II. L'EUROPE DOIT PRÉSERVER SON AUTONOMIE DANS LA DÉFINITION DES NORMES RSE ET DANS LEUR PUBLICATION

A. LA BATAILLE MONDIALE DES NORMES DE LA RSE

L'importance de cet enjeu a été évoquée dans le rapport d'information n° 572 (2019-2020) de Mme Élisabeth LAMURE et M. Jacques LE NAY , fait au nom de la délégation aux entreprises, du 25 juin 2020, sur la responsabilité sociétale et environnementale dans les PME, qui notait que « la conception renouvelée de l'entreprise devait prendre en compte le temps long » , alors que la vision qui domine actuellement les normes comptables est celle des investisseurs de court terme sur les marchés financiers. Le rapport pointait le fait que : « seules les informations financières sont prises en considération, à l'exclusion des informations sociales ou environnementales, quand bien même elles intéresseraient les autres parties prenantes. Elles sont exclusivement destinées aux apporteurs de capitaux, les actionnaires, et aux marchés financiers . Ces informations ne sont pas neutres. Elles façonnent la façon dont les entreprises sont dirigées et gérées ». Il invitait à faire de cet enjeu « une priorité politique de premier plan », comme le préconisait le rapport de Cambourg de mai 2019 sur la normalisation, à l'échelle de l'Union européenne, de l'information extra-financière dans la sphère publique.

Le Gouvernement a organisé, le 8 décembre 2020, un webinair 37 ( * ) sur ce sujet à l'occasion duquel Mme Olivia Grégoire, alors secrétaire d'État auprès du ministre de l'Économie, des Finances et de la Relance, chargée de l'Économie sociale, solidaire et responsable, a jugé que l'information extra-financière, qui était autrefois destinée aux seuls actionnaires, était « devenue de plus en plus un sujet d'opinion, un sujet politique », car « les citoyens ne conçoivent plus que les entreprises ne se préoccupent que de leurs intérêts purement lucratifs, et les entreprises pour la plupart ont compris que le greenwashing, le social washing c'est terminé », soulignant que cet enjeu n'était « pas uniquement un sujet de taxonomie ou un sujet technique, mais un sujet de souveraineté ».

Dans le communiqué de presse du 9 décembre 2021, le président de la Délégation aux entreprises Serge Babary avait considéré que la France devait « montrer qu'elle est pionnière dans ce domaine », et que, le Parlement était partie prenante de cette évolution fondamentale de l'action des entreprises « un débat parlementaire serait utile avant que l'Europe n'engage cette révision ».

1. Alors que l'Europe est en avance, les États-Unis tentent d'imposer leur référentiel extra-financier
a) L'Europe avait perdu la bataille des normes comptables

Il y a 20 ans, l'Union européenne échouait à imposer ses normes comptables et adoptait la normalisation financière de l'IFRS ( International financial reporting standards) pourtant résolument étrangère à la philosophie de l'économie sociale de marché, dans le vain espoir d'avoir accès aux marchés financiers américains.

Malgré des efforts de coopération entre 2007 à 2015 entre les normalisateurs IASB 38 ( * ) et FASB 39 ( * ) , la « convergence » des normes comptables a échoué. Incapable de se mettre d'accord sur un référentiel comptable européen et sous la pression d'une mondialisation de plus en plus galopante, l'Union européenne s'en remet aux normes comptables IFRS élaborées par l'IASB, organisme privé sur lequel elle n'exerce aucun contrôle.

Aujourd'hui, la notation extra-financière est aux mains d'agences américaines, qui ne cessent de renforcer leur influence. Ainsi, les évaluations des acteurs de l'investissement responsable se trouvent de fait déterminées par les données qu'elles leurs fournissent et qui n'expriment pas nécessairement leurs valeurs.

L'exemple de la fair value est, à cet égard, significatif. La notion apparaît pour la première fois en 1995 et désigne « le prix auquel un actif pourrait être échangé ou un passif réglé entre deux parties compétentes n'ayant aucun lien de dépendance et agissant en toute liberté ». Depuis, quasiment toutes les normes comptables internationales retiennent la juste valeur. Or, il revêt une dimension exclusivement financière au service de l'actionnaire et favorise des comportements de court terme incompatibles avec les engagements de long terme des entreprises responsables.

