N° 354

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 15 février 2023

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur le financement du risque de retrait gonflement des argiles et de ses conséquences sur le bâti ,

Par Mme Christine LAVARDE,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal , président ; M. Jean-François Husson , rapporteur général ; MM. Éric Bocquet, Daniel Breuiller, Emmanuel Capus, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Charles Guené, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Jean-Claude Requier, Mme Sylvie Vermeillet , vice-présidents ; MM. Jérôme Bascher, Rémi Féraud, Marc Laménie, Stéphane Sautarel , secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Arnaud Bazin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Mme Isabelle Briquet, MM. Michel Canévet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Cozic, Vincent Delahaye, Philippe Dominati, Mme Frédérique Espagnac, MM. Éric Jeansannetas, Patrice Joly, Roger Karoutchi, Christian Klinger, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Thierry Meignen, Sébastien Meurant, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Paul Toussaint Parigi, Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Pascal Savoldelli, Vincent Segouin, Jean Pierre Vogel .

L'ESSENTIEL

La commission des finances a examiné, le mercredi 15 février 2023, le rapport de Mme Christine Lavarde, rapporteur spécial de la mission « Écologie, développement et mobilité durables », à la suite de son contrôle budgétaire sur le financement du risque RGA.

I. LE RÉGIME CATNAT FACE AU RISQUE SÉCHERESSE : UN COLOSSE AUX PIEDS D'ARGILE

A. LE RISQUE « RETRAIT-GONFLEMENT DES ARGILES » TOUCHE PLUS DE LA MOITIÉ DES LOGEMENTS INDIVIDUELS EN FRANCE

Le risque « retrait-gonflement des argiles » (RGA) désigne les dommages causés aux constructions par le phénomène naturel de rétractation des sols argileux, en période de sécheresse, suivi par le gonflement de ces sols lorsque la pluie revient. Le phénomène touche essentiellement les maisons individuelles, et il est très répandu en France : on estime que 48 % du territoire national connaît une exposition moyenne ou forte au RGA. À l'échelle nationale, 10,4 millions de maisons individuelles connaissent un risque RGA fort ou moyen, ce qui représente 54,2 % de l'habitat individuel .

Le risque RGA est intégré au régime des catastrophes naturelles (CatNat) depuis 1989 : les sociétés d'assurances privées se réassurent auprès de la caisse centrale de réassurance (CCR), qui bénéficie d'une garantie intégrale de l'Etat. Jusqu'à présent, le risque RGA n'a jamais conduit à remettre en cause l'équilibre financier du régime CatNat. Cependant, seules 50 % des communes parviennent à obtenir une reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle , et 50 % seulement des dossiers déposés dans ces communes bénéficient d'une indemnisation

B. LE CHANGEMENT CLIMATIQUE MENACE SÉRIEUSEMENT L'ÉQUILIBRE DU RÉGIME CATNAT

La progression de l'exposition au RGA est observable sur la période récente : la charge annuelle liée au risque RGA a atteint plus de 1 milliard d'euros en moyenne entre 2017 et 2020, contre 445 millions d'euros depuis 1982. Le coût de la sécheresse de 2022 est estimé entre 2,4 et 2,9 milliards d'euros.

Or, d'après une étude du Bureau de Recherches Géologiques et Minières (BRGM) de 2018, une sécheresse comparable à celle de 2003 devrait survenir une année sur trois entre 2020 et 2050, une année sur deux entre 2050 et 2080. Il est estimé que le coût cumulé de la sinistralité sécheresse entre 2020 et 2050 , représenterait un coût de 43 milliards d'euros, soit un triplement par rapport aux trois décennies précédentes . Le régime CatNat ne serait ainsi plus en mesure de dégager assez de réserves pour couvrir les sinistres à l'horizon 2040 .

du territoire exposé au risque RGA

de maisons
exposées

par an pour le risque RGA depuis 2017

de sinistres RGA
pour le seul été 2022

II. SI AUCUN DES SCÉNARIOS DE RÉFORME DE L'INDEMNISATION DU RISQUE RGA N'APPARAÎT PLEINEMENT SATISFAISANT, L'ORDONNANCE DU 8 FÉVRIER 2023 NE RÉSOUT PAS LE CoeUR DU PROBLÈME

A. PARMI LES SCÉNARIOS DE RÉFORME DE L'INDEMNISATION ENVISAGÉS AUJOURD'HUI, AUCUN NE S'AVÈRE PLEINEMENT SATISFAISANT

Une chose est sûre : la sortie du risque RGA du régime CatNat serait inopportune et même inopérante à court terme . Dans les conditions actuelles, le risque RGA ne pourrait être couvert par le secteur assurantiel privé de droit commun. Compte-tenu du niveau des primes, beaucoup de particuliers ne pourraient plus s'assurer et, au dire de tous les experts, le risque n'apparaît pas réassurable. La création d'un régime spécifique 100 % public qui reposerait sur les seuls contribuables pèserait très lourd sur les finances publiques et son opérationnalité serait incertaine du fait des capacités limitées de l'administration à se substituer aux assureurs.

