LISTE DES CONTRIBUTIONS ÉCRITES

Un coeur, une voix

COMPTE RENDU
DE L'AUDITION EN COMMISSION

Audition de M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur et des outre-mer, et M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l'intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer

Mercredi 2 novembre 2022

M. François-Noël Buffet, président. - Mes chers collègues, nous auditionnons les ministres Gérald Darmanin et Jean-François Carenco sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie.

Vous n'êtes pas sans savoir qu'avec Philippe Bas et Jean-Pierre Sueur, nous nous sommes rendus en Nouvelle-Calédonie avant l'été et que nous avons présenté un rapport d'étape. La Première ministre a reçu la semaine dernière une délégation calédonienne dans le cadre d'une convention des partenaires, les ministres aujourd'hui auditionnés étaient présents : il nous a paru utile de faire un point de situation.

M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur et des outre-mer. - Concernant la Nouvelle-Calédonie, je souhaiterais revenir sur les quelques mois écoulés depuis notre nomination et notamment sur la réunion sous l'autorité de Mme la Première ministre qui s'est tenue la semaine dernière. La réunion de la semaine passée est conforme à parole de l'État et à l'envie des calédoniens de voir avancer les dossiers qui les concernent. Mais elle était incomplète car une partie des acteurs, notamment une partie des indépendantistes, ne s'est pas rendue à notre invitation à Paris, alors que le ministre délégué avait, lors de son déplacement, reçu publiquement les différentes parties et entendu leur envie de venir pour des réunions bilatérales puis trilatérales et une suite des accords à Paris. Nous avons avancé grâce à cette réunion que je qualifie de constructive, elle a notamment permis à la fois de répondre à la demande des représentants de Nouvelle-Calédonie que nous nous rendions à la fin du mois de novembre en Nouvelle-Calédonie pour un déplacement qui devrait permettre justement aux représentants des indépendantistes absents de continuer le dialogue avec l'État, et en particulier pour lancer les groupes de travail définis lors de cette journée autour de la Première ministre, qui vont être mis en place dans les jours qui viennent par le Haut-commissaire et que nous allons concrétiser par notre déplacement et par nos réunions en Nouvelle-Calédonie. Nous avons noté le sentiment positif de l'ensemble des présents à cette réunion, y compris donc une partie des indépendantistes, de nous voir donner suite aux demandes d'un bilan des accords de Nouméa et d'un audit de décolonisation. Le Haut-commissaire en a présenté le cahier des charges, qu'il a discuté avec l'ensemble des partenaires.

Il s'agit, après les trois référendums qui ont été organisés conformément aux accords de Matignon et de Nouméa, de pouvoir désormais inscrire la Nouvelle-Calédonie dans un avenir qui n'est pas celui de savoir si elle doit, ou pas, rester française. La question a été tranchée par le peuple souverain, et singulièrement les Calédoniens eux-mêmes, les trois référendums se sont d'ailleurs déroulés sous le quinquennat du président de la République actuel, y compris le dernier à quelques mois de l'élection présidentielle. Je souligne le courage qu'il a fallu au président de la République et à Sébastien Lecornu pour organiser ces trois consultations qui se sont passées dans les meilleures conditions démocratiques et de sécurité possibles, toutes les parties le reconnaissent.

La prochaine étape, pour pouvoir construire ce chemin avec nos amis Calédoniens, est celle de notre déplacement en Nouvelle-Calédonie, je tiens à dire que notre porte est toujours ouverte. Nous regrettons, évidemment, l'absence d'une partie des indépendantistes mais nous les associerons, bien sûr, à l'ensemble des discussions que nous pourrons avoir. Avec le ministre délégué, nous avons reçu M. Mapou, par exemple, et continuons à avoir des échanges téléphoniques avec lui en attendant de se voir sur place. Désormais notre sujet est de voir comment nous construisons les choses ensemble. Ces sujets institutionnels sont évidemment extrêmement importants, mais au lendemain peut-être d'une révision constitutionnelle puisqu'il faudra bien tirer les conclusions de dispositions constitutionnelles qui aujourd'hui s'arrêtent bien évidemment au troisième référendum, sans ignorer qu'il y a une nouvelle situation créée par ce troisième référendum qui confirme l'attachement de la Nouvelle Calédonie à l'unité de la République. Il y a aussi les autres sujets d'importance, le nickel en premier lieu mais pas uniquement, pour mettre la Nouvelle-Calédonie dans l'avenir.