« L'Europe a ainsi délégué sa souveraineté comptable à un organisme international privé dans une indifférence quasi générale , sans doute parce qu'il s'agissait d'une perspective lointaine et encore incertaine, portant sur une matière complexe et technique dont bien peu avaient saisi l'importance », souligne l'Institut Montaigne 40 ( * ) .

b) L'Europe ne doit pas perdre la nouvelle bataille de la normalisation extra-financière
(1) L'EFRAG « contre » l'IFRS ?

La guerre historique sur le référentiel comptable est en train d'être supplantée par l'affrontement entre l'Europe et la Fondation IFRS pour la normalisation des données dites extra-financières.

En effet, l'Europe, et plus précisément M. Valdis Dombrovskis, vice-président exécutif de la Commission Européenne, a chargé M. Jean-Paul Gauzès, président de l' EFRAG , de réfléchir à la mise en place d'une structure européenne d'élaboration de normes d'information extra-financière. Dans ce cadre, son président, M. Jean-Paul Gauzès a lancé un appel à contribution auprès des différentes parties prenantes de l'EFRAG, car cette nouvelle mission nécessite des modifications importantes dans sa gouvernance et son organisation.

Deux missions distinctes ont été confiées à l'EFRAG :

- créer une Task Force au sein de l'European Corporate Reporting Lab de l'EFRAG visant à réaliser le travail préparatoire à la révision législative et à formuler des recommandations sur la forme que pourrait prendre le standard européen de publication extra-financière . La présidence de cette taskforce a été confiée à M. Patrick de Cambourg ;

- proposer des recommandations sur les changements possibles à la gouvernance et au financement de l'EFRAG, dans le cas où cette instance serait chargée de l'élaboration des normes européennes en matière d'information extra-financière. Cette mission a été confiée sur une base ad personam au président de l'EFRAG, M. Jean-Paul Gauzès. Celui-ci a remis son rapport d'étape en novembre 2020 et a lancé une consultation publique sur le sujet de la gouvernance de l'extra-financier en Europe.

Aujourd'hui, l'EFRAG n'est pas un « producteur » de normes : sa mission est uniquement d'évaluer les normes IFRS pour leur « endossement » par l'Europe.

Parallèlement, la Commission européenne a révisé le rôle des autorités européennes de supervision (ESAs) - l'EBA 41 ( * ) , l'ESMA 42 ( * ) et l'EIOPA 43 ( * ) - afin qu'elles intègrent dans leurs activités l'identification des risques que les facteurs ESG (environnementaux, sociaux et liés à la gouvernance) font peser sur la stabilité financière et mettent en cohérence l'activité des marchés financiers avec des objectifs de durabilité. Les ESAs devraient donc s'exprimer sur la manière dont les critères ESG peuvent être efficacement intégrés dans la législation financière de l'Union européenne.

(2) Les acteurs privés ne sont pas inertes

Dans le cadre des grandes manoeuvres autour de la révision de la directive sur les informations extra-financières (CSRD), un groupe de travail organisé par le World Economic Forum et l' International Business Council (IBC), a fait paraître un livre blanc rédigé par les quatre grands cabinets de conseil (PwC, EY, KPMG et Deloitte), proposant un cadre pour un socle de données ESG de 21 indicateurs clés assortis de 34 indicateurs étendus.

Les cinq organisations qui proposent les principaux standards de reporting ESG, CDP ( Carbon Disclosure Project ), CDSB ( Climate Disclosure Standards Board ), GRI ( Global Reporting Initiative ), IIRC ( International Integrated Reporting Council ) et SASB ( Sustainability Accounting Standards Board), ont décidé de s'associer et « partager leur vision de ce qui est nécessaire pour construire un cadre commun de reporting compréhensible ».

