EXAMEN EN COMMISSION

(Mercredi 7 juin 2023)

Mme Sophie Primas, présidente. - Je vous propose de commencer par la présentation du rapport de notre collègue Anne Chain-Larché sur l'application de la loi. Voilà une façon de contrôler le Gouvernement que nous aimons bien : après avoir légiféré, prendre le temps de regarder comment s'applique la loi, et en particulier cette loi de novembre 2021 dont nous nous souvenons bien, visant à lutter contre la maltraitance animale et conforter le lien entre les animaux et les hommes.

Mme Anne Chain-Larché. - Merci madame la présidente. Je dirais même que c'est une façon que nous aimons bien de contrôler le Gouvernement !

Un an après l'adoption de la loi n° 2021-1539 du 30 novembre 2021 visant à lutter contre la maltraitance animale et conforter le lien entre les animaux et les hommes, Madame la Présidente et le bureau de la commission ont bien voulu me confier une mission de suivi de l'application de cette loi, sur le fondement de l'article 19 bis B du règlement du Sénat.

Cela s'inscrit dans la continuité de mes travaux à l'automne 2021 lors de l'examen du texte, et en cohérence avec le rapport de la vice-présidente Pascale Gruny, dont l'une des lignes directrices est que « les commissions et, le cas échéant, les délégations, évaluent la mise en oeuvre d'une loi emblématique promulguée au cours des 10 dernières années, ce travail se traduisant par la publication d'un rapport d'information ».

Je poursuis donc l'aventure qui m'avait conduite à rencontrer des acteurs de terrain, tous plus formidables les uns que les autres : les éleveurs, les vétérinaires, les bénévoles et salariés des associations de protection animale, les parcs animaliers, les circassiens, les refuges, les fourrières, les élus locaux et les administrations des ministères concernés. Ce sont des passionnés, qui mènent un travail remarquable, bien souvent dans l'ombre, avec le souci du bien-être des 80 millions d'animaux domestiques, et qui contribuent grandement au maintien d'un monde dans lequel les animaux ne sont pas hors de nos vies.

La réflexion générale que j'ai tirée d'un nouveau cycle d'auditions mené sur les six derniers mois, et que je voudrais partager avec vous, est qu'après le temps médiatique - très médiatique ! - de la législation, vient le temps, plus ingrat sans doute, et pourtant ô combien important, de son application. Or, il faut rappeler que ce texte, dans la mesure où il s'agissait d'une proposition de loi, n'avait pas bénéficié d'une étude d'impact. En outre, il n'avait fait l'objet que de très peu de concertation avec les professionnels concernés, pourtant chargés de son application. Malheureusement, il est à déplorer qu'ici, au Sénat, nous ayons l'habitude de ce type de méthodes.

Un an et demi après la promulgation, le travail de contrôle de la commission vise donc à s'assurer de la bonne application de la loi, qui compte cinquante articles dans des champs très variés, modifiant le code rural, le code de l'environnement mais aussi le code pénal. Ce travail poursuit en particulier trois objectifs.

Celui, d'abord, de s'assurer que la parole du législateur a bien été entendue et que le fruit de la délibération parlementaire a bien été respecté par le pouvoir exécutif.

Ensuite, celui d'aider l'administration à s'orienter dans l'interprétation de normes qui sont parfois ambiguës. Il faut rappeler, en effet, que députés et sénateurs étaient parvenus à un accord après de longs pourparlers. Toutes les parties prenantes ayant manifesté leur satisfaction après le vote de cette loi, c'était sans doute au prix de compromis qui pouvaient comporter certaines ambiguïtés.

Et celui d'insister davantage, enfin, sur le contrôle et l'application des normes existantes plutôt que de créer de nouvelles normes, la France disposant déjà d'un dispositif de protection animale unique au monde par son exigence, dont la principale faiblesse réside dans les moyens de contrôle.

Je n'ai donc pas cherché à « rejouer le match », qui s'était d'ailleurs conclu par un accord entre sénateurs et députés en commission mixte paritaire. J'ai simplement souhaité formuler des observations, seize en tout, et attirer l'attention en particulier sur six mesures qui me semblent urgentes pour garantir que cette loi, qui avait convenu aux associations de protection animale lors de son adoption, soit satisfaisante et opérationnelle pour les animaux et pour leur bien-être.

Je présenterai ces six mesures urgentes en deux temps, en me concentrant d'abord sur trois mesures pour les animaux sauvages captifs, pour lesquels subsistent plusieurs difficultés d'application, et en m'arrêtant ensuite sur trois mesures au sujet des animaux de compagnie, pour lesquels le bilan réglementaire est plus satisfaisant, mais nécessiterait des moyens renforcés pour donner toute sa mesure.