M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l'intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer. - J'ai noté la bonne ambiance de notre réunion avec la Première ministre, son atmosphère détendue, les tours de table ont été très sérieux. Chacun reconnaissait que le choix du président de la République et du Gouvernement de tenir le référendum au mois de décembre était un choix courageux et déterminant. Que se passerait-il si on faisait le référendum maintenant ? Chacun se posait la question. Tout le monde a ressenti que ce qui a été fait avait été bien fait. Ensuite, sur le nickel, nous avons un problème de fiscalité et des problèmes de recettes pour le territoire. Vous vous êtes rendus là-bas, la situation n'est pas bonne, ni dans le sud, - l'usine de Yaté - ni à Nouméa, ni dans le nord. Il nous faut y réfléchir. Le ministère des finances, le ministère de l'intérieur et des Outre-mer et moi-même essayons de trouver la bonne formule de travail à Paris sur ce point. Bien évidemment, il faut que le ministère des finances soit impliqué, et qu'il accompagne tout ça, parce qu'il y a à la fois des questions techniques et des questions capitalistiques et qu'il s'agit finalement d'une question politique. Prenons un peu de temps mais le sujet est tout à fait essentiel.

Le dernier point que je voudrais mettre en avant c'est que tout le monde a bien dit qu'il y a les questions institutionnelles à régler d'une certaine manière et il y a le reste. Profitons de ce moment pour que l'État aide cette société calédonienne à se mettre en route après ces référendums une fois qu'a été confirmée l'appartenance à la République. Il y a un certain nombre de sujets : les questions institutionnelles, l'égalité des chances et la cohésion sociale, le développement économique, l'emploi et les grands investissements, le nickel, la souveraineté énergétique - qui vont un peu ensemble -, la souveraineté alimentaire, le foncier, les valeurs, l'identité commune et régionale. Le calendrier démarrera après préparation par le Haut-Commissaire, en ce moment même, du voyage du ministre de l'intérieur et de moi-même. Les ministres sont là pour lancer les groupes de travail, après un nouveau contact, bien sûr, avec les parties qui n'étaient pas là à Paris. J'ai bon espoir que le voyage, de huit jours, soit productif. Et qu'il enclenche un processus que nous espérons voir aboutir à la mi 2023, ce sur quoi tout le monde convergeait. Cela fait huit à dix mois nécessaires.

M. Philippe Bas. - Nous sommes tous dédiés à la recherche d'un accord en Nouvelle-Calédonie, et nous serions très heureux de pouvoir y contribuer. J'espère qu'après la rencontre informelle de Paris la semaine dernière, sans les indépendantistes, votre déplacement à Nouméa permettra de renouer le dialogue, car pour l'instant, c'est une situation où l'une des parties n'est pas présente dans les discussions. Je crois que nous partageons la même conviction : il n'y a pas de solution durable en Nouvelle-Calédonie sans un accord. Il ne peut pas y avoir une solution de l'État, une solution unilatérale qui soit une solution durable. Cela n'assurerait pas la coexistence des Calédoniens entre eux. Il n'y a pas non plus de majorité à Paris, au Parlement, sans un accord, et notamment pas de majorité au Congrès, possible, pour une révision constitutionnelle. Donc l'enjeu est bien là : réussir, - et c'est votre défi - à nouer d'abord ce dialogue, et ensuite ce trilogue, État, non-indépendantistes, indépendantistes pour créer des solutions durables. Les solutions ne sont jamais définitives, car nous sommes dans l'ordre du politique, mais au moins qu'elles puissent durer aussi longtemps que les accords de Matignon et de Nouméa pour assurer la stabilité et le développement de la Nouvelle-Calédonie.

