B. PLUTÔT QU'UNE FUITE EN AVANT DANS LE RELÈVEMENT DES SANCTIONS PÉNALES, IL FAUT MAINTENANT SE DONNER LES MOYENS DE LES APPLIQUER

Le deuxième chapitre de la loi (article 26 à 45) vise à renforcer les sanctions pénales afin de renforcer la lutte contre la maltraitance - à laquelle l'abandon est assimilé - à l'encontre des animaux domestiques et des animaux sauvages captifs, soumis au même régime juridique.

Ce volet, qui traduit le plus directement l'intention des auteurs de la proposition de loi exprimée par son intitulé (« lutte contre la maltraitance animale »), a été adopté de façon consensuelle entre l'Assemblée nationale et le Sénat - à la différence des deux autres volets qui ont nécessité davantage de pourparlers entre les deux chambres.

Si ce chapitre est en grande partie d'application directe, la définition des délits relevant du domaine de la loi, il n'est pas à exclure que quelques dispositions nécessitent des mesures réglementaires ou infra-réglementaires22(*) pour leur bonne application.

1. Le renforcement des contrôles et la bonne application de la loi seront plus efficaces que la transformation de la loi en un outil de communication

La rapporteure considère qu'il lui revient, dans son travail de contrôle de l'application de la loi, de porter ses principales dispositions à la connaissance des parlementaires, afin d'en favoriser la bonne appropriation et donc d'améliorer leur effectivité.

C'est d'autant plus vrai pour les mesures qui satisfont déjà, dans le droit existant, des propositions de loi en cours d'examen. Ainsi, il semble à la rapporteure que la proposition de loi visant à interdire la maltraitance sur les chiens et les chats par l'utilisation de colliers étrangleurs et électriques23(*) est déjà satisfaite par le droit, à plus forte raison depuis la loi du 30 novembre 2021 qui rehausse considérablement les sanctions contre la maltraitance animale. Si des progrès supplémentaires devaient intervenir, ce serait par le biais des normes et des contrôles sur l'usage de ces colliers, et non par une interdiction générale de la vente, qui peut paraître disproportionnée.

Elle appelle à se montrer d'autant plus vigilante sur ce texte que certaines associations de protection animale ont alerté sur un possible effet pervers de cette interdiction : ces colliers peuvent en effet être utiles pour maîtriser les chiens dangereux de la police et de la gendarmerie. Sans ce moyen de contrôle, les brigades pourraient être contraintes de se séparer de ces chiens, qui ne trouvent généralement pas preneurs chez les particuliers et risqueraient de ce fait l'euthanasie.

2. Le volet répressif, qui a été significativement renforcé par la loi, reste tributaire des moyens alloués à la justice et à la police

Ce volet prévoit notamment le rehaussement des sanctions maximales applicables aux auteurs de maltraitance ou de sévices graves - auxquels sont assimilés les abandons -, passant de deux à trois ans d'emprisonnement et de 30 000 € à 45 000 € d'amende (article 26), et la création de plusieurs circonstances aggravantes :

- article 26 si ces actes sont commis devant un mineur ;

- article 28 si un abandon présente un risque de mort immédiat ou imminent pour l'animal ;

- article 29 lorsque ces actes de maltraitance sont commis par le propriétaire ou le gardien de l'animal ;

- article 30 lorsqu'ils sont commis sur un animal détenu par des agents dans l'exercice de missions de service public (brigades cynophiles, chiens sauveteurs...).

Des peines complémentaires d'interdiction d'exercer des activités professionnelles ou sociales en lien avec les animaux, dès lors que ces activités ont facilité des actes de maltraitance (article 32), le cas échéant définitives, pourront également être prononcées.

Les prochains bilans statistiques devront permettre de vérifier l'effectivité de ces dispositions devant le juge, l'effet dissuasif des sanctions découlant des peines prononcées et non des peines maximales théoriques.

La rapporteure appelle en tout état de cause à ne pas se contenter de l'augmentation formelle des peines actée dans cette loi, et souhaite poser la question des moyens financiers et humains de la justice, ainsi que de la police et de la gendarmerie, pour traiter de ces affaires qui, pendant trop longtemps, se sont retrouvées en bas de la pile des priorités.