Si cette hypothèse est irréaliste à court terme, il n'est en revanche pas exclu que dans un horizon d'une dizaine d'années les conditions d'assurabilité du risque RGA par le secteur privé puissent être réinterrogées . Dans ces conditions, il pourrait alors être envisageable de sortir ce risque du régime CatNat.

Une hypothèse de réforme envisagée au sein même du régime CatNat est celle d'une forme de « révolution copernicienne » de la prise en charge du risque RGA. Il s'agirait de ne plus partir de l'exceptionnalité des causes à l'origine des sinistres mais de prendre le problème à rebours en s'intéressant à l'exceptionnalité des dommages constatés sur le bâti. L'arrêté de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle deviendrait alors superflu. Cette option impliquerait de confier intégralement la gestion du régime aux assureurs . Or, l'instruction des dossiers par les experts mandatés par les assurances suscite d'ores et déjà un sentiment d'insatisfaction du fait de la part significative (plus de 50 %) de dossiers classés sans suite.

Missionnée pour estimer le coût d'une telle réforme, la Caisse centrale de réassurance (CCR) a conclu que sauf à établir des contraintes drastiques qui limiteraient considérablement le nombre de sinistrés éligibles ainsi que les montants d'indemnisations, une telle réforme aurait un coût « propre à porter atteinte à la pérennité du régime CatNat à très court terme » . Selon les scénarios, le surcoût annuel d'une réforme de ce type pourrait dépasser les 850 millions d'euros , impliquant d'augmenter d'au moins 12 points le niveau de la surprime prélevée sur les contrats d'assurance servant à financer le régime.

Une autre option de réforme consisterait à améliorer les critères de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle pour le risque RGA tout en créant, en parallèle, un fonds public ad hoc pour indemniser certains des sinistres non pris en charge dans le cadre du régime CatNat. La création d'un tel fonds, qui devrait éviter les écueils de ses prédécesseurs qui ont été des échecs, nécessiterait cependant de dégager de plusieurs dizaines à plusieurs centaines de millions d'argent public par an selon le périmètre d'indemnisation qui serait défini.

B. ALORS QU'ELLE NE RÉPOND QUE TRÈS IMPARFAITEMENT AUX ENJEUX SOULEVÉS, L'ORDONNANCE POURRAIT REMETTRE EN CAUSE LA LOGIQUE ASSURANTIELLE DU RÉGIME

En application de l'article 161 de la loi « 3DS » , une ordonnance a été présentée en Conseil des ministres le 8 février 2023. L'ordonnance ne change pas la logique de la prise en charge du RGA. Sans que ce soit prévu au niveau législatif dans l'ordonnance en elle-même, le Gouvernement a pris l'engagement de modifier les critères de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle pour le risque RGA par voie réglementaire : simplification du critère météorologique, éligibilité automatique d'une commune limitrophe d'une commune reconnue en état de catastrophe naturelle ou encore reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle en raison d'une succession de sécheresses d'ampleur moyenne. L'ordonnance prévoit aussi d'encadrer l'activité des experts d'assurance, à travers notamment une certaine homogénéisation des rapports d'expertise et un dispositif de sanctions.

Le rapporteur considère que non seulement l'ordonnance n'est pas de nature à résoudre les insuffisances de la prise en charge du risque RGA mais également que certaines de ses dispositions pourraient remettre en cause la nature assurantielle du régime .

L'ordonnance entend ainsi réserver les indemnisations aux sinistres les plus graves . Cette disposition pose une série de difficultés qui inquiètent le rapporteur : fragilité juridique, remise en cause de la nature assurantielle du régime pour les sinistrés qui ne seront plus éligibles à indemnisation à raison de la nature des dommages sur leur bâti ou encore risque que certains « petits » dommages qualifiés « d'esthétiques » dégénèrent en des sinistres beaucoup plus significatifs et coûteux pour le régime.

Une autre disposition prévue par l'ordonnance pose problème : l'obligation d'utiliser le montant de l'indemnisation pour réparer les dommages sur le bâti. Le rapporteur considère qu'une telle disposition est inéquitable dans la mesure où, parfois, la décision de démolir une habitation sinistrée pour reconstruire ailleurs est plus pertinente que d'engager de lourds travaux de réparation.

