C. UNE AMÉLIORATION DU RÉGIME ACTUEL ET LA CRÉATION D'UN FONDS PUBLIC D'INDEMNISATION AD HOC SUPPOSERAIENT DE DÉGAGER DES DIZAINES VOIRE DES CENTAINES DE MILLIONS D'EUROS SUPPLÉMENTAIRES CHAQUE ANNÉE

1. L'incontournable perfectionnement du critère météorologique permettant de reconnaître l'état de catastrophe naturelle

Un critère météorologique très décrié

S'agissant du phénomène de RGA, la reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle est conditionnée à deux critères cumulatifs : un critère dit géotechnique destiné à vérifier la présence de plaques argileuses sur le territoire de la commune à partir des données du bureau des recherches géologiques et minières (BRGM) qui ne pose pas de difficultés particulières et un critère dit hydrique ou « météorologique » qui, malgré des évolutions récentes, suite à la sécheresse de 2003 puis en 2019, concentre les critiques des sinistrés ainsi que des communes dont le dossier de reconnaissance est rejeté.

La contestation de l'évaluation du critère météorologique demeure aujourd'hui la principale source de contentieux. Sa méthode de calcul est décrite dans une circulaire du 10 mai 2019 11 ( * ) .

Déterminé par l'opérateur Météo-France, le critère météorologique consiste à calculer la variation de l'indice d'humidité des sols superficiels (ou SWI pour soil wetness index ). Compte-tenu du maillage de ses stations, Météo-France n'est en capacité de mesurer cet indicateur que sur des surfaces de 64 km 2 , une précision insuffisante pour une approche fine de la reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle 12 ( * ) . L'indicateur est calculé chaque mois puis lissé par trimestre. Pour caractériser un phénomène de sécheresse qualifié d'anormal au sens du régime CatNat, le critère météorologique doit démontrer que la variation de l'humidité des sols sur le périmètre concerné est la plus significative ou la deuxième plus significative des relevés effectués sur les cinquante dernières années., soit une « période de retour » de 25 ans. En 2019, le rapport de la mission d'information sénatoriale précité considérait cette durée de retour comme « très arbitraire ».

Au-delà même de son insuffisante précision, qui ne peut rendre compte de la diversité des situations géologiques de chaque territoire, le critère météorologique fait l'objet de nombreuses critiques qui l'exposent fortement aux risques contentieux. Il continue notamment de pêcher par une extrême complexité qui le rend peu lisible aux yeux des sinistrés et des communes. Dans son rapport de février 2022, la Cour des comptes souligne ainsi que l'objectif de simplification qui était porté par les évolutions introduites en 2019 « ne paraît pas atteint tant la lecture des critères demeure complexe » . . Par ailleurs, sa modélisation ne prend pas en compte les différences topographiques ou de couverture végétale qui ont pourtant un impact déterminant sur l'exposition au risque RGA. Le rapport de la mission d'information sénatoriale soulignait déjà en 2019 que « le critère météorologique repose toujours sur la simulation réalisée par Météo-France, et non sur une appréciation de la situation à l'échelon local » .

Source : commission des finances

Faute d'une réforme en profondeur, l'amélioration très significative du critère météorologique apparaît incontournable tant il présente de faiblesses . Ce critère, qui détermine le caractère anormal du phénomène naturel et déclenche la reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle, fortement critiqué, concentre les insatisfactions et les incompréhensions tant il pèche par son imprécision comme par la modélisation de son calcul qui ne tient pas compte des réalités observées.

Le maintien du risque RGA au sein du régime CatNat et de la logique de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle comme préalable nécessaire au déclenchement de la procédure d'indemnisation est conditionné à l'amélioration profonde du critère météorologique.

Le choix de maintenir le risque RGA au sein du régime CatNat ainsi que la logique de reconnaissance de catastrophe naturelle comme préalable aux indemnisations supposeraient de consacrer les moyens suffisants pour améliorer de façon très significative le critère météorologique qui détermine le caractère anormal du phénomène naturel constaté.