Il y a un paradoxe, et c'est ce sur quoi portera mon unique question. Vous avez donné, depuis l'élection présidentielle, le sentiment de vous hâter avec lenteur. J'espère que cela permettra tout de même comme dans la fable d'atteindre la ligne d'arrivée d'un accord que nous souhaitons tous. Mais cette lenteur, qu'elle soit voulue ou liée à un certain nombre de péripéties, est-elle réellement compatible avec le calendrier que vous avez en tête ? C'est un calendrier très serré. M. le ministre délégué, après avoir paru hésiter, a confirmé en Nouvelle-Calédonie depuis Nouméa, le référendum annoncé M. Sébastien Lecornu, votre prédécesseur sur cette partie de vos compétences, d'ici la fin du premier semestre 2023. Il y a quand même un compte à rebours...

M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur et des outre-mer. - Non, il n'y aura pas de nouveau référendum...

M. Philippe Bas. - Ah ? J'ai mal compris. Il n'y aura pas de référendum en Nouvelle-Calédonie ? Vous n'avez pas prévu cela ? En tout cas, un référendum suppose qu'on soit parvenu à un accord, suivi d'une révision constitutionnelle : la mi-2023, c'est un peu court dans le contexte actuel... Ensuite, après la mi-2023, pensez-vous tenir le calendrier pour les élections en Nouvelle Calédonie ? Au fond, on met la pression sur le calendrier, on pose des espèces d'ultimatums. Et tout le monde n'est pas réuni à la table des négociations.

M. Jean-Pierre Sueur. - Je dois vous dire que je garde un excellent souvenir de la délégation que nous avons conduite avec François-Noël Buffet et Philippe Bas en Nouvelle-Calédonie, avant l'été. Nous y avons mené 42 auditions pour entendre, avec une certaine humilité comme l'on dit là-bas dans la coutume, ce qui était dit. Nous avons eu le sentiment, comme le souligne notre rapport d'étape, qu'en dépit des oppositions, il y avait des possibilités de rapprochement : les différents leaders de la Nouvelle-Calédonie se connaissent très bien - et finalement il y a le discours, les postures, et puis il y a aussi ces fils mystérieux qui font que petit à petit les choses peuvent évoluer. À cet égard, je suis en total accord, ce n'est pas un hasard, avec ce que vient de dire Philippe Bas, et je dois dire que nous avons connu des moments difficiles au mois de juillet et encore récemment. Jean-François Carenco, nous vous connaissons depuis longtemps et nous connaissons votre sens du dialogue et même votre empathie avec les personnes avec lesquelles vous parlez. Mais vous avez quand même dit lors de votre dernier déplacement, - j'ai là le verbatim - devant une délégation, le matin : « il n'y aura pas de référendum de projet en juillet ou septembre 2023 ». Les gens ont alors compris qu'il n'y aurait pas de référendum. Puis, l'après-midi, devant d'autres interlocuteurs, vous avez dit : « Ce référendum de projet, il a toujours été question qu'il ait lieu, il n'y a aucun sujet là-dessus, le référendum de projet c'est une évidence. » Je vois votre sens du dialogue, je ne le conteste pas, simplement la réalité, c'est que, comme l'a dit d'ailleurs Philippe Bas, il n'est pas possible qu'il y ait un référendum à court terme. Il ne peut y avoir de référendum spécifique à ce territoire que si nous changeons la Constitution. Or, si vous pensez que les conditions politiques sont réunies pour que le Sénat et l'Assemblée nationale votent dans les mêmes termes un texte qui serait soumis au Congrès d'ici la fin 2023, je crois que c'est quelque peu utopique.

Ensuite, et il faut « parler vrai », comme le disait Michel Rocard. Un événement pèse lourd dans ce dossier : la nomination au Gouvernement de Mme Sonia Backès. Nous pensons, nous avons dit et écrit, encore récemment, qu'il nous paraissait que, pour avancer, le Gouvernement devait être impartial. C'est une position ; on peut considérer que le Gouvernement doit être partial. Mais jusque-là, et notamment pour le troisième référendum, le Gouvernement a tenu à une certaine impartialité. C'est nécessaire si l'on veut que les points de vue se rapprochent. Or, vous avez dans le Gouvernement, à vos côtés, une personne tout à fait estimable, mais qui est le fer de lance de l'une des parties et qui déclare, notamment dans la presse, que naturellement être membre du Gouvernement ne l'empêchera pas, s'il y a deux parties qui dialoguent, d'être clairement dans l'une des parties. Alors là, on ne comprend pas très bien. Et vous savez très bien, je ne vous l'apprends pas, que les indépendantistes n'ont pas été insensibles à la situation ainsi créée.

