B. LA DIFFUSION DES DONNÉES EXTRA-FINANCIÈRES

1. Pour les acteurs financiers

Le décret n° 2021-663 du 27 mai 2021 pris en application de l'article L. 533-22-1 du code monétaire et financier, lui-même issu de l'article 29 de la loi énergie-climat 53 ( * ) , encadre le reporting extra-financier des acteurs de marché. Il définit les informations à publier par les sociétés de gestion de portefeuille à destination de leurs souscripteurs et du public. Ce document doit retracer leur prise en compte, dans leur stratégie d'investissement, des critères environnementaux, sociaux et de qualité de gouvernance en particulier en matière climatique et de biodiversité, et sur les moyens mis en oeuvre pour contribuer à la transition énergétique et écologique.

Selon la DG Trésor, il « vise à positionner la Place de Paris sur des sujets clefs pour l'alignement des flux de capitaux sur une trajectoire bas-carbone, ainsi que le demande l'accord de Paris - en articulation avec le droit européen et en appliquant les recommandations de la Task Force on Climate-Related Financial Disclosure 54 ( * ) » .

Les premiers rapports ont été publiés sur une plateforme dédiée, Climate Transparency Hub , après avoir été transmis à l'Autorité des marchés financiers et à l'ADEME, laquelle réalise une étude comparative permettant d'améliorer le reporting .

L'une des premières études, publiée le 1 er juin 2022 55 ( * ) , souligne les difficultés qu'ont les investisseurs financiers de récupérer les données du scope d'émission 3 ( émissions indirectes de gaz à effet de serre) « ainsi que les données des entreprises non cotées ou des institutions publiques supranationales ». Si les méthodes d'évaluation des parcs immobiliers sont bien acquises, la collecte des données de la consommation énergétique des bâtiments reste très compliquée. Par ailleurs, une baisse de l'empreinte carbone peut s'expliquer par des effets purement financiers, comme la hausse de la valorisation ou du chiffre d'affaires diminuant mécaniquement l'empreinte carbone. Les stratégies d'alignement sur des trajectoires bas carbone font l'objet d'une « information sur la donnée (scope, couverture, source) peu détaillée et des scénarios rarement expliqués ». Peu d'acteurs financiers communiquent sur le choix des « instruments verts », qui contribuent à la transition climatique.

S'agissant de l'analyse du risque climatique, une autre synthèse de l'ADEME 56 ( * ) du 1 er juin 2022, indique que ce dernier « n'est pas encore répercuté dans le business model ou le prix de l'offre » des émetteurs. Les impacts financiers des risques physiques sont « rarement évalués » et le degré de couverture « peu précisé ». Si les scénarios des risques de transition sont souvent alignés avec l'Accord de Paris, ils sont peu expliqués.

Il existe donc des marges de progrès importantes en matière de reporting climatique des institutions financières françaises.

2. Pour les entreprises

Le marché des informations en matière de durabilité se développe rapidement et les nouvelles obligations imposées aux investisseurs et aux gestionnaires d'actifs renforcent le rôle des fournisseurs de données.

Afin d'accoutumer les entreprises à les publier, l'État a lancé le 27 mai 2021 la plateforme impact.gouv.fr, qui permet aux entreprises de publier les données de leur performance environnementale, sociale et de gouvernance (ESG). « Co-conçue avec une centaine d'entreprises engagées, la plateforme Impact pose les bases opérationnelles d'un capitalisme plus responsable » a indiqué, lors de son lancement, Mme Olivia Grégoire, alors secrétaire d'État chargée de l'Économie sociale, solidaire et responsable.

Elle anticipe la réglementation européenne des années à venir, en offrant aux entreprises volontaires, de toutes tailles, de partager leur savoir-faire et de faire savoir leurs actions en termes d'ESG. Les entreprises pourront remplir tout ou partie des 47 indicateurs écologiques, sociaux ou de gouvernance , qui donnent un premier aperçu des efforts engagés pour leur transition vers des modèles plus responsables et ont été conçus en anticipation des standards de la future directive CSRD.

Elle réunit 979 entreprises, dont 311 ont fait le choix de publier des données au moins partiellement, et a été visionnée par 83 000 visiteurs entre janvier et septembre 2022. La fréquentation oscille entre environ 4 000 et 19 000 utilisateurs, avec un pic en mars 2022 ; en septembre 2022, le site a reçu plus de 5 500 visiteurs.

