l'existence du greenwashing , méthode de marketing consistant à communiquer auprès du public en utilisant l'argument écologique de manière trompeuse pour améliorer son image : « Oui, l'écoblanchiment existe. Oui, les entreprises qui se parent des vertus RSE à des fins de communication existent aussi. Comment, dès lors, lutter contre ces pratiques ? Je vois deux leviers . Le premier : l'usage massif de la data au service du développement durable et de la transparence. Il faut collecter les données tout au long de la chaîne de valeur et des processus de décision. Second levier, la communication responsable, c'est-à-dire une communication qui mesure l'impact environnemental et social de la publicité et pousse la cohérence entre les politiques commerciales et de communication ».

Afin de répondre à ces critiques, l'article 12 de la loi « climat » a apporté un début de réponse, limité aux émissions de gaz à effet de serre, en encadrant la communication autour de la compensation carbone et les allégations de neutralité carbone dans la publicité.

LE DISPOSITIF DE L'ARTICLE L. 229-68 DU CODE DE L'ENVIRONNEMENT RELATIF AUX « ALLÉGATIONS ENVIRONNEMENTALES »

Le décret n°2022-538 du 13 avril 2022 définissant le régime de sanctions applicables en cas de méconnaissance des dispositions relatives aux allégations de neutralité carbone dans la publicité 35 ( * ) et le décret n° 2022-539 du 13 avril 2022 relatif à la compensation carbone et aux allégations de neutralité carbone dans la publicité 36 ( * ) ont mis en application cette régulation.

Ils prévoient que, à compter du 1 er janvier 2023, il ne sera plus possible de parler de neutralité carbone sans produire « un bilan des émissions de gaz à effet de serre du produit ou service concerné couvrant l'ensemble de son cycle de vie », depuis la phase en amont de la production jusqu'au recyclage éventuel. Ce décret concerne aussi bien la publicité dans la presse écrite et audiovisuelle que l'affichage et la publicité en ligne. Les annonceurs publicitaires devront donc appuyer leurs affirmations d'arguments chiffrés et documentés. Concrètement, cela passera soit par un lien hypertexte, soit par un QR code qui renverra vers un espace sur le site de l'annonceur. On y retrouvera « la démarche grâce à laquelle ces émissions de gaz à effet de serre sont prioritairement évitées, puis réduites et enfin compensées » dans le but d'assurer la transparence vis-à-vis du public et de prévenir tout risque de greenwashing .

Le décret vise en particulier les termes “ neutre en carbone ”, “ zéro carbone ”, “ avec une empreinte carbone nulle ”, “ climatiquement neutre ”, “ intégralement compensé ” ou encore “ 100% compensé ”. S'agissant de la compensation carbone des gaz à effet de serre, les pouvoirs publics demandent un classement des projets selon leur coût par tonne de CO2 (tCO2) compensée, soit en-dessous de 10 €/tCO2, entre 10 et 40 €/tCO2 ou au-dessus de 40 €/tCO2. Enfin, le décret précise que les projets « ne doivent pas être défavorables à la préservation et la restauration des écosystèmes naturels et de leurs fonctionnalités » .

En cas de non-respect de cette législation, les annonceurs pourront, après mise en demeure, être sanctionnés par une sanction financière d'un montant de 100 000 € (20 000 € pour les personnes physiques) et qui pourraient être portés « jusqu'à la totalité du montant des dépenses consacrées à l'opération illégale » .


* 21 Les Échos, 26 octobre 2022.

* 22 « L'Entreprise Full-RSE à horizon 2030 », Institut de l'entreprise, juin 2022. Ce programme d'étude s'est matérialisé par la tenue de dix ateliers de partage et de co-construction entre pairs, de septembre 2020 à novembre 2021 - chaque atelier portant sur l'une des fonctions de l'entreprise : Ressources humaines, Marketing, Finance, Systèmes d'information, Communication, Supply chain, Achats, Direction générale, Administrateur, RSE, et son évolution à horizon 2030. Ces ateliers ont réuni plus d'une centaine d'entreprises, dix associations professionnelles, une trentaine d'académiques et en tout près de 240 participants.

* 23 Selon une étude du NewClimate Institute & Data-Driven Envirolab. Par ailleurs, 542 ont vu leur stratégie climat validées par la Science Based Targets Initiative qui vérifie leur alignement avec les objectifs de l'Accord de Paris de 2015.

* 24 Audition du 17 février 2022.

* 25 Table-ronde du 20 septembre 2022 organisée par la Délégation aux entreprises.

* 26 Par le décret n° 2021-1634 du 13 décembre 2021 relatif aux achats innovants et portant diverses autres dispositions en matière de commande publique, qui pérennise, au nouvel article R. 2122-9-1 du code de la commande publique , le dispositif mis en place à titre expérimental et pour une durée de trois ans par le décret n° 2018-1225 du 24 décembre 2018.

* 27 https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000043956924

* 28 https://www.legifrance.gouv.fr/download/pdf?id=BrE-UuPQJRFrRcLJ25MprSJ8wJorJFT_MbK-JkEwE60=

* 29 Selon le rapport « Pour une commande publique sociale et environnementale : état des lieux et préconisations » de Mmes Nadège Havet - Sophie Beaudouin-Hubière , remis au Ministère de l'Économie, des Finances et de la Relance le 20 octobre 2021.

* 30 Edward Jossa, Acteurs Publics, 16 novembre 2021.

* 31 Rapport n° 634 (2019-2020) de M. Albéric de MONTGOLFIER , rapporteur général, fait au nom de la commission des finances du Sénat, déposé le 15 juillet 2020.

* 32 La sanction, consistant en une amende de 375 000 euros, s'applique uniquement en cas de non-respect des obligations de publication , et non si les objectifs fixés ne sont pas atteints.

* 33 N°4040 du 31 mars 2021, de M. Saïd AHAMADA, Mme Barbara BESSOT BALLOT, M. Dominique DA SILVA et Mme Laurianne ROSSI, rapporteurs.

* 34 Le rapport de l'Assemblée nationale propose d'exiger des entreprises plus de 500 salariés de définir un plan de transition écologique et des indicateurs par le biais de négociations sectorielles à l'échelle de la branche. Elles s'engageraient ainsi sur la réduction de leurs émissions de scope 3, avec une trajectoire compatible avec la SNBC, l'ensemble faisant l'objet d'un dispositif de suivi. Le bilan des émissions de gaz à effet de serre serait maintenu au niveau de scope 1 pour les petites entreprises recevant des aides d'un niveau modeste. Des feuilles de route de décarbonation pourraient être établies au niveau des comités stratégiques de filières du Conseil national de l'industrie pour les secteurs industriels les plus émetteurs, déclinées pour les principales entreprises, sous forme d'engagements contractuels entre l'État et la filière, la filière s'engageant sur une trajectoire et l'État mobilisant à l'appui de cette trajectoire les aides à la décarbonation du plan de relance.

* 35 https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000045570594

* 36 https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000045570611

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