AVANT-PROPOS

Les prêts garantis par l'État (PGE) constituent peut-être le dispositif économique de soutien aux entreprises le plus emblématique de la crise sanitaire, articulant un niveau d'engagement massif de la part de l'État annoncé très tôt par le Président de la République - un plafond de 300 milliards d'euros - et un rôle prépondérant des banques dans l'octroi des prêts aux entreprises, supposant finalement une faible sollicitation financière de l'État.

Schématiquement, la garantie de l'État est appelée par la banque lorsqu'une entreprise à laquelle elle a octroyé un prêt ne parvient plus à la rembourser. Elle a permis de rassurer les banques et de faciliter leur soutien à l'économie dans une période d'extrême incertitude.

Deux ans après le rapport de la commission des finances sur la sortie des PGE5(*), dans la continuité duquel le rapporteur spécial a souhaité se placer, et trois ans après la mise en place du dispositif, vient l'heure du bilan.

Les PGE semblent en effet peu coûteux in fine pour l'État, étant donné le faible montant qui devrait être appelé en garantie en comparaison avec les montants octroyés. Toutefois, la capacité de remboursement des entreprises dépend de circonstances économiques évolutives, non prévues au moment du déploiement du dispositif - que l'on songe à la remontée de l'inflation et au conflit russo-ukrainien -, mais aussi des facilités éventuellement accordées aux entreprises en difficulté. Les conditions de remboursement sont-elles optimisées ? Les entreprises en difficulté sont-elles bien orientées ? Les risques de non remboursement sont-ils bien appréciés ? Le risque budgétaire qui lui est associé est-il élevé ? est-il bien estimé ?

Répondre à ces questions suppose d'abord de bien saisir l'articulation entre les différents acteurs aux différents stades de la procédure, de l'octroi du PGE à son remboursement, en passant par le potentiel appel en garantie, de comprendre leur rôle et d'apprécier les montants mis en jeu jusqu'ici - selon la taille de l'entreprise, le secteur ou encore la cotation de crédit - pour mieux apprécier les risques.

Il s'agit ensuite de peser les différents facteurs susceptibles d'avoir un impact sur les appels en garantie dans une démarche prospective. À quel point les circonstances macroéconomiques risquent-elles de peser sur les entreprises ? Leur situation financière, qui dépend notamment des marges et des dettes sociales accumulées, permet-elle aux entreprises de rembourser leurs prêts dans de bonnes conditions ? Certains secteurs économiques pourraient-ils être plus affectés que d'autres ? Par ailleurs, les entreprises en difficulté sont-elles bien accompagnées, bien détectées ? Ces questions, de portée naturellement très large, ne peuvent pas toujours appeler de recommandation - qui dépasserait la portée de la mission « Engagements financiers de l'État » - ni de trop longs développements, mais nécessitent toutefois d'être abordées.

Enfin, comment les pertes pour l'État sont-elles estimées ? Ce contrôle budgétaire procède notamment d'un double constat. D'une part, le second projet de loi de finances rectificative pour 2022 comportait une annulation de crédits à hauteur de deux milliards d'euros (sur 3,5 milliards d'euros) sur le programme 114 « Appels en garantie de l'État » : cette annulation résultait-elle de faiblesses dans l'estimation ? D'autre part, les crédits associés à ce programme pour 2023 par rapport à 2022 étaient en augmentation, alors même que le Gouvernement prévoyait une croissance à hauteur de 1 %, ce qui ne laissait pas d'interroger sur le bouclage économique du dispositif. Le rapporteur spécial a donc souhaité « soulever le capot » pour comprendre comment étaient effectuées ces estimations.

I. LES PRÊTS GARANTIS PAR L'ÉTAT : UN DISPOSITIF RÉGULIÈREMENT MODIFIÉ ET PARTICULIÈREMENT UTILISÉ, DONT LA MISE EN oeUVRE ET LE SUIVI REPOSENT SUR UNE RÉPARTITION CLAIRE DES RESPONSABILITÉS ENTRE ACTEURS

A. UN DISPOSITIF CONÇU DANS L'URGENCE MAIS RÉGULIÈREMENT PROLONGÉ ET ADAPTÉ

1. Un dispositif conçu dans l'urgence par la direction générale du Trésor, parallèlement à la négociation du cadre européen dans lequel il s'inscrit

Le dispositif des prêts garantis par l'État (PGE) a été conçu dans l'urgence. En effet, annoncés par le président de la République dans la limite de 300 milliards d'euros lors de son allocution du lundi 16 mars 2020, ils ont été instaurés par l'article 6 de la loi du 23 mars 2020 de finances rectificative pour 20206(*), tandis que l'arrêté du même jour7(*) précisait le cadre réglementaire et le cahier des charges du dispositif.