De son côté, la Fondation IFRS 44 ( * ) , présidée par le Français Michel Prada , ancien président de l'AMF, a lancé une consultation sur le « Sustainability Reporting » et le rôle qu'il pourrait jouer dans l'élaboration de normes globales d'information extra-financière sur le modèle qui fonctionne pour les IFRS. Plus précisément, la fondation interroge sur la création d'un Board qui serait chargé de produire des normes de reporting extra-financier, à charge pour chaque juridiction de les rendre obligatoires ou non.

La fusion du SASB et de l'IIRC , en 2021, dans la Value Reporting Foundation constitue enfin le dernier acte, à ce stade, de la recomposition des acteurs de la normalisation.

c) Les enjeux pour les entreprises européennes

La normalisation des informations extra-financières est urgente et indispensable, de même que le besoin de convergence et la connexion entre le financier et le non financier .

Outre l'autonomie normative de l'Europe, le concept de matérialité constitue l'un des points de divergence majeurs dans cette compétition entre les visions américaine et européenne de l'entreprise. Les standards internationaux tels que l'IFRS Foundation ou le SASB sont plutôt enclins à ne couvrir que les impacts environnementaux et sociaux sur les entreprises, l'objectif premier étant d'informer les investisseurs sur leurs risques. De leur côté, les Européens souhaitent baser le cadre du reporting extra-financier sur la double matérialité 45 ( * ) qui analyse à la fois l'impact des risques ESG sur l'entreprise et l'impact de l'entreprise sur la société.

La temporalité joue aussi un rôle important dans cette course à la standardisation, selon l'appréciation faite du degré d'urgence climatique et sociale. Si l' IFRS Foundation reste vague quant à l'établissement d'un cadre de reporting harmonisé, les instances européennes souhaitent que ces nouvelles normes soient rapidement applicables afin de mettre en oeuvre du Green Deal européen. En effet, 15 des futures réglementations du « Pacte vert pour l'Europe » dépendent de la standardisation du reporting extra-financier.

L'Europe connaît également une compétition entre public et privé , entre, d'une, part les ESAs -autorités européennes de supervision- et, d'autre part, le partenariat public-privé de l'EFRAG, le groupe consultatif européen sur l'information financière.

D'un côté, les ESAs travaillent à la définition d'une série de normes techniques réglementaires (RTS) applicables aux acteurs des marchés financiers. Elles prévoient que dans le cadre de la réglementation sur l'information pour la finance durable (SFDR), les participants aux marchés financiers publient à partir de 2023 un ensemble d'indicateurs ESG sur les principaux effets négatifs ( adverse impacts ) de leurs décisions d'investissements sur la société.

En parallèle, s'agissant de la réglementation sur la taxonomie verte, l'ESMA définit actuellement les normes de calcul du chiffre d'affaires, des investissements et des dépenses vertes que les entreprises doivent progressivement publier depuis l'exercice 2021, pour permettre ensuite aux participants aux marchés financiers de calculer la part verte de leurs produits financiers. Ces définitions d'informations extra-financières, destinées à l'origine aux acteurs de la finance, risquent de constituer des standards qui viendront aussi s'imposer aux entreprises non financières dans le cadre de la révision de la directive sur le reporting extra-financier (NFRD).

Sans une harmonisation rapide, le risque pour les entreprises est une superposition de normes et une surcharge de reporting pour tous les acteurs concernés, et donc une distorsion de concurrence entre les entreprises européennes soumises à ces exigences de transparence et les autres.

Si la révision de la NFRD avec ses nécessaires standards sous-jacents se veut ambitieuse et contraignante pour continuer à faire progresser les entreprises dans la prise en compte de leur impact et leur permettre de se projeter vers un horizon de long terme dans une perspective de création de valeur durable, l'application de ces principes doit toutefois rester simple , sous peine d'exposer les entreprises européennes au dumping environnemental et social international. La mise en place d'un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières européennes pourrait aussi représenter un levier pour assurer la protection des entreprises européennes, à la fois plus avancées et plus contraintes en termes de développement durable.

Au regard des incertitudes politiques, économiques et climatiques actuelles et à venir, cette question de la standardisation des normes extra-financières est d'une importance capitale. Y répondre est essentiel.

