II. LES FRAGILITÉS DU MODÈLE ÉCONOMIQUE DES RÉSEAUX D'INITIATIVE PUBLIQUE NÉCESSITENT UNE RÉACTION RAPIDE DU RÉGULATEUR ET UN SOUTIEN BUDGÉTAIRE DE L'ÉTAT RÉAFFIRMÉ

A. L'ÉTAT DOIT MAINTENIR SON ENGAGEMENT FINANCIER EN FAVEUR DU PLAN FRANCE TRÈS HAUT DÉBIT MALGRÉ LE CONTEXTE BUDGÉTAIRE CONTRAINT

1. Un soutien public important entre 2010 et 2024 qui a eu un effet levier indéniable sur le déploiement des RIP

L'effort financier global consenti pour la construction des réseaux de fibre optique s'établit à plus de 22 milliards d'euros pour les seuls réseaux d'initiative publique (RIP). Ils ont bénéficié d'un soutien public important, principalement par les collectivités locales, à hauteur de 8,7 milliards d'euros, mais aussi par l'État, à hauteur de 3,5 milliards d'euros. Ces financements publics ont eu un véritable effet levier sur l'investissement privé, puisque les opérateurs déclarent avoir consacré plus de 13 milliards d'euros au déploiement des RIP.

Répartition des efforts entre acteurs par plan d'affaires prévisionnels
de 2010 à mi-2024

(en millions d'euros et %)

Source : Cour des comptes

2. Les coupes budgétaires successives depuis 2024 soulèvent des interrogations sur l'engagement financier de l'État en faveur des RIP dans la durée

Les rapporteurs spéciaux se félicitent de l'ampleur des financements engagés, qui traduit le volontarisme des pouvoirs publics en faveur du Plan France très haut débit. Toutefois, les coupes budgétaires successivement réalisées depuis plus d'un an sur le programme 343 « Plan France Très Haut débit » soulèvent des interrogations sur les perspectives de soutien financier de l'État à ce projet, dans un contexte budgétaire de plus en plus contraint.

En effet, l'année 2024 a été marquée en cours de gestion par une annulation de 116,8 millions d'euros en crédits de paiement (CP) par le décret du 21 février 20242(*), ainsi qu'une annulation de 85 millions d'euros en CP par la loi de finances de fin de gestion pour 20243(*). La Cour des comptes souligne que, malgré ces baisses de crédits, l'ensemble des décaissements nécessaires au financement des RIP ont pu être assurés en 2024 par l'ANCT, grâce à sa trésorerie excédentaire et à une sous-exécution des crédits. Toutefois, certains auditionnés ont fait état auprès des rapporteurs spéciaux de contrôles zélés réalisés par l'ANCT au moment des versements des soldes de subventions aux RIP, qui ralentiraient de facto le rythme des décaissements des crédits, et expliqueraient ces sous-exécutions. L'ANCT s'est défendue en audition d'avoir réalisé un pilotage des crédits par un renforcement de ces contrôles, en insistant par ailleurs sur le fait que les audits réalisés au moment du versement des soldes contribuent surtout à garantir le respect des cahiers des charges imposés aux opérateurs en matière de qualité des réseaux.

Cette dynamique de coupes budgétaires semble se poursuivre pour l'année 2025. Dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances (PLF) pour 2025, les rapporteurs spéciaux avaient émis des doutes sur les ambitions du pouvoir exécutif à l'égard du PFTHD, au regard de la baisse de 52 % des crédits du programme 343 par rapport à l'année 2024. Ils avaient également déploré le dépôt et l'adoption en séance publique au Sénat d'un amendement « rabot » du Gouvernement de baisse de 21,6 millions d'euros des autorisations d'engagement (AE) et CP sur ce même programme, traduisant les annonces gouvernementales de rétablissement des finances publiques. Par ailleurs, le décret d'annulation du 25 avril 2025 a priver le programme 343 de 12,5 millions d'euros de CP supplémentaires.

Le rapport de la Cour indiquait dans son rapport que le montant des crédits de paiement disponibles sur l'action 1 du programme 343 destinée au financement des RIP, serait, pour l'année 2025, inférieur aux besoins des collectivités, de l'ordre de 84 millions d'euros, à moins d'un report de crédits et d'une éventuelle mobilisation de la trésorerie excédentaire.

Le DGE a néanmoins affirmé, lors de la présentation du rapport de la Cour devant la commission des finances, que les crédits effectivement disponibles seraient suffisants pour répondre à ces besoins. D'après les éléments transmis aux rapporteurs spéciaux, le montant des CP consacrés à l'action 1 « RIP » du programme 343, qui était estimé à seulement 200 millions d'euros dans les documents budgétaires annexés au PLF 2025, aurait été porté à 276 millions d'euros grâce à des reports de crédits4(*) résultant de la suppression du programme 364 « Cohésion » de la mission « Plan de relance » et, dans une moindre mesure, à un report résultant d'une sous-exécution des crédits sur l'exercice 2024. Ces reports de crédits, associés à la possibilité de mobiliser les 50,7 millions d'euros de trésorerie excédentaire de l'ANCT, permettraient ainsi de couvrir les besoins de décaissements des collectivités pour le financement des RIP, qui sont estimés à 284 millions d'euros en 2025.

La Cour des comptes a également souligné que la disponibilité des AE consacrées au RIP de Mayotte, introduit à l'initiative de la commission des finances dans le texte, n'était serait pas garantie, et dépendrait des arbitrages qui seront réalisés concernant la ventilation des économies résultant de l'amendement « rabot » du Gouvernement. Les rapporteurs spéciaux estiment que les AE destinés au financement de ce projet, dont le lancement a été acté en mars dernier, doivent être sanctuarisés, conformément à l'intention clairement exprimée par le Parlement.

Recommandation n° 1 : Sanctuariser les crédits budgétaires dédiés au financement du réseau d'initiative publique de Mayotte, conformément à la volonté exprimée par le Parlement lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2025 (ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique).

En tout état de cause, le rapport de la Cour montre que les prochains exercices budgétaires devraient être marqués par un pic de demande de versement de la part des RIP au fur et à mesure de leur achèvement. Or, si l'État décide dans le même temps de réduire la voilure sur le plan budgétaire, les collectivités seront contraintes de s'y substituer, ce que leur situation financière ne leur permet pas. Cette situation se répercutera in fine sur les opérateurs et leurs sous-traitants, fragilisant ainsi les tissus économiques locaux.

Besoins prévisionnels de versements des crédits du PFTHD
aux porteurs des projets de RIP anticipés par l'ANCT

(en millions d'euros)

Source : commission des finances, d'après le rapport de la Cour des comptes


* 2 Décret n° 2024-124 du 21 février 2024 portant annulation de crédits.

* 3 Loi n° 2024-1167 du 6 décembre 2024 de finances de fin de gestion pour 2024.

* 4 Au total, 124,7 millions d'euros en CP supplémentaires ont été reportés sur l'ensemble des actions du programme 343 par l'arrêté du 7 mars 2025 portant report de crédits, dont 120 millions d'euros au titre de la suppression du programme 364 de la mission Plan de relance, et 4,7 millions d'euros au titre des reports de crédits non-exécutés en 2024.

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