Dans l'intervalle, la Commission européenne adoptait, le 19 mars 2020, un cadre temporaire des aides d'État susceptible d'autoriser la mise en place de semblables dispositifs8(*). Dans ce contexte, les PGE ont fait l'objet d'une notification des autorités françaises approuvée par la Commission européenne le 21 mars 2020. C'est sur la base de la section 3.2 du cadre temporaire, qui prévoyait la possibilité d'aides sous forme de garanties sur les prêts non plafonnés en montant mais disposant de taux plancher et dont la durée de remboursement était limitée à six ans, que le dispositif a été mis en place. Pour mémoire, ce cadre temporaire prévoyait également, en sa section 3.1, la possibilité de subventions ou prêts avantageux, plafonnés à 2,3 millions d'euros - utilisée par l'Allemagne, l'Italie et le Royaume-Uni. Le paragraphe 2. b) de l'article 107 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, qui autorise l'indemnisation de certaines entreprises à la condition de montrer le lien entre leurs difficultés et une catastrophe naturelle ou sanitaire, a été quant à lui utilisé par l'Allemagne pour compenser certaines fermetures administratives9(*).

La direction générale du Trésor a été chargée de la conception, de la gestion, du suivi du PGE, ainsi que de la tutelle de Bpifrance dans les missions relatives au PGE. En lien avec les banques et Bpifrance, compétente en matière de garantie sur les prêts, elle a conçu le dispositif validé par le Parlement en l'espace d'une dizaine de jours, pendant lesquels elle négociait en même temps avec la Commission européenne le contenu du cadre temporaire devant s'appliquer à l'ensemble des États membres. C'est d'ailleurs dans le cadre de cette négociation que la France a obtenu une prolongation de la durée de la garantie initialement prévue par la Commission de cinq à six ans la veille du dépôt du projet de loi de finances rectificative, soit le 17 mars 202010(*). Après avoir assuré la notification du dispositif à la Commission européenne11(*), la direction générale du Trésor est convenue avec Bpifrance d'un système de gabarit (ou template) permettant le suivi des différents prêts. Cette action a été engagée dans les deux mois ayant suivi l'entrée en vigueur de la loi et de l'arrêté - correspondant à la durée du délai de carence lors duquel aucun appel en garantie ne peut être effectué auprès de l'État.

Si le régime encadrant les PGE a dû faire, par la suite, l'objet de nombreux ajustements, il y a lieu de se féliciter du déploiement d'un dispositif aussi conséquent - et globalement bien pensé - en un si court laps de temps.

2. Une adaptation fréquente du dispositif jusqu'aux PGE « Résilience »

À l'origine conçu pour une durée d'un trimestre - équivalente à celle du premier confinement - le dispositif a fait l'objet de plusieurs adaptations et d'une reconduction fréquente, au même titre que le cadre temporaire européen des aides d'État, en raison de la prolongation de la crise sanitaire (second et troisième confinements à l'automne 2020 et au printemps 2021).

Au niveau européen, l'encadrement temporaire a connu six modifications et a été prolongé jusqu'au 30 juin 2022. Dans une communication du 12 mai 202212(*), la Commission européenne a indiqué qu'elle mettait fin à l'encadrement temporaire des aides d'État dit « Covid ». En parallèle, elle a adopté le 23 mars 2022 un nouvel encadrement temporaire de crise des aides d'État afin de soutenir l'économie dans le contexte de l'invasion de l'Ukraine par la Russie13(*), modifié et assoupli le 20 juillet 202214(*) et le 28 octobre 202215(*), et prolongé le 9 mars 202316(*) « afin d'encourager des mesures de soutien dans les secteurs essentiels à la transition vers une économie à zéro émission nette ».

Au niveau législatif national, le dispositif encadrant les PGE, prévu pour couvrir l'octroi de prêts accordés entre le 16 mars 2020 et le 31 décembre 2020, a été modifié à sept reprises17(*), permettant finalement de couvrir des souscriptions de PGE effectuées jusqu'au 30 juin 2022 puis, jusqu'au 31 décembre 2023, de PGE « Résilience » aux conditions d'éligibilité plus restrictives pour pallier les perturbations économiques liées au conflit russo-ukrainien.

Au niveau réglementaire, l'arrêté du 23 mars 2020 a, quant à lui, été modifié à quinze reprises, pour tenir compte des prolongations introduites par les diverses lois de finances, préciser les conditions d'éligibilité et d'appel en garantie, créer des dispositifs spécifiques (PGE « aéro », PGE « saison » et PGE « Résilience »), ou encore aménager des possibilités de prolongation de la garantie au-delà de six ans (cf infra).