Je ne demande rien à votre collègue du Gouvernement, je ne demande même pas qu'elle démissionne de son poste de présidente de la province sud, conformément à ce qu'ont fait certains de vos collègues du Gouvernement, c'est son libre choix. Mais il me semble que si le Gouvernement est impartial, veut être impartial, se dit impartial, il faut peut-être régler cette question. Peut-être que l'intéressée peut faire des déclarations en disant qu'elle se retire du dossier ou qu'elle fait preuve d'impartialité ? Nous avons vu comment les choses se sont passées lors de la réunion à Paris où les indépendantistes n'étaient pas représentés puisque M. Lalié, que nous avons-nous-mêmes reçu, comme tous les interlocuteurs présents à Paris, nous a dit qu'il n'était là qu'en tant que président de la province des îles. Nous pensons qu'il y a là peut-être un préalable à lever de manière à ce que, lorsque vous vous rendrez à nouveau en Nouvelle-Calédonie les groupes de travail soient acceptés par les deux parties, et que par un dialogue bilatéral puis, je l'espère, par un dialogue trilatéral, on puisse avancer.

Comment avancer ? La question du référendum « de projet » est un chiffon rouge qui ne sert à rien, puisqu'il est impossible de le mettre en place à court terme. Il me semble, en revanche, que la question du régime électoral est une vraie question, mais elle demande du temps, de la précaution pour arriver à avancer parce qu'on ne peut pas rester dans cette situation. On a pu critiquer les accords de Paris et les accords de Nouméa, mais ils ont permis une certaine paix, un vivre-ensemble. Je crois qu'il faut repartir sur un chemin pour vivre ensemble en partant des réalités économiques, sociales et culturelles, coutumières, en avançant petit à petit sur ces sujets, peut-être en s'appuyant sur les maires dont nous avons pu comprendre là-bas à quel point ils étaient des hommes et des femmes de dialogue. Il y a un chemin mais il y a deux écueils. Une chose est impossible : c'est dire qu'il n'y aura plus de rapport culturel extrêmement fort entre la Nouvelle-Calédonie et la France. Je pense que personne, y compris parmi les indépendantistes, ne demande que le lien soit coupé. Et en même temps, il faudra des signes pour marquer l'autonomie et la spécificité de la Nouvelle-Calédonie. Par exemple, la question de l'autodétermination a toujours été présente dans le processus. Il me semble qu'entre ces deux points, il y a un chemin, sans doute étroit, mais je souhaite de tout coeur que vous puissiez avancer sur ce chemin.

M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur et des outre-mer. - Sur la question de M. le président Bas, je ne vois pas très bien comment nous aurions pu nous hâter autrement, sauf si vous considérez que nous aurions pu à organiser un déplacement du ministre ou de moi-même entre les élections présidentielles et législatives. Je rappelle que l'élection présidentielle a eu lieu au mois de mai, que le Gouvernement a été formé une semaine après, ce qui est bien logique, puis qu'il y a eu la campagne des législatives. Il aurait été bizarre d'entreprendre des discussions alors même que les Calédoniens choisissaient leurs représentants à l'Assemblée nationale. Nous avons décidé d'envoyer le ministre Jean-François Carenco au tout début du mois de septembre après deux conseils de défense organisés par le chef de l'État sur la question calédonienne. Nous avons-nous-mêmes reçu, à Paris, un certain nombre d'interlocuteurs calédoniens dès le début du mois de septembre. Nous avons organisé, après les invitations lancées lors du déplacement du ministre, ces deux journées de travail au mois d'octobre. Je ne vois pas comment nous aurions pu aller plus vite, sauf à bousculer les demandes même des Calédoniens, qu'ils soient indépendantistes ou non-indépendantistes, d'attendre la fin de la campagne des élections législatives et qui ne souhaitaient surtout pas d'accélération du calendrier.