Selon un expert, « l'harmonisation des normes ESG entre les différentes entreprises est fortement demandée par les investisseurs et fait l'objet d'une âpre bataille entre les acteurs de la notation et des référentiels ESG. L'enjeu est stratégique, car ce sont ces normes qui vont définir la valeur globale (valeur financière + valeur ESG) des entreprises , qui tend de plus en plus à orienter la valeur des actions en bourse. Cela a notamment été le cas en 2020 où les entreprises ayant les meilleures notes ESG ont surperformé par rapport aux indices de référence » 46 ( * ) . L'harmonisation de l'information extra-financière représente une opportunité pour l'Europe de reprendre la maîtrise de sa vision de l'entreprise. « S'il doit y avoir un capitalisme responsable européen, il passe donc par un mot d'ordre fondamental : Take Control Back , reprendre le contrôle, retrouver la maîtrise, assumer ses valeurs », selon l'Institut Montaigne.

Il s'agit donc de donner au capitalisme européen un cadre de normes conformes aux valeurs européennes dans ce domaine.

Comme l'indique la DG Trésor, « l'Europe peut revendiquer son avance en matière extra-financière, et il est légitime qu'elle joue un rôle de premier plan et soit standard-setter 47 ( * ) pour l'extra-financier » . Cette position a notamment été exprimée par la secrétaire d'État, Mme Olivia Grégoire, lors de son discours à l'occasion du Climate Finance Day du 29 octobre 2020. Elle se retrouve également dans le rapport de la commission des Finances du Sénat du 13 juillet 2022 48 ( * ) : « s'il est un aspect surtout où l'Europe ne doit pas renoncer et doit absolument gagner la bataille de la norme, c'est celui de la double matérialité . Il s'agit là de nouveau de défendre les règles les plus exigeantes, encore une fois pour accroître la crédibilité des engagements des acteurs et renforcer la solidité du marché du vert. L'Union européenne doit être en mesure de défendre ses normes, ne serait-ce que pour éviter d'alourdir inutilement la charge des entreprises européennes en cas de divergence de normes, et donc induire des distorsions de concurrence ».

2. Vers une souveraineté européenne en matière de notation RSE
a) Une prise de conscience d'un enjeu essentiel

La prise de conscience des enjeux de l'autonomie européenne concernant les indicateurs de performance extra-financière a progressé.

Pour le précédent gouvernement, « ce n'est pas un sujet technique, mais bien de souveraineté européenne sur le plan économique . Nous avons déjà délégué les normes comptables IFRS aux Américains. Si nous ne définissons pas nos propres critères, les États-Unis pourraient être en mesure de nous imposer les leurs. Et ces normes pourraient ne pas être les plus adaptées pour valoriser nos entreprises européennes » 49 ( * ) .

La Plateforme RSE rappelle que l'Europe a longtemps été pionnière en matière d'agences de notation ESG, mais avec une offre très fragmentée par marché national, l'harmonisation de la réglementation étant récente, alors que les Etats-Unis ont été très en retard sur la notation ESG mais très solidement implantés sur la notation financière, qui correspond parfaitement à la philosophie du capitalisme anglo-saxon. Elle souligne que : « bénéficiant de leur situation de quasi-monopole, les agences de notation financière américaines (notamment les « Big Three » : Fitch Ratings, Moody's et Standard & Poor's) ont méthodiquement racheté les acteurs européens de la notation ESG ». Ils ont ainsi pris de l'avance sur l'intégration des données financières et extra- financières, qui constituent désormais un jeu de données unique permettant de procurer une « image fidèle » de la performance d'une entreprise en tenant compte des trois versants de la performance globale (financière, sociale, environnementale) permettant de modéliser les sources de création de valeur des entreprises.

Or, avec le quadruplement des entreprises soumis à la directive CSRD, « l'Union européenne va imposer à ses entreprises de produire des données plus abondantes et plus pertinentes, qui vont nourrir les bases de données des agences américaines, qui pourront les utiliser pour développer l'intelligence de la performance ».

Il faudra prendre en considération le fait que d'ici quelques années, « la valeur ajoutée ne sera plus dans les données, mais dans leur traitement . Ce que les entreprises sont prêtes à payer, c'est moins les données que l'intelligence des données, c'est-à-dire la façon dont les indicateurs interagissent pour expliquer comment la valeur se crée. La question n'est donc plus la normalisation des données, mais leur traitement. Ce dont nous avons besoin, ce n'est pas d'une agence de normalisation, mais bien d'une agence d'évaluation (plutôt que de notation) ».