Enfin, le rapporteur note que l'ordonnance ne règle en rien l'enjeu du financement à moyen - long terme de la prise en charge du risque RGA. La CCR aurait chiffré le coût annuel prévisionnel des dispositions de l'ordonnance pour le régime à 200 millions d'euros . À ce montant annuel, il conviendra d'ajouter le coût ponctuel de l'application rétroactive des dispositions sur le stock des sinistres. Le rapporteur note que, sans même tenir compte des incidences financières de cette ordonnance, la CCR a évalué à 420 millions d'euros le déficit annuel prévisionnel du régime CatNat en 2050 .

III. IL EST NÉCESSAIRE DE METTRE EN PLACE UNE VÉRITABLE POLITIQUE DE PRÉVENTION SUR LE BÂTI EXISTANT

A. LES EXPÉRIMENTATIONS SUR LES TECHNIQUES HORIZONTALES DOIVENT ÊTRE RENFORCÉES ET INTÉGRÉES DANS UNE STRATÉGIE GLOBALE DE PRÉVENTION

Alors que des normes ont été mises en place par la loi Elan du 23 novembre 2018 concernant les constructions nouvelles, les mesures portant sur le bâti existant exposé demeurent le véritable « angle mort » de la politique de prévention et d'indemnisation du risque RGA. Plusieurs techniques de prévention existent , dont les coûts varient fortement, mais beaucoup d'entre elles n'ont pas encore entièrement prouvé leur efficacité, faute d'avoir été déployées à une échelle suffisamment large , et d'avoir fait l'objet d'un véritable suivi sur une période longue.

En particulier, les mesures de prévention dites « horizontales », qui consistent à agir sur l'environnement du bâti, sont moins invasives et bien moins coûteuses que les mesures de reprises de fondation : elles coûtent en moyenne 10 000 euros, contre 21 000 à 76 000 euros pour les techniques portant sur la structure du bâtiment . Les mesures horizontales consistent par exemple à installer des écrans anti-racinaires ou des systèmes de drainage. Cependant, les mesures horizontales doivent encore faire l'objet d'évaluations, afin de confirmer leur efficacité, avant de pouvoir véritablement les généraliser .

Des expérimentations sont aujourd'hui menées par divers organismes publics, mais il n'y a pas de véritable stratégie globale de développement et de financement des techniques de prévention du RGA. Les expérimentations doivent être renforcées, et la mise en place d'une telle stratégie est indispensable pour assurer l'équilibre financier du régime CatNat, et pour protéger le patrimoine de nos territoires .

B. LE FONDS BARNIER DOIT ÊTRE MOBILISÉ POUR FINANCER LES EXPÉRIMENTATIONS LES PLUS ABOUTIES, EN VUE DE PRÉPARER LEUR GÉNÉRALISATION

À l'heure actuelle, le RGA ne fait pas l'objet de financement dans le cadre du fonds de prévention des risques naturels majeurs (FPRNM - fonds Barnier). Pourtant, les mesures de prévention verticales ont une efficacité avérée, et si des études complémentaires doivent être menées sur les mesures de prévention horizontales, plusieurs d'entre elles sont déjà bien connues et déjà pratiquées par les entreprises du BTP. Le rapport bénéfice/ risque de faire financer des expérimentations et évaluations de mesures horizontales courantes semble donc positif .

Le fonds Barnier pourrait donc être utilisé pour confirmer l'efficacité des mesures horizontales les plus communément pratiquées, tandis que les mesures plus expérimentales , comme l'hydratation des sols et certaines techniques de drainage, pourraient quant à elles être financées via le 4 ème programme d'investissements d'avenir .

Il est proposé de cibler en priorité des communes volontaires, pour lesquelles l'état de catastrophe naturelle a été demandé mais non reconnu . Se focaliser sur les communes qui ont fait une demande de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle permettra donc à la fois de tester la viabilité de certaines techniques , autant d'un point de vue préventif que curatif, et d'apporter un premier remède à des logements qui ne peuvent pas bénéficier de l'indemnisation dans le cadre du régime CatNat.

Les recommandations du rapporteur spécial

(à l'égard du Gouvernement)

1. Maintenir l'éligibilité au dispositif d'indemnisation des particuliers qui décident d'abandonner leur habitation sinistrée.

2. Conduire une expertise et mettre en oeuvre des contrôles renforcés et systématiques sur les dossiers d'indemnisation dont le montant dépasse le coût moyen de construction d'une maison individuelle.

3. Poursuivre et renforcer les expérimentations de mesures de prévention du risque RGA portant sur l'environnement du bâti.

4. Mobiliser le fonds Barnier pour financer des expérimentations sur les techniques de prévention portant sur l'environnement du bâti les plus abouties, en vue de leur éventuelle généralisation.

5. Mobiliser les financements du 4ème programme d'investissements d'avenir pour développer de nouvelles techniques de prévention du RGA.

6. Financer en priorité des expérimentations de techniques de prévention du risque RGA dans les communes qui ont fait une demande de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle pour cause de sécheresse mais qui ne l'ont pas obtenu.

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