Vous incluez peut-être le moment entre le référendum de décembre et l'élection présidentielle ? C'est une autre question qui se pose. Je rappelle qu'à l'époque le FLNKS, en premier, avait dit qu'il ne discuterait pas avec des représentants de l'État tant que le président de la République n'était pas connu. C'est une position assez logique, il faut bien l'avouer, puisque la fin de la période des accords de Matignon et de Nouméa - trois référendums étaient prévus et nous avons mené ces trois référendums - crée une nouvelle situation à étudier, une discussion ne pouvait pas s'engager avec un président de la République qui n'était pas à coup sûr Emmanuel Macron. Chacun aurait très certainement contesté que M. le président de la République préempte des arbitrages qui engageaient bien au-delà de son quinquennat. Je ne vois pas très bien ce que nous aurions pu faire de plus rapide compte tenu du calendrier qui nous était imposé et d'ailleurs, le fait que nous retournions dès la fin du mois de novembre en Nouvelle-Calédonie démontre, me semble-t-il que l'on considère que chaque mois est une avancée. Au sujet de l'absence des indépendantistes, je veux aussi souligner que le FLNKS est incontestablement divisé. Son congrès politique arrive, et il a souhaité ne pas régler ses problèmes avant. Pour notre part, nous avons justement fait le choix de ne pas procrastiner et de ne pas encore attendre, trouvant une excuse pour ne pas avancer. Par ailleurs, une partie du FLNKS conteste la validité du troisième référendum, partant du principe qu'il pourrait demander à l'Assemblée générale des Nations-unies de saisir un tribunal qui pourrait remettre en cause la validité de ce référendum. Une partie des conseils de ceux qui contestent la possibilité de valider totalement ce référendum disent : « Si vous allez à Paris, alors vous validerez le fait que vous rendez légitime ce troisième référendum. ». Et ils nous disent : « Tant qu'on n'est pas sûrs que les Nations-unies ne valident pas ce référendum, on ne veut pas discuter. ». Ça nous amène à fin 2023, pour faire très vite. Pour nous, ce n'est évidemment pas un calendrier acceptable, parce que les Calédoniens, par trois fois, ont choisi de rester dans la République, après des élections, me semble-t-il, clairement disputées, démocratiques. D'ailleurs, je crois que les Nations Unies n'ont rien eu à redire ; le Comité spécial des Vingt-Quatre a même considéré que nous avons tenu tous les engagements internationaux de la France, dont en premier lieu le droit à l'autodétermination qui reste toujours dans notre droit.

Je crois qu'il y a un sujet, qui est un sujet difficile pour les indépendantistes : c'est la première fois depuis très longtemps qu'ils ne sont pas dans une situation où il y a un référendum d'autodétermination certain à quelques mois ou quelques années près. Je pense que cela crée une difficulté dans le camp indépendantiste. Nous devons le respecter. Nous devons l'accompagner. Nous devons montrer que notre porte est toujours ouverte. Il ne s'agit d'humilier personne. Nous sommes prêts à discuter de plein de sujets qui concernent la Nouvelle-Calédonie : sa forme institutionnelle, la façon dont fonctionne son corps électoral, la façon dont on voit l'avenir. Mais on ne peut pas faire comme si ces trois référendums n'avaient pas exprimé par trois fois que les Calédoniens voulaient rester dans la République française. Du reste, si nous n'avions pas organisé ces réunions, ces déplacements, vous nous diriez à juste titre, en tout cas pour une partie de l'hémicycle du Sénat, que nous ne respecterions pas la voix des Calédoniens qui ont choisi la France, qui souhaitent un avenir et qui se posent désormais des questions sur le logement, la santé, l'énergie, le nickel, le travail, et leur environnement géopolitique. Chacun sait d'ailleurs que d'autres grandes puissances nous regardent pour savoir si nous sommes capables de pouvoir être forts dans ce territoire français.

Messieurs, cette audition va peut-être permettre de lever cette ambiguïté : il n'est pas prévu de nouveau référendum, et d'ailleurs pourquoi aurait-il lieu ?