Outre l'amélioration indispensable du critère météorologique, d'autres aspects de la reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle pourraient être corrigés pour rendre le dispositif plus équitable et réduire les contestations qu'il génère. L'une des options, notamment pour éviter un effet « limites administratives » souvent aléatoire, pourrait être de reconnaître automatiquement en état de catastrophe naturelle les communes dont le territoire est limitrophe d'une commune elle-même reconnue en état de catastrophe naturelle en vertu des critères retenus dans le cadre du régime. Cette évolution, qui n'aurait qu'une incidence financière limitée sur le régime d'après les estimations de la CCR, permettrait, toujours selon la CCR, de résoudre, selon les années, entre 40 et 65 % des recours intentés par des communes non reconnues en état de catastrophe naturelle. Cette disposition nécessiterait cependant de disposer d'une connaissance fine de la géologie du sous-sol des communes.

2. L'hypothèse d'un fonds public ad hoc pour indemniser des sinistres non couverts par le régime CatNat coûterait de plusieurs dizaines à plusieurs centaines de millions d'euros par an

Afin de ne pas remettre en cause la philosophie et l'équilibre financier du régime CatNat, certains acteurs recommandent de créer, en marge du dispositif, un fonds public pérenne, dédié à l'indemnisation des sinistres liés au phénomène de RGA mais non éligibles dans le cadre du régime car situés sur le territoire de communes non reconnues en état de catastrophe naturelle . D'après les estimations de la CCR et selon les critères d'indemnisation retenus, le coût annuel d'un tel dispositif pourrait se situer entre 60 et 300 millions d'euros.

La CCR a évoqué la possibilité de financer ce fonds par une nouvelle taxe prélevée sur les constructeurs de maisons individuelles. Néanmoins, cette taxe serait susceptible d'augmenter les prix de vente et de peser sur la vitalité économique du secteur de la construction. De plus, alors que la loi ELAN a imposé de nouvelles normes de construction, une éventuelle dimension incitative de cette taxe serait difficile à concrétiser.

Si elle était retenue, la création d'un fonds public d'indemnisation ad hoc devrait, pour atteindre son objectif, se prémunir des écueils qui ont conduit à l'échec des expériences de fonds d'interventions ponctuels d'urgence .

A la suite de l'épisode de sécheresse de 2018, un fonds d'urgence d'indemnisation de 10 millions d'euros avait été voté par le Parlement dans le cadre de la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020. Il devait venir en aide aux sinistrés non indemnisés via les dispositions prévues par le régime CatNat. Douze ans plus tôt, la loi n° 2005-1719 du 30 décembre 2005 de finances pour 2006 avait déjà prévu un dispositif similaire, doté cette fois de 220 millions d'euros, pour traiter les conséquences de la sécheresse exceptionnelle de 2003.

L'efficacité de ces dispositifs a été contestée, et ce pour plusieurs raisons. Parce qu'elle a mis sous tension les moyens humains des administrations publiques concernées, la gestion des dispositifs, en particulier l'instruction des dossiers d'indemnisation, a souffert d'insuffisances notoires.

Les critères visant à circonscrire ces dispositifs ont conduit à générer un sentiment d'inégalité et des incompréhensions entre les sinistrés éligibles aux indemnisations et ceux qui en étaient privés. Aussi, la perception d'iniquité du dispositif actuel n'a en rien été corrigée par ces mesures ponctuelles et circonscrites.

Le dispositif prévu en 2020 s'est révélé particulièrement inopérant dans la mesure où, bien souvent, soit les sinistrés bénéficiaient de revenus qui ne les rendaient pas éligibles au fonds d'aide, soit, s'ils en bénéficiaient, ils ne disposaient pas de moyens financiers suffisants pour assumer les restes à charge des travaux prévus par le dispositif. L'éventuelle création d'un fonds d'indemnisation ad hoc devra absolument éviter de reproduire une situation si ubuesque.

Enfin, les conditions de forme et de délais ont considérablement affecté l'efficacité du dispositif mis en place en 2020, à tel point que, face à la faiblesse de la consommation des crédits ouverts et à l'importance du taux de non-recours, l'échéance initialement fixée a dû être prolongée par décret à trois reprises.

Si la création d'un fonds public d'indemnisation complémentaire au régime CatNat était décidée, les paramètres de ce fonds devraient avoir été définis après une analyse approfondie du bilan des expériences passées de fonds d'interventions ponctuels d'urgence de manière à ne pas reproduire les erreurs qui ont conduit à leurs échecs.


* 11 https://www.legifrance.gouv.fr/download/pdf/circ?id=44648.

* 12 En 2019, le rapport de la mission d'information sénatoriale soulignait à quel point ce maillage était « bien trop large pour restituer une image fidèle des conditions météorologiques locales ».

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