Cette création offrirait aux entreprises européennes une approche « FESG » (Financière, Environnementale, Sociale et de Gouvernance), c'est-à-dire une approche véritablement holistique, centrée sur le concept de performance globale, qui permettrait de mieux comprendre comment les indicateurs financiers et ESG s'articulent, et les liens de causalité qui favorisent la création de valeur.

Pour sa part, l'Association française des entreprises privées (AFEP) prône un rapprochement des standards , européen et américain, « pour éviter l'accumulation de mesures impératives, multiples et concurrentes qui s'appliqueraient aux entreprises internationales de manière simultanée dans les différentes grandes juridictions auxquelles elles appartiennent. Les travaux de l'EFRAG et du futur International Sustainability Standard Board (ISSB) de l'IFRS Foundation doivent être alignés autant que faire se peut , et une collaboration étroite doit être recherchée pour garantir une position et une influence forte de l'UE dans le développement d'une norme mondiale de reporting ESG » 50 ( * ) .

Elle pointe par ailleurs une autre priorité, la simplicité et la cohérence des différentes démarches européennes qui ont tendance à se chevaucher sans être harmonisées : « Les calendriers, voire les contenus, des textes européens définissant des obligations de transparence ESG (notamment les règlements Taxonomie, Disclosure...) ne sont actuellement pas alignés. Il est indispensable d'assurer la cohérence entre ces textes afin d'éviter des confusions, des doublons et des incohérences qui nuiraient à leur mise en oeuvre et imposeraient des contraintes injustifiées et disproportionnées aux entreprises ».

C'est en effet ce désalignement qui préoccupe les entreprises, à commencer par les PME et ETI.

b) Un faible risque de divergence d'initiatives convergentes

Le risque de divergence entre les trois initiatives ( European Financial Reporting Advisory Group, International Sustainability Standards Board, Securities and Exchange Commission ) serait, pour certains experts, faible .

En effet, « s'il existe quelques différences dans les motivations et l'approche, celles-ci ne sont pas nécessairement irréconciliables . Sans compter qu'il existe des points communs incontestables sur les fondamentaux. La principale divergence structurelle consiste en l'apparente opposition entre approche « investisseurs seulement » et approche « toutes parties prenantes ». La première relève de la matérialité financière, qui se concentrerait sur les seuls risques et opportunités susceptibles d'influer sur la valeur financière de l'entreprise. La seconde relève de la double matérialité, qui engloberait à la fois les risques et opportunités pour l'entreprise, mais aussi les impacts de celle-ci sur son écosystème au sens large. Apparente opposition seulement qui risque de faire long feu, pour au moins deux raisons :

- la première, c'est ignorer que prétendre que tout ce qui importe aux investisseurs sont les risques liés à des facteurs exogènes « ESG » susceptibles d'avoir un effet sur la valorisation et la performance financière de l'entreprise relève de la myopie. Tout risque ou opportunité est si ce n'est causé, au moins influencé par l'empreinte de l'entreprise sur son environnement au sens large. Plus celle-ci est importante, plus son effet « secondaire » (positif ou négatif), sur sa capacité à créer ou préserver de la valeur, sera lui-même important, à court, moyen ou long terme. Au fond, le risque n'est pas fondamentalement éloigné de l'impact. Seul le facteur temps déforme la vision (au risque de rendre aveugle) ;

- d'ailleurs, les investisseurs qui eux-mêmes ne s'y sont pas trompés, réclament de plus en plus bruyamment des informations sur les impacts de l'entreprise sur son écosystème, ayant bien compris que ce n'est qu'une question de temps avant que le boomerang revienne frapper son lanceur... ! Et c'est là la seconde raison : il n'en faudra donc probablement pas beaucoup - de temps ! - avant que les investisseurs ne rappellent à l'ordre le normalisateur égaré qui se dit défenseur des besoins des investisseurs. Une bonne illustration de cette « fausse » opposition réside dans le contenu du standard IFRS S2 sur le climat, qui bien que se revendiquant d'une matérialité financière à l'usage des investisseurs, réclame les mêmes informations - à très peu de choses près - que le projet de standards ESRS E1 de l'EFRAG sur le même sujet du climat, qui lui se revendique d'une double matérialité servant les besoins de toutes les parties prenantes ».

