AVANT-PROPOS

Dans le cadre de ses travaux de contrôle et d'évaluation des politiques publiques, la commission des lois a décidé, en février l'année 2022, de s'intéresser au fonctionnement des services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP) . Elle a nommé Marie Mercier et Laurence Harribey rapporteurs de cette mission d'information.

La commission a souhaité apporter un éclairage sur l'activité de ces services, qui demeurent méconnus alors qu'ils jouent un rôle essentiel dans la chaîne pénale : ils veillent à la bonne exécution des peines, travaillent à prévenir la récidive et contribuent à la réinsertion des personnes placées sous main de justice (PPSMJ) 1 ( * ) . Peu de travaux parlementaires leur ont été spécifiquement consacrés, même s'ils sont évoqués dans le rapport publié, l'an dernier, par la commission d'enquête de l'Assemblée nationale visant à identifier les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française 2 ( * ) .

Les SPIP sont souvent stigmatisés quand une personne soumise à un régime probatoire récidive : le service et ses agents se voient reprocher de ne pas avoir convenablement suivi la personne prise en charge, d'avoir péché par naïveté ou d'avoir mal anticipé les risques encourus, à la suite d'une libération conditionnelle par exemple. Les professionnels vivent mal ces critiques, qui font peu de cas de la difficulté de leur métier et qui ne tiennent pas compte de la part d'incertitude qui entoure nécessairement le comportement futur d'une PPSMJ, quelle que soit la qualité du contrôle et de l'accompagnement dont elle bénéficie.

Dans ce contexte, il est important d'évaluer le travail des SPIP de manière plus objective et dépassionnée. Au cours de leurs travaux, les rapporteurs ont rencontré des professionnels motivés, qui mettent tout en oeuvre pour réinsérer des personnes dont le parcours a souvent été chaotique, et qui interviennent après que les autres services publics ont échoué.

Depuis 2014, les SPIP ont bénéficié d'un renforcement significatif de leurs moyens humains et budgétaires, qui justifiait aussi de réaliser un bilan d'étape pour apprécier la manière dont ces moyens supplémentaires ont été utilisés, leur impact sur le terrain et les évolutions futures à envisager.

Les SPIP ont été créés en 1999, à partir de la fusion des anciens comités de probation et d'assistance aux libérés (CPAL) et des services socio-éducatifs qui intervenaient jusqu'alors en établissement pénitentiaire auprès des personnes détenues. La création des SPIP a ainsi permis de mettre fin au cloisonnement administratif qui existait auparavant, avec des services dédiés au milieu fermé et d'autres en charge du milieu ouvert. Cette nouvelle organisation a été voulue pour améliorer la continuité de la prise en charge entre milieu ouvert et milieu fermé.

On dénombre aujourd'hui 104 SPIP, en métropole et en outre-mer, les services étant organisés à l'échelle du département ou de la collectivité d'outre-mer. Le directeur du SPIP est placé sous l'autorité du directeur interrégional des services pénitentiaires (DISP) et dépend, au niveau central, de la direction de l'administration pénitentiaire (DAP), plus particulièrement de la sous-direction en charge de l'insertion et de la probation. Au sein de chaque département, en plus du siège départemental, le SPIP peut compter des antennes, dédiées à un ou plusieurs établissements pénitentiaires, au milieu ouvert ou à compétence mixte. La structuration des services a beaucoup progressé depuis une vingtaine d'années, la création, en 2005, du corps des directeurs pénitentiaires d'insertion et de probation (DPIP) marquant une étape importante dans ce processus.

Les SPIP assument des missions variées : ils jouent d'abord un rôle d'aide à la décision auprès des magistrats en leur apportant des informations sur la PPSMJ, au stade pré-sentenciel (réalisation d'enquêtes sociales) ou post-sentenciel (par exemple par la rédaction de rapports pour les commissions d'application des peines) ; ils sont également chargés de contrôler le respect par la PPSMJ de ses obligations, par exemple dans le cadre d'un contrôle judiciaire ou d'un sursis probatoire ; enfin, ils travaillent à prévenir la récidive et à favoriser la réinsertion de la PPSMJ, ce qui suppose une approche pluridisciplinaire et l'animation d'un dense réseau de partenaires.

De fait, les SPIP coexistent avec un puissant secteur associatif et ils ont noué des partenariats avec différentes institutions, dans le champ de l'insertion et de l'emploi, qui leur apportent les compétences complémentaires dont ils ont besoin pour mener à bien leur mission de réinsertion.