M. Jean-Pierre Sueur. - Le ministre a parlé d'un référendum de projet.

M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur et des outre-mer. - Il n'y a pas de nouveau référendum prévu dans les mois qui viennent, dans les années qui viennent. On peut discuter de tout, mais la Nouvelle-Calédonie a fait le choix de la République. Des questions se posent effectivement pour savoir si nous avons la possibilité de le faire dans le cadre constitutionnel actuel. Vous avez parfaitement raison, le changement constitutionnel et notamment de l'article 77 alinéa 4 de la Constitution, c'est-à-dire la question du corps électoral, va se poser puisque nous avons les élections provinciales à organiser en 2024. Mais il est évident que l'année de travail qu'évoquait le ministre délégué ne comprend pas de référendum. Elle comprend, me semble-t-il, le rendu des groupes de travail et, nous l'espérons tous et toutes, des discussions bilatérales et trilatérales conclusives ce qui nous permettra de faire un chemin, et pourquoi pas, Monsieur le Président Sueur, vous avez parfaitement raison, de voir quels sont les symboles, quelles sont les politiques que nous pouvons imaginer être soit des compétences partagées, soit des compétences entières de la Nouvelle-Calédonie.

Vous savez que c'est l'endroit le plus décentralisé qui existe dans la République, puisque hormis les affaires régaliennes, nous ne voyons pas très bien ce que nous pourrions décentraliser davantage. Mais nous pourrions ouvrir des voies et des chemins, et c'est d'ailleurs pour cela que nous continuons à discuter ainsi. L'axe indopacifique évoqué par le président de la République montre peut-être un de ces chemins : définir ce que nous voulons pour la Nouvelle-Calédonie et sa grande place dans la République française.

Ce que j'ai moins compris, Monsieur le Président Sueur, c'est votre assertion : « L'État doit être neutre. ». Si l'État devait avoir une impartialité particulière dans l'organisation des référendums, une fois que ces référendums sont établis et qu'ils ont eu lieu, lors d'élections disputées. L'État ne peut pas rester indéfiniment indifférent au sort de la Nouvelle-Calédonie et nous pouvons constater tous ensemble que la question a été désormais tranchée. J'ai d'ailleurs constaté que vous ne les remettiez pas en cause ni lors de votre prise de parole, ni dans le rapport d'étape que vous avez fourni et que j'ai lu attentivement ; et j'attends avec le ministre délégué votre rapport définitif et nous nous inspirerons bien évidemment de vos constats et de vos recommandations.

M. Jean-Pierre Sueur. - J'ai parlé d'État impartial...

M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur et des outre-mer. - Le troisième référendum a été organisé et, pour la troisième fois en quelques années, les Calédoniens ont dit qu'ils souhaitaient rester français. On ne va pas interdire à tout Calédonien de participer au gouvernement de son pays parce qu'il faudrait que nous ayons une position ad vitam d'impartialité ! Ce serait de drôles de citoyens que ceux de Nouvelle-Calédonie si nous disions que tout le monde peut être membre du gouvernement sauf les citoyens calédoniens. Ce ne serait pas être pleinement dans la République française. Donc s'agissant de votre remarque sur Sonia Backès, qui n'est pas en charge des outre-mer ni de la Nouvelle-Calédonie, il s'agit de la place d'une citoyenne française qui, à la demande du président de la République sur proposition de la Première ministre, a accepté de servir son pays. Il n'y a pas de contestation sur ce point. Les indépendantistes ne le contestent d'ailleurs pas, je le dis pour les avoir entendus, pour avoir lu leurs tracs et leurs communiqués de presse. Notre porte est ouverte, et si notre porte est toujours ouverte, la parole donnée compte énormément partout, et singulièrement en Nouvelle-Calédonie. Nous avons été un peu étonnés, avec le ministre délégué, que cette parole donnée de pouvoir venir à Paris, n'ait pas été tenue, de pouvoir venir à Paris. Je crois qu'il faut prendre en compte la peur, car par le passé ceux qui sont venus discuter ont pu subir les affres de la violence, nous devons rassurer. Une fois donc le troisième référendum organisé, la question n'est plus de savoir s'il y en aura un quatrième sur une potentielle indépendance, mais de considérer que l'État n'a plus de neutralité à avoir et de se mettre en ordre de marche pour aider la Nouvelle-Calédonie à avancer sur son chemin.

Vous dites, encore, que l'autodétermination était partie intégrante des accords de Matignon et de Nouméa, mais elle l'est de tout temps dans notre fonctionnement constitutionnel, et nous ne disons pas que la question ne se posera plus jamais : elle se posera peut-être encore, mais pas à court ou moyen terme, car ce serait, par définition, ne pas respecter le vote et le processus de Matignon.