Impact.gouv.fr permettra à terme de disposer d'un outil d'analyse et de prospective pour accompagner les entreprises françaises dans leurs transitions et constituera le socle d'une doctrine française de la performance extra-financière.

La diffusion de la data extra-financière est en effet un enjeu, pointé par un collectif 57 ( * ) qui appelle à un immense effort « pour mesurer ces impacts et disposer dans ces domaines de données fiables, intelligibles, comparables. Face aux défis environnementaux et sociaux, face à l'urgence climatique, la data est un levier majeur et indispensable pour mesurer et modéliser l'impact extra-financier d'un projet et ainsi prendre des décisions éclairées quant à sa mise en oeuvre. Une approche industrielle fondée sur la donnée est un ingrédient essentiel non seulement à la mise à l'échelle du développement durable, mais également à l'efficacité et à la crédibilité de nos actions ». Il préconise une estimation systématique et en amont, de l'impact extra financier d'un projet, y compris numérique. Une approche méthodique et la plus scientifique possible est nécessaire, appliquant si besoin divers scénarios. Tout au long du cycle de vie du projet, les calculs devraient être réactualisés. La data est ainsi la pierre angulaire d'une généralisation de prises de décisions réfléchies et éclairées .

Cette donnée devra échapper aux fournisseurs de données qui sont actuellement en situation d'oligopole et sont à hauteur de 80 %rattachés à des groupes anglo-saxons , souvent cotés en bourse.

Cette situation a été évoquée lors d'une conférence de l'Association française de la gestion financière (AFG) le 7 octobre 2021 à l'occasion de l'Invest Week Paris . Selon l'un des responsables 58 ( * ) de l'Autorité des marchés financiers : « Nous sommes conscients du caractère presque monopolistique de ces prestataires . On constate aussi parfois les contradictions assez importantes qu'il peut y avoir. Par exemple, quand le réglement SFDR demande de communiquer des métriques sur les données extra financières des portefeuilles, on sait très bien que derrière, le prestataire de données va vous dire que vous avez communiqué une métrique qui est liée à une donnée qu'il vous a fournie et que donc, ce n'est plus le même tarif. La publication obligatoire de métriques extra-financières pour des produits durables va nécessairement impliquer un renchérissement du coût des fournisseurs de données en 2022, c'est certain ».

Le rapporteur du projet de directive 59 ( * ) a ainsi averti que : « le coût des informations en matière de durabilité devrait être plus raisonnable, au vu de la disponibilité accrue de données ventilées » mais que s'il ressortait « du réexamen de la présente directive que les pratiques des fournisseurs de données demeurent fragmentées, il conviendra d'introduire des règles visant à harmoniser davantage ces pratiques et à améliorer leur fiabilité ».

C'est la raison pour laquelle l'AMF et l'autorité néerlandaise des marchés financiers ( Autoriteit Financiële Markten, AFM ), appellent à un encadrement européen des fournisseurs de données et services ESG. Pour l'AMF, la gouvernance de cet outil, qui doit faciliter l'accès des investisseurs aux données publiées, pourrait être confiée à l'ESMA.

Un point d'accès européen unique pour les données financières
et extra-financières des sociétés cotées

L'information est une ressource importante pour le bon fonctionnement des marchés financiers. Faciliter son accès à moindre coût pour l'ensemble des investisseurs, qu'ils soient professionnels ou particuliers, pour les chercheurs, les universitaires ou tout autre utilisateur, est donc essentiel. Dans un papier de position préparé à l'occasion de la consultation publique de la Commission européenne sur ce projet, l'AMF revient sur les principaux bénéfices susceptibles de découler de la création d'un point d'accès unique à l'information règlementée à l'échelle de l'Union européenne (European Single Acces Point ou ESAP en anglais). Celui-ci pourrait offrir une meilleure visibilité pour les sociétés cotées concernées. Il pourrait également devenir un outil précieux au service de la stratégie de l'Europe en matière de finance durable en permettant aux investisseurs d'accéder en un point unique à l'ensemble des données financières et extra-financières découlant des obligations réglementaires s'imposant aujourd'hui aux sociétés cotées.