Pour mener cette étude, les rapporteurs ont entendu 49 personnes d'horizons variés : représentants des organisations professionnelles, magistrats, avocats, visiteurs de prison, universitaires, représentants des institutions partenaires... Elles ont également effectué un déplacement à la prison des Baumettes, à Marseille, pour mieux appréhender la diversité des tâches accomplies par le SPIP dans un grand établissement pénitentiaire. Elles remercient les personnes entendues pour le temps qu'elles leur ont consacré, pour les informations qu'elles leur ont apportées, ainsi que pour la qualité des réflexions échangées.

Sans occulter les insuffisances qui persistent, le présent rapport dresse un premier bilan positif des transformations engagées et esquisse des pistes d'évolution pour conforter et amplifier les progrès réalisés , afin de surmonter les difficultés que rencontrent encore les professionnels sur le terrain.

I. UNE HAUSSE SENSIBLE DES MOYENS QUI S'EST ACCOMPAGNÉE D'UN TOURNANT DANS LES PRATIQUES PROFESSIONNELLES

Quelques chiffres méritent d'être rappelés pour illustrer l'effort réalisé par l'État concernant les moyens alloués aux SPIP, qui s'est conjugué à une évolution des pratiques professionnelles.

A. UN EFFORT DE RECRUTEMENT QUI A SURTOUT CONCERNÉ
LES CONSEILLERS PÉNITENTIAIRES D'INSERTION ET DE PROBATION

1. Une hausse des effectifs considérable

Les effectifs des SPIP ont connu une hausse significative depuis une dizaine d'années. Cette augmentation a eu pour point de départ l'engagement pris, le 9 octobre 2013, par le Premier ministre Jean-Marc Ayrault de créer 1 000 postes sur trois ans, qui s'est effectivement traduit par la création de ces postes dans la loi de finances pour 2014 3 ( * ) .

Dans son rapport pour avis sur le projet de loi de finances pour 2015, le sénateur Jean-René Lecerf prenait acte « de la promesse tenue du Gouvernement de renforcer les services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP) de milieu ouvert avec la création de 1000 emplois en 2014 dont 650 postes de conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation » 4 ( * ) . Il regrettait, toutefois, le caractère encore insuffisant de cette augmentation au regard de la charge de travail des SPIP. Cette hausse des moyens s'est inscrite dans un contexte marqué par un renforcement de l'ensemble des moyens du ministère de la justice, destiné notamment à lutter plus efficacement contre le terrorisme et la radicalisation.

La seconde augmentation significative des moyens humains des SPIP a été consécutive à la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice (LPJ). Ambitionnant de redonner du sens à la peine, les concepteurs de la LPJ ont jugé indispensable de renforcer les moyens des SPIP afin de permettre un meilleur accompagnement des PPSMJ. À partir de 2020, l'accroissement des moyens est également venu conforter la démarche voulue par le gouvernement de Jean Castex de construction d'une « justice de proximité ».

Au total, la LPJ a prévu la création de 1 500 emplois supplémentaires répartis comme suit :

Personnels en SPIP

2018

2019

2020

2021

2022

DPIP dont référent ANTIGIP

15

40

40

40

40

Psychologue

5

10

5

5

5

CPIP dont référent ANTIGIP

100

190

200

200

180

Assistant(e) de Service Social-ASS

13

45

35

23

19

Coordonnatrice et coordonnateur culturel

-

20

20

-

-

Personnel administratif

17

35

50

12

-

Personnel de surveillance

-

30

50

20

6

Sous-total renforcement des SPIP

150

400

400

300

250

Source : direction de l'administration pénitentiaire.

Ainsi, pris dans leur globalité, les effectifs des SPIP ont connu une augmentation de 21 % depuis 2018, passant de 5 576 équivalents temps plein travaillé (ETPT) en 2018 à 6 736 en 2022. Comme le souligne la direction de l'administration pénitentiaire, si cette hausse a bénéficié à l'ensemble des corps affectés dans les SPIP, elle a principalement concerné le corps des conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation (CPIP) , qui est le plus nombreux, et les agents non titulaires. Le nombre de CPIP est ainsi passé de 3 102 ETP en 2018 à 3 702 en 2022. Celui des « non-titulaires social, médico-social et culture » a crû de 406 à 540 ETP sur la même période. L'accent mis sur le recrutement des CPIP est logique au regard de leur rôle central dans le fonctionnement des services.

Les missions des conseillers pénitentiaires
d'insertion et de probation

Les conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation (CPIP) interviennent en prison auprès des personnes détenues, et en milieu ouvert auprès des personnes soumises à une mesure restrictive de liberté (contrôle judiciaire, surveillance électronique, libération conditionnelle...).