C'est pourquoi elle a accueilli très favorablement la création, en 2022, de référents protection animale dans les commissariats et les gendarmeries, coordonnés par une unité spécialisée de quinze agents, au sein de l'office central de lutte contre les atteintes à l'environnement et à la santé publique (OCLAESP) à l'échelle nationale. Cette organisation est à même d'améliorer la compréhension des enjeux de maltraitance animale par les agents publics, facilitant l'enregistrement des plaintes et le lancement d'enquêtes.

Cette nouvelle unité dédiée ne pourra toutefois prétendre résoudre à elle les problématiques auxquelles sont confrontés les commissariats et tribunaux, dans leur quotidien, pour traiter des dossiers de maltraitance animale. Il faut en outre rappeler que les poursuites pénales seraient impossibles sans le concours des signalements des associations de protection animale et des services vétérinaires. C'est pourquoi, en complément de cette réforme utile, la rapporteure appelle à renforcer les moyens de contrôle et d'enquête de droit commun.

Recommandation n° 14 : augmenter les moyens dédiés au contrôle des services vétérinaires, pour alimenter en dossiers l'unité spécialisée dédiée à la maltraitance animale qui vient d'être créée au sein de la police.

Il faut enfin mentionner l'article 6 de la loi (chapitre 1er), qui prévoit que les contraventions relevant du livre II du code rural puissent faire l'objet d'un traitement automatisé confié à l'Agence nationale de traitement automatisé des infractions, pour permettre aux agents habilités de constater et de relever les infractions par procès-verbal électronique (« PVé24(*) »). Dans la mesure où, comme le Sénat l'avait souligné lors de l'examen de la proposition de loi, cet article était déjà satisfait par les dispositions générales du code de procédure pénale25(*), il n'y avait pas lieu de prendre de mesures d'application.

3. La répression des atteintes sexuelles sur les animaux progresse, lentement mais sûrement

Les articles 39, 40, 43 et 44 créant les délits d'atteinte sexuelle sur animal, de sollicitation et d'enregistrement et de diffusion de ces sévices, viennent combler un vide juridique. Les atteintes sexuelles sur un animal ne pouvaient être soumises à la justice que lorsqu'elles étaient accompagnées de sévices graves, ou lorsqu'il y avait contrainte ou pénétration, mais n'étaient pas toutes pénalement répréhensibles en tant que telles.

Plusieurs affaires de « zoophilie », médiatisées dans la presse quotidienne régionale, ont été portées devant les tribunaux depuis la promulgation de la loi26(*). Le chef d'inculpation retenu a toujours été pour l'heure celui de « sévices graves » (article 521-1 du code pénal) et non celui d'« atteintes sexuelles » (article 521-1-1 du code pénal), soit parce que les faits étaient antérieurs à la promulgation de la loi27(*), soit parce qu'ils étaient couverts par la notion de sévices graves (en cas, par exemple, de pénétration ou de violence).

Il y a lieu de se satisfaire de cette évolution, qui permet de mettre en lumière des faits souvent tabous et pourtant bien réels. Il est à noter que les atteintes sexuelles font désormais l'objet d'un relevé spécifique dans les statistiques du ministère de l'Intérieur28(*).

Source : viepublique.fr

En revanche, il faut déplorer que les dispositions relatives à la zoopornographie soient difficilement applicables en pratique, alors que 413 signalements se rapportant à des faits de sévices sur animaux ont été reçus par la plateforme Pharos en 202229(*).

Ainsi, la répression de la diffusion de l'enregistrement de tels contenus sur internet (article 521-1-2 du code pénal) et de la sollicitation ou de la proposition d'actes de zoophilie par des « petites annonces » (article 521-1-3) est freinée par la difficulté à réguler internet. Il faut en effet mettre en demeure les hébergeurs, puis les fournisseurs d'accès à internet, pour chaque site voire chaque contenu, ce qui rend en pratique le retrait de ces contenus quasi impossible.

L'article 40 de la loi, réprimant explicitement la diffusion de contenus zoopornographiques aux mineurs (article 227-24 du code pénal) est, pour la même raison, inapplicable.

Recommandation n° 15 : étudier la possibilité de renforcer les compétences de l'Arcom pour que les mises en demeure des hébergeurs et des fournisseurs d'accès à internet conduisent à retirer rapidement les contenus zoopornographiques.