Les modifications législatives du régime du PGE

Le cadre législatif des PGE est déterminé par l'article 6 de la loi de finances rectificative n° 2020-289 du 23 mars 2020. Outre une modification de coordination, le régime encadrant les PGE a été modifié à sept reprises :

- l'article 16 de la loi de finances rectificative n° 2020-473 du 25 avril 2020 introduit une extension aux prêts accordés par des intermédiaires en financement participatif et une notification pour refus de consentement d'un prêt inférieur à 50 000 euros ;

- les articles 41 et 42 de la loi de finances rectificative n° 2020-935 du 30 juillet 2020 introduisent une notification pour refus d'instruction du prêt et étendent, à compter du 1er août 2020, la garantie à des lignes de financement ouvertes à des entreprises au titre des commandes qu'elles enregistrent mais n'ayant pas donné lieu à facturation (ci-après « garantie bis ») ;

- les articles 213 et 214 de la loi de finances n° 2020-1721 du 29 décembre 2020 pour 2021 prolongent les PGE jusqu'au 30 juin 2021 - et reportent au 31 décembre 2021 la date d'échéance couverte par la « garantie bis » ;

- l'article 23 de la loi de finances rectificative n° 2021-953 du 19 juillet 2021 prolonge les PGE jusqu'au 31 décembre 2021 et précise que l'arrêté encadrant le régime des PGE doit déterminer les modalités d'indemnisation, le cas échéant à titre provisionnel, liées à la garantie, et que Bpifrance doit reverser à l'État tout éventuel trop-perçu par l'établissement prêteur dans le cadre de son indemnisation ;

- l'article 161 de la loi de finances n° 2021-1900 du 30 décembre 2021 pour 2022 prolonge la possibilité de souscription des PGE jusqu'au 30 juin 2022, et prévoit la possibilité d'une compensation des missions de gestion et de suivi des PGE attribuées à Bpifrance, jusqu'alors expressément effectuées à titre gratuit ;

- l'article 23 de la loi de finances rectificative n° 2022-1157 du 16 août 2022 prolonge la possibilité de souscription des PGE jusqu'au 31 décembre 2022 et introduit la possibilité d'une souscription pour pallier les perturbations économiques liées au conflit russo-ukrainien - dans les faits, le PGE se transforme en PGE « Résilience », aux conditions d'accès plus restrictives ;

- l'article 147 de la loi de finances n° 2022-1726 du 30 décembre 2022 pour 2023 prolonge le dispositif - qui se limite désormais aux PGE « Résilience » - jusqu'au 31 décembre 2023.


* 5 Rapport d'information n° 583 (2020-2021) fait au nom de la commission des finances sur les prêts garantis par l'État par M. Jean-François HUSSON, rapporteur général, déposé le 12 mai 2021.

* 6 Loi de finances n° 2020-289 du 23 mars 2020 de finances rectificative pour 2020.

* 7 Arrêté du 23 mars 2020 accordant la garantie de l'État aux établissements de crédit et sociétés de financement en application de l'article 6 de la loi n° 2020-289 du 23 mars 2020 de finances rectificative pour 2020.

* 8 Communication de la Commission 2020/C 91 I/01 - Encadrement temporaire des mesures d'aide d'État visant à soutenir l'économie dans le contexte actuel de la flambée de COVID-19.

* 9 Le rapport public thématique de la Cour des comptes publié en juillet 2022 « Les prêts garantis par l'État. Une réponse efficace à la crise, un suivi nécessaire » détaille l'emploi des différents dispositifs par les principaux pays européens.

* 10 Audition de la direction générale du Trésor par le rapporteur.

* 11 Ainsi que celle des modifications successives du régime d'aide.

* 12 Communiqué de presse de la Commission européenne, Aides d'État: la Commission supprimera progressivement l'encadrement temporaire des aides d'État COVID.

* 13 Communication de la Commission européenne, Encadrement temporaire de crise pour les mesures d'aide d'État visant à soutenir l'économie à la suite de l'agression de la Russie contre l'Ukraine.

* 14 Communication de la Commission, modification de l'encadrement temporaire de crise pour les mesures visant à soutenir l'économie à la suite de l'agression de la Russie contre l'Ukraine.

* 15 Communication de la Commission, Encadrement temporaire de crise pour les mesures d'aide d'État visant à soutenir l'économie à la suite de l'agression de la Russie contre l'Ukraine.

* 16 Communication de la Commission, Encadrement temporaire de crise et de transition pour les mesures d'aide d'État visant à soutenir l'économie à la suite de l'agression de la Russie contre l'Ukraine.

* 17 Et huit si l'on compte la coordination due à la modification du nom de Bpifrance à l'article 3 de l'ordonnance n° 2020-739 du 17 juin 2020.

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