Ils aident à la décision judiciaire, participent à l'individualisation des peines et à leur exécution. Ils proposent des mesures d'aménagement de peine au magistrat compétent et veillent au respect des obligations (travail, soins, indemnisation des victimes...) prononcées par l'autorité judiciaire.

Ils travaillent sous l'autorité directe d'un directeur pénitentiaire d'insertion et de probation (DPIP).

Cette hausse des effectifs s'est accompagnée de l'élaboration d' organigrammes de références . Issue d'une démarche débutée en 2018, l'élaboration de ces organigrammes a eu pour objectif de déterminer finement les besoins en effectifs dans les sept filières que comptent les SPIP (directeur pénitentiaire d'insertion et de probation, CPIP, personnels administratifs, assistant de service social, psychologue, coordinateur d'activité et personnels de surveillance). Ils permettent ainsi « d'optimiser le suivi de l'arrivée des renforts et de donner plus de lisibilité et de visibilité aux services gestionnaires des ressources humaines » 5 ( * ) .

En moins de dix ans, les SPIP ont donc véritablement changé de dimension , passant d'à peine plus de 4 000 agents en 2013 à plus de 6 000 dix ans plus tard. L'augmentation des effectifs s'est accompagnée d'une forte hausse des moyens de fonctionnement consacrés aux actions de réinsertion, passés de 69 millions d'euros en 2016 à 122,6 millions d'euros dans le projet de budget pour 2023, soit une hausse de 77 % en sept ans.

Il serait cependant inexact d'en déduire que les SPIP sont aujourd'hui confortablement dotés en personnel : cet effort doit s'analyser, pour partie, comme un rattrapage après une longue période pendant laquelle les moyens des SPIP ont été négligés.

2. Une revalorisation statutaire

La hausse des effectifs s'est accompagnée d'une revalorisation statutaire des CPIP, destinée à améliorer l'attractivité du métier et à mieux reconnaître la qualification des agents. Cette revalorisation s'est principalement traduite par le passage du corps des CPIP de la catégorie B à la catégorie A de la fonction publique, en application de l'article 1 er du décret du 30 janvier 2019 6 ( * ) .

En outre, la création, en 2021, du RIFSEEP 7 ( * ) , qui a remplacé la majorité des anciennes primes, a entraîné, selon les chiffres de la direction de l'administration pénitentiaire (DAP), une revalorisation indemnitaire de 953 euros bruts annuels pour les CPIP de classe normale 8 ( * ) et de 1029 euros pour les CPIP de classe exceptionnelle. Entendu par la commission des lois du Sénat dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2023, le garde des sceaux a souligné que l'effort de revalorisation se poursuivait, rappelant que les CPIP ont « bénéficié du passage en catégorie A et d'une revalorisation indemnitaire de 220 euros par mois en 2022 » 9 ( * ) .

Cette revalorisation statutaire a certainement contribué à réduire le taux d'attrition 10 ( * ) des personnels d'insertion et de probation , passé de 3 % en 2019 à 1,9 % en 2021.


* 1 Les PPSMJ sont les personnes qui font l'objet d'une mesure restrictive ou privative de liberté, soit dans un cadre pré-sentenciel (détention provisoire, contrôle judiciaire), soit après avoir été condamnées (peine de prison ou peine effectuée en milieu ouvert).

* 2 Rapport n° 4906 « Au-delà des hommes et des murs : la prison, une composante à part entière de la Nation », fait par Caroline Abadie au nom de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale visant à identifier les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française.

* 3 Loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013 de finances pour 2014.

* 4 Rapport n° 114 (2014-2015) de Jean-René Lecerf, rapporteur pour avis de la commission des lois sur les crédits du programme « administration pénitentiaire » au sein de la mission « justice » du projet de loi de finances pour 2015, page 5.

* 5 Ibidem .

* 6 Décret n° 2019-50 du 30 janvier 2019 portant statut particulier du corps des conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation.

* 7 RIFSEEP : régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l'expertise et de l'engagement professionnel

* 8 Les deux classes du grade de CPIP normal ont été fusionnées au 1 er janvier 2021 à la suite de la modification de l'article 2 du décret de 2019 précité.

* 9 Cf. le compte rendu de l'audition du garde des Sceaux le 8 novembre 2022, annexé au rapport n° 121 (2022-2023) d'Alain Marc, rapporteur pour la commission des lois sur les crédits du programme « administration pénitentiaire » au sein de la mission « justice » du projet de loi de finances pour 2023 (page 39).

* 10 Le taux d'attrition permet de mesurer le nombre de départs rapporté à l'effectif.

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