4. Le Sénat a également souhaité encourager une approche préventive, voire pédagogique, qui n'a pas été pleinement mise en oeuvre par le Gouvernement

Le chapitre III contient également des mesures tendant à renforcer la dimension préventive, voire pédagogique, de la justice, en prévoyant des stages de sensibilisation à la prévention et à la lutte contre la maltraitance animale (article 31), un ajout des interdictions de détention d'un animal au fichier des personnes recherchées (article 35), une enquête sociale pour protéger les mineurs en cas de signalement de maltraitance animale au sein d'un foyer (article 36)... Si ces mesures sont également d'application directe, il n'existe pas encore de recensement statistique de leur mise en oeuvre. Elles sont pourtant, aux yeux de la rapporteure, tout aussi importantes, si ce n'est plus, que les mesures répressives.

L'article 35 a été critiqué par certaines associations de protection animale30(*) au motif que les bénévoles et professionnels des associations et des refuges ne peuvent s'appuyer sur ce fichier pour éloigner des personnes ayant été condamnées pour maltraitance des animaux. Il faut toutefois souligner que cette restriction de l'habilitation aux seuls agents publics résulte d'un impératif constitutionnel.

L'article 25 prévoit, dans le respect de la liberté pédagogique des enseignants, des modules de sensibilisation à l'éthique animale au sein de l'enseignement moral et civique et du service national universel. Ces modules avaient été recentrés sur les seuls animaux de compagnie lors de la commission mixte paritaire en raison de craintes exprimées par le monde agricole au sujet des animaux de rente. Il faut souligner que ni pour l'enseignement primaire31(*), ni pour l'enseignement secondaire32(*), ni même pour le service national universel, cette mesure, pourtant essentielle aux yeux de la rapporteure, n'a été mise en place.

Recommandation n° 16 : actualiser les instructions du ministère de l'Éducation nationale et de la Jeunesse pour mettre en place rapidement les modules de sensibilisation à l'éthique et au respect des animaux de compagnie, dans les cours d'enseignement moral et civique et lors du Service national universel (SNU).


* 22 Par exemple, les articles 42 et 41 ont, pour le premier, inscrit le secret professionnel du vétérinaire dans la loi, et pour le second, prévu une dérogation à ce secret professionnel pour signaler des sévices graves, de nature sexuelle ou des actes de cruauté. Le champ de ces dérogations pourrait faire l'objet d'un texte réglementaire.

* 23 Voir le dossier législatif : https://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl22-243.html

* 24 Défini par le décret n° 2011-348 du 29 mars 2011 portant création de l'Agence nationale de traitement automatisé des infractions.

* 25 Article 530-6 du code de procédure pénale, qui autorise le traitement automatisé des infractions donnant lieu à une amende forfaitaire, et article R. 48-1 dudit code, fixant la liste des contraventions réglées par amende forfaitaire, incluant les infractions du livre II du code rural et de la pêche maritime.

* 26 Deux adolescents sur plusieurs chevaux et poneys dans un poney-club puis dans un centre équestre dans l'Ouest de la France, un couple de sexagénaires sur leur chien dans le Sud de la France, une dame isolée sur plusieurs chiens à Marseille, un homme de 23 ans sur une jument dans l'Est de la France, un jeune couple sur sa chienne dans le bassin parisien, un homme de 55 ans sur son chat, qui en est mort...

* 27 Le droit pénal est assujetti par principe à la non-rétroactivité.

* 28 « Les atteintes envers les animaux domestiques enregistrées par la police et la gendarmerie depuis 2016 », Interstats, Analyse N° 51. En ligne : https://mobile.interieur.gouv.fr/Interstats/Actualites/Les-atteintes-envers-les-animaux-domestiques-enregistrees-par-la-police-et-la-gendarmerie-depuis-2016-Interstats-Analyse-N-51

* 29 Voir la réponse du ministère de la Justice à la question écrite n° 04 367 (16e législature) du sénateur Arnaud Bazin : https://www.senat.fr/questions/base/2022/qSEQ221 204 367.html.

* 30  https://www.fondation-droit-animal.org/113-le-fichage-judiciaire-des-personnes-accusees-de-maltraitance-animale/

* 31 https://www.education.gouv.fr/bo/15/Special6/MENE1511645A.htm ?cid_bo=90 158

* 32 https://www.education.gouv.fr/bo/15/Special6/MENE1511646A.htm ?cid_bo=90 243