Les points communs eux seraient plus nombreux que les sujets de divergence. Deux sont particulièrement structurants :

- « sur la substance, la priorité est clairement donnée au sujet climatique . S'il peut varier d'une initiative à l'autre - notamment sur les aspects caractère obligatoire des informations de scope 3 ou du recours à l'analyse de scenarii, inclusion permise ou pas des « crédits carbone » et autres compensations d'émissions dans les objectifs de réduction desdites émissions - le contenu des exigences concrètes de publication reste néanmoins largement similaire : émissions de GES scope 1, 2 et 3, inclusion de critères liés au climat dans la rémunération des dirigeants, plan de transition et résilience de l'entreprise...

- en termes d'approche, les trois initiatives ont naturellement fait le choix de capitaliser sur les référentiels et standards existants et communément utilisés par les entreprises les plus matures. Sur le sujet du climat en particulier, cela passe par l'adoption des recommandations et de la structure du référentiel TCFD. S'il est vrai que l'EFRAG aurait pu (dû ?) reprendre la structure en 4 piliers plutôt que de la « tordre » en 3, tous les éléments des piliers sont repris et clairement identifiables dans les standards ESRS. L'effort de réconciliation est peut-être malheureux, mais il est loin d'être insurmontable ou même compliqué ».

De manière générale et au-delà du climat, les trois initiatives ont également pris le parti de prendre en considération les référentiels déjà utilisés par les entreprises 51 ( * ) .

Ainsi il n'y aurait « aucune raison structurelle incontournable rendant une telle convergence techniquement impossible ».

Pour M. Patrice de Cambourg, président de l'Autorité des normes comptables, président de la commission Climat et finance durable de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) : « l'Europe a une claire détermination d'avancer : elle a tendu et elle continue de tendre la main aux autres initiatives (GRI ou la Fondations IFRS) pour essayer de co-construire dans le panorama international » 52 ( * ) .


* 37 Voir la note réalisée par la DG Trésor le 7 décembre 2020 :

https://www.tresor.economie.gouv.fr/Articles/2020/12/07/une-nouvelle-norme-pour-un-nouveau-capitalisme-l-extra-financier-accelerateur-des-entreprises-responsables

* 38 L'IASB ou Bureau international des normes comptables est l'organisme international chargé de l'élaboration des normes comptables internationales.

* 39 Le Financial Accounting Standards Board ou Comité des normes comptables et financières, est une association à but non lucratif , non gouvernementale , dont le but est de développer les principes comptables des États-Unis dans l'intérêt du public. La Securities and Exchange Commission a désigné le FASB comme l'organisme responsable de l'établissement des normes comptables pour les entreprises cotées aux États-Unis.

* 40 « Le capitalisme responsable, une chance pour l'Europe », septembre 2020.

* 41 Autorité bancaire européenne, European Banking Authority .

* 42 European Securities and Markets Authority .

* 43 European Insurance and Occupational Pensions Authority .

* 44 Entité à but non lucratif mais enregistrée dans l'État du Delaware.

* 45 Présentée de façon plus détaillée, voir infra.

* 46 « Information "extra-financière" : reconquérir la souveraineté européenne », Martin Richer, Metis, 7 juin 2021.

* 47 Normalisateur.

* 48 Rapport d'information n°773 du 13 juillet 2022 de la commission des Finances sur les obligations assimilables du Trésor (OAT) vertes, par M. Jérôme Bascher.

* 49 Olivia Grégoire, secrétaire d`État chargée de l'économie sociale.

* 50 Position de l'AFEP sur la proposition de directive sur le reporting des entreprises en matière de durabilité (CSRD), juillet 2021.

* 51 GRI, du SASB ou du UN Global Compact.

* 52 Audition du 17 février 2022.

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