J'en viens donc à la faune sauvage captive et aux chapitres 3 et 4 de la loi, qui contenaient seulement cinq articles, mais sans doute les plus emblématiques et polémiques de la loi parce qu'ils suivaient une logique « abolitionniste ».

Cela concerne notamment les delphinariums, les cirques et les voleries, ainsi que l'élevage de visons d'Amérique destinés à la production de fourrure. Pour l'ensemble de ces professionnels, j'appelle à respecter pleinement les échéances et garde-fous fixés par le législateur afin d'assurer la transition la plus sereine possible vers la fin de la détention de certains animaux sauvages - car seule la détention de certains animaux, et à certaines conditions seulement, sera interdite, dans la logique du « pas d'interdiction sans solution » que j'avais souhaitée, et pour lequel le Sénat avait amplement insisté.

Je ne m'attarde pas sur les visons, car en ce domaine la loi avait produit ses effets avant même d'entrer en vigueur : trois établissements avaient été fermés par anticipation. Le dernier qui était actif dans ce secteur a fermé dès la fin de l'automne 2023, l'interdiction étant d'application directe.

Je ferai simplement remarquer toutefois que l'achat ou la vente de fourrures en vison n'étant, elle, pas interdite, ce professionnel pourra continuer d'écouler son stock en fonction des opportunités du marché. Et, par la suite, les industries textiles continueront de s'approvisionner à l'étranger, dans des conditions d'élevage qui seront, selon toute probabilité, moins-disantes. Un cas de figure auquel nous sommes malheureusement habitués dans notre commission...

S'agissant de la détention de cétacés dans des parcs aquatiques - qui, je le rappelle, ne concerne que vingt-trois dauphins et quatre orques, accueillis dans deux parcs -, la loi prévoit par principe, à l'article 46, une interdiction des spectacles, mais pas des « présentations pédagogiques » - il est vrai que nous avons beaucoup oeuvré dans la sémantique. Les cétacés pourront en outre être conservés dans le cadre de programmes scientifiques.

La loi nécessitait trois arrêtés pour la bonne application de cette mesure, sur le relèvement des normes de détention au regard du bien-être animal, sur la définition des programmes scientifiques et sur la définition des présentations pédagogiques. Or, aucun de ces textes n'a été pris à ce jour.

Aussi, et c'est mon premier point d'alerte, j'appelle à les publier rapidement, d'ici la fin de l'été et, de préférence, en un bloc, pour stabiliser le cadre normatif une fois pour toutes et permettre aux parcs aquatiques de procéder aux investissements nécessaires à la mise aux normes pour l'amélioration des conditions d'accueil, tout en ayant l'assurance d'un équilibre économique à long terme.

Il y a urgence : ces mises aux normes pourraient signifier en pratique la fin de l'activité pour l'un des deux parcs, le Marineland d'Antibes, situé en zone inondable et qui ne pourra probablement pas supporter les travaux à venir, ce qui rend la situation inextricable pour ce parc.

Pour le parc aquatique restant, Planète sauvage, il convient de garantir une acception suffisamment large de la notion de « programme scientifique », pour assurer une visibilité d'au moins quatre ou cinq ans et ainsi éviter une remise en cause régulière qui freinerait les investissements favorables au bien-être animal. Je rappelle que des recherches prometteuses portent sur le moyen de sauver des accidents de pêche des milliers de dauphins du golfe de Gascogne.

Le sort des cirques est un sujet douloureux, qu'il m'est pénible d'évoquer, parce que lorsque l'on rencontre ces professionnels, je peux vous assurer que c'est poignant. Le monde du cirque a été profondément heurté d'être inclus par défaut dans une loi sur la « maltraitance animale » alors qu'il n'a, collectivement, contrevenu à aucune loi de la République, et qu'il a au contraire enchanté les enfants que nous étions et ceux d'aujourd'hui, sur plusieurs générations. Je me souviens qu'ils me disaient : nous sommes coincés entre la zoopornographie et les fourrières, allez comprendre ce qu'est devenue aujourd'hui la lecture de notre métier !

Soyez sûrs que l'interdiction générale de la détention d'animaux sauvages par les cirques itinérants n'a jamais été l'option privilégiée par le Sénat ; nous souhaitions des interdictions ciblées, au cas par cas, comme cela se fait, du reste, dans de nombreux pays, comme en Allemagne, pour s'en tenir aux résultats de la recherche scientifique.

