DES MÉTIERS ESSENTIELS DÉSORMAIS EN TENSION, UN VÉRITABLE DÉFI DE SOCIÉTÉ

Si l'ensemble des entreprises françaises est touché par cette situation de tension, le taux de difficulté est particulièrement élevé pour certaines familles de métiers, qui incluent des métiers essentiels à la vie de la Nation.

L'enquête BMO, conduite annuellement par Pôle emploi, identifie les dix métiers les plus tendus. En 2022, il s'agit principalement de métiers d'aide aux personnes (aides à domicile et ménagères, infirmiers, puériculture) et de métiers manuels ou techniques de l'industrie ou du bâtiment (couvreurs, mécaniciens, menuisiers, chaudronniers...).

ÉVOLUTION DE L'INDICATEUR DE TENSION DES MÉTIERS ENTRE 2011 ET 2021

Source : Pôle emploi, DARES, « Les tensions sur le marché du travail en 2021 », septembre 2022

Une lecture comparée des dernières études BMO démontre que ces métiers souffrent de tensions durables, puisqu'ils figuraient en grande partie déjà dans le classement des métiers tendus des cinq dernières années, si ce n'est davantage. Un récent rapport de France Stratégie confirme ce constat, indiquant que « les difficultés de recrutement concernent plus particulièrement les métiers qualifiés de l'industrie et de la construction (ouvriers qualifiés, techniciens et ingénieurs), les métiers de l'informatique, de la santé et de l'aide à la personne »6(*).

MÉTIERS CONNAISSANT LE PLUS DE DIFFICULTÉS DE RECRUTEMENT
ENTRE 2018 ET 2022 EN FRANCE (PAR RANG)

Source : Délégation aux Entreprises, d'après les enquêtes BMO 2019, 2020, 2021, 2022, 2023 Pôle emploi

Au cours des dernières années, la situation s'est particulièrement détériorée pour les métiers d'infirmiers, cadres infirmiers et puéricultrices (+53 % de difficultés déclarées entre 2017 et 2022), d'éducateurs spécialisés (+41 %) et de conducteurs de transport en commun (+39 %)7(*).

Force est de constater que ne figurent pas uniquement, parmi ces listes, des métiers nouveaux, pour lesquels les difficultés pourraient s'expliquer par le manque de formation à de nouvelles technologies ou de nouvelles missions. Au contraire, ce sont des aussi des métiers bien identifiés, depuis longtemps essentiels pour la société, qui sont touchés : construction de logements, fonctionnement du système de santé, encadrement et garde des enfants, enseignement, services publics... La désaffection pour ces filières semble, dans certains cas, témoigner d'une crise d'attractivité de certains métiers, d'autant plus évidente que la situation du marché du travail est actuellement relativement favorable.

Dans le commerce de proximité, les tensions sont aigües pour les secteurs de la boucherie, de la boulangerie, mais aussi pour les coiffeurs et les esthéticiens, selon le réseau des chambres des métiers et de l'artisanat.8(*) L'agriculture connaît aussi d'importantes difficultés à attirer des jeunes repreneurs pour les exploitations agricoles.

De fortes inquiétudes pour la transmission des entreprises :
les exemples de l'artisanat et de l'agriculture

La diminution du nombre de transmissions d'entreprise se poursuit, avec - 19 % entre 2010 et 2019 puis -16 % entre 2020 et 2021. Or, 25 % des dirigeants d'entreprise français ont plus de 60 ans, et 11 % ont plus de 66 ans. Selon les estimations, entre 250 000 et 700 000 entreprises seraient à céder au cours des dix prochaines années.

Dans le secteur artisanal, 333 000 entreprises sont à reprendre dans les cinq années à venir, mais le réseau des chambres des métiers et de l'artisanat signale de vraies « difficultés à recruter de nouveaux porteurs de projets susceptibles de reprendre une entreprise ». Sans repreneurs intéressés par l'activité, certains savoir-faire pourraient disparaître, notamment dans les métiers d'art et le travail des métaux.

Dans le secteur agricole, plus d'un quart des exploitants en 2020 avaient plus de 60 ans, tandis que 58 % des actifs ont plus de 50 ans. Le renouvellement des générations est donc un enjeu majeur, car dans certaines régions, les deux tiers des agriculteurs actifs devront être remplacés dans les vingt ans à venir pour assurer la reprise des exploitations. Or, le manque de candidats à la reprise, en particulier parmi les jeunes en quête d'installation, conduit déjà dans certaines régions agricoles à une forme de déprise.

Sources : réponse des chambres des métiers et de l'artisanat au questionnaire de la délégation, rapport « Reprendre pour mieux entreprendre dans nos territoires » de la délégation sénatoriale aux Entreprises, rapport « Cinq plans pour reconstruire la souveraineté économique » de
la commission des affaires économiques du Sénat

La transmission des entreprises est en effet un enjeu majeur de l'économie française, comme la délégation aux Entreprises l'a souvent souligné, notamment dans le rapport intitulé « Reprendre pour mieux entreprendre dans nos territoires » présenté en 2022 par Michel Canévet, Rémi Cardon et Olivier Rietmann9(*).

Ces analyses semblent faire écho au phénomène du « Big Quit » (« Grande démission »), largement relayé par les médias et observateurs durant la crise sanitaire. Nombre de pays occidentaux ont connu une hausse sensible des démissions au cours des années 2020 et 2021, tant dans des métiers de service à faible niveau de qualification, que parmi les jeunes cadres. Certains y ont vu les conséquences de la crise sanitaire et des confinements, ayant marqué une rupture soudaine avec le monde du travail et suscité des envies de « changement de vie » ; tandis que d'autres y lisent une dynamique plus profonde d'évolution du rapport au travail, particulièrement chez les plus jeunes. L'aspiration à une plus grande mobilité professionnelle, la quête de sens, mais aussi d'un rééquilibrage entre vie professionnelle et vie privée, des plus jeunes entrants sur le marché du travail, est aujourd'hui indéniable, comme en ont témoigné les auditions menées par la mission.

Ces aspirations nouvelles peuvent expliquer une partie des difficultés rencontrées par les entreprises, mais n'en sont certainement pas l'explication unique. Au cours des nombreuses auditions des rapporteurs, a été réaffirmé le caractère multifactoriel des tensions de recrutement, que l'on ne saurait réduire à une question de salaire, de « sens du travail » ou d'image des métiers.


* 6 « Comment expliquer les difficultés de recrutement anticipées par les entreprises ? », document de travail France Stratégie, juin 2022.

* 7 Enquête BMO 2022, Pôle emploi.

* 8 Réponses de CMA à la délégation.

* 9 « Reprendre pour mieux entreprendre dans nos territoires », rapport d'information n° 33 (2022-2023) de Michel Canévet, Rémi Cardon et Olivier Rietmann, fait au nom de la délégation aux entreprises, déposé le 7 octobre 2022.

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