Pour l'AMF, le succès de cette initiative repose sur plusieurs points parmi lesquels :

• une mise en oeuvre par étape s'agissant du périmètre des informations couvertes, en commençant par celles requises par la directive Transparence (les rapports financiers annuels), le règlement Prospectus, la directive sur le reporting extra-financier (les déclarations de performance extra-financière), et l'article 8 du règlement Taxonomie ;

• un règlement ESAP qui n'introduit pas lui-même de nouvelle exigence en termes d'obligations d'information et de formats ;

• des contenus directement exploitables par l'ordinateur (machine readable format) ;

• un périmètre couvrant en priorité les sociétés cotées sur les marchés réglementés et les marchés de croissance des PME ;

• un contrôle systématique de la qualité de la donnée lors de son intégration dans la base ;

• une gouvernance robuste et transparente, qui pourrait être confiée à l'ESMA ;

• un modèle économique viable permettant, dans l'idéal, un accès gratuit pour les investisseurs.

Source : communiqué de presse de l'AMF, 22 mars 2021

La diffusion de la RSE dans les entreprises doit être accompagnée d'une transparence accrue des méthodes des agences de notation.

Un rapport de l'AMF de décembre 2020 60 ( * ) pointe ainsi « la nécessité pour les agences de notation de garantir des processus de notation rigoureux et transparents. Or, à cet égard, le niveau de transparence est à l'heure actuelle et en règle générale trop faible et lacunaire pour permettre aux investisseurs de comprendre la signification des notations, leur portée et leurs limites ».

Il est en effet paradoxal que les entreprises doivent fournir une information de plus en plus normalisée en matière d'ESG à des acteurs qui ne font l'objet d'aucune certification publique , hormis le standard ARISTA qui constitue une norme de qualité volontaire 61 ( * ) , alors que des études académiques « s'accordent sur l'absence de convergence des notations extra-financières et les besoins d'une plus grande transparence sur les méthodes ».

Encore faut-il que la diffusion de cette information extra-financière soit homogène et normalisée.


* 53 L'article 29 de la loi n°2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat remplace l'article L. 533-22-1 du code monétaire et financier et donc l'article 173-VI de la loi n°2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte (LTECV).

* 54 Pour le « Groupe de travail sur la publication d'informations financières relatives au climat ». Créée en décembre 2015 par le Conseil de stabilité financière du G20 et présidée par M. Michael Bloomberg , fondateur de la société d'information financières éponyme, il définit des recommandations concernant la publication, à destination des investisseurs, d'informations par les entreprises sur leur gouvernance et leurs actions pour réduire leurs risques liés au changement climatique . Les recommandations en matière de publication d'informations sont structurées autour de quatre thèmes : la gouvernance , la stratégie , la gestion des risques , les indicateurs-clés et objectifs.

* 55 « Étude sur l'état des pratiques - informations et données - de reporting climat (2019) », ADEME.

* 56 Étude ADEME susmentionnée.

* 57 « Pas de développement durable sans mesure d'impact ! », par Rim Tehraoui, chief data officer du groupe BNP Paribas, Côme Perpere, directeur du développement durable de Microsoft France et Romain Mouton, président du Cercle de Giverny. Le tribune est cosignée par les membres du groupe de travail « Le rôle de la data dans l'industrialisation du développement durable » du Cercle de Giverny, La Tribune, 2 septembre 2022.

* 58 Bastien Rosspopoff, de la division supervision transversale à l'AMF.

* 59 Pascal Durand, rapport du 22 mars 2022 A9-0059/2022 sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant les directives 2013/34/UE, 2004/109/CE et 2006/43/CE ainsi que le règlement (UE) n° 537/2014 en ce qui concerne la publication d'informations en matière de durabilité par les entreprises.

* 60 « La fourniture de données extra-financières : cartographie des acteurs, produits et services ».

* 61 Le standard ARISTA (ex CSRR-QS) est une norme de qualité volontaire européenne créé en 2002 par l'Association for Independent Corporate Sustainability and Responsibility Research (AI CSRR) en concertation avec l'ensemble des parties prenantes (fournisseurs de données, émetteurs, investisseurs) et avec le soutien de la Commission européenne.

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