À moyen terme, le Gouvernement devra évidemment renforcer l'accompagnement, notamment financier, des professionnels s'il veut assurer une transition apaisée d'ici à l'interdiction en 2028, la prime à l'abandon de 3 000 euros par tigre ou par lion n'étant pas à la hauteur du préjudice subi, et frisant même, je dois le dire, l'irrespect. Le conseil pour l'établissement en cirques fixes devrait également être renforcé pour permettre aux circassiens qui le souhaitent de garder leurs animaux.

Mais mon deuxième point d'alerte porte sur un problème plus grave encore : les cirques éprouvent toutes les peines du monde à trouver des emplacements d'accueil, si bien qu'ils vivent dès à présent une situation de quasi-interdiction de fait. On a même vu des spectacles de chiens savants empêchés, alors que les animaux de compagnie ne sont pas visés par la loi. Certains dégâts ont pu être constatés sur ces emplacements ; ils ne doivent pas jeter le discrédit sur toute une profession, qui aujourd'hui est empêchée.

En attendant 2028, il faut appliquer la loi, toute la loi, mais rien que la loi, et veiller à ce que les maires n'interdisent pas en fait, sous la pression d'associations, une activité qui reste autorisée en droit. La solution passera évidemment par un surcroît de concertation locale, dans le cadre des commissions départementales des professions foraines et circassiennes instituées par la loi « 3DS » et coordonnées par le préfet Jean-Yves Caullet à l'échelon national.

J'en viens à un sujet qui me tient tout particulièrement à coeur, venant d'un département où cette activité est encore très vivace, je veux parler des voleries.

Nous avions exprimé très clairement en commission mixte paritaire, Aurore Bergé et moi-même, notre intention d'exempter le vol libre de l'interdiction d'itinérance des animaux sauvages, car l'activité de ces professionnels et amateurs relève de la mobilité ou du transport, ponctuels, et non de l'itinérance, par essence permanente. Le ministère chargé de l'écologie nous a entendus sur ce point mais ne semble pas décidé à permettre aux voleries d'exercer à distance lors de spectacles pouvant durer plusieurs jours, vidant cette dérogation de sa substance. C'est ma troisième alerte, et non des moindres, sur ce chapitre.

J'en viens maintenant aux chapitres 1 et 2 de la loi et aux animaux de compagnie, dont la protection devrait être notre seul horizon, de façon pragmatique et responsable, par-delà toute considération militante ou idéologique.

Les mesures d'application du chapitre 1er sur la lutte contre l'abandon, qui relevaient du ministère de l'agriculture, ont, dans l'ensemble, bien été prises.

Je souhaite cependant observer que dans la lutte contre l'abandon des animaux de compagnie, les progrès à attendre ne viendront sans doute pas des mesures les plus médiatiques.

Ainsi, je m'étonne toujours autant de l'absence de la moindre étude évaluant l'impact économique et sur le nombre d'abandons de l'interdiction de la vente des chiens et chats en animalerie prévue à l'article 15. Il s'agit de ma quatrième alerte : l'Observatoire de la protection des animaux de compagnie devrait enfin procéder à cette étude, d'autant que le risque me paraît réel d'un report de ce circuit contrôlé vers la vente en ligne, en passe de devenir la plus grande animalerie de France, et où près de la moitié des annonces sont fausses ! Encore une difficulté que nous avions signalée lors de l'examen de ce texte.

Par contraste, il me semble que le Gouvernement ne communique pas suffisamment sur l'existence du délai de sept jours avant l'acquisition d'un animal, apport moins médiatique mais majeur du Sénat dans la lutte contre les achats d'impulsion et contre l'abandon, et qui est bien embarrassant pour certains.

Là se situe ma cinquième et avant-dernière alerte : il semble que le ministère ait donné des instructions aux services vétérinaires pour qu'ils se montrent plus tolérants dans le contrôle de cette obligation dans les refuges, au prétexte que leur engorgement pourrait conduire, dans les cas les plus extrêmes, à des euthanasies dans les fourrières.

Je crois que les bénévoles et salariés des refuges subissent autant, si ce n'est plus que les éleveurs, de pressions de la part d'acquéreurs trop pressés. À ce titre, ils devraient être protégés des éventuelles menaces, et l'intransigeance de l'État sur le délai de sept jours participerait de cette protection, en favorisant l'appropriation de cette règle par tous les acquéreurs. Nous ne pouvons pas, là non plus, rester dans le « en même temps ».

Si toutefois le problème de l'engorgement se confirmait, une solution pourrait être de retirer les lapins et les furets du champ des animaux concernés par le certificat d'engagement et de connaissance et par le délai de réflexion de sept jours, l'article 1er de la loi ne l'ayant prévu explicitement que pour les chiens et les chats. Par excès de zèle, cela s'est propagé aux lapins et aux furets.