Donc pour me résumer, il n'y aura pas, dans notre calendrier, un référendum à organiser dans les mois qui viennent. Ça ne veut pas dire qu'il n'y en n'aura pas, un jour, sur le projet pour la Nouvelle-Calédonie, mais ce n'est pas dans l'année qu'évoquait le ministre délégué. Et oui, il faudrait faire, vous le savez tous, une réforme constitutionnelle pour adapter notamment la question du corps électoral, qui est posée par le Conseil d'État, par les juristes européens, et par nous-mêmes. On voit bien que la finalité pour laquelle on a fait ces dispositions exorbitantes du droit commun était conditionnée par le juge constitutionnel lui- même à des buts qui sont maintenant atteints. On sait tous que c'est une question extrêmement délicate par ailleurs. Elle ne mérite pas d'être traitée d'un revers de la main.

Peut-on espérer une majorité des trois cinquièmes au Congrès pour cette réforme électorale ? N'étant pas président de la République ni parlementaire, ce n'est pas à moi de le dire et mon travail, c'est plutôt de trouver le chemin, il n'est pas facile - en tout cas nous voulons le trouver, dans l'écoute des citoyens de Nouvelle-Calédonie, des indépendantistes comme de ceux qui n'ont pas choisi l'indépendance et qui ont été majoritaires dans les trois référendums. Je constate que tous les maires ont organisé les opérations électorales lors du troisième référendum, y compris par ceux qui, pourtant, et vous le savez bien, revendiquent l'indépendance, ce qui est leur droit le plus strict, que nous respectons profondément, en vertu des anciens et de leur engagement.

M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l'intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer. - Peut-être deux compléments. Tout d'abord, un témoignage : lors de la réunion à Paris, Sonia Backès a clairement dit qu'elle participait non comme ministre, mais comme présidente de l'Assemblée de la Province Sud de la Nouvelle-Calédonie.

D'autre part, sur le calendrier, les élections provinciales requièrent effectivement une révision constitutionnelle, et cela suppose l'accord des trois cinquièmes du Parlement : nous avons donc besoin de vous. Ce qu'on entend partout en Nouvelle-Calédonie, c'est une demande d'approfondissement du rôle de l'État, avec l'appartenance à la République comme ligne rouge, je crois que c'est un gage qu'il y a une solution consensuelle. 

Ne nous pressons pas. Ne disons pas des choses trop brutales. On verra là-bas comment les choses se déroulent. Je me suis assuré d'une seule chose avant le 28 octobre, c'est qu'ils nous accueilleraient tous. Au-delà, laissons se nouer les choses.

M. Philippe Bas. - Merci de vos réponses très complètes, nous voulons tous avancer vers un accord et il est très important d'avoir un dialogue clair et complet, et que nous nous parlions avec franchise. Cependant, Monsieur le ministre, par la réponse que vous avez apportée sur le référendum de projet, vous ne pouvez ignorer que vous avez fait une annonce qui, de fait, était la plus importante de ce Gouvernement sur le dossier calédonien. Je trouve que ce renoncement est sage, qu'il eut été extrêmement difficile de forcer le passage pour organiser ce référendum de projet à la date où il avait été initialement prévu. Vous donnez un petit peu d'oxygène ; ce qui ne vous empêche pas d'envisager à l'issue d'un accord que celui-ci soit consacré par un vote des Calédoniens.

Vous ne répondez toutefois pas sur le calendrier des élections provinciales prévues en 2024, et vous avez raison, car tant qu'on peut espérer tenir le calendrier, autant ne pas envisager de le changer. Mais j'insiste simplement sur un point : s'il était possible de lever la difficulté du calendrier liée au référendum de projet, qui avait été annoncé et confirmé par le Gouvernement, il est en revanche beaucoup plus difficile de reculer cette échéance des élections provinciales. Cela crée tout de même, pour la négociation, une exigence parce qu'elles pourront difficilement se tenir tant que la question du corps électoral ne sera pas tranchée.