Le chapitre 2, relevant considérablement les sanctions pénales contre les actes de maltraitance animale, dont l'abandon et les actes de zoophilie, avec la création du délit d'atteintes sexuelles sur animal, s'est accompagné de la création d'une unité dédiée à la maltraitance animale au sein de la police et d'un réseau de référents protection animale dans les commissariats. Il y a lieu de s'en féliciter. Le Sénat l'avait demandé.

Seulement, pour que cette nouvelle organisation puisse donner toute sa mesure, il faut que les moyens de contrôle des services vétérinaires, en amont, et les moyens de la justice, en aval, soient véritablement à la hauteur, afin d'alimenter en dossiers cette unité. Ce sera ma sixième et dernière alerte, et ma modeste contribution aux débats budgétaires de l'automne : plutôt que l'édiction de nouvelles règles ou interdictions à moyens constants, je pense qu'il sera beaucoup plus efficace de se donner les moyens d'appliquer le corpus existant des règles relatives à la protection animale, qui est déjà unique au monde par son exigence. Ces règles sont davantage contrôlées dans les autres pays, ce qui les a amenés à ne pas être obligés d'interdire.

M. Pierre Louault. - Ne serait-ce pas le moment d'interdire aux loups la maltraitance de leurs proies, quand on voit les agriculteurs qui trouvent la moitié de leur troupeau sauvagement agressé, éventré, quand on voit les veaux retirés de leur mère avant leur naissance ? On est dans la bêtise organisée, par idéologie, et cela me choque : je pense que quand on parle de maltraitance animale, on pourrait avoir un minimum de pensées pour les agriculteurs, qui voient leurs troupeaux dépecés par les animaux sauvages qui se développent à grande vitesse.

Mme Évelyne Renaud-Garabedian. - Comment expliquer un tel décalage entre l'intention du législateur, qui a voulu réprimer plus sévèrement les abandons d'animaux et faire de la cause animale une cause nationale, et les sanctions que l'on ne voit pas tellement apparaître dans les tribunaux ? Il n'y a même pas 10 % de sanctions, ce qui laisse de nombreux comportements non sanctionnés ?

M. Daniel Salmon. - Merci, madame la rapporteure, pour votre travail. Il est toujours intéressant de se pencher sur ce qui se passe après l'adoption d'une loi.

Par ailleurs, j'ai eu écho d'une problématique, celle du dressage des chiens de défense, qui est souvent l'occasion de nombreuses maltraitances pour les rendre beaucoup plus agressifs. Je pense qu'il faudrait avoir un oeil sur ces pratiques, qui m'ont été rapportées par des chenils.

Enfin, je voudrais mettre la focale sur le milliard deux cent millions d'animaux d'élevage qui sont abattus tous les ans, même si ce n'était pas dans l'objet de cette loi. Il faut aussi avoir en tête le bien-être de ces animaux-là.

Mme Anne Chain-Larché. - S'agissant des sanctions contre les actes de maltraitance, le problème est bien entendu celui que j'ai soulevé, c'est-à-dire le manque de moyens. En France, on ne se donne pas les moyens de contrôler, ni de sanctionner. C'est ce qui fait qu'on arrive à des interdictions. C'est d'ailleurs ce que nous avions soulevé au moment de la discussion de la proposition de loi. Nous ne pouvons que le déplorer. Nous avons renforcé les sanctions pénales dans le très important chapitre 2 de la loi, mais pour autant nous ne nous donnons pas les moyens de les appliquer. Les propositions de loi se multiplient alors que toute forme de maltraitance ou de cruauté, entraînant ou non la mort, est passible de sanctions, celles-ci ayant été relevées. Il faut se donner les moyens d'agir.

Mme Sophie Primas, présidente. - Le rapport ainsi que ses recommandations sont adoptés. Il me reste à remercier Anne Chain-Larché pour son implication sur ce sujet. La proposition de loi était médiatique mais je dois dire qu'elle n'a pas porté bonheur à ses auteurs...

Mme Anne Chain-Larché. - Je voudrais juste ajouter une remarque. L'une des préconisations que vous avez sous les yeux me paraît très importante et il me semble que vous devriez y être vigilants dans tous vos départements. La loi « 3DS » a créé des commissions départementales des professions foraines et circassiennes (CDPFC), qui ne sont pas encore déployées dans tous les départements. J'y tiens parce que c'est au sein de ces commissions que les maires peuvent avoir la bonne information sur ce qui est légal ou ce qui ne l'est pas et, d'une certaine façon, se rassurer face à la pression des associations.

Les recommandations sont adoptées.

La commission adopte le rapport d'information et en autorise la publication.