M. Jean-Pierre Sueur. - Cette date du 2 novembre est importante. Il y a eu trois référendum, dont nous ne contestons ni l'existence, ni les résultats, et il y a l'annonce par le ministre Sébastien Lecornu qu'un référendum de projet interviendrait d'ici fin 2023. Vous nous dites qu'il n'aura pas lieu, je vous en félicite : ce n'est pas la peine de maintenir, comme ça en l'air, une espèce de chose dont on sait tous qu'elle ne pourra pas arriver. Cela dégage l'horizon pour reprendre les discussions sur une pluralité de sujets, de manière à recréer un climat qui permette d'aborder, sans fixer d'échéance particulière, cette question du corps électoral qui est difficile et qui ne pourra être réglée que si l'on crée un climat favorable.

M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur et des outre-mer. - Je dois dire les choses très clairement. S'il doit y avoir un référendum, il ne sera pas d'autodétermination. Le ministre Lecornu a évoqué un référendum de projet. Il est tout à fait possible que ce référendum de projet, pour savoir quel est le nouveau statut, quelle est la nouvelle politique de la Nouvelle-Calédonie dans la République, puisse se tenir. Nous disons, avec le ministre Carenco, tout comme vous, que ce serait difficile de constater qu'il peut se tenir dans l'année qui vient. Car le mode de consensus qui prévaut en Nouvelle-Calédonie et qui demande du temps, doit être recherché par l'État, à travers des bilatérales, des trilatérales, des déplacements, de l'écoute et de l'envie de travailler en commun pour la Nouvelle-Calédonie. Plus on pourra se rapprocher d'une méthode consensuelle, moins on fera des choses clivées dans un temps trop court, qui ne feraient que séparer les uns des autres. En d'autres termes, mieux on se portera si on arrive à aller vers le consensus. Et il ne nous apparaît pas possible aujourd'hui de se mettre d'accord sur tous les sujets qui concerneraient ce projet pour la Nouvelle-Calédonie, dans un temps aussi court.

Dernier point : la réforme constitutionnelle : elle est obligatoire, au regard de notre Constitution, et mon travail est de parvenir à une formulation acceptable par toutes et tous. Cela pose plusieurs questions : faut-il donner des compétences supplémentaires à la Nouvelle-Calédonie ? Si oui, lesquelles et dans quelles conditions ? Cela répond-il aux attentes des Calédoniens de tous bords ? Et enfin, doit-on revenir sur le corps électoral ? Vous n'êtes pas sans savoir que le corps électoral varie selon les élections, selon qu'elles soient présidentielles, provinciales ou référendaires. La situation est difficile, en particulier parce que les indépendantistes demandent à ne pas toucher à cette distribution, alors que d'autres veulent le faire. Les élections provinciales doivent se tenir, mais avec quel corps électoral ?

On a un petit peu de temps avant de devoir décider de tout cela. Il y a tout d'abord les élections sénatoriales qui vont se dérouler en Nouvelle-Calédonie, et, de plus, on ne va pas faire le voyage avant d'y aller. Ils ont accepté de nous recevoir et, si j'ose dire, de faire la suite, en Nouvelle-Calédonie, de la réunion qu'a tenue la Première ministre à Paris. Nous sommes toujours dans la même philosophie : des bilatérales, puis des trilatérales, puis une avancée vers le consensus. Cela s'inscrira dans un avenir dans la République. Je ne veux pas nous lier les mains avant d'y aller. Cependant, il faudra bien que ces provinciales se tiennent et il faudra bien que nous nous mettions d'accord sur ce corps électoral et ces élections locales, qui sont importantes car, vous le savez, les provinces ont des compétences fortes en Nouvelle-Calédonie.

Nous ne sommes pas contre le référendum de projet annoncé par les ministres des outre-mer précédents. Mais ne nous engageons pas sur une date. Il faudra qu'il se tienne une fois qu'on aura fait ce travail. La méthodologie, c'est des groupes de travail sur tous les sujets, institutionnels mais pas seulement : le nickel, notamment, qui est un sujet complexe, tout aussi capitalistique qu'identitaire, et qui attise des convoitises étrangères. Et quand nous serons prêts, nous l'espérons le plus rapidement possible, a priori un an, nous reviendrons devant l'opinion publique, devant les assemblées parlementaires et devant le président de la République pour lui proposer le consensus que nous espérons avoir trouvé dans les jours et les semaines qui viennent.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.